2. Des décisions très hétérogènes et des montants d'indemnisation souvent supérieurs à ceux accordés par le FIVA
La mission a perçu au cours de ses travaux l'importance que revêt, aux yeux des victimes, la condamnation de l'employeur responsable de leur contamination. Le fait d'intenter une action en justice, plutôt que de s'adresser au FIVA, comporte une dimension psychologique indéniable. Néanmoins, la recherche d'une indemnisation supérieure à celle du FIVA est aussi une motivation essentielle pour les victimes, souvent encouragées sur cette voie par leurs associations. On observe que la fréquence des recours contentieux est plus élevée lorsque les indemnisations versées par la cour d'appel sont plus généreuses.
a) L'hétérogénéité des décisions de justice
Le FIVA insiste, dans son dernier rapport annuel, sur le « caractère extrêmement hétérogène » de la jurisprudence : les tribunaux accordent des indemnisations de montants très différents pour des pathologies semblables.
Le président du conseil d'administration du FIVA, M. Roger Beauvois, a cité devant la mission l'exemple de décisions récentes du TASS de Marseille : « Le 1 er juillet dernier, le TASS de Marseille, que présidait un magistrat, a rendu onze décisions concernant l'indemnisation des victimes atteintes de plaques pleurales avec une incapacité de 5 %. Le montant de ces indemnisations variait de 3.500 euros, a minima, à 7.500 euros, a maxima. Quatre jours plus tard, la même juridiction présidée par un autre magistrat indemnisait les mêmes situations dans trois dossiers avec des montants variant de 30.000 au minimum à 45.000 euros au maximum ! ». S'étonnant de ces écarts, il a ajouté que « des pathologies bénignes sont mieux indemnisées devant certaines juridictions que des pathologies mortelles devant d'autres ». Me Jean-Paul Teissonière a confirmé l'hétérogénéité des décisions de justice, soulignant que les avocats étaient confrontés à « une mosaïque de décisions dont il est très difficile de tirer des leçons ».
Il est néanmoins possible d'esquisser une comparaison entre les indemnisations moyennes accordées par les tribunaux et celles versées par le FIVA.
b) Éléments de comparaison entre les indemnisations accordées en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et les indemnisations du FIVA
La comparaison des indemnités accordées par le FIVA et de celles versées par les tribunaux montre que les victimes ont, dans bien des cas, intérêt financièrement à engager une action en justice.
Comparaison pour les IPP de 5 % (plaques pleurales)
La comparaison pour les plaques pleurales est relativement aisée ; il n'y a pas, en effet, de préjudices annexes (frais de soins, tierce personne, préjudice professionnel) à prendre en compte et le montant versé par le tribunal au titre de la majoration d'incapacité est versé en capital, et non en rente. La majoration accordée par les juridictions correspond à un doublement de l'indemnité en capital, qui s'élève à 1.682,82 euros en 2005.
L'indemnisation du FIVA est globalement moins avantageuse que celle des tribunaux. Si l'indemnisation du FIVA au titre du préjudice patrimonial, qui dépend de l'âge de la victime, est d'un montant supérieur, le FIVA indemnise, en revanche, moins bien le préjudice extrapatrimonial que les juridictions.
Indemnisation moyenne jurisprudence et FIVA de 1999 à 2002
(en euros)
1999-2002
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FIVA
|
Ecart FIVA/Jurisprudence
|
|
Moyenne extrapatrimonial |
22.263 |
15.000 |
- 34 % |
Patrimonial |
1.482 |
4.100 |
277 % |
Total |
24.904 |
19.100 |
- 21 % |
Source : Cour des comptes
Comparaison pour les IPP de plus de 9 %
Cette comparaison est plus délicate, dans la mesure où l'indemnisation de l'incapacité au-delà de 9 % est servie en rente, de même que le montant accordé par le tribunal au titre de la majoration d'incapacité.
Il apparaît cependant que, pour les taux d'incapacité compris entre 10 et 50 %, la majoration de rente est plus avantageuse financièrement que l'indemnisation par le FIVA. A compter d'un taux d'IPP de 51 %, plus le taux est élevé, plus l'avantage relatif à la majoration pour faute inexcusable se réduit, en raison notamment de la progressivité du barème du FIVA ; il devient nul pour un taux d'IPP de 100 %. Cependant, la diversité des pratiques de « consolidation » entre les caisses conduit à certaines variations dans les montants d'indemnisation et certaines victimes ne font pas l'objet d'une consolidation avant le décès 63 ( * ) .
Comparaison de l'indemnisation des ayants droit
En cas de décès de la victime, le conjoint survivant et les enfants de moins de seize ans (moins de vingt ans s'ils sont apprentis ou étudiants) bénéficient d'une majoration de leur rente. Si l'on retient l'exemple du conjoint survivant, celui-ci bénéficie d'une rente égale à 40 % du salaire de la victime s'il est âgé de moins de cinquante-cinq ans et de 60 % au-delà. La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur conduit à porter la rente à 100 % du salaire de la victime. Il s'agit là d'une disposition plus favorable que la réparation intégrale qui n'indemnise que le seul préjudice économique du conjoint survivant, c'est-à-dire lui garantit que son revenu après décès soit au moins égal à son revenu avant décès, moins la part de consommation de la personne décédée.
On constate que, dans ces deux derniers cas de figure (incapacités de plus de 10 % et droits du conjoint survivant), le bénéfice retiré de la majoration de rente est supérieur à la réparation intégrale du FIVA. La victime a donc intérêt à ce que la faute inexcusable soit reconnue, quand bien même elle aurait perçu l'indemnisation du FIVA. C'est ce qui explique qu'un article de la loi créant le FIVA 64 ( * ) , introduit par voie d'amendement parlementaire, prévoit que dans ces situations la victime puisse bénéficier, suite au recours subrogatoire exercé par le FIVA, d'une « indemnisation complémentaire [...] susceptible d'être accordée dans le cadre d'une procédure pour faute inexcusable de l'employeur ». Autrement dit, si le recours subrogatoire intenté par le fonds aboutit à la reconnaissance de la faute inexcusable, la victime perçoit un complément indemnitaire.
Cependant, comme le FIVA n'exerce qu'un faible nombre de recours subrogatoires (environ 750 actions récursoires engagées depuis l'origine), les victimes peuvent être légitimement tentées d'engager elles-mêmes les recours en justice.
* 63 La « consolidation » est le moment où la rente peut être fixée, la gravité de la pathologie dont souffre la victime étant considérée comme définitive.
* 64 Article 53-IV-2 de la loi du 23 décembre 2000.