La télévision pour quoi faire ?
VALADE (Jacques)
RAPPORT D'INFORMATION 352 (2002-2003) - commission des affaires culturelles
Rapport au format Acrobat ( 193 Ko )Table des matières
- Mme Jacqueline Aglietta, président-directeur général de Médiamétrie
- M. Emmanuel Hoog, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA)
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jacques Peskine, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
- Mme Sophie Deschamps, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
- Mme Catherine Hertault, scénariste, directrice d'écriture au Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- M. Jacques Peskine, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
- Mme Carole Paplorey, responsable des études, TV5
- M. René Duranton, société Bourbonnaise Production
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente de la commission des Affaires culturelles du Sénat
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- Intervention de la salle
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- Intervention de la salle
- M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
- M. Marc Tessier, président de France Télévisions
- M. Joël Wirsztel, SatelliFax
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
- Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, auteur de « Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? »
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Éric Clémenceau, président de Turner Broadcasting
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- Mme Emmanuelle Sardou, présidente de l'Union-guilde des scénaristes (UGS)
- M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
- Mme Sylvie Bocquet, rédactrice en chef de Famille et Education
- M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
- Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
- Mme Sophie Deschamps, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
- Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
- Mme Hélène Waysbord, inspecteur général honoraire, conseiller audiovisuel, CNDP
- Mme Ginette Dislaire, responsable du département cinéma et images, L'Eden-Le Volcan
-
Intervention de la salle
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
- M. Patrick de Carolis, présentateur et producteur de l'émission « Des racines et des ailes », directeur général du Figaro Magazine
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jérôme Clément, président du comité de gérance Arte
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Gérard Noël, vice-président-directeur général de l'Union des annonceurs (UDA)
- M. Bruno Chetaille, président-directeur général de Télédiffusion de France (TDF)
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Roland Jaeger, secrétaire général de SES Global
- M. Pascal Perennes, chargé de mission, Commission régionale du film de Poitou-Charentes
- M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
- Intervention de la salle
- M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
- M. Philippe Fau, directeur de la chaîne PlayJam
- M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
- Intervention de la salle
- M. Roland Jaeger, secrétaire général de SES Global
- Intervention de la salle
- M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Louis de Broissia, sénateur de la Côte-d'Or, membre de la commission des Affaires culturelles du Sénat
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Jean-Michel Baer, directeur à la Direction « Culture, Politique audiovisuelle et Sport » à la Commission européenne
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. David Kessler, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC)
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Étienne Mougeotte, vice-président de TF1, directeur général de l'antenne
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
- M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
- M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
N°
352
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juin 2003
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le contenu des programmes de télévision ,
Par M.
Jacques VALADE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; M. François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Serge Lepeltier, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, André Vallet, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Audiovisuel et communication. |
ACTES
DE LA JOURNÉE THÉMATIQUE
SUR « LA TÉLÉVISION POUR QUOI
FAIRE ? »
organisée par la commission des Affaires culturelles
Sous le haut patronage de M. Christian Poncelet, Président du
Sénat,
de M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de
la Recherche,
de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication,
et la présidence de M. Jacques Valade,
Président de la
commission des Affaires culturelles du Sénat
Le mercredi 19 mars 2003
Les
débats sont animés par M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste.
INTRODUCTION
Message d'accueil de M. Christian Poncelet, Président du Sénat
Je suis
heureux de voir aujourd'hui la commission des Affaires culturelles poursuivre
et porter au plus haut une longue tradition qui fait du Sénat une
Assemblée reconnue pour sa connaissance du monde de l'audiovisuel. Je
remercie et félicite son président Jacques Valade d'en avoir pris
l'initiative.
Le nombre et la qualité des intervenants et des participants à ce
colloque de la commission des Affaires culturelles confirme, s'il en
était besoin, que c'est ici que s'élaborent les solutions pour
l'audiovisuel de demain.
Vous savez tous que le Sénat, quelquefois à contre-courant des
partis politiques, avec sa spécificité et sa distance de
réflexion, a souvent pris des positions fortes : pour le maintien
de la redevance, pour un service public fort et de qualité. C'est ici
qu'ont été pour la première fois préfigurés
les fondements de la télévision numérique terrestre, dont
les difficultés actuelles, justement pointées par le
Gouvernement, tiennent peut-être en partie aux modifications introduites
par l'Assemblée nationale d'alors.
Aujourd'hui, ce colloque ouvre de nouveaux champs à la réflexion,
peut-être les plus essentiels, comme son titre l'indique, en nous
invitant, en invitant la représentation nationale à dire ce
qu'elle attend de l'audiovisuel. Après tant d'années de
discussions sur les tuyaux et les financements, sur les structures et les
technologies, le paysage semble stabilisé : il est plus que temps
de jeter un regard nouveau sur les contenus.
La question longtemps taboue de la violence et de la pornographie a
été abordée et l'on s'achemine vers des solutions
équilibrées. Le Gouvernement a réaffirmé avec
force, à la fois sa confiance dans l'audiovisuel public contre toutes
les rumeurs de privatisation, son attachement à une ressource
affectée qui semble indispensable, son exigence d'un haut niveau d'offre
culturelle.
Ce qui est en cause, ce sont donc moins les intentions que les circonstances
qui bousculent tous les équilibres fragiles : le contexte
international et ses répercussions sur les ressources publicitaires, la
situation du groupe Vivendi, celle du groupe Suez, le drame qui vient de
frapper le Groupe de Jean-Luc Lagardère, grand industriel, grand homme
de communication, dont je tiens à saluer avec émotion la
mémoire, la situation délicate de beaucoup de chaînes
thématiques, au moment où leur nombre est susceptible d'augmenter.
Voilà quelques nuages que vos travaux permettront de dissiper pour
couvrir de rayons de soleil le célèbre paysage audiovisuel
français.
Je vous remercie pour votre participation à cette nouvelle
journée de la commission des Affaires culturelles du Sénat.
Bon travail.
Allocution d'ouverture par M. Jacques Valade,
sénateur
de la Gironde, Président de la commission des Affaires culturelles du
Sénat
Mesdames, Messieurs, je ne puis ouvrir ce colloque sans avoir, à mon
tour, une pensée émue à la mémoire de Jean-Luc
Lagardère, qui nous a quittés vendredi dernier. Ce capitaine
d'industrie flamboyant, au dynamisme sans bornes, a su, en 25 ans, faire de son
Groupe, entre autres activités, un géant des médias. Il
avait son mot à dire sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui.
Je tiens à remercier le Président Poncelet pour son message et
à l'assurer que, tout au long de cette journée, nous tenterons
d'inscrire nos travaux dans le cadre qu'il vient de brosser dans la
continuité de l'action de la commission des Affaires culturelles du
Sénat dans ce domaine.
Je tiens ensuite, au nom des membres de la commission des Affaires culturelles
et en mon nom personnel, à remercier toutes celles et tous ceux qui ont
répondu favorablement à notre invitation et tous ceux qui nous
ont aidés à organiser cette journée.
J'aurai enfin, au cours de la journée, le plaisir d'accueillir Monsieur
Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la
Recherche, et Monsieur Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la
Communication. Qu'ils soient, dès à présent,
remerciés pour leur participation et leur contribution à cette
journée.
Un an après nous être penchés, dans cette même salle,
sur l'avenir de la télévision numérique terrestre dans le
cadre du premier colloque de la commission des Affaires culturelles
consacré aux nouvelles télévisions, nous voilà
aujourd'hui réunis pour aborder un nouveau thème : celui des
programmes télévisés.
Il nous a en effet paru nécessaire d'examiner les perspectives
d'évolution de l'audiovisuel, non plus à travers un prisme
technologique, mais sous un angle plus culturel dans le cadre de
l'évolution de notre société.
L'actualité de ces jours derniers, la tension internationale, le
bouleversement qu'elle va engendrer, la contribution de la
télévision à la relation du conflit imminent et à
l'évaluation de ses conséquences, donnent un relief singulier
à nos interrogations. Mais également, l'actualité de ces
derniers mois permet de souligner la pertinence de cette approche.
La succession, par un hasard malencontreux, de faits divers inquiétants
imputables à l'influence de certaines catégories de programmes
à caractère violent ou pornographique, l'irruption puis la
multiplication sur les antennes des émissions de la
télé-réalité et la question lancinante de la
nécessaire spécificité des programmes proposés par
les chaînes du service public ont ainsi alimenté le débat
public au cours de l'année écoulée.
L'importance de ces phénomènes est telle que chacun d'entre eux a
donné lieu à diverses études, rapports et analyses,
souvent controversés, mais toujours aptes à susciter la
réflexion. Surtout, ces interrogations rappellent aux élus que
nous sommes que la télévision est devenue, au sein de notre
société, un média omniprésent dont l'influence sur
les populations les plus réceptives ou les plus fragiles ne doit jamais
être sous-estimée.
Alors que 94 % des Français possèdent un poste de
télévision et passent en moyenne trois heures et demi par jour
devant leur petit écran, alors qu'apparaissent de nouveaux supports et
que le nombre de chaînes disponibles ne cesse d'augmenter, et alors que
la télévision est accusée de plus en plus ouvertement et
de plus en plus fréquemment de favoriser le développement de
quelques-uns des maux qui caractérisent notre société -je
citerai pêle-mêle les violences de toute nature, l'illettrisme ou
encore l'affaiblissement du sentiment d'appartenance au corps social- la
commission des Affaires culturelles du Sénat, vous l'avez compris, ne
pouvait faire l'économie d'un large débat sur le thème des
programmes télévisés.
Concernant un sujet aussi sensible, à propos duquel toute action
précipitée, aussi judicieuse soit-elle, paraît vouée
à l'échec -nos collègues députés en ont
d'ailleurs fait la douloureuse expérience il y a quelques mois à
peine- la commission a, comme à son habitude, choisi de
privilégier l'échange, l'écoute et la réflexion,
afin de pouvoir faire face, le moment venu, à ses responsabilités.
C'est dans cet esprit que nous allons aujourd'hui confronter les opinions et
les expériences, peut-être découvrir la possibilité
de rectifier des erreurs, certainement accéder à une meilleure
connaissance des tendances actuelles de ce média qui continue à
nous fasciner : la télévision.
Pour ce faire, il faudra d'abord se pencher sur les contenus et notamment sur
la qualité des programmes proposés au public par les
différentes chaînes qui composent un paysage audiovisuel en
constante évolution. Il nous faudra ensuite évaluer l'impact des
images télévisées sur les différents publics et
tenter de discerner les tendances à venir dans un domaine où
chaque année nous apporte son lot de surprises -parfois mauvaises. Il
sera enfin temps de s'intéresser aux modalités de la
régulation. À l'heure où l'Internet devient un support
pour la diffusion de programmes télévisés, à
l'heure où la multiplication des chaînes est envisageable, en
particulier grâce à la TNT et au moment où le Sénat
s'apprête à se saisir du texte destiné à favoriser
la confiance dans l'économie numérique, il sera
particulièrement stimulant d'entendre s'exprimer sur ces sujets les
représentants de quelques-unes des principales institutions
chargées de réglementer et de réguler le secteur de
l'audiovisuel.
Quels contenus ? Quels impacts ? Quelles tendances ? Quelles
régulations ? Vous aurez reconnu les différents
thèmes des quatre tables rondes qui vont se succéder au cours de
cette journée.
Afin que vos débats d'aujourd'hui éclairent efficacement nos
réflexions et nos décisions de demain, je vous demanderai, sans
jamais vous départir de la mesure et de la cordialité qui sied
habituellement aux débats de notre Assemblée, de nous faire
partager vos analyses, vos doutes, vos craintes et vos interrogations en toute
franchise et en tout liberté.
Telle est la règle que je vous propose et qui doit assurer le
succès de notre rassemblement.
En vous remerciant encore d'avoir accepté notre invitation, je vous
cède la parole.
*
* *
Première table ronde : quels contenus ?
Mme Jacqueline Aglietta, président-directeur général de Médiamétrie
Médiamétrie est l'entreprise
interprofessionnelle de
mesure d'audience des médias audiovisuels et interactifs. Tous les
grands acteurs de l'audiovisuel sont représentés à son
capital : les chaînes de télévision, les stations de
radio, ainsi que les publicitaires et les annonceurs. Notre rôle n'est
pas de porter un jugement sur les programmes, ni donc de dire ce que la
télévision doit faire ou ne doit pas faire. Nous fournissons les
mesures d'audience et de performance aux intervenants des différentes
« familles », qui sont d'ailleurs pour la plupart nos
actionnaires : les éditeurs publics et privés, les
chaînes gratuites ou payantes, les producteurs audiovisuels, les
annonceurs, les régulateurs et les investisseurs en
général. Pour tous, la mesure d'audience est devenue
indispensable pour guider leurs choix, puisque les analyses approfondies que
nous fournissons quotidiennement concernent les choix du public, ses modes de
vie, ses goûts et ses attentes. Il s'agit de comprendre comment atteindre
le public que l'on cherche à acquérir, sans que ce soit
forcément le plus grand nombre.
La recherche de la meilleure adéquation entre l'offre de programme et la
demande est un art, une science difficile. Cette recherche s'inscrit dans un
ensemble d'obligations économiques et réglementaires. Elle se
nourrit de la connaissance des offres possibles, de la connaissance des publics
et de ses attentes. On assiste à un aller-retour permanent entre offre
et demande.
Médiamétrie est en quelque sorte le médiateur entre cette
offre qui se cherche constamment et le public qui réagit en permanence.
Elle contribue à cette connaissance en France, avec le Médiamat
et le MédiaCabSat et tout ce qui se fait dans le monde, avec
Eurodata TV Worldwide, base de données mondiale des programmes et
des audiences de 600 chaînes couvrant 70 pays.
Quelle offre est proposée aujourd'hui au public ? Comment a-t-elle
évolué ?
Au fil des années, les demandes du public se sont
précisées, le comportement des téléspectateurs
s'est sophistiqué. En conséquence, l'offre s'est
démultipliée, ce qui conduit à une fragmentation des
audiences. Des chaînes généralistes réussissent, au
prix d'efforts incessants, à rassembler un large public en
élargissant leurs gammes de programmes, d'une part, et d'autre part,
nous trouvons des chaînes thématiques aux contenus de plus en plus
ciblés afin de maximiser la fidélité et la satisfaction de
leurs abonnés. Que l'on cherche à satisfaire des exigences les
plus larges ou les plus pointues, il faut dans tous les cas mesurer,
étudier et évaluer l'audience et la performance des programmes,
afin de rester en prise avec les réalités économiques du
marché.
En 15 années, le nombre de chaînes a été
multiplié au moins par dix. Le public a répondu favorablement
à la nouvelle offre qui en a découlé. En France
aujourd'hui, près du quart de la population dispose de plus de 15
chaînes, et ce chiffre est en augmentation régulière. Dans
le même temps, les moyens d'accès aux programmes se sont
diversifiés et sont devenus mobiles. Le public aura demain à sa
disposition, en plus du réseau hertzien, du câble et du satellite,
la télévision sur Internet, grâce au haut débit, le
numérique terrestre, la télévision sur le
téléphone ou dans la voiture... Les occasions de consommer la
télévision se sont, elles aussi, multipliées, avec
l'augmentation du temps libre, du fait notamment que l'on travaille moins et
que l'on vit plus longtemps.
La croissance de l'offre de programmes s'inscrit donc totalement dans
l'évolution des modes de vie.
Comment le public réagit-il aux programmes qui lui sont
proposés ?
Il convient de rappeler qu'en termes de temps la télévision est
le premier des loisirs à domicile des Français, le loisir
n'excluant pas, bien entendu, la culture et la connaissance. C'est parce que la
télévision est un loisir que sa consommation en dix ans est en
progression constante et régulière dans le monde entier. Un
Américain du Nord regarde en moyenne la télévision quatre
heures par jour, un Européen la regarde un peu moins de trois heures et
demi. En Asie pacifique le public y consacre un peu moins de deux heures et
demi par jour. Au-delà des offres et des modes de vie différents
de ces grandes zones géographiques, il est intéressant de
remarquer que, quelle que soit la zone, près de la moitié de la
population regarde la télévision à l'heure de grande
écoute.
Les enfants de 4 à 14 ans passent un peu plus de deux heures par jour
devant la télévision, soit deux fois moins que les plus de 50
ans. Ils regardent bien sûr plus la télévision qu'avant,
mais ceci dans les mêmes proportions que leurs aînés :
cette durée a augmenté de 10 % au cours des dix
dernières années.
Observons les comportements des téléspectateurs européens
face aux programmes américains, dont on entend fréquemment dire
qu'ils envahissent nos écrans. Seuls six des 50 programmes les plus
regardés en France, Grande-Bretagne, Espagne, Allemagne et Italie
étaient des programmes américains. On constate, par ailleurs, que
durant les cinq dernières années, cette proportion a tendance
à baisser. Les programmes les plus regardés en première
partie de soirée sont des programmes nationaux. En revanche, les
programmes américains représentent toujours une part
significative du reste des grilles de programmes, même s'ils ne
réalisent pas de fortes audiences.
La télévision, sur le plan économique, est cependant
marquée par la mondialisation. En dix ans, le secteur audiovisuel
européen a connu un développement sans précédent,
mais après la constitution des grands groupes, on assiste à un
repli sur eux-mêmes des Européens. Ce repli s'explique par les
lourds investissements consentis, en particulier dans les bouquets
numériques, et par l'inflation des droits de programmes, notamment
sportifs. Les télévisions financées par la
publicité souffrent de la récession du marché
publicitaire, et les télévisions du secteur public tendent aussi
à être déficitaires.
Ce contexte explique la mondialisation des formats : les chaînes
hésitent à lancer des éditions originales, qui
coûtent cher ; les annonceurs hésitent à investir de
nouvelles émissions. On voit donc plus souvent des émissions
phares, fréquemment d'origine anglo-saxonne, qui connaissent des
succès d'audience dans d'autres pays. Nous pensons ici, bien sûr,
aux émissions de télé-réalité.
Qu'observe-t-on concernant l'évolution de l'offre ?
On constate une diminution de l'offre de fiction sur les chaînes
hertziennes. Cependant ces fictions sont programmées à des
moments-clés, bénéficiant donc d'importants moyens de
production. En conséquence, la fiction reste le premier genre de
programme consommé par le public, qui les regarde autant qu'il y a dix
ans.
Durant les dix dernières années, le public a par ailleurs
augmenté le temps qu'il consacre à l'information, alors que, sur
la période, l'offre de journaux télévisés est
restée stable.
Plus généralement, lorsque l'on examine l'évolution de
l'offre, on est frappé en France comme ailleurs par le renouvellement
croissant des programmes : l'importance des nouveautés a bien
entendu pour but de conquérir et de fidéliser des publics de plus
en plus exigeants. Je considère comme une performance quotidienne de la
part des télévisions de savoir attirer et séduire le
public.
Dans le domaine de la télévision, nous sommes à l'aube de
profondes mutations, qui tiennent en particulier à la
démultiplication de l'offre, à la fragmentation des audiences, au
développement de l'interactivité. Il est donc plus que jamais
nécessaire de se poser la question-titre de ce colloque :
« La télévision, pour quoi faire ? ».
Quoiqu'il advienne, Médiamétrie continuera d'accompagner ce
mouvement, comme elle le fait depuis près de vingt ans.
M. Emmanuel Hoog, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA)
Les
contenus audios et visuels de demain ne peuvent s'appuyer sur un espace qui
serait frappé d'amnésie...
Pendant très longtemps, la question du patrimoine audiovisuel n'a pas
été vraiment discutée, parce qu'on l'estimait que ces
contenus d'hier ne pouvaient être revus et réécoutés
à l'infini, leurs supports n'étant pas
« mortels ».
La question est d'importance, puisqu'elle touche aux capacités de
création de demain. L'espace audiovisuel est, en effet, celui où
se retrouvent les différents publics, celui où la mémoire
collective s'est le plus largement construite depuis quelque soixante ans.
Radio et télévision ont été non seulement
témoins, mais aussi acteurs : « Intervilles »,
les conférences de presse du Général de Gaulle ou les
feuilletons mythiques nous prouvent qu'elles touchent à des espaces
très intimes des mémoires individuelles et collectives.
Jusqu'il y a cinq ou six ans, les productions étaient construites sur
des supports analogiques qui se détériorent : le monde va
ainsi perdre une partie de sa mémoire, d'autant que les techniques de
préservation de ces produits coûtent cher.
La France, grâce à l'INA, est très bien placée dans
le domaine de la conservation de ce patrimoine
via
son transfert sur
supports numériques, plus stables. Etant détaché du monde
des diffuseurs, l'INA peut se consacrer exclusivement à cette fonction.
Malheureusement, à cause de la pression des contenus, les diffuseurs ont
des difficultés à procéder à l'arbitrage entre
l'alimentation des écrans, la politique de création des contenus
et le maintien en état du patrimoine.
Les volumes sont évidemment très importants :
1,7 million d'heures de produits radiotélévisés sont
rassemblées à l'INA, qui est l'une des deux ou trois plus grandes
concentrations de ce type au monde.
L'avenir de la télévision passe incontestablement par une
définition de la politique vis-à-vis de son passé.
La BBC et la RAI sont aussi engagées dans des politiques assez fortes en
ce domaine, mais encore en deçà de ce qui est mis en oeuvre
à l'INA. Le reste du monde, y compris le territoire américain,
est encore à l'état balbutiant face à ce problème
de numérisation du stock analogique.
Jusqu'où pourrons-nous conserver cette mémoire ? Doit-on
tout conserver ? Comment sélectionner ce que l'on doit garder ou
pas ? Telles sont les grandes questions qui se posent à nous
aujourd'hui.
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Quelle
est la politique de contenus de la télévision publique ? Il
est nécessaire, pour pouvoir répondre à cette question, de
rappeler tout d'abord que la télévision publique est plurielle.
Constituée par le législateur, elle est composée d'un
certain nombre de chaînes qui ont chacune leur ligne éditoriale :
France 2, France 3, France 5, Arte, RFO, TV5 et les chaînes
parlementaires. La politique conduite par la télévision publique
et son impact sur l'économie de l'audiovisuel doivent être
appréciés d'un point de vue d'ensemble.
Il faut ensuite garder à l'esprit les logiques qui animent la
télévision publique, c'est-à-dire les grands principes qui
guident ceux qui la dirigent. J'en soulignerai trois.
- La télévision publique suit une logique d'engagement, alors que
la télévision privée suit une logique d'optimisation
commerciale et financière. Cette logique d'engagement ne se
décline pas uniquement en cahier des charges. Elle se traduit aussi par
une série d'objectifs de programmes, dont certains sont
quantifiés, figurant dans un contrat signé avec l'État
actionnaire, et à travers lesquels l'État comme le public jugent
et apprécient au moins en partie les résultats de la
télévision.
- France Télévisions a un objectif de large audience qui est
atteint par la complémentarité des audiences des
différentes chaînes. Ce principe de large audience, fondateur de
la télévision publique, est calqué sur la redevance, sa
principale source de financement. Ce financement spécifique a comme
contrepartie que ceux qui payent doivent regarder la télévision
publique : si tel n'était pas le cas, la redevance ne pourrait
être maintenue. C'est donc la redevance qui entraîne cet objectif.
Le fait que la large audience soit atteinte par la
complémentarité des chaînes est corrélé avec
la notion de diversité des publics que France Télévisions
doit viser. La télévision publique n'est pas centrée sur
la « cible publicitaire », elle doit atteindre tous les
publics.
- À partir du moment où il a été
décidé que le paysage audiovisuel intègrerait une
télévision publique représentant 40 % d'audience, la
responsabilité de celle-ci est évidemment déterminante sur
le plan économique. La politique des programmes de la
télévision publique ne peut être définie sans
prendre en compte cet impact sur l'ensemble du secteur audiovisuel. Pour cette
raison la télévision publique débat largement avec les
professionnels sur les choix en matière de programmes, et l'État
lui fixe des objectifs économiques plus contraignants que ceux qu'il
propose à la télévision privée.
Il est important de rappeler ces principes, non pas pour alimenter un
débat sur la différence entre les télévisions
publiques et privées, mais pour remonter aux intentions de ceux qui
animent la télévision publique. Ces principes ont des
implications en termes de contenus et de résultats.
Je soulignerai ici quatre priorités qui marquent les
spécificités de la télévision publique.
- La première de ces priorités est l'information qui
représente 40 % des coûts de grille. De manière
exemplaire, France Télévisions a représenté plus de
75 % du volume d'heures consacré aux dernières campagnes
électorales. La télévision publique se doit de proposer
tout au long de la journée des sessions d'information
régulières, en complémentarité d'une chaîne
à l'autre. Ce sont des objectifs d'antenne que France
Télévisions assume là depuis de très nombreuses
années. Depuis ma prise de fonction, j'ai considéré que
l'information était la première des priorités, et que
France Télévisions devait la décliner sous toutes ses
formes : journaux d'information, magazines d'investigation et de
débats. France Télévisions a enfin comme objectif de
relancer le magazine de débats et d'information international, ce qui a
déjà été entamé sur France 3 au niveau du
débat européen.
- Concernant une question comme la crise irakienne, que représente
l'apport spécifique de la télévision publique face, en
l'occurrence, à TF1 et LCI ? Les moyens déployés sont
à peu près comparables. Mais le temps investi sur les antennes de
la télévision publique est considérable pour expliquer et
analyser les raisons de ce conflit. France Télévisions a ainsi
été le seul à organiser en
prime time
deux
émissions d'analyse, qui ont connu un succès considérable.
- Une deuxième priorité est la création. La
télévision publique y investit davantage, développe plus
de cases en première partie de soirée, va ouvrir une nouvelle
case de deuxième partie de soirée pour le cinéma, a
lancé des tentatives sur le
day-time
et est la seule à
mener une politique active de production et de diffusion de documentaires.
France Télévisions a des accords avec l'État en ce qui
concerne les fictions pour la jeunesse. Les efforts fournis dans ce domaine de
la création sont sans commune mesure avec ce que peuvent faire les
consoeurs privées.
- - Concernant les domaines de la connaissance et de la culture, la télévision publique est la seule à donner une large place à la culture, au livre et au spectacle vivant, à travers des magazines, des programmes courts, des lieux de débats, etc.
Enfin, France Télévisions a depuis deux ans développé une série d'instruments nouveaux pour les contacts avec les téléspectateurs. La télévision publique doit examiner ses « baromètres d'image », et non pas seulement ses baromètres d'audience, pour voir si elle arrive comme elle le doit à se distinguer de ses consoeurs privées. C'est ainsi que j'ai attaché un très grand prix dans les choix d'antennes à ce que certaines émissions de télé-réalité n'aient jamais leur place sur nos chaînes.
Les structures des programmes des télévisions publiques et privées sont donc très différentes. L'objectif fondamental de France Télévisions est de rechercher pour ses chaînes des identités fortes et distinctes aux yeux des téléspectateurs, et représentatives du mode de financement que ces mêmes téléspectateurs assurent.
M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
Je
voudrais tout d'abord vous dire combien j'ai été sensible
à l'hommage rendu ici à Jean-Luc Lagardère, dont j'ai eu
l'honneur d'être le collaborateur et l'ami. Je me souviens que ce sont
Arnaud et Jean-Luc Lagardère qui m'ont envoyé en quelque sorte en
mission lorsqu'il s'est agi de créer la chaîne Public Sénat.
Parler de la télévision d'aujourd'hui demande que l'on soit
indulgent.
Qu'elles soient publiques ou privées, les télévisions sont
confrontées à une bataille planétaire pour leur
financement, donc pour leur audience. Ainsi les télévisions
publiques remplissent le plus souvent leurs missions d'intérêt
général, mais ceci dans un univers de concurrence qui les oblige
à faire de l'audience. C'est une question de survie.
Ceux qui ont vécu l'époque du monopole, qui ont rêvé
d'en voir la fin, rêvé d'ouverture et de diversité,
connaissent aujourd'hui certaines déconvenues : monotonie,
nivellement et, qu'on le veuille ou non, uniformité. Paradoxalement, la
télévision d'abondance conduit au conformisme. La multiplication
des chaînes et la compétition aboutissent, même dans les
programmes d'information, à une ressemblance des programmes, à
une quête effrénée des téléspectateurs.
Le résultat est le développement actuel, et certainement à
venir, de la télé-réalité sous toutes ses formes.
Heureusement, la sagesse des responsables des télévisions
publiques, ou parfois privées, nous préserve encore du pire. Mais
jusqu'à quand, compte tenu de la pression des modèles et formats
anglo-saxons ? Ces programmes n'ont en effet pas de limite dans
l'exploitation du sensationnel, dans le déballage de l'intimité,
dans une vraie « pornographie de l'âme ».
Une enquête récente montre qu'aux États-Unis les
télévisions fédérales et locales s'entichent de
reality-shows
et se combattent à coups de tels programmes, quand
il ne s'agit pas de
trash-TV
!
Chacun recherche le filon du moment. Les auteurs de séries et les
scénaristes se disent eux-mêmes dépassés par ces
déballages de confessions intimes, ces expositions de corps, de beaux
muscles et de seins ! Attirés par le syndrome Andy Warhol, il y a
toujours des volontaires et des candidats à la gloire, même si ce
n'est que pour un quart d'heure !
De plus, ces émissions ne coûtent pas cher, alors qu'elles sont
très rentables. Combien de temps ces modes vont-elles sévir, avec
le risque d'en influencer d'autres ? J'ai bien peur de devoir
répondre : « quelques années... », car
les télévisions ont toujours su décliner les concepts qui
les enrichissent.
Nous pouvons cependant faire confiance aux dirigeants des chaînes
historiques pour qu'ils ne transforment pas la vie intime en spectacle public,
pour qu'ils fassent obstacle à la culture de l'obscénité
qui fait tant de mal. La qualité est souvent
récompensée : elle engendre la qualité et des scores
d'audience souvent surprenants. TF1, France 2 et France 3 y parviennent,
surtout en première partie de soirée, de même que France 5
et Arte, qui rencontrent un public attentif.
Je déplore qu'à partir de demain nous allions sans doute voir
émerger une autre télé-réalité : la
guerre ; avec de « vrais » acteurs, de
« vraies » destructions et de « vrais »
morts... Mais pour beaucoup, et notamment pour les Américains, cela est
si loin qu'ils croiront découvrir de nouveaux jeux virtuels !
Notons que l'armée américaine a accrédité,
formé et entraîné plus de 500 journalistes pour
l'accompagner sur les champs de bataille... Elle s'occupe fort heureusement de
leur sécurité, mais étant en guerre, elle contrôlera
toutes les informations émanant du front. Une charte a été
signée entre les deux parties. On ne verra pas les morts ou les
blessés qui dérangent... À tous ici il faut dire de faire
attention à la manipulation et à la censure militaire.
Multiplions les angles et les sources d'information.
Concernant la chaîne Public Sénat, notre audience cumulée
quotidienne est égale au tiers de celle de LCI ou de TV5, et à la
moitié de celle d'Euronews. Nous aurions plus de deux millions de
téléspectateurs par semaine. Nous souscrirons aux prochaines
enquêtes de MédiaCabSat. Notons que ce type de chaîne, ici
ou ailleurs, n'est pas fait pour faire de l'audience. On ironise sur l'audience
embryonnaire de la chaîne, mais cela était bien entendu
prévu, et nos aînées, aux États-Unis, au Canada ou
en Allemagne, ont aussi connu ce genre de sarcasmes... Ce n'est pas l'audience
qui importe, c'est la notoriété, la rigueur et la
réputation. Elles s'imposent comme des chaînes de
référence, unanimement qualifiées et saluées pour
leur professionnalisme et leur objectivité. Nous nous imposerons,
puisque nous sommes une alternative pour répondre à une demande
insatisfaite : nous donnons en continu et en direct du temps à
l'expression politique et à la délibération publique. Nous
avons par exemple été ici les premiers à retransmettre en
direct les réunions du Conseil de Sécurité des Nations
unies. Contrairement aux autres chaînes, nous avons le temps. Cette
chaîne est un grand projet qui s'imposera quels qu'en soient les
responsables.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Que pensez-vous du voeu exprimé par le Président de la République concernant la création d'une grande chaîne internationale française, une sorte de « CNN à la française » ?
M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
Créer une télévision d'information
continue
à vocation mondiale en langue française me semble une urgence. Je
ne parlerai cependant pas d'une « CNN à la
française », surtout au moment où CNN, tellement
originale et créative à ses débuts, est percluse de
dettes, s'interroge sur ses missions et son avenir ! Elle est battue en
brèche aujourd'hui par les va-t'en-guerre de Rupert Murdoch...
Cette chaîne française internationale, il faut cesser d'en parler,
il faut la faire ! Ce n'est ni un jouet ni un caprice, c'est une
nécessité. Sur le plan géostratégique, la France
défend une vision originale qui se trouve caricaturée et
piégée dans le prêt-à-penser anglo-saxon et par la
double hégémonie américaine et arabe, avec Fox, CNN et
Al-Jezira. RFI, Euronews et TV5 font ce qu'elles peuvent, mais c'est
insuffisant. Nous pouvons créer une chaîne indépendante,
originale, à destination mondiale. Quand on a la volonté, on
trouve toujours le chemin : trouvons le vite ! Lors de la
création de TPS, nous avons associé le privé et le public,
ce qui paraissait révolutionnaire ! Pourquoi ne pas s'inspirer de
cette expérience réussie ?
Cette création me semble essentielle, non seulement pour les
professionnels, mais aussi pour le pays et pour l'avenir.
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Fondamentalement, le problème est que les débats
récents concernant l'Irak, par exemple, et même ce qui s'est
passé à Paris, ne sont retransmis qu'après être
passés au filtre de CNN ou de Fox News !
Nous avons besoin d'information continue, puisque c'est celle-là que
regardent spontanément tous les décideurs et tous les
journalistes. Cette chaîne est un enjeu de rééquilibrage
international.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Après le domaine de l'information, nous allons aborder celui de la fiction, avec le point de vue des producteurs.
M. Jacques Peskine, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
Je
voudrais en premier lieu m'associer à l'hommage rendu à Jean-Luc
Lagardère, notamment en rappelant des faits datant de 1992. Cette
année-là, la mort de La Cinq aurait pu être la mort de la
production audiovisuelle française : c'est parce que Jean-Luc
Lagardère a su assumer l'ensemble de ses responsabilités à
l'égard de la production que nous avons pu conserver ce secteur.
Pour aborder de manière pragmatique cette question des contenus, il faut
rappeler que la télévision est à la fois le support d'une
forme d'expression, mais aussi un média, à la différence
de l'édition et du cinéma par exemple. La combinaison de ces deux
fonctions, en matière de contenu et de responsabilité, est
parfois difficile à assumer.
En tant que média, des responsabilités extraordinaires
pèsent sur la télévision : on peut se demander ce
qu'aurait été la pornographie au
II
ème
siècle de notre ère ou la violence
au III
ème
siècle s'ils avaient, en plus,
disposé de la télévision ! Rappelons ainsi que ce
sont des traits de notre espèce largement préexistants et qui, le
cas échéant, lui survivront certainement ! La
télévision serait même responsable de
l'analphabétisme !
Nous devons assumer la responsabilité du média qu'elle constitue,
certes, mais il ne faut pas oublier qu'elle n'est que le miroir de notre
société.
Je me concentrerai sur l'autre aspect : la télévision comme
support d'expression.
La télévision est frileuse, portée à
l'auto-imitation, l'innovation lui est toujours douloureuse et difficile. Cette
réalité s'explique par les risques pris et à prendre, qui
font peur et que donc l'on veut éviter. Ajoutons à cela que la
télévision française est sans doute l'une des plus
frileuses du « monde audiovisuel développé ».
Nous voyons en effet qu'elle n'invente plus beaucoup. Ceci est d'ailleurs
autant vrai pour la télé-réalité que pour la
fiction ou le documentaire.
Prenons l'exemple de la fiction. Qu'est-ce qui a été
inventé comme formes télévisuelles en matière de
comédie ? Des séries comme les
Simpson
ou
Absolutely Fabulous
, dans des pays pas vraiment réputés
pour leur innovation... ou d'autres séries, crues sans être
violentes, qui portent un regard sur la société au travers de
nouvelles formes, plus créatives, moins
stéréotypées que ce que l'on peut faire en France. Ce
problème, distinct de celui de notre responsabilité
vis-à-vis de la société, est important pour nous tous, et
il est légitime de s'interroger sur ses causes et sur ses remèdes.
Concernant les causes, je reviendrai sur la notion de demande, notion
très ambiguë dans le domaine de la télévision. La
demande passe par la télécommande... qui ne peut faire
fonctionner que les chaînes qui existent ! Il s'agit donc
plutôt d'un choix.
Par ailleurs, cette demande, on « l'éduque », sans
dire ici que l'on « oblige », bien entendu. Il y a six ans,
par exemple, France 2 choisit de diffuser le vendredi soir des séries de
52 minutes au lieu de séries de 90 minutes : au début,
l'audience a baissé, mais trois ou quatre années plus tard, la
situation s'est rétablie ! Cet exemple nous montre bien que la
demande n'est pas un fait en soi. C'est un élément
évolutif, que l'offre elle-même fait encore évoluer !
Mais, bien entendu, on ne peut pas croire qu'en proposant n'importe quoi
durablement, le public finira par s'habituer. Le public est sélectif,
évidemment.
Un autre handicap se présente en matière de création
télévisuelle en France : nos créateurs n'ont jamais
vraiment accepté qu'elle soit un lieu de création. La
série, forme reine puisqu'elle permet de fidéliser le public, est
considérée par eux comme une forme inférieure de la
création. Cette attitude est regrettable et constitue un
véritable handicap.
Un dernier élément nous différencie de nos voisins :
la question de l'argent. Exceptés ceux qui y sont, tout le monde en
France pense que la télévision est riche ! Non ! La
télévision française est pauvre ! La
télévision publique française pèse deux milliards
d'euros, la télévision publique anglaise trois milliards, la
télévision publique allemande 4,5 milliards... Ceci a
évidemment des conséquences sur nos capacités à
investir dans des grands projets et à prendre des risques.
Notons que les recettes publicitaires sont amputées d'un bon tiers en
raison de la réglementation : trois milliards d'euros de
recettes en France, cinq milliards en Angleterre ! Je ne dis pas que
changer ceci demain matin résoudrait tous les problèmes, mais
c'est une donnée que l'on ne peut occulter.
Je crois cependant que les contenus des télévisions, ici et
ailleurs, sont beaucoup plus riches que ne le disent les milieux dirigeants
parisiens. Si les Français passent trois heures quotidiennement devant
leur télévision, ce n'est pas parce qu'ils sont stupides ou
demeurés, mais parce qu'elle leur apporte beaucoup :
divertissement, information et connaissance.
Mme Sophie Deschamps, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
La
fierté de la France réside en la qualité de sa
création, de ses films et de sa fiction, que nous envie le monde entier.
Chaque fois que l'on se réunit au niveau européen, les auteurs
nous disent que l'on a bien de la chance en France ! Arrêtons donc
de dire que nous sommes martyres et que nos auteurs sont mauvais.
Lorsque l'on parle de contenus télévisuels, il faut distinguer le
flux et le stock.
La télévision est le premier vecteur de la diversité
culturelle ; donc, se poser la question des contenus, c'est se poser la
question de la diversité culturelle. Tout le monde milite pour cette
diversité : chaque nation a le droit et le devoir de conserver son
identité, source de tolérance et de paix. Cela semble bien
nécessaire en ce moment...
Au niveau de la télévision, cela se traduit par la volonté
de produire et de diffuser des oeuvres originales, puisque ces oeuvres
constituent notre patrimoine. La télévision doit offrir des
oeuvres à tous les publics, de tous les âges et de tous les
milieux. Ces oeuvres sont sources de divertissement, de questionnement,
d'apprentissage, d'information ou d'émotion. Le regard que portent les
auteurs sur leur époque, leur société et leur passé
aboutissent à des oeuvres pensées qui offrent un point de vue.
C'est là que se situe la différence entre le flux et le stock.
Le flux est tout ce qui est lié à une certaine improvisation,
à une quête de succès immédiat, quelque chose de peu
maîtrisé, ce qui donne la
télé-réalité, la télé
trash
ou
la télé-poubelle...
Face à cela, la notion d'oeuvre et de création doit être
protégée et conservée dans les programmes de
télévision. Nous devons nous méfier d'une certaine
télé-réalité que l'on veut faire passer pour oeuvre
de création : ces émissions sont très souvent la
copie conforme de ce qui a déjà été fait ailleurs.
Ce n'est pas en mettant une sauce française sur un hamburger que
celui-ci fera partie du patrimoine culinaire français ! Loft Story,
Pop Star ou Koh-Lanta ne sont pas des oeuvres de patrimoine mais des jeux
conçus pour pouvoir être diffusés partout en les
agrémentant d'une « sauce » locale.
Une certaine télé-réalité tente de
bénéficier des mécanismes de soutien à la
création, mais ces programmes ne sont pas des oeuvres : ce sont des
produits. S'ils sont considérés comme des oeuvres, comme cela a
été le cas de Pop Star, ils entrent comme un vers dévorant
tout le fruit du soutien de la création. C'est de cela qu'il faut se
méfier.
N'oublions pas que les mécanismes qui permettent d'avoir une production
française permettent aussi l'émergence de talents
européens : Pedro Almodovar, Lars Von Triers, Emir Kusturica ou Ken
Loach ne pourraient pas réaliser leurs films s'ils ne trouvaient
à un moment le soutien de financements français ! Les pays
qui ne disposent pas de tels mécanismes d'incitation à produire
perdent leur identité culturelle et de création. Leur
télévision n'est plus qu'un écran de divertissement sans
regard, sans point de vue, un flux continu de produits, une annexe des
télévisions américaines.
La diversité n'est possible que par une volonté politique. Sans
obligation de production et sans mise en place des quotas, le public
français n'aurait comme
prime-time
que ce qu'il avait à
une certaine époque : Dallas et sa progéniture... Pourquoi
effectivement les chaînes, surtout privées, paieraient-elles au
prix fort des oeuvres qu'elles peuvent acquérir vingt fois moins cher
puisque déjà amorties ailleurs ?
Aujourd'hui, la création française a conquis le public. L'offre a
fait la demande, comme le disait Jacques Peskine. La fiction et les
documentaires sont le fleuron des premières parties de soirée,
depuis Navarro et Joséphine jusque l'Odyssée de l'Espèce,
en passant par les grandes collections d'Arte. La création audiovisuelle
a permis au public de renouer avec son histoire et sa littérature, ainsi
qu'avec la réalité de sa société. Les quotas ont
permis de rééquilibrer la création française et
francophone face à la puissance commerciale de l'audiovisuel
américain. Ce rééquilibrage a permis l'émergence
d'un vivier de producteurs et de créateurs en Europe. Il est donc
absolument nécessaire de conserver ces quotas dans la directive de la
Télévision sans Frontières. Ils sont l'unique chance de
survie de la création française, francophone et
européenne, donc l'unique chance de la diversité culturelle.
Pour cette diversité culturelle il faut par ailleurs maintenir la
diversité et la complémentarité des chaînes.
Lorsque les auteurs s'émeuvent de la possibilité de privatisation
d'une chaîne publique, c'est au nom de ce maintien de la
diversité. Les chaînes privées vivent dans la
nécessité absolue de succès, donc, seules les
chaînes publiques peuvent prendre le risque d'une création plus
ciblée, moins consensuelle et plus innovante. L'apparition de nouvelles
chaînes, par la TNT notamment, est une formidable opportunité
d'innovation pour toute la création, y compris locale et
régionale, pour des expériences plus ciblées. Il faut que
ces chaînes aient des obligations de production.
Le succès de la production française et francophone en
prime-time
ne perdurera que si nous lui donnons les moyens d'innover, de
multiplier les expériences de création.
La diversité culturelle dépend donc des créateurs mais
surtout de la volonté et du soutien de nos femmes et hommes politiques.
Merci au Sénat de nous soutenir dans cette rude tâche.
Débat avec la salle
Mme Catherine Hertault, scénariste, directrice d'écriture au Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle
Nos
jeunes étudiants, qui apprennent à écrire, sont
très inquiets pour leur avenir...
Les fictions sont le produit le plus regardé, selon Madame Aglietta,
mais leur production diminue : comment peut-on expliquer cela ?
Quel est à France Télévisions le pourcentage du budget
réservé à la création et notamment à
l'écriture ?
Je préciserai enfin à Monsieur Peskine que les auteurs ne
considèrent pas la série comme un genre mineur : ils
dénoncent simplement le « clonage » des
séries, clonage massif par souci de rentabilité.
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Nous
consacrons environ 35 % du coût de la grille à la
création française. L'écriture est incluse dans les
contrats que nous passons avec les producteurs pour développer les
projets.
Concernant la fiction, il faut distinguer le volume de la fiction
diffusé tous horaires confondus et toutes origines confondues. Je pense,
par exemple, que la part des feuilletons étrangers a
légèrement diminué alors que les diffusions originales ont
plutôt augmenté.
M. Jacques Peskine, président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA)
Beaucoup d'auteurs sont passionnés pour créer de nouvelles séries, j'en suis certain, mais je ne pense pas que ce soit la position institutionnelle des représentants des auteurs. Je trouve moi-même cela dommage, mais c'est ainsi.
Mme Carole Paplorey, responsable des études, TV5
Cela
fait bon nombre d'années que l'on entend déplorer le manque de
télévision française d'envergure internationale.
Je rappelle que TV5-Monde touche près de 140 millions de foyers sur
la planète, ce qui en fait le troisième diffuseur mondial
après MTV et CNN.
TV5 compte 40 millions de téléspectateurs chaque semaine et
11 millions par jour : cela représente tout de même une
sérieuse alternative aux images anglo-saxonnes... mais TV5 semble mieux
identifiée à l'étranger qu'en France.
M. René Duranton, société Bourbonnaise Production
Il me
semble que les films français qui sortent devraient
bénéficier de la diffusion d'une bande annonce sur les
télévisions publiques.
Par ailleurs, une fois achevée la vie en salle, les distributeurs et
producteurs constatent tous que le contact avec les télévisions
est une véritable barrière, voire un rejet. On en revient
à la notion de demande de la part des téléspectateurs.
Comment évalue-t-on cette demande, si tant est qu'on l'évalue,
justement ? Comment se fait-il par exemple que l'émission de Pascal
Sevran, que l'on aime ou pas, peu importe, soit supprimée, à
l'insatisfaction générale des téléspectateurs
fidèles ?
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Qu'une
télévision publique change ses programmes en fonction de ses
analyses, c'est son droit et sa responsabilité.
Il est par ailleurs erroné de dire que nous ne procédons pas
à des mesures de satisfaction. Les baromètres de satisfaction
seront d'ailleurs prochainement publiés dans un grand magazine.
Quant à la diffusion des films, la télévision publique n'a
pas à rougir ! Elle ne peut diffuser tous les films, certes, et ce
n'est d'ailleurs pas son rôle.
Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente de la commission des Affaires culturelles du Sénat
Je
remercie les intervenants d'avoir montré que le système
audiovisuel français ne fonctionne finalement pas si mal, notamment
grâce à cet équilibre instauré entre le public et le
privé. Il permet à chacun d'exercer son métier et apporte
satisfaction aux téléspectateurs.
Je suis cependant un peu frustrée de ne pas avoir suffisamment entendu
parler de l'avenir. J'espère que cet avenir sera la TNT, avec quelque 35
chaînes disponibles en hertzien numérique. Cette nouvelle
télévision pose un problème en termes de choix des
programmes : j'aurais voulu que l'on aborde cette question aujourd'hui,
sachant que là aussi l'équilibre entre secteur public et secteur
privé sera nécessaire, notamment bien sûr pour la TNT
« gratuite ».
Je regrette que personne ici ne puisse nous expliquer pourquoi le Gouvernement
a demandé à France Télévisions d'abandonner
certains projets dont celui de chaîne publique d'information en continu.
Rappelons que LCI est privée et payante et qu'elle le restera dans le
cadre de la TNT.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Un colloque spécifique sur le sujet des TNT s'est tenu ci même il y a un an, avec tous les candidats d'alors, dont la plupart ont été retenus. Un rapport de la commission a d'ailleurs été édité suite à ce colloque.
Intervention de la salle
Je remarque que les propos entendus concernent essentiellement le prime-time . Avant de penser à la programmation des chaînes de la TNT, il faudrait peut-être réfléchir aux programmations hors prime-time . À la place de Derrick, qui date de 25 ans, on pourrait placer des oeuvres déjà produites...
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Nous y réfléchissons, soyez-en assuré. Je rappelle que la télévision publique est la première télévision le matin et en début d'après-midi, et que nous avons développé avec France 5 une télévision à succès qui s'arrête, malheureusement, à 19 heures, donc avant le début du prime-time . Aucun secteur n'est à l'abandon.
Intervention de la salle
Y a-t-il encore un avenir pour le documentaire de création ?
M. Jean-Pierre Elkabbach, éditorialiste à Europe 1, président-directeur général de Public Sénat
La TNT sera sans doute une opportunité pour ce type de produits, pour une chaîne comme Public Sénat, où nous nous battons pour être diffusés sur tous les types d'expérimentations possibles.
M. Marc Tessier, président de France Télévisions
Des
documentaires de création sont diffusés sur les chaînes
publiques, et uniquement sur les chaînes publiques d'ailleurs.
De nouvelles collections ont été initiées par
France 2 et France 3, mais deux chaînes ne peuvent à
elles seules couvrir toutes les gammes !
M. Joël Wirsztel, SatelliFax
Je suis frappé par le rejet de la télé-réalité. « La télévision, pour quoi faire ? », tel est le sujet, mais on doit ne pas oublier de se demander aussi « pour qui ? ». Le public est capable aujourd'hui de maîtriser et de comprendre les excès de la télé-réalité, et de les sanctionner le cas échéant. Il ne s'agit pas de considérer ces émissions comme de la création au même titre que d'autres oeuvres, mais cela existe et ne mérite sans doute pas d'être systématiquement rejeté.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Nous achevons ainsi cette première table ronde en remerciant tous les participants.
Deuxième table ronde : quels impacts ?
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Blandine Kriegel, vous avez été l'an dernier chargée d'une étude sur la violence à la télévision. Votre rapport, remis en novembre 2002, préconise une série de mesures. Pouvez-vous nous en rappeler l'essentiel et éventuellement leurs effets ?
Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
Certaines de ces mesures ont été
appliquées
rapidement, notamment grâce au dialogue instauré
préalablement avec les directeurs de chaînes : il en est
ainsi du double cryptage, de la mise en place accélérée de
la nouvelle signalétique, de la transformation des modes de
fonctionnement de la commission de classification des films, etc.
Le problème que nous avions à traiter est en fait un conflit
d'intérêts : d'un côté, nous avons la question
du développement de la violence, de l'autre, la nécessité
de préserver la liberté de création. Pour tenter d'ajuster
ce conflit, nous avons tout d'abord dû répondre à la
question posée ici : quels sont les impacts de la
télévision sur les enfants ? C'est sans doute la part de
notre travail qui a fait l'objet de la communication la plus délicate,
et c'est pourquoi je veux principalement y revenir ici.
Le premier constat est, que depuis au moins une décennie, dans toutes
les sociétés démocratiques développées, nous
sommes passés d'un sentiment d'insécurité à un
véritable phénomène d'insécurité. C'est dans
ce contexte que nous avons réfléchi aux responsabilités
éventuelles de la télévision.
Il existait à ce sujet un sentiment public. Un sondage IFOP
effectué en 2002 montrait que l'opinion publique estimait
majoritairement que le nombre de scènes de violence à la
télévision atteignait un niveau inquiétant. En 1998 une
enquête de l'UNESCO avait montré que les jeunes de moins de 12 ans
consacraient quotidiennement trois heures à la télévision,
soit 50 % de plus qu'à n'importe quelle autre activité.
Concernant les impacts eux-mêmes, au moins quatre rapports existaient
déjà, dont celui d'André Glucksmann, sans doute le plus
complet, qui concluait sur l'absence d'effets de la télévision.
Il a fallu que nous relisions ces études, avec l'éclairage de
Sébastien Roché, sociologue, membre de notre commission.
Parallèlement, une étude américaine a travaillé
aussi sur ce phénomène d'impacts, ceci pendant une vingtaine
d'années. Les résultats ont montré que chez les
garçons, des émissions suivies à huit ans étaient
liées de manière modeste à un indicateur
d'agressivité onze ans plus tard. Les garçons qui avaient vu
beaucoup d'émissions violentes étant petits avaient à
tente ans un casier judiciaire plus chargé que les autres, sans que ces
effets soient réductibles à des facteurs sociaux autres. Pour
quantifier cet effet « modeste », les chercheurs ont
indiqué qu'il est comparable à celui qui relie la consommation de
tabac au cancer du poumon. Ces faits établis ont obtenu le consensus de
tous les experts des grandes associations de recherche.
Il existe donc des effets, directs et indirects, de la consommation de
spectacles télévisés. On ne pourra plus dire qu'on ne le
savait pas !
La description clinique des effets induits a évidemment un degré
de validité moindre. Les sociologues parlent néanmoins de baisse
de l'inhibition et du sentiment de culpabilité, de
désensibilisation, de l'acquisition de stéréotypes et
d'imitation. Si les effets sont avérés, ces conclusions, quant
à elles, sont bien entendu en discussion chez les experts.
Les psychiatres que nous avons auditionnés nous ont donné une
batterie d'analyses des émotions provoquées par la vue d'images
violentes : angoisse, colère, peur, etc.
Les études menées par le CSA ont montré qu'existe une
idéalisation des rapports fondés sur la force, un effacement du
cadre juridique et symbolique. Plus fondamentalement, un sociologue
américain exprime que ces spectacles violents provoquent une
représentation manichéenne du monde. Les enfants en arrivent
à surestimer le risque d'agression, la confiance qu'ils accordent au
monde en général diminue : ils ont le sentiment de vivre
dans ce que Gerbner appelle « un grand méchant
monde ».
Notre commission a interrogé nombre de spécialistes de l'enfance
et de l'adolescence. Si leurs observations cliniques ne sont pas
généralisables, nous avons néanmoins été
frappés par la convergence de leurs observations concernant cette
question de l'impact. Tous, selon leurs observations cliniques, constatent des
effets dommageables pour les jeunes exposés quotidiennement à
quelque deux heures de télévision.
Nos sociétés doivent donc prendre en compte ces impacts
maintenant avérés, et mettre en place des régulations qui
protègent les enfants, ceci tout en sauvegardant le principe de
liberté.
Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »
L'institution que je représente a été
créée il y a trois ans, à la fois pour recevoir des
plaintes individuelles d'enfants dont les droits n'auraient pas
été respectés et pour étudier les
problématiques d'ensemble qui peuvent affecter la vie des mineurs dans
notre pays. C'est à ce titre que Monsieur Perben m'a demandé de
rédiger un rapport sur l'impact sur leur comportement et leur
développement de la violence dans le paysage qui environne nos enfants.
Rappelons ici que la télévision n'est qu'un des
éléments du « bain » audiovisuel et culturel
dans lequel sont plongés les enfants.
Cette enquête s'est déroulée sur six mois, durant lesquels
nous avons auditionné 98 personnes : des professionnels de
l'audiovisuel, des parents, des psychiatres et pédopsychiatres.
Beaucoup de conclusions de ces auditions rejoignent les propos de Madame
Kriegel.
Avec étonnement, nous nous sommes aperçus que concernant ce
domaine, nous sommes dans un véritable désert
épidémiologique ! Mises à part quelques études
remarquables, ou des enquêtes réalisées outre-Atlantique,
donc difficilement extrapolables à notre culture, aucune étude de
vaste ampleur n'existe sur cette question de l'impact.
De nos rencontres avec les psychiatres, il ressort qu'il est difficile
d'établir des causalités linéaires entre ce que les
enfants voient ou entendent et ce qu'ils font ensuite. Les causalités
sont, en fait, multifactorielles.
Par ailleurs, nous savons que 15 % des adolescents se trouvent en
situation de très grande fragilité qui peut se traduire par des
comportements auto ou hétéro-agressifs. Ce sont ces
enfants-là dont il faut se soucier.
Sont essentiellement en cause ici la violence et la pornographie, dont
d'ailleurs tous nous ont dit qu'elle était aussi une réelle
violence. Elle est une effraction dans un imaginaire encore insuffisamment
construit.
Nous avons rencontré aussi des magistrats dont certains s'occupent de
jeunes ayant commis des actes qui les ont placés en conflit avec la loi.
Pour un certain nombre de ces derniers, les actes commis sont
littéralement scénarisés, notamment dans le cas de viols
en réunion, de « tournantes ». Les magistrats
signalent que la criminalité sexuelle est en augmentation et, surtout,
en plein « rajeunissement », si l'on peut dire.
Les conditions de réception de ces images pornographique et/ou violentes
sont très importantes. Les violences apportées par
l'actualité, dont nous sommes abreuvés depuis le
11 septembre et dont nous allons être abreuvés dans les
prochains jours, le sont en général en présence d'adultes,
donc dans un contexte qui permet une sorte de
« déminage » des images. Mais les images
pornographiques ne sont pas visionnées dans un tel contexte : ce
sont des images brutes et en général muettes, donc sans
interprétations possibles.
J'apporterai quelques points de conclusion de notre étude.
Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la sous-utilisation du concept
juridique extrêmement précis qu'est l'atteinte à la
dignité humaine. Cette notion de droit existe dans la loi sur
l'audiovisuel et dans un certain nombre de traités que la France a
ratifiés. Il est regrettable que ce concept ne soit pas plus
utilisé par le CSA par exemple, pas seulement dans le contexte de la
violence ou de la pornographie, d'ailleurs, mais aussi dans certains cas de
télé-réalité.
La signalétique, qui s'est améliorée, reste insuffisante,
en particulier dans les programmes de télévision publiés
par les journaux.
Le double cryptage est un progrès, mais lui aussi insuffisamment
utilisé. Tant que son utilisation ne sera pas
généralisée restera posé le problème de
l'accès direct des enfants et des mineurs à des programmes de
violence et de pornographie.
Enfin, il est impossible de continuer à travailler comme nous le
faisons, « à l'aveugle », sans une vaste
enquête épidémiologique, que les pouvoirs publics
pourraient commander à l'INSERM par exemple. Nous sommes finalement dans
un désert épidémiologique et dans un maquis
institutionnel.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Est-il exact que vous avez préconisé que certains films soient interdits aux moins de cinq ans ?
Mme Claire Brisset, la Défenseure des enfants, auteur de « Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés par les différents supports de communication »
Non,
bien entendu.
Les pédopsychiatres nous ont dit, par contre, qu'il manquait en France
ce qui existe déjà dans d'autres pays, à savoir une
catégorie « moins de sept ans ». Lorsque qu'un film
problématique est présenté à la commission de
classification, elle ne peut que le classer en moins de 12 ans. À notre
sens, l'approche doit être affinée, ce qui limiterait le recours
à la catégorie « moins de 12 ans ».
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Serge Tisseron, vous avez été chargé par le ministère, en 1997, d'une recherche sur les mécanismes des effets des images chez les enfants et adolescents. Vos conclusions sur la violence télévisuelle ne correspondent pas forcément avec les rapports que nous venons d'entendre.
M. Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, auteur de « Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? »
Les
recherches citées par Madame Kriegel ou Madame Brisset sont totalement
indiscutables. Mais l'important, ce sont les conclusions que l'on en tire et
les préconisations que l'on décide ensuite de faire passer en
priorité. Or, de ce point de vue, aider les enfants à prendre
plus de distance par rapport à toutes les images qu'ils voient me semble
la priorité la plus réaliste et la plus utile.
En effet, lorsque l'être humain a créé les images, il a
aussi créé les moyens de s'en protéger, en se dotant de
moyens pour prendre de la distance vis-à-vis d'elles. Mais la
nouveauté, aujourd'hui, est qu'on ne peut plus laisser à l'ordre
du hasard ou du bricolage personnel l'apprentissage de ces moyens, et qu'ils
doivent faire l'objet d'une « éducation aux images ».
En effet, les images ont changé.
Elles sont tout d'abord de plus en plus réalistes, les trucages sont de
moins en moins visibles, la distinction fiction/actualité tend à
s'effacer dans les représentations.
Elles sont par ailleurs de plus en plus imprévisibles : nous
l'avons vu le 11 septembre, nous le verrons probablement durant la guerre
d'Irak...
Enfin, des images qui n'ont pas un contenu explicitement violent peuvent
malmener et faire violence à certains spectateurs, soit par leur contenu
qui peut leur rappeler un traumatisme personnel, soit seulement par leur
montage : des images qui durent une ou deux secondes, présentent
des variations lumineuses importantes et sont accompagnées de bruits
cardiaques ou respiratoires sont émotionnellement très
stressantes.
Ces trois caractères amènent, surtout chez les plus jeunes, une
grande confusion émotionnelle et une perte du sens face aux images.
Cette confusion peut se produire face à des spectacles de fiction,
d'actualité ou de publicité.
Cette confusion et cette perte de sens peuvent être le point de
départ de comportements individuels ou collectifs violents,
anti-sociaux, grégaires, etc.
Les études américaines citées par Madame Kriegel montrent
notamment que les images violentes ont des effets sur les comportements. Mais
il faut aussitôt ajouter que les mêmes études montrent que
ces effets sont modulables : on constate ainsi que les enfants
malmenés verbalement dans leur foyer, ou se trouvant plus
généralement en grande précarité, sont plus
sensibles aux effets de violence des images.
Nos propres recherches ont montré que les enfants étaient
effectivement malmenés par les images violentes. Il en résulte
angoisses, peurs, dégoûts, etc. Les jeunes répondent
facilement qu'ils ont l'habitude, que cela ne leur fait plus rien... mais si
l'on prend le temps d'en parler avec eux, on arrive à ce qu'ils
expriment les douleurs que cela provoque.
Surtout, les enfants utilisent spontanément un certain nombre de moyens
pour reconstruire leurs repères, moyens qu'il est essentiel de mieux
connaître pour pouvoir les aider. Ainsi, ils parlent beaucoup des images
violentes, peu des autres : c'est là un appel d'interlocuteur.
Certains peuvent avoir besoin de passer par la création d'images pour
voir ensuite autrement les fictions ou l'actualité. D'autres enfin
peuvent avoir besoin de mettre en forme ce qu'ils ont éprouvé
face aux images, ceci par des activités corporelles, par des jeux de
rôles, le théâtre, etc. Pouvoir imiter « pour de
faux » permet d'éviter le risque d'imiter « pour de
vrai ».
Enfin, quelle que soit la technique mise en oeuvre, le moyen principal
qu'utilisent les enfants pour prendre de la distance par rapport aux images est
de se demander comment elles ont été fabriquées.
Mon enquête concluait sur la nécessité de créer,
dans le cadre associatif et à l'éducation nationale, des lieux
offrant ces possibilités aux enfants, afin qu'ils puissent mieux se
protéger contre les effets de perte de sens des images.
Quelles transformations de la télévision peut-on envisager
à partir des éléments de cette recherche ?
Tout d'abord, toutes les images devraient être
« sourcées » à l'aide d'un indicateur visuel
présent pendant l'ensemble de leur passage, mentionnant leur provenance
et leur date de création.
Ensuite, la télévision française devrait s'engager dans la
réalisation de
making off
, ce dont d'ailleurs tous les
adolescents sont friands. Ces
making off
pourraient concerner les
fictions, les publicités, bien sûr, mais aussi les
actualités.
Enfin, le législateur devrait faire obligation aux chaînes
publiques de diffuser des émissions d'éducation aux images, comme
l'actuelle « Arrêt sur image », issue d'ailleurs
d'une demande politique.
Un contrôle des images en amont est bien entendu nécessaire, comme
cela a été précédemment exposé, mais un tel
contrôle total est impossible. Il faut donc mettre aussi en place des
dispositifs qui permettent aux spectateurs, et notamment aux plus jeunes,
d'apprendre à prendre de la distance par rapport aux images, à
les traiter comme des constructions, des sortes de mondes parallèles
à notre monde quotidien, même si elles peuvent aussi nous informer
sur celui-ci, à condition qu'elles puissent être sujettes à
échanges.
L'éducation aux images ainsi envisagée pourrait permettre de
« vacciner » un certain nombre d'enfants contre les
conséquences dangereuses des images violentes, mais surtout de les
préparer tous à vivre en paix avec les images, plus responsables
et plus heureux.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Monsieur Clémenceau, je crois qu'au sein de votre groupe les consignes aux chaînes sont précises, mis à part pour CNN : pas de sexe et pas de violence, n'est-ce pas ?
M. Éric Clémenceau, président de Turner Broadcasting
En
Europe, Turner broadcasting est un acteur de taille moyenne, partie du groupe
AOL-Time-Warner, dans lequel la télévision représente un
poids assez faible, surtout aux États-Unis. Le secteur n'est cependant
pas négligeable : c'est un secteur de liberté, de choix et
de création.
Un groupe international ne peut pas se permettre d'être absent d'Europe,
donc d'Allemagne, de Grande-Bretagne et de France.
Il a été question de facilité, de recherche de profit, de
quotas, etc. Mais avant tout nous sommes des saltimbanques. Nous
évoluons dans un univers très concurrentiel qui rencontre bien
des difficultés à être bénéficiaire. Je
rappelle que la diffusion par câble et satellite en France est assez
faible, ce qui peut expliquer la difficulté d'y développer de
nouveaux programmes.
La question de l'impact des images sur les publics, et notamment sur les
enfants, a toujours été au centre de nos préoccupations.
Ainsi, sur TCM, le film le plus érotique doit être
« Autant en emporte le vent », le plus violent doit
être « Ben Hur »...
Plaisanterie à part, Turner existe pour informer et divertir, deux
fonctions sensiblement différentes que nous tentons d'assurer avec CNN
d'un côté et Cartoon de l'autre.
Concernant l'information, la télévision est pour nous un
élément incontournable de la presse : on ne peut plus
échapper à l'image aujourd'hui. Une étude
européenne étudie les comportements médiatiques des
20 % de foyers les plus fortunés. Celle-ci montre que 43 % des
foyers en France sont intéressés par les informations
internationales et que pour cela ils se tournent d'abord vers la
télévision nationale, puis internationale. Les chaînes
internationales ont bien entendu une audience plus faible, mais au niveau
mondial elles ont un véritable impact. Un groupe comme CNN peut joindre
un milliard d'individus à tout moment, dans 200 pays, ceci
via
15 chaînes, et 900 chaînes affiliées, en neuf
langues différentes et des journalistes de 50 nationalités. C'est
dire l'impact que nous pouvons avoir sur des gens très différents
selon les groupes de pays, les groupes linguistiques, etc. On ne propose pas un
CNN américain 24 heures sur 24 !
J'ai par ailleurs une bonne nouvelle en provenance des États-Unis :
si la télé-réalité existe, elle s'essouffle, et de
grandes créations se développent ! Il est possible de faire
du bon qui marche !
Autre réponse aux interventions précédentes : CNN
n'est pas percluse de dettes, ce qui est aussi une bonne nouvelle !
Concernant son impact, notons que nous joignons, en Europe, chaque mois plus de
40 % des leaders.
Pour exister, les informations doivent être internationales, mais proches
des téléspectateurs. Il s'agit d'être à la fois
différent et compréhensible.
Concernant les enfants, nous savons que 50 % du temps qu'ils consacrent
à la télévision l'est, pour les chaînes enfants du
câble et du satellite, lorsqu'ils ont ce choix. Cela correspond donc
à un besoin des enfants eux-mêmes, mais aussi des parents qui
doivent en ce cas engager leur propre responsabilité vis-à-vis de
leurs enfants. Ceci constitue encore une bonne nouvelle,
concrétisée par la belle réussite de chaînes comme
Canal J.
Notre chaîne Cartoon Network touche 60 pays dans le monde.
L'idée est qu'elle soit drôle, loufoque, étonnante, mais
jamais méchante... même si dans la vraie vie les méchants
gagnent parfois !
Des études paneuropéennes nous ont montré la
diversité des publics en Europe, mais aussi des points de convergence.
En France et en Grande-Bretagne, les parents proscrivent la
télévision à leurs enfants après 19 heures, ce
qui n'est pas le cas par exemple aux Pays-Bas, en Espagne ou au Danemark,
où elle est proscrite avant neuf heures du matin, et toute la
matinée en Suède et en Pologne.
Le contrôle par les parents est différent selon le lieu où
se trouve le poste de télévision. En France et en Espagne,
28 % des enfants disposent d'un poste dans leur chambre, ils sont
50 % dans ce cas en Grande-Bretagne, au Danemark ou en Italie.
Les Suédois et Danois refusent les programmes qui font peur, les
Polonais et Espagnols tous les programmes non destinés aux enfants. Aux
Pays-Bas, en France, en Grande-Bretagne et en Italie, les programmes violents
sont complètement bannis. Tous les parents en Europe rejettent les
langages violents et grossiers.
Même si nous ne sommes pas du service public, même en étant
américains, même si nous voulons que nos chaînes marchent,
nous avons aussi une éthique.
Grâce à la thématisation des chaînes,
parallèlement à la nécessité pour les parents de
s'impliquer plus dans le choix de leurs enfants, nous avons de beaux jours
devant nous.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
L'Union-guilde des scénaristes se dit très inquiète des carcans qui pèsent sur le travail des scénaristes sous prétexte de lutte contre la violence.
Mme Emmanuelle Sardou, présidente de l'Union-guilde des scénaristes (UGS)
Raconter
des histoires est un exercice aussi vieux que le monde. C'est dessiner des
chemins dans le chaos, c'est donner du sens à la vie. Serge Daney disait
que les scénaristes sont comme des griots modernes : ils sont
là pour apaiser l'inquiétude existentielle, et pour
éveiller les consciences. Cela demande technique, travail, engagement et
conscience morale. Il faut posséder les règles de la dramaturgie,
il faut savoir structurer dans le temps, tel un musicien, et dans l'espace, tel
un architecte. Travaillant sur l'identification du spectateur, cela demande
aussi de la psychologie, pour créer l'émotion qui va faire
percevoir le sens de l'histoire. C'est aussi un travail proche de celui du
philosophe ou du moraliste. Les scénaristes fréquentent plus
volontiers Camus ou La Rochefoucauld que la
télé-réalité... Chaque jour de leur vie ils
travaillent sur la question du sens ; il s'agit, en particulier à
la télévision, de lutter pour donner du sens à la vie.
« Lutter pour donner du sens à la vie » est la
première phrase du premier chapitre de la «
Psychanalyse
des contes de fées
», de Bruno Bettelheim, où il
explique que pour que l'enfant puisse rêver, imaginer, et se projeter
dans l'avenir, où il pourra régler les problèmes qui le
dépassent aujourd'hui, il faut que le loup mange le Petit Chaperon
rouge... Il faut que la vieille sorcière menace Hansel et Gretel de les
dévorer. C'est cela aussi, cette violence-là, qui permet aux
enfants de grandir dans leur imaginaire.
La question du sens est évidemment liée à la question du
point de vue. Celui-ci, pour nous scénaristes, est une prise de position
éthique de l'auteur sur ce qu'il choisit de représenter ou non,
en lui donnant le sens dont le spectateur a besoin pour maîtriser, non
pas le fait brut, mais l'émotion que celui-ci provoque.
Dans ce qui est dit à propos de la violence à la
télévision, j'ai le sentiment que l'on fait un amalgame dangereux
entre la représentation de la violence et la violence de la
représentation. Je m'interroge ainsi sur la violence de la
publicité pour Nike, dans les cités où les enfants n'ont
pas les moyens de s'acheter ces chaussures qui leur permettraient de
« Juste le faire »... Je m'interroge d'autant sur la
violence de cette publicité, que l'on sait que Nike fait travailler des
enfants de moins de 12 ans, dans des pays qui ne sont pas le nôtre...
Où est donc la violence ?
Raconter une histoire, c'est dessiner un chemin dans le chaos, c'est lutter
pour donner du sens à la vie.
Cette lutte des scénaristes de la télévision
française est quotidienne. Ils sont confrontés à ce que
l'on a appelé, pour les besoins de la démonstration,
« la pyramide de la peur ».
Au bas de cette pyramide inversée, nous trouvons le scénariste,
libre, audacieux, plein d'idées, original, désireux de ne pas
faire le énième clone de « Urgences », de
« l'Instit' » ou de « Navarro », mais
sans pouvoir. Plus on monte dans cette pyramide aux échelons si
nombreux, plus le scénariste est confronté à des gens qui
décident à sa place de ce que doit être son histoire, de la
manière dont elle doit être racontée et du sens qu'elle
doit porter... et plus ces gens ont de pouvoir, plus ils ont peur ! Dans
ce parcours on croise ainsi successivement un chargé de
développement ou un directeur littéraire, un producteur, un
chargé de programme, un directeur de la fiction, un directeur des
programmes...
Certains scénaristes racontent qu'on leur a demandé de signer des
contrats où ils s'engagent à avoir lu le rapport Kriegel et
à en respecter les directives : voilà un niveau
supplémentaire à la pyramide de la peur, à laquelle nous
devons résister pour réussir à raconter nos histoires
comme nous voulons les raconter. Car lorsqu'on dit que la
télévision française est uniforme, il faut savoir que le
public ne voit que très rarement ce qui a été
écrit, mais le plus souvent ce qui est passé à la
moulinette du « formatage » et des
« acceptations ».
Nous sommes enfin trop souvent confrontés, en ce qui concerne
« les décideurs », à l'inculture, à
l'incohérence, au manque d'audace et à la peur, qui font qu'il
est très difficile de faire passer une idée. Vous dites
« catharsis », on vous demande
« cathar...quoi ? »...
Mais malgré la tentation de l'uniformité, du formatage, de la
médiocrité ambiante, et bien qu'on entende que tout est pour le
mieux dans le meilleur des mondes, malgré le fait que l'on nous dise
chaque jour qu'il ne faut pas parler du troisième âge, de la mort,
de la mort violente des enfants, du Front national, du scandale du
Crédit Lyonnais, de la politique, de l'actualité, de la
pauvreté, de la misère et j'en passe... malgré tout nous
continuerons à résister pour que nos histoires aient un sens qui
permette à nos concitoyens de penser le monde, d'agir et de
réagir, dans leur monde, dont la complexité, on le voit chaque
jour, peut mener à la tentation de l'indifférence...
Nous continuerons de lutter, nous continuerons de résister, tant il est
vrai que l'anagramme de « scénariste » est
« résistance ».
M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
Pour ma
part, j'aborderai la question de manière plus empirique, à partir
du courrier que peut recevoir le médiateur que je suis.
Le médiateur est un peu le bureau des doléances, voire le
« bureau des pleurs ». Nous mesurons plus un indice
d'insatisfaction qu'un indice de satisfaction...
Je précise que -grâce à la redevance !- France 2 a les
moyens de se payer deux médiateurs : une médiatrice des
programmes, Geneviève Guicheney, et un médiateur de
l'information, moi-même. Je parlerai donc plutôt de ce qui concerne
l'information.
Notons tout d'abord que « Madame Bovary » a
été en son temps considérée comme une oeuvre quasi
pornographique : ceci nous rappelle que les contextes
évoluent ! Sur les thèmes du sexe et de la pornographie, les
interventions auxquelles je peux avoir à faire ne sont que peu
pertinentes. Je me souviens avoir reçu un courrier concernant la
diffusion d'images d'une publicité lors d'un journal
télévisé : cette publicité pour Yves
Saint-Laurent représentait un jeune homme nu. Un
téléspectateur disait avoir été choqué par
cette diffusion inopinée, alors qu'il regardait le journal
télévisé avec sa mère, sa femme et sa fille...
J'espère que sa mère et sa femme savent encore de quoi il s'agit,
et je souhaite à sa fille qu'elle en prenne connaissance !
Concernant les magazines d'information, nous recevons un certain nombre de
courriers à propos de sujets sur la prostitution, mais cela touche plus
le domaine de la violence pure que celui de la sexualité.
Sur les quelque 36 000 messages que je reçois par an, 10 %
environ concernent la question de la violence. Les thèmes changent, et
la violence elle-même est sujette à des perceptions diverses.
«
Tout journal de la première à la dernière
ligne n'est qu'un tissu d'horreurs : guerres, vols, impudicités,
tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une
ivresse d'atrocités universelle. C'est de ce dégoûtant
apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas chaque matin.
[...] Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans
dégoût
». Cette citation est de... Charles
Baudelaire ! Je vous laisse apprécier.
Qu'est-ce donc qu'une image violente ? Les courriers des
téléspectateurs nous montrent que les choses ne sont pas si
simples.
La définition « classique » se base sur les guerres,
les cadavres, les blessés, les victimes d'attentats, le sang. Les sujets
exemplaires en sont l'Afghanistan, les attentats en Israël, Bali, AZF
à Toulouse, la faim dans le monde, etc. Le public dit explicitement que
tout cela est trop violent, et il le dit essentiellement au nom de ses enfants.
On nous reproche de ne pas nous rendre compte de l'impact des images
d'information diffusées à l'heure des repas, au moment où
la famille est réunie. Il est vrai qu'en France on regarde
fréquemment la télévision en mangeant, matin, midi ou
soir. Je réponds à cela qu'il suffit de ne pas regarder la
télévision à ce moment là -ce n'est pas la
réponse officielle de la chaîne, bien entendu ! -, ou alors,
je suggère de dialoguer, justement, puisque la situation s'y
prête. Précisons que les présentateurs mettent en garde les
téléspectateurs lorsque des images particulièrement dures
risquent de choquer les plus jeunes publics, ceci selon la charte de l'antenne
élaborée à l'initiative de Marc Tessier. Si les gens
abandonnent l'écran après une telle mise en garde, c'est que nous
tombions effectivement dans le voyeurisme. Mais il s'agit de prévenir,
et surtout de préciser que si nous diffusons telle ou telle
séquence, c'est que cela nous semble significatif et prétexte
à débat. En ce sens, j'ai beaucoup apprécié
l'expression de Claire Brisset parlant de
« déminage » de la violence des images. Il faut en
effet « déminer » et décrypter
immédiatement, par une intervention-analyse
a posteriori
.
Mais attention : montrer une guerre sans victimes, ce n'est plus combattre
la violence, c'est faire de la désinformation ! La violence doit
être montrée, y compris dans un journal
télévisé. Pourquoi montrer des enfants qui meurent de
faim ? Parce que l'on assume. Il faut que cela dérange, aussi.
Notre monde n'est pas celui de Walt Disney ! Des enfants y souffrent, des
enfants y meurent. Ce message, sans les traumatiser, doit tout de même
passer auprès de nos propres enfants, de manière à en
faire des citoyens responsables.
Après cette violence « classique », j'ai
été frappé des courriers que j'ai reçus concernant
les bûchers d'animaux au moment de l'épidémie de
fièvre aphteuse. Nous arrivons ici à des relations plus
complexes, avec les bûchers du Moyen-âge, les rapports entre la vie
la mort, entre les animaux et l'homme, etc. La symbolique pouvait être
très violente pour le téléspectateur.
Nous avons reçu aussi des courriers concernant les plans sociaux, de
chez Danone et de chez LU notamment. Les reportages ont été
perçus comme violents.
Une émission a été consacrée à la
publicité de EGG, dont deux séquences ont beaucoup heurté
les téléspectateurs : dans l'une un petit chat était
jeté du haut d'un immeuble, dans l'autre un individu était
poursuivi au lance-flammes...
Nous trouvons ensuite des violences que l'on peut qualifier
« d'exemplaires ». Des reproches sont exprimés
notamment à partir de reportages sur l'insécurité, sur les
banlieues, sur les viols collectifs, la drogue, etc. Si l'on présente un
jeune
dealer
qui annonce ce que cela lui rapporte, qui précise
qu'il ne paye pas d'impôt et qu'il ne voit donc aucune raison d'aller
travailler pour ne toucher que le SMIC, nous le montrons en estimant qu'il est
intéressant de révéler qu'une telle mentalité peut
exister au moins dans une petite partie de la jeunesse. Les
téléspectateurs nous disent alors qu'il faut se rendre compte de
l'impact d'un tel « modèle » que l'on propose aux
jeunes.
De même, lors d'un reportage concernant un viol collectif, la mère
d'un des violeurs hurlait devant la caméra que c'était la
violée qui aurait dû se retrouver en prison. Les
téléspectateurs ont ressenti cela comme une agression très
forte à l'égard de la société, mais aussi comme une
prise de position en faveur de ces délinquants.
Ces exemples nous montrent que l'impact n'est pas toujours celui auquel on
pourrait penser au premier abord.
Enfin, beaucoup de réactions nous sont parvenues à propos de
l'insécurité et de l'impact de son traitement
télévisuel. Il est vrai que l'on en a beaucoup parlé...
Une affaire est significative : celle de Papy Voise, à
Orléans. Il a été dit que nous aurions insisté
pendant plusieurs jours, dans le journal de 13 heures, sur
l'irresponsabilité du gouvernement en place qui aurait laissé
s'installer ce climat d'insécurité aboutissant à de tels
actes. À l'observation du conducteur, on remarque que ce journal de
13 heures n'a jamais abordé l'affaire. Elle a été
traitée uniquement le samedi, à 13 heures et à
20 heures, et jamais en ouverture de journal.
Il arrive ainsi que l'on nous prête un impact que nous n'avons pas
forcément. Et pour cause !
Débat avec la salle
Mme Sylvie Bocquet, rédactrice en chef de Famille et Education
N'est-ce pas l'accumulation d'événements violents qui le constituent qui amène à cette impression que le journal n'est plus regardable ? En une demi-heure nous avons le droit à l'attentat, à la catastrophe naturelle, etc., ce à quoi vient s'ajouter depuis moins longtemps le fait divers bien sanglant ! N'est-ce pas un peu trop ? Cette accumulation, par ailleurs, n'est-elle pas contraire à la nécessité d'analyse et de dialogue ?
M. Jean-Claude Allanic, médiateur de la rédaction de France 2
Tous les ans les médiateurs font un rapport présenté à Marc Tessier d'abord, et mis en ligne sur Internet, ensuite. Sans dévoiler son contenu, je puis vous dire que l'un des chapitres est intitulé « Les journaux passés au crible » ; ce chapitre s'ouvre sur : « Une place trop grande accordée aux faits divers ». Ceci émane des remarques des téléspectateurs, qui me paraissent sur ce point pertinentes et justifiées.
Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
Pour
avoir été très sensible à la belle intervention
d'artiste de Emmanuelle Sardou, je voudrais en complément lire un texte
qui va dans le même sens, même s'il est bien plus prosaïque.
«
Les sociétés démocratiques ont appris
à se montrer très précautionneuses à l'égard
de la restriction de la liberté des opinions, d'expression et de
communication que réclament à cor et à cri les
sociétés despotiques. Elles ont bien raison, notamment pour tout
ce qui touche à la vie et aux moeurs privées des individus qui,
en démocratie, sont placées sous leur seule responsabilité.
Les artistes, qui sont toujours des visionnaires et représentent la
beauté et la laideur, le grotesque et le sublime du monde à venir
déjà pressenti dans leurs oeuvres par leur imaginaire, demandent
justement que celles-ci soient respectées dans leur liberté. Les
peintres du Quattrocento représentaient l'espace infini de la science
moderne avant que Galilée et Newton n'aient mis au point leurs
équations ; Jacques-Louis David a peint en 1784 « Le
Serment des Horaces », avant que le Serment du Jeu de Paume n'ait
été juré en 1789 ; Kafka, Musil ou Klimt ont
pressenti dans un art que les nazis jugeaient
dégénéré ce que ces derniers allaient faire de la
civilisation ; Agatha Christie a écrit « Dix petits
nègres », roman policier dont tous les protagonistes sont
devenus des meurtriers, en 1939, avant le déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale. [...]
En d'autres termes, la liberté de création est indispensable,
parce qu'inscrits dans la finitude, les pauvres humains que nous sommes
n'arrivent à la vérité approchée, à la
solution juste, à la représentation exacte que par leurs erreurs
rectifiées
».
Ceci, Madame Sardou, est un extrait du rapport sur la violence à la
télévision...
Dans le traité en quelque sorte spinoziste que vous nous avez
proposé des passions qui abaissent la puissance d'agir et la
liberté de création, à savoir la peur, la crainte, je veux
vous dire simplement que ce rapport n'entre en aucune manière.
Lisez-le. Ne vous fiez pas à des résumés impropres.
Pour ce qui me concerne, une philosophe qui a passé sa vie à
enseigner l'État de droit et à développer des arguments
philosophiques pour protéger la liberté de conscience et la
liberté de création, il eût été
invraisemblable que cela fût mis en cause dans un rapport à la
rédaction duquel j'ai participé. Il en est de même pour
tous les artistes ou journalistes qui participaient à cette commission.
Il s'agit d'un malentendu absurde. Nous avons refusé totalement toute
censure. Je suis personnellement non seulement sensible mais sourcilleuse au
fait que la liberté d'expression soit respectée et
encouragée.
L'épaisseur de ce malentendu, entre deux intentions absolument
identiques, nous donne finalement une mesure de l'immense difficulté
à dialoguer clairement dans notre pays.
Mme Sophie Deschamps, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
Nous
avons tous, ici, lu attentivement ce rapport, soyez en sûre.
Mais lorsque l'on préconise que des gens comme des
pédopsychiatres entrent dans les comités qui jugent les films,
remplaçant ainsi les professionnels, il y a danger de tomber dans la
censure. Soyons conscients du fait que la simple classification
« moins de 12 ans » condamne un scénario à ne
pas être tourné. Il est censuré
a priori
.
Nous sommes tous des adultes responsables, nous avons aussi des enfants, mais
plus les signalétiques sont fortes, plus les oeuvres sont
repoussées tardivement dans les grilles, pour finalement
disparaître de la production.
Mme Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du président de la République, auteur de « La violence à la télévision »
Cela est
vrai, mais ne concerne qu'un petit nombre de spectacles que l'on peut
d'ailleurs aider d'autres manières.
Nous pouvons nous mettre d'accord, en discutant ensemble autour d'une
table : pourquoi cette idée paraît-elle choquante ?
Mme Hélène Waysbord, inspecteur général honoraire, conseiller audiovisuel, CNDP
Je
remercie les intervenants d'avoir souligné combien les rapports entre
violences à la télévision et violences dans les faits
étaient extrêmement complexes et indécidables.
La notion de « scénarisation » des violences
collectives, dont faisait état Madame Brisset me paraît
très forte. Les jeunes sont passablement désorientés dans
notre société, et les déroulements narratifs que leur
proposent certaines séquences télévisées peuvent
être pour eux « modélisants ».
Concernant la prévention par la formation à l'image, je tiens
à souligner que cela existe au sein de l'Éducation nationale. Le
CNDP travaille tant sur la production que sur l'exploitation de l'image.
Enfin, Madame Kriegel faisait allusion à une vision manichéenne
du monde et à un manque de confiance suscités chez les jeunes.
Cet élément est également particulièrement fort
sous l'angle de la violence. Si la télévision montre le monde
selon une dichotomie gagnants/perdants et que les enfants s'identifient au
côté des perdants, nous atteignons une sorte de fatalité
qui ne peut qu'engendrer de la violence. La mission intellectuelle et civique
de l'école comme de la télévision est alors de montrer que
l'on doit élaborer sans cesse du compromis, au bon sens du terme.
Mme Geneviève Guicheney,
médiatrice des
programmes de France Télévisions
Remarquons que l'on « prétend » aussi que la
précarité et la pauvreté rendent violents...
Pour faire court, il apparaît, selon les remarques des
téléspectateurs, que ce ne sont pas forcément les
« coups de poings » qui sont dénoncés comme
violents, mais plutôt une certaine forme d'accumulation
d'émissions qui ne leur disent pas grand-chose, où ils ne se
retrouvent pas. Ils semblent faire une différence fondamentale entre ce
qui
est violent
et ce qui
fait violence
. Tenir compte de cette
distinction est indispensable au progrès de nos réflexions.
Un exemple : France 3 a diffusé l'an dernier un dessin animé
intitulé « La guerre n'est pas un jeu ».
Malgré la gravité du propos et le fait qu'il montrait ce qui est,
la guerre, il a connu un large succès. Ce qui a le plus choqué
les téléspectateurs n'a pas été le contenu de
l'ensemble, mais le fait que le générique de fin arrive
« violemment », à un moment dramatique, puisque le
héros mourait, suivi immédiatement par une bande annonce pour...
« Drôles de dames » ! La violence a
été ressentie dans le fait qu'on ne leur laisse pas le temps de
« respirer », qu'il n'y ait ensuite aucun
« accompagnement ».
Les téléspectateurs sont très sensibles aux intentions
manifestées à travers la façon dont sont agencés
les programmes. Ils ont besoin qu'on leur témoigne de l'estime et de la
confiance. Ils attendent qu'on leur explique le monde, pas seulement qu'on leur
rende compte de ses « bruits ».
Mme Ginette Dislaire, responsable du département cinéma et images, L'Eden-Le Volcan
Responsable d'une salle « Art et Essai -
Recherche », je voudrais intervenir sur la
complémentarité entre cinéma et télévision,
complémentarité qui me semble importante.
Je travaille régulièrement avec des enfants, et je puis vous dire
qu'il faut se mettre à leur niveau, c'est-à-dire très
haut !
Concernant l'éducation à l'image, il me paraît essentiel de
travailler en direction des guides que sont les parents et les enseignants.
Intervention de la salle
Les images sont souvent dramatiques, le monde le veut ainsi, mais que cela ne nous empêche pas de saluer les reporters et journalistes qui travaillent, sur le terrain, pour nous offrir une information de qualité.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Merci pour cette remarque, qui sera le mot de la fin de cette table ronde. Merci à tous.
Allocution de M. Luc FERRY, ministre de la Jeunesse,
de
l'Éducation nationale et de la Recherche
M. Jacques Valade,
sénateur de la
Gironde,
président de la commission des Affaires culturelles du Sénat
Monsieur le ministre, pour introduire vos propos j'extrairai quelques questions
et remarques issues des interventions de ce matin.
«
Il est paradoxal de considérer la
télévision comme responsable de
l'analphabétisme
», disait un intervenant.
Par ailleurs, la violence à l'école fait partie de vos
préoccupations quotidiennes : quelle est la part de
responsabilité de la télévision dans ces violences ?
Nous vous savons enfin très préoccupé par la teneur du
message civique et moral que l'école peut développer. Nous vous
posons donc la question de savoir comment l'école peut utiliser ces
moyens technologiques qui constituent la télévision et les
contenus de ses programmes qui nous occupent aujourd'hui.
M. Luc Ferry,
ministre de la Jeunesse, de
l'éducation nationale et de la recherche
Je vous proposerai quelques réflexions sur l'image en
général et sur la télévision en particulier,
puisque tel est le sujet de ce colloque, dont l'intitulé laisse
soupçonner que la télévision n'aurait pas
été suffisamment bien utilisée, notamment en termes de
culture et d'éducation.
Dans un livre écrit et publié avant d'être ministre,
j'avais procédé à un travail de repérage des
critiques de la télévision qui se sont développées
au cours des dix ou quinze dernières années. Cette liste
objective aboutit à l'impression que l'on n'a affaire non pas à
un simple instrument technique, mais au diable lui-même ! Jugez
plutôt :
- La télévision aliène les esprits.
- Elle montre à tous la même chose.
- Elle véhicule l'idéologie de ceux qui la fabriquent.
- Elle déforme l'imagination des enfants.
- Elle appauvrit la curiosité des adultes.
- Elle endort les esprits.
- Elle exerce un insidieux contrôle politique.
- Elle façonne à notre insu notre cadre de pensée.
- Elle manipule l'information.
- Elle impose des modèles culturels dominants.
- Elle ne montre de façon systématique qu'une partie du
réel en oubliant la réalité urbaine, les classes moyennes,
le travail tertiaire, la vie des campagnes, le monde ouvrier...
- Elle marginalise les langues et les cultures régionales.
- Elle engendre la passivité.
- Elle détruit les relations interpersonnelles dans les familles.
- Elle tue évidemment le livre et toutes les cultures écrites.
- Elle incite à la violence, à la vulgarité ainsi
qu'à la pornographie.
- Elle empêche les enfants de devenir adultes.
- Elle concurrence de façon déloyale les spectacles vivants, le
cirque, le théâtre, le cabaret, le cinéma...
- Elle génère l'indifférence et l'apathie des citoyens
à force de surinformation inutile.
- Elle abolit les hiérarchies culturelles.
- Elle remplace l'information par la communication, la réflexion par
l'émotion, la distanciation intellectuelle par la présence des
sentiments volatils et superficiels.
- Elle concurrence et dévalorise l'école.
La source de tant de maux ne peut être que le diable... et je voudrais
justement me faire l'avocat du diable, même si j'ai bien conscience que
certaines de ces critiques adressées à la
télévision doivent effectivement être formulées.
Dans le débat récent sur la télévision, trois
grandes critiques se sont détachées de l'ensemble :
l'incitation à la pornographie, l'incitation à la violence, et
enfin la concurrence que les écrans en général exercent
contre les écrits. Cette dernière critique, plus profonde
semble-t-il, mérite commentaire. Dans cette critique nous avons pu voir
émerger une série de couples d'opposés qui
caractérisent assez bien le débat actuel sur les méfaits
de la télévision. On dit par exemple volontiers que
l'écrit porte la distance critique, par opposition à
l'écran, qui porte l'immédiateté. De même
l'écrit serait le support de l'intelligence, l'image celui de
l'émotion : l'écrit serait l'organe de l'information,
l'écran celui de la communication ; l'écrit induirait la
réflexion, l'image la sentimentalité. On peut ici effectivement
penser à ces reportages sur des drames humanitaires, dont les
écrans ne montrent que des éléments d'émotion, de
sensibilité, de sentimentalité, au détriment de ce qui
bâtit l'histoire, la logique politique, l'intelligence ou la
causalité des conflits. Cette série d'oppositions, qui pourrait
être prolongée, montre combien est grande la suspicion
vis-à-vis de l'image, en particulier dans les milieux intellectuels. Le
monde de l'école a ainsi été très sensible aux
méfaits que pourrait engendrer la « CDromisation »
des manuels. L'une des craintes, par exemple, était qu'en
numérisant les manuels d'histoire on privilégierait la force des
images, notamment au niveau de l'hypertexte, plutôt que les grandes
causalités historiques, qui ne se voient pas puisqu'elles cheminent la
plupart du temps au travers des grands événements de l'Histoire.
Cette CDromisation faisait craindre aussi que l'on perde la logique
linéaire d'une explication historique au profit de l'éclatement
que permet le « clic ». Les élèves
déjà privés de repères et de
références solides risqueraient ainsi d'être davantage
encore déstructurés par cette transformation « de
l'écrit en écran ».
Ces critiques qui se cumulent présentent bien évidemment, on ne
peut le nier, une part de vérité. Nous en avons pour preuve le
simple fait que nous soyons inquiets au sujet de la télévision et
de ses usages, ainsi qu'au sujet du fait qu'elle aurait
« trahi » ses promesses de culture démocratique.
L'instrument est en effet extraordinaire, et l'on aurait pu en attendre
beaucoup plus que ce qu'il offre aujourd'hui ! Je me propose cependant de
jouer le rôle de l'avocat du diable, dans la mesure où ces
critiques me semblent assez largement non fondées, pour peu qu'on les
replace dans le contexte qui devrait être le leur. Prenons ainsi le sujet
de la lutte contre l'illettrisme. Je ne pense pas que les causes de
l'illettrisme aujourd'hui soient liées à la
télévision ou à l'image. Celle-ci est un
bouc-émissaire facile, surtout si l'on agite les statistiques effarantes
du nombre d'heures que les enfants passent devant l'écran. Mais mon
analyse est différente. L'illettrisme en France et en Europe est
préoccupant : 15 à 20 % des enfants qui entrent au
collège ne maîtrisent pas ce que l'on appelle pudiquement
« les compétences de base » en matière de
lecture et d'écriture ; 15 % de plus sont tellement
absorbés par l'activité consistant à déchiffrer
qu'ils ne peuvent comprendre ce qu'ils lisent. Ainsi 30 ou 35 % des
élèves à l'entrée du collège sont en
très grande difficulté de lecture et d'écriture : ils
seront par conséquent en très grande difficulté dans tous
les autres domaines. Nous savons par ailleurs que ces statistiques
n'étaient absolument pas les mêmes dans les années
1920 : une enquête très précise sur le sujet a permis
d'opérer une comparaison terme à terme entre les
élèves d'aujourd'hui et ceux de l'époque. On apprenait
alors bien mieux à lire et à écrire dans les
écoles... D'où la tentation de jeter la responsabilité de
la situation sur la télévision et sur l'image : les
écrans auraient mangé les écrits !
Cette analyse ne me semble pas la bonne. La raison de cette crise de la lecture
que connaît l'ensemble du monde occidental est liée au fait que
l'on a oublié une chose très importante : l'éducation
et l'enseignement comportaient une part d'héritage et de tradition. La
langue, et en particulier la langue maternelle, n'est pas quelque chose que
nous inventons ou que nous créons par nous-mêmes. Nous la
découvrons comme un héritage transmis de l'extérieur,
comme une véritable tradition. Or, depuis une trentaine d'années
nous avons multiplié dans les écoles les exercices qui, au
contraire du respect des héritages, favorisent la
spontanéité et l'expression de soi. La vraie raison de
l'illettrisme est là. Si nous avons aujourd'hui dans les écoles
à affronter deux crises majeures, celle de l'incivilité et celle
de la lecture-écriture, c'est parce que dès lors qu'il s'agit des
règles de politesse ou des règles de grammaire, nous avons
affaire à des héritages traditionnels, et non pas à
quelque chose que les individus créent eux-mêmes. Lorsque l'on
termine une lettre, on n'invente pas la formule canonique qui convient, pas
plus que l'on invente la règle des pluriels des mots se terminant par
« o-u ». La créativité des enfants en
matière de grammaire ou de civilité est rarement une
réussite ! Ce n'est pas la télévision qui est ici en
cause, mais une conception de l'éducation qui a prévalu depuis
une trentaine d'années, et qui s'est avérée calamiteuse
sur certains points comme ceux que je viens de citer.
Si l'on veut en revanche aborder véritablement la fonction de la
télévision et s'interroger sur ce à quoi elle sert, nous
devons comprendre qu'elle doit rester essentiellement un divertissement et un
spectacle. Elle ne saurait en effet remplacer un cours à la Sorbonne
sans courir le risque du zapping sur les autres chaînes... donc d'obtenir
une situation contraire à ce que l'on attendait ! Il faut
plutôt concevoir la télévision comme s'inscrivant dans une
chaîne de la culture et de l'information. Je me souviens d'excellentes
émissions au moment où la guerre en Bosnie a
éclaté : une émission de télévision ne
se juge pas au niveau d'information et de culture qu'elle contient, mais
beaucoup plus à ce qu'elle suscite comme débats dans les
familles, et au fait qu'elle enclenche une chaîne qui va passer ensuite
par le quotidien ou l'hebdomadaire, puis éventuellement par le livre. Je
crois sincèrement que Bernard Pivot, par exemple, a fait beaucoup plus
en France pour la lecture que bien des cours à la Sorbonne ! Si
l'on replace ainsi la télévision au sein de cette chaîne de
la culture et de l'information, il nous faut la juger par rapport à cet
ensemble, et considérer qu'elle remplit une fonction extrêmement
utile de déclencheur.
Notons par ailleurs qu'elle déclenche aussi un intérêt pour
le livre que bien d'autres activités estampillées
« culturelles » ne suscitent pas. Pour avoir
été conseiller de la direction d'un grand hebdomadaire
français, je me souviens encore qu'au tout début de la guerre en
ex-Yougoslavie, qui avait beaucoup mobilisé les intellectuels, nous nous
précipitions sur les atlas pour comprendre qui étaient ces
Slovènes chez qui le conflit s'amorçait. La
télévision n'avait donc pas décérébré
les gens sur la question, mais elle avait plutôt attiré
l'attention, donné les pistes de réflexion et indiqué les
livres nécessaires pour s'informer avant de commencer à
écrire un article !
Tout ceci ne signifie pas, bien entendu, qu'il n'existe pas d'émissions
« nulles », ou même
« infra-nulles »... mais il existe aussi des livres nuls et
infra-nuls ! Entre un très grand livre et une très grande
émission de télévision, je préfère certes de
beaucoup le très grand livre ; mais entre un livre moyen et une
émission moyenne, c'est vers l'émission de
télévision que va ma préférence. Nous devons
réfléchir à ces choses très simples avant de porter
des jugements qui diabolisent la télévision.
Des critiques et des améliorations sont certainement à apporter.
Il faut évidemment travailler à limiter la pornographie et la
violence sur les écrans de télévision, mais sans oublier
de tenir compte au moins d'un axe fondamental : la différence entre
enfant et adulte. La responsabilisation des parents est peut-être une
clé de cette affaire, plutôt que la suppression d'images violentes
ou « sexy » à la télévision. La
question de la fonction de catharsis de la représentation de la violence
ou de la sexualité à la télévision n'est d'ailleurs
pas résolue. Mais il faut surtout prendre la mesure du fait que la
violence a en réalité beaucoup régressé depuis les
années 1930, à l'exception de quelques foyers qu'il faudrait
soumettre à l'analyse. Il faudrait en effet analyser en des termes plus
affinés la violence dans les banlieues, ainsi que celle qui se produit
dans les établissements scolaires, où l'on a
dénombré 81 000 actes de violence l'année
dernière, mais ceci dans 5 % des établissements.
Il faut aussi développer des programmes éducatifs, comme le fait
aujourd'hui France Télévisions en partenariat avec le
ministère de l'Éducation nationale, qui labellise certaines
émissions. Là encore la complémentarité entre
l'écrit et l'écran est grande, il n'y a pas d'affrontement. Le
Don Juan
, de Marcel Bluwal, avec Michel Piccoli et Claude Brasseur,
était génial ! Rien de mieux pour faire lire les
élèves que de diffuser ce Don Juan ! Certains
Misérables
sont également excellents !
Je pense enfin que l'image des jeunes véhiculée par la
télévision est très mal perçue par la jeunesse
elle-même. Si l'on dit que « les jeunes se sont battus avec la
police », on fait erreur : il s'agit de voyous, pas de
« jeunes » ! Pour connaître quelques
échantillons de jeunes à la maison, je sais très bien que
cela n'est pas une image représentative de la jeunesse d'aujourd'hui. Ce
que fait France Télévisions en partenariat avec le
ministère de la Jeunesse - en diffusant des programmes courts qui
montrent comment des jeunes peuvent s'engager dans le civisme, dans la vie
d'entreprise, dans les conseils de jeunesse, dans le caritatif ou l'humanitaire
- contribue à revaloriser l'image de la jeunesse aux yeux de l'opinion
publique. Tout ce qui sera fait en ce sens ne pourra être
qu'extrêmement positif.
Je crois donc que nous avons besoin de limites fines pour pallier les
débordements ou les « dérapages » de la
télévision, mais la critique doit être plus nuancée
que celles que j'évoquais au début de mon propos : elle ne
doit être ni radicale ni dévastatrice.
Troisième table ronde : quelles tendances ?
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
À propos de M6, on ne parle plus de « la petite chaîne qui monte »... La tendance M6 semble être la créativité, ce que Nicolas de Tavernost va nous préciser tout de suite.
M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
L'observation des tendances actuelles de la
télévision
demande que l'on procède à un panorama européen.
Nous sommes aujourd'hui au coeur d'une mutation très profonde du monde
de la télévision. Cette mutation est une adaptation au
marché et présente certaines caractéristiques.
La phase euphorique est passée pour laisser place à une phase
d'ajustement. Nous observons ceci en Europe, notamment au travers des
difficultés que rencontrent un certain nombre de grands groupes, comme
Kirsch en Allemagne, ITV en Grande-Bretagne, Antena Tres en Espagne...
L'ajustement se fait suite à quelques départs manqués
parmi lesquels l'adaptation à la télévision
numérique : cette multiplication de l'offre s'est
opérée sur une surestimation des capacités des
téléspectateurs, du marché, de la publicité et de
l'abonnement à absorber une offre subitement très forte. Il
existe 80 chaînes thématiques francophones qui se partagent
environ 10 % de l'audience de la télévision en France. La
viabilité de cet ensemble est évidemment fortement compromise,
d'où le fait qu'il y aura en France un ajustement en matière de
télévision thématique. Nous avons donc
préféré nous associer avec notre concurrent TF1 pour
développer certains produits, de façon à concentrer nos
forces sur le marché plutôt que de les diviser.
Par ailleurs, la télévision payante a perturbé les groupes
dans leur développement. C'est le cas de ITV. Cette
télévision payante a une spécificité
importante : le paiement des exclusivités qui doivent justifier son
prix, justement. Ces exclusivités sont de plus en plus difficiles
à acquérir, puisqu'en matière de cinéma des moyens
concurrents se sont fortement développés et qu'en matière
de sport, produit indispensable, de vraies batailles sur les coûts sont
nécessaires pour les obtenir.
Dans cet univers d'ajustement, je suis très réservé sur le
développement de la TNT, non pas sur le plan technique, mais sur le plan
du
timing
. Introduire brutalement de nouvelles technologies dans un
système en pleine adaptation nous paraît préjudiciable. Je
crains que nous ne développions plus de
« boîtes » et de transmetteurs que de programmes...
Or, c'est bien sur les programmes que se jouent les batailles, et donc les
victoires.
Quels sont, dans cet univers, les objectifs et les chances de la
télévision gratuite ?
Je crois plus que jamais en cette dernière, qui doit répondre
à un certain nombre de règles.
Elle doit tout d'abord être reçue ! À tous ceux qui
veulent se lancer dans la télévision numérique gratuite,
je dis de se poser la question de savoir comment ils vont être
reçus, et par combien de foyers, ceci quelle que soit la qualité
des programmes qu'ils envisagent. Nous avons nous-mêmes connu cette
période où nous devions être modestes par
nécessité, notamment par rapport à La Cinq. Nous avons
ainsi dû d'abord construire notre réseau en adaptant nos
dépenses de programmes à la possibilité d'être vus,
non pas l'inverse. La règle est simple : nous avons construit
durant 5 ans un programme alternatif moins cher, avec une offre
positionnée, de façon à ne pas supporter les mêmes
coûts que notre compétiteur vis-à-vis duquel nous
étions en désavantage concurrentiel par le seul fait du
réseau.
C'est ainsi que nous avons progressé, en tenant compte des coûts
et des besoins des téléspectateurs. C'est ce que l'on a
appelé la « contre-programmation ». Celle-ci ne
consiste pas à faire de l'audience lorsque les autres sont faibles et
à abandonner l'antenne lorsque les autres sont forts. Il s'agit
simplement de jouer sur le genre de programmes, de s'adresser à des
cibles différentes ou de proposer des choix alternatifs. Ainsi, face aux
« locomotives cinématographiques » du dimanche soir,
nous avons inventé la politique des magazines, choix alternatif qui a
connu le succès que l'on sait. Il n'y aura jamais plus de journaux
à 20 heures sur M6...
L'équation de M6 est très simple. Nous faisons 53,5 % de
l'audience de TF1, les fameuses « ménagères de moins de
50 ans », ceci pour un coût s'élevant à 25 %
de celui de la grille de TF1, simplement parce que nous n'avons pas de frais de
structures liés à l'information ou à une politique
sportive agressive.
Pour atteindre cet état, il faut être créatif. Nous avons
exercé notre créativité dans le domaine des magazines,
dans l'information, à notre manière, dans des formes de
divertissements, comme le Loft très controversé... qui
n'était qu'une anticipation, puisque aujourd'hui tout le monde en
fait !
La télévision gratuite, dans un univers multi-chaînes devra
être événementielle ou ne sera pas. Ces
événements peuvent toucher des domaines très divers :
information, sport, fiction. Pour ce dernier domaine, le challenge est
d'importance : il s'agit de proposer des choses qui ne ressemblent pas
à ce que les autres proposent. Nous n'avons pas encore
réglé cette question.
La télé-réalité, quant à elle, est un terme
générique pour désigner des
« programmes-miroirs ». Elle vivra sans doute un
cycle : c'est ainsi qu'en Allemagne elle a été tuée
par l'excès.
Nous connaîtrons sans doute aussi beaucoup de nouveautés dans les
domaines du jeu et de la connaissance.
Enfin, la télévision gratuite doit proposer des programmes
fédérateurs. Cette règle est intangible.
Notons qu'un foyer qui dispose du câble et/ou du satellite ne consomme
pas plus de télévision qu'un foyer qui dispose de cinq
chaînes, tout simplement parce que cette consommation est liée aux
rythmes de vie beaucoup plus qu'à l'offre. C'est pour cela que le
métier est stressant : les 100 000 spectateurs que l'on prend
sont pris forcément aux confrères ! C'est un pur
marché de répartition, ce qui représente un certain nombre
de dangers, dont la surenchère. De là viennent mes
réserves quant à la multiplication des chaînes, qui est,
selon moi, synonyme de mauvaise qualité. Donnons acte aux
politiques : l'équilibre actuel est plutôt satisfaisant
aujourd'hui en France, si l'on en croit les exemples européens de ce
qu'a pu donner la surenchère de concurrence.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Bertrand Méheut peut-il nous éclairer sur le devenir de Canal +, chaîne par abonnement, numéro 1 au monde dans ce secteur ?
M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
Canal +
a suscité beaucoup d'émotion au cours de ces derniers mois. Cela
prouve que le groupe capte l'intérêt... Les difficultés
rencontrées amènent à s'interroger sur la pertinence de
son modèle économique, comme sur la pérennité de
l'entreprise.
Je considère, quant à moi, que le modèle qui consiste
à offrir au téléspectateur pour 28 euros par mois ce
qu'il attend et qu'il ne trouve pas ailleurs peut être pérenne.
Le groupe Canal perd de l'argent depuis 1997. En 2002, nous avons perdu plus de
300 millions d'euros, pour atteindre une dette cumulée de
5 milliards d'euros fin 2002. Mais rassurez-vous : nous allons sortir
le groupe de cette situation !
Il faut tenir compte du fait que la concurrence s'est fortement
développée depuis le lancement de Canal + en 1984. Le nombre de
chaînes thématiques est aujourd'hui considérable ; le
lancement de TPS a conduit à une augmentation de 30 % du coût
de recrutement des abonnés et à une augmentation de 70 % de
leur gestion en quelques années. Le coût des programmes a lui
aussi fortement augmenté, notamment dans le domaine du sport et de
l'accès à certains films américains.
Le groupe Canal dégagera un résultat d'exploitation positif en
2003. Cela tient à un plan d'action qui nous conduit à recentrer
notre activité sur notre métier principal : la
télévision payante en France. Des activités lancées
à l'étranger, qui avaient des difficultés à trouver
leur équilibre, ont commencé à être vendues. Studio
Canal fera bien entendu toujours partie de notre périmètre, ainsi
que Media Overseas.
Cependant, ce recentrage ne suffira pas, puisque même à
l'échelle française le groupe est en situation délicate,
en raison de l'augmentation de ses coûts de structures et de ses charges
de programmes ou de gestion. Le groupe comportait plus de 300 entités
juridiques ! L'entreprise doit donc être restructurée,
simplifiée. Nous avons présenté la semaine dernière
un plan de restructuration, qui conduit malheureusement à supprimer un
certain nombre d'emplois.
Nous devrons par ailleurs encore conquérir des abonnés, l'un des
succès étant d'avoir su déjà en conquérir
quelque 4,5 millions. Canal Satellite a connu une augmentation nette de
220 000 abonnés en 2002, ce que l'on peut estimer être
un succès, et nous avons des réserves de croissance en ce domaine.
Conquérir des abonnés nécessite aussi de renouveler le
contenu éditorial : le taux de satisfaction de nos abonnés,
notre instrument de mesure permanent, a d'ailleurs été en hausse
à la fin de l'année 2002. Ce contenu éditorial, fait
d'originalité, voire d'impertinence, est un sujet de
préoccupation. Nous travaillons actuellement à son renouvellement
sachant que le Canal de demain ne devra pas se construire simplement sur ses
différences par rapport aux autres, s'agissant du cinéma et du
sport par exemple, mais aussi sur du contenu positif et original.
Le succès de Canal est évidemment important pour nos
abonnés et nous-mêmes, mais aussi pour nos partenaires, dont le
cinéma français, vis-à-vis duquel nous avons des
obligations considérables -obligations et contraintes qui demeurent
d'ailleurs les mêmes malgré les évolutions de
l'environnement.
Je signale enfin qu'avec le soutien de notre actionnaire nous allons
recapitaliser le groupe afin de le mettre en ordre de marche financière
pour l'avenir.
Cet ensemble de mesures nous permettra de faire à nouveau du groupe
Canal une entreprise profitable et en développement dans le paysage
français.
M. Patrick de Carolis, présentateur et producteur de l'émission « Des racines et des ailes », directeur général du Figaro Magazine
J'interviens ici en tant que producteur artistique de
« Des racines et des ailes », donc en tant que fabriquant
qui observe comment l'on peut réinventer des programmes ou modifier ceux
qui sont en cours.
On me disait récemment que la télé-réalité
ou les
reality-shows
n'étaient qu'une mode
passagère : je ne le crois pas. Pour s'en convaincre, il suffit de
constater qu'aujourd'hui aux États-Unis 15 % des programmes des
networks
sont consacrés à la
télé-réalité, et que ces programmes
représentent 85 % des meilleures performances en termes
d'annonceurs. Compte tenu de l'effet retard que nous connaissons toujours en
France, je pense qu'il s'agit là d'une tendance lourde à laquelle
il va falloir s'habituer et surtout vis-à-vis de laquelle il va falloir
se positionner.
Cette tendance ne doit cependant pas en occulter une autre, liée au fait
que les gens ont besoin de « ré-enchanter » leur
vie. Trois éléments me permettent de penser ceci.
La crise internationale que nous vivons implique un besoin de
repères : je crois ainsi fortement au retour des émissions
de connaissance. Je rappelle à ce titre une réflexion de
Alain Finkielkraut, qui dit qu'il ne s'agit pas de se demander quel type
de monde nous allons laisser à nos enfants, mais plutôt à
quel type d'enfants nous allons laisser notre monde : cela passe par un
phénomène de transmission, ce que les programmes de magazines et
de documentaires font le mieux. Cela constitue une formidable
opportunité pour les chaînes de télévisions, quelles
qu'elles soient.
Par ailleurs, les détenteurs de savoir sont aujourd'hui prêts
à travailler avec la télévision, ils ne l'envisagent plus
comme le diable ! Cela aussi constitue une formidable opportunité,
à condition que les fabricants que nous sommes mettent leur talent
à leur service, sans craindre les mots « culture »,
« science » ou « histoire »...
Enfin, nous devons aussi considérer la courbe démographique de la
France : c'est très bien de vouloir toucher les cibles jeunes, mais
ils sont de moins en moins nombreux ! La génération du
baby boom
a aujourd'hui 45 ou 50 ans, presque 60... C'est cette
génération qui emmène ses enfants au musée !
À nous de satisfaire les besoins de cette audience potentielle.
La télévision ne doit pas simplement être le reflet de nos
douleurs ou de nos vices, elle doit être aussi une promesse de bonheur.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Pour Arte, la tendance semble simple : culture et qualité, sans souci de l'audimat. Est-ce bien cela, Jérôme Clément ?
M. Jérôme Clément, président du comité de gérance Arte
Les
choses ne sont pas aussi simples que cela !
Il est vrai que nous ne sommes pas confrontés à des soucis
commerciaux, à la rentabilité et à l'amortissement... mais
nous vivons tout de même dans le monde concurrentiel que certains ont
déjà décrit : nous touchons 70 millions de
foyers en Europe, mais encore faut-il qu'ils appuient sur le bon bouton
lorsqu'on leur propose un programme !
Je suis dans l'ensemble d'accord avec l'analyse de Nicolas de Tavernost
concernant le marché et la période d'ajustement que nous vivons.
J'ajouterai que dans le domaine du satellite et du câble, la question de
la distribution est centrale. En Allemagne, par exemple, sur le réseau
satellitaire, nous venons de changer de mode de distribution : nous y
avons perdu ainsi une partie de notre audience, tout simplement parce que le
téléspectateur ne nous trouve plus ! Les responsables de ce
domaine, Canal Satellite et TPS en France, doivent mesurer l'ampleur du
problème et des répercussions que cela peut entraîner pour
les autres.
Concernant les tendances des contenus, notre position est
particulière : nous sommes une télévision de l'offre,
même si nous prenons bien entendu en compte l'état de l'opinion et
de la société, même si nous surveillons les audiences.
Nous avons changé d'époque, et il nous faut trouver d'autres
façons de traiter un certain nombre de sujets. L'ironie et le second
degré, que Canal + affiche, par exemple, sont aujourd'hui beaucoup moins
porteurs et séducteurs. Les questions qui se posent aujourd'hui, en
raison de la situation internationale, du souci de développement
durable, des problèmes écologiques ou encore de la situation
économique, font que le sérieux, la vérité et le
traitement en profondeur des sujets posés doivent être de mise. Je
rejoins ainsi Patrick de Carolis : les documentaires et les magazines
d'investigation et d'analyse ont un réel avenir. C'est d'ailleurs sans
doute la raison pour laquelle nous-mêmes connaissons aujourd'hui un
regain de popularité.
C'est le besoin d'authenticité, d'équilibre et
d'épanouissement qui fait que la
télé-réalité est à l'ordre du jour. On ne
peut pas la mettre en oeuvre à propos de tout et de n'importe quoi, mais
la tendance me paraît extrêmement forte.
En ce qui nous concerne, il s'agit d'accompagner un certain nombre
d'évolutions tout en résistant à d'autres. Doit-on en
effet toujours suivre la demande, même si elle est porteuse de valeurs
qui ne sont pas les meilleures ? Notre réponse est claire : il
faut lutter contre certaines évolutions.
Pour ce qui est de l'accompagnement que nous devons opérer, la
compréhension du monde qui nous entoure, avec des émissions de
décryptage, des mises en perspectives historiques et européennes,
constitue une vraie mission, attendue par le public. Il est frappant de
constater que les sujets que nous traitons actuellement sur la crise irakienne
nous permettent de multiplier notre audience par deux ou trois... Cela a
été le cas aussi pour un sujet « difficile »,
sur les Nations Unies, sujet qui n'était même pas annoncé
dans les programmes, ou encore pour une soirée sur la Politique Agricole
Commune ! Ces exemples révèlent de véritables
attentes.
Nous avons donc décidé de faire de l'analyse sociale,
économique et politique, environnementale et géopolitique un
élément majeur de notre nouvelle politique, puisque c'est une
mission qui correspond à une demande. Cela demande de la
ténacité, mais on finit par rencontrer le public, avec de la
persévérance et du travail.
Je ne sais si cela permet de « ré-enchanter » la
vie, mais cela permet de mieux la comprendre et de répondre à un
certain nombre d'interrogations fondamentales, ce qui, notons-le,
intéresse tous les âges.
Nous accompagnons d'autres évolutions et répondons à
d'autres attentes, par des fictions qui touchent à l'intime. Notre
collection « Masculin-Féminin » rencontre ainsi un
joli succès. Là encore, c'est l'authenticité qui a
payé.
Les tendances auxquelles nous voulons résister sont pour nous
évidentes : il s'agit de tout ce qui touche au repli identitaire,
à la violence, à la xénophobie, au racisme, etc. Cela
paraît évident, mais parler de l'identité culturelle des
autres, ou simplement leur laisser une place, leur ouvrir une fenêtre,
demande toujours un effort. Même si cela ne connaît pas toujours le
succès, nous considérons que c'est un devoir important. La place
de l'autre est un débat essentiel aujourd'hui, il est donc
nécessaire de lui donner la parole, qu'il puisse montrer sa
réalité : c'est ce que nous tentons de faire.
Tout cela s'accompagne enfin d'un travail sur la mémoire et sur
l'Histoire.
Nous devons bien entendu tenir compte des réalités
économiques et commerciales, mais l'enjeu du support dont nous disposons
est plus vaste. Nous avons une responsabilité citoyenne notamment
vis-à-vis des enfants dont nous façonnons d'une certaine
manière les esprits. Dans le monde incertain où nous vivons, nous
devons être attentifs à cette mission.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Les annonceurs, détenteurs du nerf de la guerre, connaissent-ils eux aussi la crise dans leur secteur d'activité ?
M. Gérard Noël, vice-président-directeur général de l'Union des annonceurs (UDA)
Les
entreprises-annonceurs ont effectivement modéré leurs
investissements en télévision ces deux dernières
années, mais dans des proportions raisonnables. Elles ont investi
3,6 milliards d'euros en 2002, soit une augmentation de 2 % par
rapport à 2001, ceci faisant suite à une année à
moins 6 %, elle-même succédant à trois années
où les augmentations d'investissement avaient été
d'environ 10 %.
Les sorts de la télévision et de ses annonceurs sont
étroitement liés, puisque les investissements de ces derniers
représentent environ 50 % du financement de la
télévision hertzienne en France.
Pour les entreprises, la télévision est évidemment un
moyen très efficace de communication et de promotion. En outre, elle
leur inspire particulièrement confiance, parce que c'est un média
dont l'audience est très bien mesurée et qu'il est aussi
très bien surveillé et contrôlé :
Médiamétrie mesure l'audience quasiment à la seconde, le
Bureau de Vérification de la Publicité visionne avant leur
diffusion les quelque 10 000 spots publicitaires utilisés chaque
année.
Si j'étais responsable d'une chaîne de télévision
aujourd'hui, je serais très optimiste face à l'avenir !
Quelques arguments simples vont vous montrer pourquoi :
- Pour les annonceurs, ce média-clé va continuer de
l'être : la demande des entreprises est très forte et
continuera à l'être.
Entre 1993 et 2000, les annonceurs ont dépensé + 60 % en
télévision, alors que le marché publicitaire
général n'a évolué « que » de
40 %.
- En 1999 et 2000, les chaînes de télévision n'ont
même pas eu assez d'espaces publicitaires à fournir à leurs
clients ! Elles en ont d'ailleurs profité pour augmenter leurs
tarifs de manière spectaculaire...
- Avec 12 % des investissements globaux, la télévision est
aujourd'hui le troisième moyen de communication commerciale des
annonceurs, après le marketing direct et la presse.
Actuellement, moins de 900 entreprises, sur le plan national, investissent en
publicité à la télévision, ceci sur 18 000
annonceurs nationaux potentiels. Précisons que sur ces
900 entreprises, 60 d'entre elles représentent plus de 50 %
des investissements télévision.
- La France est aujourd'hui le pays européen le moins investisseur en
publicité à la télévision. Pour un investissement
de 100 en France, on en est à 117 en Allemagne, 129 en Italie, 194 en
Grande-Bretagne !
- Enfin, notre télévision, au contraire des autres pays, est
essentiellement nationale : une offre locale et régionale
correspondrait là encore aux besoins des annonceurs.
Cet ensemble de faits et de chiffres nous montre que le potentiel est
énorme, en particulier en nombre d'annonceurs, mais ceci sous certaines
conditions :
- L'offre d'espace, tout d'abord, doit être beaucoup plus large. La
réglementation française, la plus contraignante de toute
l'Europe, doit être assouplie. Alors que la directive européenne
Télévision sans Frontières est en cours de
révision, notons que la commissaire à l'audiovisuel
déclarait récemment qu'elle se demandait si les limites
quantitatives imposées à la publicité
télévisuelle avaient encore un sens !
- Une autre condition est que se développent de nouveaux modes de
diffusion. Les annonceurs observent évidemment avec beaucoup
d'intérêt l'avènement du numérique et les
perspectives de la TNT et de l'ADSL. Le numérique permettra la
multiplication des chaînes et le développement des techniques
d'interactivité.
- L'offre doit être aussi diversifiée. Les chaînes
thématiques existent, mais elles sont faibles en audience et manquent
souvent de moyens. Elles constituent pourtant un support indispensable pour les
démarches stratégiques ciblées de beaucoup d'annonceurs,
les annonceurs ont besoin également de chaînes locales et
régionales.
- L'offre doit être accessible à toutes les entreprises... mais je
n'ouvrirai pas ici le dossier de l'ouverture aux « 4 secteurs
interdits » ! Je pense qu'elle est maintenant inéluctable.
- Enfin, le développement de la publicité à la
télévision nécessite aussi que soient proposés aux
annonceurs des coûts compétitifs par rapport aux autres moyens de
communication. Suite à la flambée des tarifs en 1999 et 2000,
beaucoup d'annonceurs ont été amenés à revoir la
répartition de leurs investissements publicitaires entre les
différents médias, et entre médias et techniques
hors-médias. Espérons que cette leçon aura
été utile !
Les annonceurs veulent des coûts justifiés avant tout par les
performances, pas par la loi de l'offre et de la demande.
M. Bruno Chetaille, président-directeur général de Télédiffusion de France (TDF)
L'intervention de M. Noël me conforte dans mon analyse.
Prévoir le futur c'est d'abord analyser les tendances passées.
Une telle analyse conduit à deux conclusions.
- Le marché de la télévision est un marché
d'addition et non de substitution. Ne soyons pas malthusien.
- L'audiovisuel est un marché à cycles longs. Donnons-nous le
temps de juger les réussites.
Concernant le premier constat, beaucoup ici se souviennent des débuts
des années 1980 où l'on annonçait la mort de l'hertzien au
bénéfice du câble, puis ceux des années 1990
où l'on prédisait la disparition du câble au profit du
satellite.
Rien de tout cela ne s'est produit car ces supports sont en fait
complémentaires. Leur complémentarité se lit
aisément selon des critères variés tels le potentiel de
couverture géographique, le nombre de chaînes possibles etc. Les
éditeurs souhaitent maximiser leur exposition. Ils recherchent
naturellement le meilleur moyen d'y parvenir en optimisant leur distribution
sur les différents supports.
Concernant le deuxième constat, le cycle de l'innovation audiovisuelle
se reproduit selon le même rituel et se déroule sur une
période de quinze à vingt ans.
La première phase est celle du laboratoire et de la normalisation.
Aujourd'hui elle concerne les techniques de mobilité et de
coopération entre réseaux de diffusion et de
télécommunication.
La deuxième est celle de l'expérimentation. La diffusion par ADSL
en est à ce stade.
La troisième est celle du lancement opérationnel ; la TNT a
atteint cette phase.
La quatrième phase est celle de la consolidation avec son lot de
recomposition et d'ajustement. Le câble et le satellite en sont à
ce niveau avec une redéfinition en cours du jeu des acteurs. Tout cela
aboutit enfin à la maturité que connaît la diffusion
analogique.
Je suis donc confiant dans le développement de la TNT qui poursuit
notamment ce cycle.
Le cadre législatif et réglementaire existe même si on peut
regretter sa complexité sur certains aspects.
Les problèmes techniques sont maîtrisés.
L'offre se définit progressivement. Une étape clé va
être franchie avec la signature de conventions entre le CSA et les
chaînes présélectionnées.
Le « relancement » de la TNT en Grande-Bretagne est
encourageant. 30 000 décodeurs sont vendus en moyenne chaque semaine
depuis novembre. Le lancement à Berlin est également un
succès.
Ce qui nous manque le plus ne coûte rien. C'est, d'une part, la
confirmation d'une date officielle de lancement permettant de focaliser les
énergies, d'autre part la mise en place d'une structure pour organiser
la coordination entre les acteurs.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
La Société Européenne de Satellite, située au Luxembourg, a pour rôle la mise à disposition des programmes et services, et je crois que vous regrettez de ne pas pouvoir être actuellement dans la position de valoriser au maximum les capacités de distribution de la communication par satellite.
M. Roland Jaeger, secrétaire général de SES Global
Le
satellite est un des moyens de communication et de mise à disposition
des programmes et de services au public qui déborde les
frontières et dispose par conséquent d'une zone de couverture
pan-européenne.
Nous sommes dans un contexte de multiplication de chaînes, de programmes
et de services, et de moyens de communication, dont le satellite doit faire
partie intégrante. L'empreinte satellitaire n'est pas limitée
à un pays : les satellites actuellement opérationnels
au-dessus de l'Europe couvrent quasiment l'intégralité de l'Union
européenne et même au-delà, mais on s'aperçoit que
le développement des services et programmes, et notamment ceux des
télévisions à péage, est restreint au public
national. En effet, les équipements nécessaires, décodeurs
et cartes d'accès, ne sont accessibles qu'à ce niveau. Cela
revient à ne pas pouvoir acheter le quotidien Le Monde à Munich
par exemple, ou El Païs à Paris ! Les moyens de communication
du satellite sont ainsi largement sous-utilisés, ceci à cause du
mécanisme d'acquisition de droits concernant la
télédiffusion à une échelle pan-européenne.
Le Commission européenne envisage de procéder dans le cadre de la
révision de la directive Satellite Câble de 1993 à un
processus de consultation des secteurs concernés pour trouver une
solution à la mise à disposition de programmes de
télévision à une échelle pan-européenne.
Dans ce contexte, il est indispensable que l'ensemble des secteurs
concernés prennent conscience de l'importance de cette initiative qui,
à terme, est susceptible de générer des revenus
supplémentaires pour tous les partenaires concernés, de
répondre aux critères du marché intérieur tels que
prévus dans le Traité de l'Union européenne et
répondre à une demande réelle dans les divers États
membres.
Dans le contexte de la TNT, le satellite doit également être
dûment pris en considération dans la chaîne de transmission
des programmes. Le satellite est en effet le maillon fort de la chaîne
car il a l'avantage de couvrir l'intégralité du territoire, donc
de suppléer au manque de couverture des nouveaux réseaux de la
TNT. Il permet par ailleurs de desservir les réceptions pour les
réseaux câblés et d'alimenter les sites de diffusion au
niveau local.
Le câble, le satellite, le hertzien terrestre, tout cela doit être
considéré comme un ensemble. Dans une logique de transition de
l'analogique vers le numérique au niveau national, il est pour cela
indispensable que les programmes répondant à la demande de
consommation de base des citoyens soient mis à disposition sur toutes
les plates-formes satellitaires.
Débat avec la salle
M. Pascal Perennes, chargé de mission, Commission régionale du film de Poitou-Charentes
Ne faudrait-il pas développer les télévisions locales, dont il a été peu question pour le moment ?
M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
Le
problème est purement réglementaire.
Parallèlement, nous ne croyons pas au développement rapide de la
TNT. Si l'on ajoute au problème de l'audience des
télévisions locales celui de la barrière de
l'équipement, on ne fait que conjuguer les effets. Le CSA lance
d'ailleurs ses appels d'offre uniquement concernant les
télévisions analogiques. Le problème de ces
dernières est qu'elles ont besoin de programmes, et pas uniquement de
programmes locaux. C'est pour cela que nous demandons que le dispositif
anti-concentration soit aménagé pour que nous puissions
être opérateurs de télévision locale. Nous avons les
programmes et la compétence pour investir en télévision
dans de grandes agglomérations.
Je reviendrai par ailleurs sur certains propos précédents :
Gérard Noël ne veut pas payer plus cher ses écrans,
soit ; Bruno Chetaille veut multiplier ses diffuseurs, il a raison. En ce
qui me concerne, j'ajoute qu'il n'y a pas d'élasticité à
l'offre : qu'il dispose de cent chaînes ou de cinq, un
téléspectateur, je le répète, ne regarde pas plus
la télévision.
Trois sources de financement existent : l'argent public, le péage
et la publicité. Mais si Gérard Noël ne veut pas payer plus
cher, et si nous augmentons le nombre de chaînes de façon brutale,
le « gâteau » se répartira entre toutes ces
chaînes et la qualité des programmes en pâtira.
Intervention de la salle
Quel est le projet de Canal + « en clair », en termes financiers, de communication, etc. ?
M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
Ce sujet donnera lieu à un débat qui suivra celui de la définition de la ligne éditoriale. Je puis simplement vous dire aujourd'hui que sur un coût de programme de un milliard d'euros sur la chaîne premium Canal +, environ 90 millions d'euros sont consacrés au « clair ». Je ne peux pas préciser la répartition future, mais il y aura du « clair », ceci étant une vitrine très intéressante.
M. Philippe Fau, directeur de la chaîne PlayJam
Ne peut-on envisager d'autres modes de financements que ceux évoqués par Monsieur de Tavernost ? Notre chaîne fonctionne sans publicité, sans abonnement et sans redevance : n'y aurait-il pas aussi de nouvelles « tendances » économiques à dégager ?
M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6
Les produits dérivés, la téléphonie, les SMS, etc., apportent des recettes complémentaires, et nous les développons fortement, mais elles restent marginales. Je ne connais pas d'autres modèles économiques.
Intervention de la salle
L'avenir du développement de l'offre n'est-il pas entre les mains des grands opérateurs du satellite ?
M. Roland Jaeger, secrétaire général de SES Global
Les grands opérateurs de satellites ne jouent pas un rôle plus important que les grands opérateurs de télévision. Nous mettons nos capacités de transmission à la disposition de nos clients, en espérant qu'elles soient utilisées le mieux possible, mais je ne vois pas comment nous pourrions jouer un autre rôle, plus important.
Intervention de la salle
Dans la restructuration de Canal +, qu'est-ce qui est envisagé pour la « micro-chaîne » appelée « Demain » ?
M. Bertrand Méheut, président du directoire de Canal +
Cette chaîne n'est pas destinée à rester dans le groupe Canal. Des discussions sont en cours à ce sujet.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Merci à tous, nous allons laisser maintenant la place à notre quatrième et dernière table ronde.
Quatrième table ronde : quelles régulations ?
M. Louis de Broissia, sénateur de la Côte-d'Or, membre de la commission des Affaires culturelles du Sénat
Si j'en
juge par les échanges qui ont eu lieu et la fréquentation de ce
débat, le sujet dont nous traitons est d'une grande actualité.
J'introduirai la question des régulations de l'audiovisuel à
partir d'un constat simple que je crois pouvoir faire au nom du
Sénat : le secteur paraît aujourd'hui efficacement
régulé, par une autorité administrative
indépendante, comme nous l'avons souhaité, qui a su
acquérir le respect du pouvoir politique et celui des grands groupes
audiovisuels. Compte tenu des difficultés rencontrées depuis
lors, ce résultat n'était pas forcément acquis lorsque la
loi du 29 juillet 1982 a décidé de créer la Haute
Autorité de la Communication audiovisuelle. Notons que le besoin de
renommer les institutions successives créées pour cette
régulation apporte plutôt la preuve des réticences du
pouvoir politique à confier à une autorité
indépendante ce qui relevait jusqu'alors du domaine de l'État. Il
n'est pas si loin le temps où le président de la
République, parlant de la Commission Nationale de la Communication et
des Libertés, disait : «
Elle ne fait rien qui puisse
inspirer ce sentiment qui s'appelle le respect.
»...
La stabilité actuelle du CSA semble aujourd'hui témoigner de la
stabilité institutionnelle du secteur, voulue par le Parlement.
J'insisterai ici sur la persévérance du CSA, en particulier dans
le domaine de la signalétique jeunesse. Ce dispositif, qui substitue
responsabilité à censure, repose sur une adhésion des
acteurs. Il a permis de constater qu'une instance de régulation est en
mesure de convaincre tous les opérateurs de suivre des règles de
bonne conduite définies dans la concertation.
Je rappellerai aussi que l'efficacité du pouvoir de sanction du CSA peut
encore être améliorée. Depuis son origine, l'action du
Conseil dans ce domaine se trouve limitée par une disposition
législative qui lui interdit d'infliger une amende à un
opérateur qui n'aurait pas respecté ses obligations
réglementaires, législatives ou conventionnelles, dès lors
que le manquement en cause est passible d'une sanction pénale. Il serait
souhaitable que cette disposition soit aménagée pour permettre de
défalquer du montant de l'amende éventuellement infligée
par le juge celui déjà prononcé par le CSA.
En dépit des motifs de satisfaction que je signalais, on peut penser que
l'avenir du mode de régulation actuel est encore incertain. En effet, si
le Conseil a déjà traversé bon nombre de polémiques
pour arriver à un certain équilibre, on peut se demander si les
modalités actuelles de son action ne sont pas menacées.
Menacées par la construction européenne comme par la
mondialisation du secteur qui abolit chaque jour les frontières, mais
qui surtout rend possibles les stratégies d'optimisation
réglementaire. Le sentiment d'une régulation européenne
pourra naître à l'occasion de ce débat.
La menace vient aussi des évolutions technologiques, notamment par le
processus de convergence entre l'audiovisuel et les
télécommunications, processus qui fait naître une
incertitude quant à la définition exacte du terme même de
« communication audiovisuelle ». Nos catégories
juridiques peuvent en devenir obsolètes, ce qui ne manquera pas de
provoquer des confrontations entre diverses instances de régulation. La
commission des Affaires culturelles de notre Haute Assemblée sera
attentive à l'adaptation des compétences de chacune des
autorités qui pourrait être réalisée, en n'ignorant
jamais que le CSA s'occupe d'abord de radio et de télévision.
Quelle que soit l'autorité administrative indépendante qui
pourrait émerger, le Parlement revendiquera toujours son rôle de
régulateur.
À écouter les débats de cette journée, je me
demandais si ceux de l'an dernier concernant la TNT portaient sur un besoin de
nouvelles télévisions ou sur un besoin de
télévisions nouvelles, c'est-à-dire de nouveaux produits.
Nous serons ainsi attentifs à l'offre de contenu de même
qu'à la convergence de toutes les formes qu'exprime la
télévision -loisirs, culture, information, sport, etc. La
télévision étant au coeur de la vie, nous serons
également attentifs au fait qu'elle devra être
régulée et recentrée en particulier sur l'éveil
à la vie par l'éducation.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Les pays européens sont-ils solidaires et disciplinés en matière de régulation des programmes télévisés ? C'est ce que nous allons savoir, grâce aux propos de Jean-Michel Baer.
M. Jean-Michel Baer, directeur à la Direction « Culture, Politique audiovisuelle et Sport » à la Commission européenne
Il ne
faut surtout pas voir l'Europe seulement comme une
« menace »...
Nous observons depuis une bonne dizaine d'années que la
régulation que nous exerçons est effectivement à l'oeuvre.
Elle a plutôt conforté un modèle européen de la
radiodiffusion, à un étage évidemment combiné avec
les étages nationaux, puisqu'elle est l'émanation d'un
état d'esprit et d'un « projet audiovisuel » dont on
retrouve un peu partout les composantes : système mixte
public-privé, prise en compte des intérêts
généraux de la société, respect des
diversités culturelles, protection des consommateurs, des mineurs et de
la liberté humaine, respect de la liberté d'expression et du
pluralisme, protection des auteurs. Par ailleurs, la tendance à la
constitution d'organismes de régulation autonome, indépendants
des pouvoirs politiques, est une orientation très forte au niveau
européen.
L'étage européen est intervenu en fonction de missions qui lui
ont été confiées par le Traité, ceci dans le
domaine de la liberté de circulation des oeuvres, dans le domaine de la
concurrence, en intervenant pour les grandes fusions, dans le domaine des aides
d'États et dans celui du respect de l'équilibre entre
télévisions publiques et privées.
Nous intervenons aussi selon les positions que défend l'Union
européenne à l'Organisation Mondiale du Commerce. Vous savez par
exemple que la Commission n'a pas pris d'engagement en termes de
libéralisation, ce qui fait que les instruments de promotion des oeuvres
européennes, qui figurent à la fois dans les textes
européens et dans les textes nationaux, pourront continuer à
exercer leurs effets bénéfiques.
Nous en sommes aujourd'hui au réexamen de la directive
Télévision sans Frontières. La question porte sur les
fondamentaux de ce modèle européen, considérant que cette
régulation concerne maintenant les 25 pays de l'Union plus trois pays de
l'Espace économique européen. Il ne s'agit pas d'une remise en
cause du modèle, mais de revoir la façon de le réguler.
Les grands chantiers que sont les différents chapitres de la directive
vont faire l'objet d'une consultation en profondeur.
Nous y trouvons par exemple le chapitre de la publicité, dont il a
été question aujourd'hui : les règles sont-elles
encore applicables ? Sont-elles adaptées aux nouvelles formes de
publicité qui apparaissent ? Notre rôle est de nous assurer
que les réglementations prises par les différents États
n'entravent pas la libre circulation des émissions. Il s'agit par
ailleurs de garder cette spécificité à laquelle nous
tenons tous en Europe : la séparation du contenu des programmes et
de la publicité.
Nous aborderons aussi la question de l'équilibre entre secteurs publics
et secteurs privés. Le service public ayant été
consolidé, les règles de publicité ne peuvent-elles pas
être assouplies ? Voilà un exemple de question qui sera
débattue.
Il sera question encore de la protection des mineurs, tant à
l'égard de la publicité qu'à l'égard des
programmes, du droit de réponse, du recours à la
co-régulation ou à l'autorégulation,
complémentaires à la réglementation d'État.
Le problème de l'applicabilité de la réglementation
donnera certainement lieu à une concertation permanente au niveau
européen. Nous avons à ce sujet été heureux de voir
le CSA rejoindre la plate-forme des régulateurs européens.
À l'occasion du ré-examen de la directive, nous pensons qu'il
serait sans doute opportun de créer un Conseil des régulateurs
européens, de façon à instaurer un dialogue permanent.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Nous abordons la question de la régulation en ce qui concerne les producteurs et diffuseurs : est-elle très contraignante ?
M. David Kessler, directeur général du Centre national de la cinématographie (CNC)
La
régulation est par nature une contrainte. Sous le terme
« régulation » se trouvent plusieurs
« couches » correspondant à des
réalités différentes.
- La couche législative fixe le cadre dans lequel interviennent les
organes administratifs.
- La couche réglementaire est fixée par le Gouvernement, à
travers l'ensemble des textes qu'il élabore.
- La couche de régulation proprement dite est sans doute celle qui a
connu le plus de difficultés à s'implanter dans notre pays, parce
qu'elle correspond moins à nos traditions juridiques.
Le Centre national de la cinématographie, qui a aussi pour mission
d'aider la production audiovisuelle, est évidemment
intéressé par la réglementation du secteur, puisque d'une
part le secteur audiovisuel, par des mécanismes de taxation, va
contribuer à la constitution du compte de soutien à l'industrie
de programmes, et d'autre part se voit fixer un certain nombre d'obligations
réglementaires ou conventionnelles par le CSA.
Ce système, même s'il est jugé contraignant, a
prouvé son efficacité en permettant de maintenir une production
cinématographique abondante et de créer et valoriser une
production audiovisuelle française souvent
leader
aujourd'hui en
termes d'audience.
Un double défi se présente concernant la question de la
réglementation.
Il s'agit de faire face à la multiplicité des chaînes et
des supports, comme cela a déjà été
évoqué, ce qui oblige la réglementation à
s'affiner, afin de toucher chacun des supports selon ses
spécificités. Le défi est donc d'assurer un niveau minimum
d'obligations de manière à ce qu'il n'y ait pas
inégalité entre les chaînes historiques, sur lesquelles
pèserait un ensemble d'obligations, et des chaînes nouvelles, qui
y échapperaient, mais ceci en même temps sans empêcher les
formules nouvelles d'exister et de se développer.
Un exemple illustre parfaitement cette question à laquelle sont
confrontés les régulateurs. Il y a un an, une polémique a
vu le jour : fallait-il considérer l'émission Pop Star comme
une oeuvre audiovisuelle ? Cela concernait le CSA, pour voir si une
chaîne remplit ses obligations en matière de programmes, et le CNC
pour savoir si une oeuvre doit ou non bénéficier du soutien du
compte à l'industrie de programmes. Les deux organismes ont
considéré qu'il fallait classer ce produit dans les oeuvres
audiovisuelles, les tribunaux statueront.
Cet exemple illustre bien la difficulté que présente
l'évolution des programmes, de leurs natures et de leurs
« formats ». Il nous faut être attentifs à ce
que les objectifs du législateur, qui sont de favoriser des programmes
« de stock », c'est-à-dire qui ont vocation
patrimoniale, soient respectés, mais en même temps de prendre en
compte le fait qu'apparaissent des formats nouveaux qui appellent des
réflexions nouvelles.
Il s'agit de faire face au déferlement d'images en maintenant des
principes qui permettent d'aider la production cinématographique et
audiovisuelle, tout en laissant aux opérateurs les possibilités
d'exister.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Je crois savoir que pour Étienne Mougeotte les régulations s'assimilent de plus en plus à des contraintes, contraintes de plus en plus lourdes...
M. Étienne Mougeotte, vice-président de TF1, directeur général de l'antenne
Je vois
comme un clin d'oeil le fait que ce colloque se termine sur la question des
régulations, alors que ce matin-même le Conseil des ministres
débattait de la question des simplifications administratives...
Un responsable de chaîne de télévision opère selon
une série de contraintes : les goûts du public et leurs
évolutions, la recherche et l'organisation des talents dans tous les
domaines de programmes et enfin la réglementation et le contrôle
du CSA.
Après seize ans de privatisation de TF1, la question est de savoir si
cette réglementation et son application sont toujours adaptées
aux buts poursuivis, dans la mesure où, au cours de cette
décennie, nous avons connu une véritable inflation
législative et réglementaire.
Cette régulation exercée par le biais du CSA est parfaitement
légitime dans un certain nombre de domaines où elle a d'ailleurs
fort bien réussi, comme ceux du pluralisme politique et de la
déontologie de l'information, où les progrès ont
été considérables.
Des progrès très significatifs sont à enregistrer aussi
sur les questions de protection de l'enfance et de l'adolescence. La
signalétique a très largement été
améliorée, elle est un garde-fou en même temps qu'un appel
à la responsabilisation, de nous-mêmes et des parents.
De très importantes avancées aussi sont à enregistrer dans
le domaine de la lutte contre la publicité clandestine, ceci grâce
aux vigilances conjuguées du CSA et des chaînes.
Enfin, les règles et la régulation ont joué un rôle
très positif dans le domaine de la création
cinématographique et audiovisuelle. L'obligation faite aux chaînes
d'investir chaque année un pourcentage de leur chiffre d'affaires net
dans la création a contribué à créer un pôle
de production fort et très professionnel.
Je ne revendique donc nullement la liberté du renard dans le
poulailler... mais nous sommes arrivés en France à un point
absolument invraisemblable.
Ayons par exemple l'honnêteté de dire que le cinéma
traverse de vraies difficultés. Pour preuve, remarquons que l'audience
des films français à la télévision diminue de
manière régulière. Les grandes chaînes diffusent
moins de films en
prime-time
qu'elles ne l'ont fait par le passé.
La situation est étonnante : les mêmes qui critiquent la
dépendance du cinéma à l'égard de la
télévision ne cessent de réclamer l'augmentation des
obligations à la charge des diffuseurs. Ce n'est pas en
« chargeant le baudet » que le cinéma se portera
mieux, d'autres solutions sont certainement à envisager.
Autre exemple : celui de la création audiovisuelle. Nous sommes
là dans un domaine totalement fantasmagorique ! Le décret du
9 juillet 2001 a tellement voulu entrer dans le détail de la
relation entre producteurs et diffuseurs que la règle en devient
incompréhensible. On peut dire aujourd'hui qu'il n'y plus aucune place
pour la liberté contractuelle. Aucune place pour la liberté de
prix, ni pour la liberté de la chose -que des esprits aussi fins
discutent pour savoir si Pop Star est une oeuvre audiovisuelle ou non me
paraît extravagant ! Quel temps perdu ! Aucune liberté
non plus concernant la personne : la définition du producteur
indépendant est tellement complexe que deux ans après le
décret, les conditions d'interprétation de cette
définition ne sont toujours pas établies !
Le résultat immédiat est que l'on produit de moins en moins de
films et de plus en plus de séries. Cette réduction du champ de
la création ne me paraît pas correspondre aux objectifs du
législateur.
Le dispositif anti-concentration appelle lui aussi des simplifications
indispensables. Les grands pays d'Europe ont engagé un processus de
simplification de ce dispositif pour l'adapter à l'évolution des
acteurs mondiaux de l'audiovisuel et des enjeux. La France, quant à
elle, en reste à ses 49 % ! À 49 %, c'est bien,
à 51 %, ça ne l'est plus ! Quelle est la
différence ? Que l'on m'explique ! Que l'on en finisse avec
ces seuils qui n'ont aujourd'hui plus de sens.
Enfin, la réglementation doit très vite évoluer sur la
question de la publicité. La France est le seul pays au monde où
existent des « secteurs interdits » de publicité,
autres que ceux qui touchent à la Santé publique, bien
évidemment. La règle européenne doit s'appliquer,
simplement.
Pour notre régulation, l'heure est à la simplification, à
la clarification, à l'adaptation et à l'application de la
règle européenne commune.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Nous pourrions dire que la parole est maintenant à la défense : Dominique Baudis, pouvez-vous tout d'abord nous rappeler le rôle du CSA ?
M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
La
défense aurait presque envie de se taire : j'ai entendu tellement
de choses gentilles que j'ai peur de gâcher le ciel bleu !
Le CSA a été créé par le législateur et
travaille dans le cadre de la loi et des décrets.
Nous avons vu apparaître des organes de régulation, en France,
dans les secteurs où l'État mettait fin à une situation de
monopole. Ce fut le cas pour la radio-télévision, sans que pour
autant l'État se désengage du secteur : il en demeure un
acteur, aux côtés et en concurrence avec d'autres acteurs,
privés. Cette situation implique un arbitrage indépendant du
Gouvernement mais investi de prérogatives de puissance publique :
c'est aujourd'hui le rôle du CSA.
Il s'agit principalement d'appliquer l'article 1
er
de la loi de
1986 : la communication audiovisuelle est libre, mais cette liberté
s'exerce dans le respect d'autres principes d'égale valeur -pluralisme
politique et diversité des courants de pensée, protection du
jeune public, respect de la dignité de la personne humaine,
encouragement à la production, etc.
Nous devons ainsi veiller à l'équilibre entre la liberté
et les responsabilités qu'elle confère.
Nos missions consistent à réguler le paysage actuel, à
dessiner le paysage futur et à nous positionner sur les champs nouveaux
de régulation.
Nous régulons donc le paysage actuel dans le cadre de la loi et des
décrets, de même que dans celui des conventions que nous passons
avec les radios et les télévisions.
En ce sens, je précise que certaines des
« plaintes » formulées par Etienne Mougeotte ne
concernent pas la régulation, mais les décrets, que le
régulateur ne fait qu'appliquer. Ceci étant dit, je reconnais que
nous devons faire face à beaucoup de complexité, mais cette
« usine à gaz »... produit du gaz ! Le
mécanisme peut être simplifié, mais il faut que la
production continue.
La convergence européenne des régulations qu'envisageait Monsieur
Baer est souhaitable, effectivement, mais à condition que l'on ne
converge pas
a minima
. Les dispositifs construits par les gouvernements
et parlements successifs ont donné des résultats impressionnants,
notamment ce que l'on a appelé « l'exception
culturelle », dont certains ont pu annoncer
prématurément la disparition. On peut ici arguer du fait qu'en
Allemagne, sans toutes ces règles, la production audiovisuelle est
supérieure à la nôtre ; soit, mais notons que, d'une
part, la redevance y est deux fois supérieure, et que, d'autre part, le
secteur dispose de la totalité de la ressource publicitaire.
L'audiovisuel est donc infiniment mieux financé en Allemagne.
La régulation se fait
a maxima
ou
a minima
selon que la
ressource est respectivement limitée, le cas du hertzien, ou
illimitée, le cas du câble ou du satellite. La régulation
s'applique
a minima
dans ce second cas notamment pour éviter des
délocalisations.
Notre mission consiste également à dessiner le paysage
audiovisuel de demain : c'est le grand enjeu de la TNT, qui va permettre
d'offrir à ceux de nos concitoyens qui ne reçoivent que cinq
programmes « en clair » -ce qui est le cas des trois quarts
des téléspectateurs français- la possibilité de
recevoir une vingtaine de programmes, parmi lesquels plusieurs programmes
locaux. Avec le ministère de la Culture et de la Communication nous
mettons actuellement en oeuvre cette TNT qui apportera choix, diversité
et satisfaction.
Nous devons enfin nous positionner sur des champs nouveaux de
régulation, avec les difficultés que cela représente.
Je citerai ici deux domaines essentiels : Internet et les grandes
chaînes internationales.
Concernant Internet, le Parlement et le Gouvernement ont engagé un
travail législatif visant à distribuer les responsabilités
des différents régulateurs sur ce moyen de communication qui peut
être utilisé par les médias audiovisuels, par des personnes
privées, par des opérateurs commerciaux, etc. Ce qui
relève de l'audiovisuel concernera évidemment le CSA.
Le domaine des grandes télévisions globales d'information
permanente m'inquiète beaucoup.
Nous avons vu apparaître CNN, puis Al-Jezira, puis d'autres... Beaucoup
sont en demande de conventionnement avec le CSA sur le satellite. Nous sommes
obligés par la loi sur la liberté de la communication
audiovisuelle, de les conventionner, à condition que le dossier soit
conforme, bien entendu : cela ne se fait pas « à la
tête du client », mais nous n'avons pas à nous
préoccuper de l'origine de leurs financements, par exemple...
Ce sont des chaînes d'information, dont beaucoup en langues
étrangères : se pose donc notamment le double
problème des traductions et de la réactivité. Nous avons
ainsi connu quelques « dérapages » sur Al-Jezira
durant la période écoulée entre le 11 septembre et
les interventions en Afghanistan.
Certaines chaînes sont reçues en Europe,
via
des
plates-formes satellitaires, sans qu'elles y soient domiciliées ou
conventionnées. Il semble que Bruxelles aille dans le sens de la
décision suivante, non encore officielle : le pays de domiciliation
de la plate-forme satellitaire aurait la responsabilité de ces
chaînes et donc serait chargé de les conventionner. Il en serait
donc ainsi pour les chaînes passant par Eutelsat, qui seraient donc sous
l'autorité du CSA vis-à-vis d'un conventionnement. Je signale que
parmi ces chaînes, nous trouvons Irak TV, dont le président est le
fils de Saddam Hussein... Je me vois mal en ce moment le recevoir à
Paris pour conventionner cette chaîne !
J'émettrai donc une alerte : ne produisons pas de
réglementations inapplicables, qui décrédibiliseraient la
régulation.
Je terminerai par la question du dispositif anti-concentration,
évoquée par Étienne Mougeotte.
Nous sommes ici, encore une fois, dans le cadre de la loi, pas de la
régulation. La différence entre 49 % et 51 % n'est
peut-être pas tellement importante, effectivement, dans le cas de TF1 en
l'occurrence. Mais sommes-nous prêts en France à ce qu'une
télévision comme M6 soit à 60 ou 65 % entre les mains
d'un opérateur, européen certes, mais allemand ? Du point de
vue du droit européen, oui, selon la règle
d'égalité de traitement des entreprises européennes. Du
point de vue de l'esprit public, en France particulièrement aujourd'hui,
cela me paraît difficile à concevoir.
M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste
Merci
Monsieur Baudis.
Nous conclurons ainsi cette table ronde, pour entendre le ministre de la
Culture et de la Communication, Monsieur Jean-Jacques Aillagon.
Allocution de clôture par M. Jean-Jacques AILLAGON,
ministre de la Culture et de la Communication
Je
n'aurai bien entendu pas la prétention de conclure des débats
aussi denses traitant d'un sujet aussi vaste qui intéresse
évidemment tout particulièrement le ministre de la Culture et de
la Communication, puisqu'il s'agit du champ de la diffusion culturelle dans
notre pays.
À la question posée, « La télévision,
pour quoi faire ? », j'en ajouterai une autre qui me tient
à coeur : « La télévision
publique
,
pour quoi faire ? », ce qui nous amène à demander
ce que doit faire l'État pour la télévision.
Ces questions nous renvoient à une réflexion historique, puisque
dès son apparition dans le paysage culturel français, la
télévision s'est elle-même investie d'un certain nombre de
missions. Ses champs d'engagements ont naturellement été ceux qui
étaient couverts déjà par la radio : l'information,
la distraction et l'« éducation » au sens
très large du terme.
Au fil du temps, les chaînes se sont multipliées, le secteur
privé s'y est intégré, elle est devenue un champ
d'investissement économique. La démultiplication des vecteurs de
diffusion a permis ensuite d'offrir à nos concitoyens un paysage
audiovisuel d'une grande diversité et d'une grande richesse, tout comme
le fera encore la télévision numérique terrestre.
Le paysage télévisuel est et sera très différent de
ce qu'il fut dans les années 70 et 80, bien entendu, mais ce que nous en
attendons suit toujours les trois grands axes que je citais :
divertissement et distraction, information et connaissance.
Ce vaste paysage pourrait amener à penser, concernant la
télévision publique, qu'il n'est plus nécessaire de
maintenir une telle télévision spécifique, soutenue par
les citoyens et l'engagement de la puissance publique. Ma conviction, comme
vous le savez, est qu'il n'en est rien, d'autant que nous constatons que nos
télévisions publiques constituent un bloc massif de la
consommation quotidienne.
On doit tout de même se demander quelles sont les limites de l'expression
de cette télévision publique, et quelle est sa singularité.
Tout d'abord, je ne crois pas qu'il faille multiplier les chaînes
publiques au risque d'appauvrir le caractère de leurs programmes.
Le secteur public doit par contre offrir un accès de qualité
à l'ensemble de nos concitoyens : cette ambition est l'une de ses
caractéristiques très forte.
Sans jeter la moindre suspicion sur les opérateurs privés, dont
nous savons à quel point ils sont soucieux de qualité, la
prétention du service public est aussi d'offrir cette qualité. Si
nous estimons que la télévision est un média qui permet au
plus grand nombre d'accéder à la culture, cette ambition doit
être prise en compte.
La même exigence doit se manifester pour l'information. Nous savons
l'érosion de la lecture de la presse, de la presse quotidienne
notamment. Dans beaucoup de foyers, la télévision finit par
être le seul contact avec l'information : ceci implique que le
service public soit attentif à la qualité et à la
diversité de ce qu'il propose en la matière.
L'engagement doit également être bien marqué dans le
domaine de la production cinématographique et audiovisuelle, ceci
même au-delà des règles et des contraintes existantes. Je
suis en ce qui me concerne particulièrement sensible à la
situation de secteurs réputés marginaux de cette production,
comme le documentaire, pour lequel notre pays semble avoir un peu perdu pied...
La règle de diversité qui s'impose à l'ensemble des
opérateurs doit s'imposer plus fortement encore aux opérateurs
publics : diversité des opinions et des informations, parfois
déjà codifiée, mais aussi diversité artistique,
musicale notamment, en étant promoteur d'artistes et de créateurs
moins connus.
La télévision publique ne doit pas être assujettie aux
seules considérations d'équilibre économique, même
si elle a bien entendu le devoir d'équilibrer ses comptes. Je suis en ce
sens profondément attaché à la pérennité du
mode de financement spécifique de l'audiovisuel public, cela lui
assurant stabilité et indépendance.
Le service public doit respecter les attentes de l'ensemble de ses
téléspectateurs ; je pense notamment à satisfaire les
personnes les plus handicapées, comme les sourds et malentendants, qui
représentent environ 10 % de la population française.
À l'occasion de la révision du contrat d'objectifs et de moyens,
je compte bien amener la télévision publique à prendre des
engagements sur l'amélioration du sous-titrage ou du doublage en langage
des signes.
Les autres obligations, comme celles qui visent au respect de la personne
humaine ou au respect des mineurs s'imposent évidemment à
l'ensemble des opérateurs.
La télévision publique doit donc être exemplaire et
innovante. En disant cela, je ne suggère évidemment en rien que
la télévision privée ne soit pas capable de
qualité, d'excellence, d'innovation ou d'attention à
l'égard de nos concitoyens.
Dans ce contexte, l'État doit être exigeant, et marquer sa
volonté par tous les moyens dont il dispose : la loi, la
réglementation, les contrats, etc.
Mais à côté de son engagement en faveur du service public,
il doit évidemment prendre en compte les intérêts du
paysage audiovisuel dans son ensemble, et être le garant du cadre
législatif qui fixe ce que l'on peut appeler le
« règlement général » de
l'audiovisuel. Les débats d'aujourd'hui ont montré que de grands
chantiers sont ouverts et sont à ouvrir dans le sens du renforcement de
ce règlement général. Il ne s'agit pas d'accumuler normes
sur normes, de manière bureaucratique : nous avons tous
intérêt à ce que ce règlement soit suffisamment
clair pour atteindre les objectifs fixés, notamment celui d'un
développement économique harmonieux de l'ensemble du paysage
audiovisuel. Force est de constater qu'aujourd'hui, en fonction des textes en
vigueur, le développement de certains secteurs est tout simplement
impossible. Il est par exemple beaucoup question de télévisions
locales : aucune économie n'est aménagée
convenablement pour permettre leur développement réel. Je me suis
prononcé favorablement pour que les opérateurs nationaux puissent
investir dans ce domaine.
Je suis aussi partisan du progrès de la régulation, de même
que de l'amoindrissement de la réglementation. Nous sommes
traditionnellement plus réglementaires que régulateurs, mais la
régulation que nous avons instaurée par la création de
l'actuel CSA me semble être la bonne issue.
Nous tenterons donc au cours des prochains mois de renforcer le
règlement général, tout en le simplifiant et en prenant en
compte la vérité économique et les évolutions
quotidiennes du paysage international et technologique.
Nous ne devons pas tout attendre de la télévision, comme nous
avons aussi tendance à le faire de l'école... Ce sont sans doute
les deux derniers cadres universels partagés par l'ensemble de nos
concitoyens, ce qui nous amène à leur adresser
systématiquement tous les reproches possibles et imaginables !
Cependant, si l'on ne peut pas tout imposer à la
télévision, on ne doit pas non plus ne rien en attendre. C'est le
plus efficace, le plus universel et le plus populaire des médias. Elle
doit donc être mobilisée dans son expression, publique comme
privée, pour tenter d'élever nos concitoyens dans les niveaux du
débat politique et civique, de la pensée et de la culture.
Tout cela appelle de notre part vigilance et exigence, mais surtout de la confiance.