EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 octobre 2005, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Après avoir rappelé que le Sénat avait le privilège, du fait de son calendrier budgétaire, de pouvoir organiser un débat sur les prélèvements obligatoires, en application de l'article 52 de la LOLF, M. Philippe Marini, rapporteur général , procédant à l'aide d'une vidéoprojection, a indiqué qu'il se situait cette année dans la perspective d'une réforme d'ensemble de l'imposition des ménages, avec la mise en place d'un plafond général d'imposition et d'un plafonnement des « niches fiscales » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006. Puis il a estimé que notre modèle fiscal reflétait, dans une certaine mesure, notre modèle social, mais que, seule, la recherche de l'efficacité économique et sociale devait désormais guider nos choix, que l'on considère l'excellent rendement de la fiscalité de certaines nouvelles républiques issues du bloc socialiste pratiquant des taux bas sur des assiettes larges, ou que l'on réfléchisse à l'effet d'un transfert de cotisations sociales sur la TVA afin de rendre les assiettes sociales non « délocalisables » (mécanisme connu sous le nom de « TVA sociale »). Enfin, il a précisé que les déficits publics se situaient toujours sur la crête des 3 % du produit intérieur brut (PIB), malgré la perception de soultes importantes liées à l'adossement, au régime général de la sécurité sociale, de certaines charges de retraites, encore que les montants concernés fussent plus faibles en 2006 qu'en 2005.

Abordant le sujet des prélèvements obligatoires, M. Philippe Marini, rapporteur général , a signalé que les recettes publiques françaises, qui représentaient 50,7 % du PIB, étaient, en proportion, supérieures à la moyenne de la zone euro, qui s'établissait à 45 %. Le taux des prélèvements obligatoires devrait atteindre 44 % en 2006, contre 43,9 % en 2005, nonobstant un changement de base statistique ayant eu pour effet de réduire ce taux d'environ 0,7 % du PIB.

Puis il a rappelé que, depuis une vingtaine d'années, les dépenses des administrations publiques avaient toujours été nettement supérieures à leurs recettes. Il convenait ainsi, conformément à l'un des principes dégagés par la commission des finances dans le cadre du rapport d'information adopté en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2006, de « s'interdire tout allègement fiscal non compensé, toute augmentation structurelle non gagée, tant que le déficit structurel [n'aurait] pas atteint un niveau inférieur ou égal à 1 % et que le rythme de croissance des dépenses publiques [resterait] de l'ordre de celui observé par le passé, soit 2 % par an en volume ».

Concernant, en particulier, les prélèvements sociaux, M. Philippe Marini, rapporteur général , a noté que ces derniers, qui devraient s'élever en 2006 à 388,7 milliards d'euros, représenteraient, à eux seuls, plus de la moitié des prélèvements obligatoires. Reprenant à son compte l'expression de M. François Monier, secrétaire général des comptes de la sécurité sociale, il a constaté « la multiplication des foyers de déficit ». Le plus important serait toujours constitué par la branche maladie avec un solde déficitaire de 7,2 milliards d'euros en 2006, mais toutes les lignes correspondant aux différents régimes de base seraient désormais négatives, à part celle correspondant à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Il a souligné que le régime des exploitants agricoles, avec l'apparition d'un déficit de 1,9 milliard d'euros, participait largement à l'accentuation du déficit général, qui devrait s'élever à 16 milliards d'euros en 2006. M. Jean-Jacques Jégou a alors précisé que la dette accumulée par le régime des exploitants agricoles ressortait, en réalité, à 3,2 milliards d'euros.

M. Philippe Marini, rapporteur général , a abordé la réforme du financement des exonérations de cotisations sociales figurant à l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006. Ce dernier prévoyait de remplacer la dotation budgétaire inscrite sur le budget du travail par l'affectation à la sécurité sociale d'un panier de taxes, précisant que ce changement de portage entachait le respect de la norme de progression budgétaire « zéro volume ». En effet, la dépense correspondante, qui s'établissait à 17,1 milliards en 2005, devrait augmenter spontanément de 1,8 milliard en 2006. Il a également estimé qu'il serait probablement plus clair de substituer une quote-part de TVA à l'« inventaire à la Prévert » que constituaient les neuf taxes et impôts visés par l'article 41 précité, sans exclure la possibilité de procéder, simplement, par prélèvement sur recettes.

Enfin, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souhaité commenter la réforme fiscale proposée dans le récent rapport de MM. Christian Saint-Etienne et Jacques Le Cacheux, après avoir préalablement souligné que celui-ci n'engageait pas le gouvernement. Il a indiqué que, dans un objectif d'efficacité économique, les auteurs du rapport proposaient de ramener le taux de l'impôt sur les sociétés à 18 %, taux vers lequel les grands Etats européens convergeaient, tandis que celui des petits Etats s'établissait aux alentours de 13 %. Ils préconisaient également de fixer le taux d'imposition marginal de l'impôt sur le revenu après prélèvements sociaux à 36 % contre 53,2 % en 2005, et de supprimer l'impôt sur la fortune (ISF), destiné à être « remplacé » par un « impôt sur les revenus de la fortune » qui aurait constitué la troisième tranche d'un barème rénové de l'impôt sur le revenu. Puis il a relevé que, dans un objectif d'équité, le rapport précité suggérait que les ménages gagnant moins de 7.500 euros par part (ou 10.000 euros selon le scénario) ne paient pas d'impôt sur le revenu, que la contribution sociale généralisée (CSG) soit totalement déductible et assortie d'un mécanisme de crédit d'impôt. Enfin, il a précisé que le rapport retenait deux scénarios : l'un dans lequel les classes moyennes finançaient l'allègement de la fiscalité des entreprises, sans que leur perte de revenus nette ne puisse excéder 5 %, l'autre n'opérant pas de compensation de la diminution des recettes fiscales, mais supposant une forte diminution des dépenses publiques.

En conclusion, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné l'intérêt de la démarche suggérée par les auteurs du rapport dans le cadre d'une forte concurrence fiscale, avec, notamment, la suppression des niches fiscales qui étaient devenues la contrepartie de taux nominaux élevés. Mais il a critiqué, en particulier, la réforme de la taxe professionnelle proposée par ailleurs, et, d'une façon générale, le rôle prédominant accordé à la concurrence fiscale, alors que les facteurs internes à notre économie suffisaient amplement à justifier la plupart des évolutions pressenties.

En tout état de cause, M. Philippe Marini, rapporteur général , a souligné la pertinence du concept de « TVA sociale », simplement évoqué de façon incidente par le rapport précité, car elle doit permettre de favoriser simultanément l'activité et l'emploi.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Nicole Bricq a relevé que les comparaisons internationales sur la structure des prélèvements obligatoires présentées par le rapporteur général ne faisaient pas apparaître la situation dans les pays d'Europe du Nord. Elle s'est déclarée en accord avec le rapporteur général pour considérer que la fiscalité représentait un débat politique majeur. Elle a noté que la part relative de l'impôt sur le revenu au sein des prélèvements obligatoires diminuait et a estimé que l'on s'orientait vers une « flat tax ». Elle s'est déclarée ouverte aux propositions d'adaptation de la TVA, mais a jugé que le basculement vers les cotisations sociales soulevait des difficultés. Elle a observé que les capitaux n'étaient pas tous surtaxés.

Elle a rappelé l'analyse développée devant la commission par M. Christian Saint-Etienne, suivant laquelle le « taux intrinsèque réel » d'imposition, défini comme le rapport entre les recettes fiscales et l'assiette fiscale globale, était en France de seulement 10,5 % hors TVA, soit environ un niveau deux fois plus faible que ce que les auteurs envisageaient avant d'approfondir ce point.

Mme Marie-France Beaufils a relevé que les comparaisons internationales présentées n'offraient pas une vision d'ensemble des systèmes de prélèvements obligatoires des pays de l'Union européenne. S'agissant de l'évolution des recettes sociales, elle a observé que celle-ci devait être appréciée à la lumière des pertes d'emploi. Elle a souligné que le caractère progressif de l'impôt sur le revenu constituait un élément de justice et a estimé, plus globalement, qu'il convenait d'analyser l'incidence des prélèvements obligatoires sur l'activité économique. Après avoir relevé que la mise en place d'une TVA sociale produirait des effets sur le revenu des ménages, elle a suggéré de taxer davantage les capitaux qui ne participent pas à l'activité économique.

M. Serge Dassault a souligné les difficultés budgétaires actuelles et s'est interrogé sur la pertinence des allègements de charges sociales. Il a ensuite suggéré à la commission de faire des propositions d'économies dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2006.

M. Jean Arthuis, président , a précisé que le débat sur les allègements des charges sociales interviendrait dans le cadre de la présentation de l'équilibre général du budget.

M. Joël Bourdin a mis en garde contre le modèle consistant à faire « table rase » du passé, estimant qu'il fallait faire preuve de réalisme dans la conduite des réformes.

M. Jean-Jacques Jégou a mis l'accent sur le contenu de la dépense publique, et a jugé que des réformes structurelles étaient nécessaires afin de dégager des marges de manoeuvre. A cet égard, il a relevé l'opportunité présentée par les départs massifs à la retraite de fonctionnaires. Il a ensuite indiqué que l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 aboutissait à sanctuariser la taxe sur les salaires, ce qui présentait un effet pervers.

Puis il a souligné la situation particulièrement difficile du Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (FFIPSA) et a estimé que ce problème devait être réglé rapidement. Il a également fait valoir que le déficit de l'UNEDIC devait être pris en compte dans les réflexions de la commission.

M. Aymeri de Montesquiou a estimé qu'il convenait d'apporter une attention particulière à l'impact économique des prélèvements obligatoires. Puis il a insisté sur la nécessité d'apprécier l'efficacité de la dépense publique.

M. Philippe Adnot a observé que les comparaisons de prélèvements obligatoires entre différents pays devaient faire l'objet d'analyses prudentes. Il a apporté son soutien à la proposition d'instaurer une « TVA sociale », puis s'est prononcé en faveur d'un impôt sur le revenu à taux unique. Il a estimé qu'un changement radical devait intervenir. Enfin, prenant l'exemple de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il a souligné que la maîtrise des prélèvements obligatoires passait notamment par une analyse approfondie du coût des différentes mesures contenues dans les projets de loi présentés au Parlement.

M. Adrien Gouteyron a relevé que « l'inventaire à la Prévert » des taxes affectées à la sécurité sociale pour assurer le financement des allègements de charges sociales constituait une mesure peu satisfaisante et s'est interrogé sur les actions envisagées par la commission afin d'y remédier.

M. Jean Arthuis, président , a indiqué que le débat sur les prélèvements obligatoires constituait un moment privilégié pour avoir une vue d'ensemble de notre système fiscal. Il s'est déclaré favorable à l'affectation d'une quote-part de TVA à la sécurité sociale, rappelant que le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) bénéficiait jusqu'en 2003 d'une part de cet impôt. Il a toutefois souligné l'importance de la communication dans la mise en place d'une mesure de ce type, afin de bien en expliciter les enjeux et la portée.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué que la solution consistant à affecter une part de TVA à la sécurité sociale méritait d'être creusée et qu'il conviendrait d'examiner la pertinence des allègements de charges, estimant qu'une économie d'environ 10 milliards d'euros pourrait être réalisée sur ce poste de dépenses.

Il a estimé que les changements apportés au système de prélèvements obligatoires devaient s'inscrire dans une démarche globale et lisible et a observé que la conduite du changement en matière fiscale suivait, parfois, des voies imprévisibles.

Après avoir rappelé le lien entre modèle fiscal et modèle social, il a jugé nécessaire d'analyser l'impact économique des finances publiques, en portant une attention particulière à la valeur ajoutée de la dépense publique par rapport à la dépense privée. Il a souligné que le gouvernement avait, depuis 2002, accru la part relative des investissements dans les dépenses publiques, ce dont il s'est tout particulièrement félicité.

Il a reconnu que la « sanctuarisation » de la taxe sur les salaires représentait un effet pervers induit par les mesures proposées par l'article 41 du projet de loi de finances pour 2006 et qu'il était donc nécessaire de passer en revue les autres solutions envisageables.

Enfin, il a estimé que, si l'approche des prélèvements obligatoires pouvait différer suivant la sensibilité politique, il était toutefois possible de se retrouver sur les questions de fond. Il a relevé que le débat sur les mérites d'une taxe proportionnelle sur les revenus par rapport à ceux d'une taxe progressive était mené dans la plupart des pays et a fait valoir que la CSG faisait partie des impôts pesant sur le revenu.

Puis la commission des finances a donné acte au rapporteur général de sa communication et en a, à l'unanimité, autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

LE SYSTÈME FISCAL ENTRE VOLONTÉ ET RÉALITÉS

En vue du prochain débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, qui se tient chaque année au Sénat avant la discussion des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, en application de l'article 52 de la LOLF, M. Philippe Marini (UMP, Oise) , rapporteur général, continue de mettre l'accent sur la compétitivité de notre système fiscal.

Afin de mettre en perspective les réformes annoncées pour les prochaines lois de finances, le rapport revient, à partir de réflexions des milieux académiques sur les objectifs préconisés de longue date par la commission des finances du Sénat : simplicité et transparence avec la suppression des niches fiscales ; adaptation à la concurrence fiscale par la réduction des prélèvements pesant sur les entreprises, les capitaux et les compétences.

Soulignant qu'une réforme fiscale globale suppose une légitimité politique intacte, le rapport traite en particulier de la réforme annoncée du financement des exonérations de cotisations sociales, qui non seulement permet de contourner la norme « zéro volume » applicable à la croissance des dépenses de l'Etat, mais brouille également les relations entre finances de l'Etat et de la Sécurité sociale.

La commission des finances du Sénat a estimé qu'il serait préférable de substituer à l'« inventaire à la Prévert » que constituent les neuf taxes et impôts devant être transférés à la Sécurité sociale pour financer ces exonérations, une quote-part de TVA. Une telle affectation serait cohérente avec le thème de la « TVA sociale », qui doit, selon elle, occuper une place centrale dans la nécessaire refondation du modèle fiscal français.

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