2. La situation au Proche-Orient
Inscrit à l'ordre du jour de la séance du mardi 21 juin après-midi, le débat sur la situation au Proche-Orient a été introduit par le rapporteur de la commission des questions politiques, M. Mikhail Margelov (Russie, GDE). Ce dernier, après s'être félicité des récents progrès enregistrés, a critiqué l'attitude de l'État d'Israël quant à la construction du mur de sécurité et a demandé à l'autorité palestinienne d'engager des réformes profondes pour promouvoir la prééminence du droit et les respect des droits de l'homme, insistant notamment sur l'abolition de la peine de mort. Il a enfin demandé aux deux parties d'intensifier leur coopération et de poursuivre le dialogue vers une solution pacifique et définitive.
Première intervenante de la délégation française, Mme Josette Durrieu a insisté notamment sur le rôle de la Syrie, sur l'implantation des mouvements islamistes et sur le danger que représente la prolifération nucléaire dans cette zone :
« Je remercie notre rapporteur, M. Margelov, pour le travail qu'il a accompli, un travail difficile. Ce matin, M. Terzic, Président du Conseil des Ministres de la Bosnie-Herzégovine parlait de « trou noir » à propos de la zone des Balkans, mais il nous a laissé entendre que perçait malgré tout un rayon de lumière. Il existe un autre « trou noir », dans la région dite du Proche-Orient, ou du Moyen-Orient, mais à regarder comment changent les situations, en dressant un rapide état des lieux, on pourrait dire que deux pays évoluent, en bien ou en mal, mais ils évoluent : il s'agit de l'Irak et du Liban, où ont lieu des élections, où les situations frémissent politiquement.
En revanche, il est un pays qui est en train de s'enfermer dans un isolement susceptible sans doute de nous inquiéter : c'est la Syrie, pays de « l'axe du mal », pays accusé de l'assassinat d'Hariri, pays qui a dû quitter le Liban, pays qui nourrit, finance les mouvements de résistance, Hezbollah, Hamas. La Syrie s'enferme dans un isolement dangereux. Il est aussi un pays qui menace, et qui est menacé, l'Iran, pays engagé dans un processus nucléaire. Néanmoins le noeud de tout, à l'évidence, c'est le conflit israélo-palestinien.
Si l'on essayait de voir quels aspects émergent politiquement ces derniers jours - dans cette zone, c'est jour après jour qu'il faut voir changer les choses - les dernières élections nous amèneraient à constater que l'on débouche partout sur des compromis politiques entre forces religieuses. Cela est vrai en Irak, où la majorité est inversée, chiite aujourd'hui. Cela est vrai aussi au Liban, doté d'une majorité sunnite avec M. Rafic Hariri. Suivons encore ce qui se passe en Iran : partout l'on constate des compromis politiques basés sur les forces religieuses. C'est la première constatation.
Deuxième constatation : la place de l'islamisme. Les mouvements islamistes, qu'il s'agisse du Hamas en Palestine ou du Hezbollah au Liban, entrent dans le processus démocratique et ils ont des élus. Or ce sont toujours des mouvements de résistance armés, même si on les invite au désarmement, comme c'est le cas pour le Hezbollah par une Résolution de l'ONU.
Troisième constatation : dans ces pays, nous notons la présence de forces étrangères. La Syrie vient de quitter le Liban ; les États-Unis sont toujours présents en Irak ; Israël est présent en Palestine et même au Golan.
Enfin, dernière constatation, la prolifération nucléaire dans cette zone : Israël avait la bombe, l'Iran peut l'avoir.
Deux poids, deux mesures : l'Iran est invité à arrêter, il résiste, il prétend qu'avoir la bombe, c'est assurer sa sécurité contre Israël, mais aussi assurer la stabilité de la région. Il prétend qu'il veut, qu'il peut suspendre ses recherches momentanément. A l'évidence, il ne s'agira pas d'un arrêt définitif.
Les Américains veulent la destruction du réacteur nucléaire tandis que les musulmans affirment une solidarité musulmane très forte. Nous sommes confrontés à un problème d'envergure qui intéresse toute la communauté internationale : l'existence ou la destruction de deux bombes. A nous de savoir si nous entrons dans le cercle vertueux ou dans le cercle vicieux.
Le conflit israélo-palestinien ? Le plan de Ariel Sharon est unilatéral et il se superpose à la feuille de route ! L'aboutissement n'est pas le même : ce plan ne constitue qu'une première phase - retrait des colonies de Gaza, libération des prisonniers - alors que la feuille de route correspond à la phase II et à la phase III. Le Premier ministre Sharon ne veut pas rentrer dans une phase de règlement définitif. Qu'en sera-t-il dans les jours à venir de la perspective d'un État palestinien souverain, continu, viable, avec Jérusalem-Est comme capitale ?
La communauté internationale doit prendre toute sa place. Une conférence internationale est à organiser rapidement. C'est plus qu'un défi : une demande, une mission ! Et c'est urgent. »
M. Rudy Salles a appelé à soutenir Israël et l'Autorité palestinienne dans leurs efforts de paix :
« Nous sommes amenés, une nouvelle fois, à débattre dans cette enceinte de la situation au Proche-Orient. Cette région, ô combien sensible, du monde, a besoin de toute notre attention afin que les efforts entrepris par l'ensemble des parties en présence, soient accompagnés. Rien ne doit être fait qui puisse attiser les braises et donc compliquer une situation difficile par essence.
Il faut bien reconnaître que les parties se sont fixées un défi majeur, celui d'instaurer la paix, ce que personne n'a encore réussi, même si souvent des avancées importantes ont été réalisées avant que des reculs aussi spectaculaires ne se produisent.
Je veux souligner la volonté affirmée par le Président de l'Autorité palestinienne de démanteler certains réseaux terroristes, même si les résultats ne sont pas à la hauteur des déclarations d'intention.
Je veux aussi relever l'effort réalisé par le Premier ministre israélien qui a entrepris la libération de plusieurs centaines de prisonniers.
Je veux enfin insister sur la baisse de tension dans la région avec la diminution du nombre des actes terroristes qui sont à mettre à l'actif des deux parties. En effet, l'Autorité palestinienne a agi dans ce sens. Israël, en mettant en place un certain nombre de mesures préventives, par ailleurs critiquées, comme la barrière de sécurité, mais qui produisent des effets positifs indéniables en ce domaine, a permis d'éviter que ces actes ne puissent se produire. Au total, le nombre des victimes du fait d'attentats terroristes est en forte baisse ; nous nous en félicitons.
Je veux encore mentionner un certain nombre de signes encourageants qui apparaissent dans la région : le Liban, après l'assassinat de Rafic Hariri, qui manifeste son besoin de souveraineté et de démocratie ; et les élections en Iran qui montrent que le système des mollahs s'essouffle et que les jeunes générations espèrent une évolution de leur société vers plus de liberté, même s'il ne faut pas s'attendre dans le scrutin en cours à des résultats probants. Il n'est pas fortuit que le nombre des paraboles devant les fenêtres de Téhéran ait crû de façon exponentielle pour capter les programmes venus de l'extérieur, notamment de l'Occident. Je crois qu'un mouvement est en marche ; la théocratie iranienne aura du mal à l'éliminer, car ce sont les jeunes, ultra majoritaires en Iran, qui aspirent à la libéralisation de leur pays.
Ces signes sont certes encourageants, mais ils ne doivent pas masquer les difficultés qui perdurent : la Syrie a-t-elle réellement évacué le Liban ? Les risques de prolifération nucléaire en Iran sont-ils écartés ? Nous savons bien que non et que tout reste à faire.
Quant au conflit israélo-palestinien, si la tension a effectivement baissé, chacun sait que les difficultés sont encore devant. L'année 2005 apparaît comme celle de toutes les espérances car les projets de paix sont devant nous, ils sont concrets, ils sont programmés. Mais, en même temps, l'année 2005 peut être celle de tous les dangers. Pour Abou Mazen, il faut faire face aux factions extrémistes qui sont prêtes au pire pour enflammer la région afin de prendre le leadership dans les territoires. Les élections législatives ont dû être repoussées afin qu'elles puissent se dérouler dans le climat le plus apaisé possible. Côté israélien, l'évacuation de Gaza n'est pas une mince affaire : il s'agit de milliers de familles, installées là depuis plusieurs dizaines d'années, qui exercent leurs activités, qui ont leur maison, qui y ont vu grandir leur famille et qui, pour la plupart, sont des militants engagés.
La partie est donc difficile pour les deux. C'est pourquoi, au nom du Groupe LDR, nous recommandons d'aider chacun dans ce challenge. Notre rôle doit être constructif auprès des deux parties. Nous devons faire preuve de la plus grande aptitude à comprendre les difficultés rencontrées des deux côtés. L'établissement d'une paix durable au Proche-Orient aurait des effets bénéfiques pour toute la région et un effet d'entraînement pour résoudre l'ensemble des problèmes en suspens dans les États voisins.
Le Conseil de l'Europe a un rôle à jouer dans cette partie difficile en s'appuyant sur les notions de justice et d'équité. Il doit également jouer de ses bonnes relations - qui doivent être confiantes - à parts égales entre Israël et l'Autorité palestinienne. C'est pourquoi le Groupe LDR appuiera toutes les initiatives allant dans cette direction. »
M. Jean-Pierre Kucheida a suggéré un certain nombre de principes à respecter pour arriver à une paix durable dans la région :
« Le Proche-Orient représente le grand échec des relations internationales depuis la seconde guerre mondiale, plus nettement encore depuis la fin de la guerre froide.
Or, qui aurait cru, l'année dernière à la même époque, qu'un jour on verrait poindre à l'horizon la colombe de la paix au Proche-Orient, cette région du globe ravagée par des années de guerres, d'attentats, d'atteintes aux droits de l'homme ...
Cet espoir existe notamment à travers l'élection de Mahmoud Abbas et les premiers pas dans le bons sens effectués par l'Autorité Palestinienne et Israël, mais aussi à travers le retrait des troupes syriennes du Liban qui pourra contribuer, avec la nouvelle Assemblée élue dimanche, à la négociation d'un accord de paix israélo-libanais.
Pour le concrétiser, je pense, qu'en parallèle à toutes les mesures que M. Margelov propose dans son excellent rapport, il convient d'ajouter certains autres éléments à prendre en compte et à appliquer afin d'accéder à une paix totale et durable respectueuse de chacun. Ces éléments que j'ai en grande partie déjà évoqués lors de la première session 2005 de notre Assemblée en janvier dernier, sont les suivants :
- l'égalité et le respect des droits de tous ainsi que l'implication des principes du droit international afin de construire une démocratie garante de sécurité ;
- le règlement du conflit israélo-palestinien, à travers notamment l'application de la feuille de route et la reconnaissance mutuelle des deux État ;
- la co-souveraineté sur Jérusalem ;
- le retrait immédiat des colonies et la destruction du mur de séparation ;
- le respect du droit au retour des réfugiés palestiniens ;
- un partage équitable des ressources en eau ;
- un contrôle strict et international des activités nucléaires iraniennes ;
- le rétablissement de la souveraineté en Irak, d'une véritable souveraineté ;
- la mise en place d'une économie arabe moins dépendante des économies occidentales ;
- et l'application du droit des peuples à disposer des ressources naturelles de leur pays.
Ainsi, Monsieur le président, je pense que si le Conseil de l'Europe et toutes les personnes de bonne volonté agissent dans la même direction, avec ténacité, nous pourrons affirmer, dans un futur proche : « le Proche-Orient : une zone de conflit ? NON une zone de paix !!! »
L'Assemblée a conclu ses travaux sur ce point en adoptant :
- la recommandation n° 1707 qui rappelle sa proposition de créer un fonds pour le statut définitif des réfugiés et des personnes déplacées de Palestine sous l'égide des Nations Unies ;
- la résolution n° 1452 qui regrette l'extension des colonies de peuplement illégales à Jérusalem et en Cisjordanie et la décision de l'Autorité palestinienne de mettre un terme au moratoire sur la peine de mort et demande notamment à l'État d'Israël de revoir sa position quant à la construction du mur et à l'Autorité palestinienne de démanteler les groupes terroristes. Ce texte déclare également envisager d'accorder le statut d'observateur au Conseil législatif palestinien à l'issue des prochaines élections parlementaires s'il s'avère qu'elles ont été libres et équitables et si la peine de mort a été abolie.