C. DES ARBITRAGES DÉLICATS SUR LES DOMAINES D'INTERVENTION
Les négociations sur les plafonds de dépenses conduisent nécessairement à des arbitrages sur les montants alloués aux politiques communautaires, et peuvent donc inciter à réviser la conception et les objectifs de ces interventions, plus particulièrement dans les deux principaux domaines que sont la PAC et les fonds structurels. Sans entrer dans les détails de débats dont les termes sont nombreux et complexes 65 ( * ) , il convient de garder à l'esprit les problématiques suivantes, qui exerceront un impact sur la contribution et le solde net de la France.
1. La politique agricole commune
Outre les modalités de versement progressif des aides aux nouveaux Etats-membres, évoquées supra , la PAC a fait l'objet de deux importantes réformes ces deux dernières années : l'accord de Bruxelles du 25 octobre 2002, initié par la France et l'Allemagne, a prévu le plafonnement des dépenses réelles de marché à compter de 2006 66 ( * ) et partant, un cadre stable et pérenne de financement pour les neuf prochaines années qui consacrerait la fin de la PAC comme politique budgétaire dominante ; et la réforme du 26 juin 2003 a conduit à des évolutions majeures des caractéristiques de la PAC (découplage partiel des aides, renforcement de l'éco-conditionnalité, diminution progressive et modulation des aides directes assortie d'un basculement vers la rubrique développement rural...), la France ayant finalement surmonté ses réticences initiales. En dépit de ses défaillances, la PAC peut être considérée comme un succès et constitue la politique communautaire la plus intégrée, et qui a connu le plus grand nombre de réformes.
La France, qui est l'un des premiers bénéficiaires de la PAC, est régulièrement soupçonnée de préférer l'immobilisme. Elle a néanmoins consenti des sacrifices politiques et financiers qui doivent être pris en compte dans les actuelles négociations, d'autant que ces deux réformes pourraient ne pas être définitivement acquises . Le budget de la PAC pourrait en effet être réintégré dans le périmètre à la faveur de discussions sur des points sensibles, tels que la correction britannique ou le choix du scénario à 1 %, et les dépenses de développement rural considérées comme une variable d'ajustement.
2. La politique régionale
La politique de cohésion, appelée à devenir le premier domaine d'intervention en termes budgétaires, constitue l'enjeu central des négociations , dans la mesure où elle donnera lieu à des transferts élevés vers les nouveaux Etats-membres, au détriment des Quinze. La proposition de la Commission prévoit une dotation globale de 345 milliards d'euros, soit une moyenne de 0,42 % du PNB total de l'UE 67 ( * ) , réorganisée en trois objectifs que sont la convergence 68 ( * ) , la compétitivité régionale et la coopération territoriale. Compte tenu des débats techniques portant par exemple sur le phasing out , l'effet statistique de la diminution du PNB moyen par habitant 69 ( * ) et le plafond de 4 % du PNB pour les Etats récipiendaires, les intérêts en présence sont très divers et mettent en exergue plusieurs lignes de fracture : passage à un critère national d'attribution des aides 70 ( * ) , préservation des retours au titre du fonds de cohésion, maintien ou diminution de l'objectif 2, concentration plus forte des aides structurelles sur les régions les plus pauvres et les nouveaux Etats-membres.
Il est clair que notre pays bénéficiera moins de la politique régionale et cela est légitime, considérant les nouvelles disparités de niveau de vie et l'impératif de solidarité avec nos partenaires de l'est 71 ( * ) . Votre commission considère néanmoins, a l'instar de nos collègues Marc Laffineur, député, et Serge Vinçon, que les deux principes suivants devraient être respectés dans le nouveau cadre budgétaire, selon une approche rénovatrice similaire à celle qui a prévalu pour la PAC :
- en cohérence avec l'objectif de stabilisation du budget communautaire, maîtrise du coût de la politique régionale et en particulier de l'objectif 1, prioritairement destiné aux nouveaux Etats-membres où les besoins et le rendement marginal sont supérieurs. Cela nécessite une différenciation accrue de l'intensité de l'aide selon le niveau de vie et une plus grande mise à contribution des grands bénéficiaires actuels que sont l'Espagne, la Grèce et le Portugal ( phasing out plus rapide) ;
- maintien d'un objectif 2 non résiduel, notamment afin d'atténuer les effets régionaux des délocalisations chez les Quinze . Les critiques économiques et politiques parfois justifiées dont ce vecteur d'aide fait l'objet imposent en outre une rénovation de ses modalités d'octroi : suppression des zonages, consécration de la région comme autorité de gestion et de paiement, concentration et recherche de la taille critique des financements, concertation et complémentarité avec les politiques communautaires internes de compétitivité. Il importera cependant que la Commission européenne se montre particulièrement vigilante sur l'adaptation des structures administratives locales et la capacité d'absorption des nouveaux Etats-membres, afin de prévenir les risques de détournement, d'allocation sous-optimale des ressources et de sous-consommation des crédits.
* 65 Le rapport précité de MM. Marc Laffineur, député, et Serge Vinçon donne une analyse approfondie de ces enjeux.
* 66 La stabilisation en euros courants des paiements directs inclut un taux d'indexation du plafond de 1 %, soit la moitié du taux antérieur.
* 67 0,4 % en 2006, dont près de la moitié pour les nouveaux Etats-membres.
* 68 Cet objectif mêlerait le fonds de cohésion et l'actuel objectif 1, pour représenter plus des trois quarts des dotations.
* 69 Le phasing out consiste en un soutien dégressif permettant d'assurer une sortie progressive de l'objectif 1, et concerne prioritairement l'Espagne, la Grèce et le Portugal. La Commission distingue le « phasing out statistique » (éviction des régions du seul fait de la baisse du niveau de vie moyen de l'UE), qui serait imputé sur l'enveloppe consacrée à la convergence (objectif 1 et fonds de cohésion), et le « phasing out naturel », lié à la progression du niveau de vie de la région, qui lui serait imputé sur l'objectif 2.
* 70 Auquel sont favorables le Royaume-Uni, l'Irlande et la Suède.
* 71 La priorité accordée à l'objectif 1 fait que la part de la France tendrait à s'effondrer, son taux de retour passant de 36,2 % en 2004 à 27,3 % en 2013.