2. Le coût de la politique agricole commune
Ce débat a été suivi avec beaucoup d'intérêt par les membres de la délégation française.
Le rapporteur, M. Paul Flynn (Royaume-Uni/SOC), au nom de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales, s'est livré à un réquisitoire contre la politique agricole commune, qu'il juge coûteuse et injuste vis-à-vis des pays en voie de développement. Il appelle à une réforme de cette politique trop axée, selon lui, sur la distribution de subventions.
Le premier orateur français, M. Gilbert Meyer , a tout d'abord rappelé que cette politique avait atteint ses objectifs et fait ainsi la preuve de son efficacité. Il constate que cette politique a beaucoup évolué depuis sa création et a su s'adapter face aux critiques, c'est pourquoi il déplore le ton alarmiste du rapport.
« Je suis heureux de constater que M. Flynn reconnaît d'emblée dans son rapport, que la politique agricole commune instaurée il y a cinquante ans a atteint ses objectifs : augmentation de la productivité agricole, stabilisation des marchés, approvisionnements garantis, stabilisation du revenu des agriculteurs. Une politique qui atteint ses objectifs, cela s'appelle, je crois, une politique efficace.
Alors, bien sûr, tout au long de son histoire, la PAC a dû évoluer pour faire face à de nouveaux défis et notamment la maîtrise des déséquilibres quantitatifs. Elle s'est fixée de nouveaux objectifs : sûreté alimentaire, préservation de l'environnement rural, utilisation rationnelle des deniers publics.
Cette approche nouvelle met davantage en lumière le rôle que les agriculteurs peuvent jouer dans l'amélioration de la qualité, la préservation de la diversité biologique et des paysages traditionnels, avec le maintien de la vitalité des économies rurales.
Dans l'Agenda 2000 de l'Union européenne, le développement rural est officiellement devenu le second pilier de la politique agricole de l'Union parallèlement à l'agriculture. Les réformes mettant en oeuvre les principes de l'Agenda 2000 sont maintenant en cours d'application. Elles introduisent des changements fondamentaux par rapport à la création de la PAC en 1958.
Les subventions à la production disparaissent pour être remplacées par des paiements directs en faveur des agriculteurs. Paiements subordonnés au respect de normes en matière d'environnement, de santé et de bien-être des animaux, de protection phytosanitaire, ainsi qu'au maintien des terres agricoles dans un état satisfaisant. État satisfaisant tant du point de vue agricole que pour celui de la préservation du milieu rural.
L'éventail des activités financées par le budget agricole s'est élargi, comprenant désormais le développement rural et l'environnement.
Les aides en faveur des agriculteurs communautaires représentent moins de 1 % de la dépense publique globale de l'Union.
La réforme des modalités de financement de l'agriculture communautaire vise également à répondre aux accusations selon lesquelles la PAC serait à l'origine de distorsions dans les échanges mondiaux. Les réformes les plus récentes ont réduit de 70 % les types d'aides agricoles génératrices de distorsions commerciales. Elles ont préparé l'Union européenne au cycle de Doha. Les efforts consentis, notamment en termes de réduction des prix de soutien, constituent une contribution essentielle de la Communauté européenne à la stabilisation des marchés agricoles mondiaux.
Rappelons que d'ores et déjà, l'Union européenne est le premier importateur mondial de denrées alimentaires et le plus gros marché pour les denrées alimentaires du tiers monde.
En octobre 2002, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne ont conclu, à l'unanimité, un accord politique à Bruxelles qui sanctuarise jusqu'en 2013 le montant de la majeure partie des dépenses de la PAC.
Dans ce contexte, le ton alarmiste de M. Flynn dans son rapport sur le coût de la PAC surprend. Que la PAC doive évoluer pour s'adapter à de nouveaux contextes, personne ne cherche à le nier.
Cependant, comme le rappelait récemment le ministre français de l'Agriculture, M. Bussereau, et ce sera ma conclusion : «On commence à peine à appliquer la nouvelle politique agricole, on applique les nouvelles règles environnementales, les nouvelles règles de paiement ... donc le débat pour «rechanger» quelque chose qui vient de changer, est absurde». »
M. Bernard Schreiner , Président de la délégation, est intervenu ensuite dans le débat pour critiquer ce rapport qu'il a qualifié de partial et partiel. Il s'est étonné, tout d'abord, qu'un tel sujet relevant plutôt des compétences de l'Union européenne, soit abordé au sein du Conseil de l'Europe. Ensuite, il a tenu à apporter des précisions sur les observations et chiffres évoqués dans ce rapport.
« Tout d'abord je veux rassurer le rapporteur en lui affirmant très clairement que je n'ai aucun intérêt financier personnel dans l'agriculture.
Nous voilà réunis pour discuter d'un sujet important, la politique agricole commune, sur la base d'un rapport hostile à ce mécanisme. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de la PAC mais encore faut il aborder ce sujet dans sa globalité et s'il s'agit, comme c'est le cas, de réclamer une réforme profonde qu'il me soit permis de rappeler à notre rapporteur, qui appartient comme moi à un pays membre de l'Union européenne, que ce n'est pas le meilleur lieu pour le faire. S'agissant d'une politique communautaire, ce débat doit avoir lieu au sein des institutions de l'Union. Je ne pense pas qu'à un moment où, à la suite notamment du Troisième Sommet, on s'efforce de clarifier les relations entre Union européenne et Conseil de l'Europe, la meilleure chose qu'ait à faire notre assemblée soit d'adresser de véritables injonctions à l'Union européenne.
La politique agricole commune est la plus ancienne politique communautaire. En dépit des crises et des critiques, elle a permis à l'agriculture européenne de se maintenir, y compris dans les régions difficiles, de se développer, de produire durablement et de mettre à disposition de tous des produits de qualité. Elle est également un instrument important du développement rural.
Notre rapporteur nous dit que la PAC coûte trop cher. Il écrit : « La PAC consomme près de 50 % du budget communautaire. La PAC ponctionne aujourd'hui des ressources qui pourraient être réorientées ailleurs ». Ces chiffres sont inexacts, ils vont même au delà de ceux avancés par le Premier ministre britannique qui s'en était tenu à 40 %. En fait la PAC, pour la période 2007-2013 ne représentent pas 50 % du budget ni 40 % mais 30 % environ.
S'agissant maintenant des réformes de la PAC, notre rapporteur leur consacre un jugement lapidaire : «la PAC a été réformée en lui donnant une orientation environnementale, un « vernis écologique », au lieu de s'attaquer aux véritables coûts de cette politique.» Là encore, je tiens à rappeler certaines vérités. Avec les trois dernières réformes, la PAC s'est transformée : les prix garantis et l'intervention publique sur les marchés ne représentent plus qu'une faible part des actions et des financements (20 % environ) et il en va de même des subventions à l'exportation.
Permettez-moi maintenant de m'attarder sur une autre affirmation de notre rapporteur selon laquelle : «dans l'UE, pour chaque bovin, en moyenne, les gouvernements de l'UE versent désormais 2,20 USD par jour, soit plus que le revenu journalier dont dispose la moitié de la population mondiale». Cela est erroné. Les deux dollars ne sont évidemment pas destinés aux vaches mais aux éleveurs qui s'en occupent et à leurs familles. Or, les agriculteurs sont des Européens comme les autres, qui ont droit au même niveau de vie, à la sécurité sociale, à l'école pour leurs enfants... C'est pourquoi, je considère que la comparaison faite avec les paysans les plus pauvres d'autres continents est totalement démagogique. Faudrait-il donc ramener le niveau de vie des agriculteurs européens à celui des agriculteurs du Bangladesh ?
Dernier élément que je voudrais aborder : les conséquences de la PAC sur l'agriculture des pays en développement. Qu'il y ait là un problème ne peut être nié mais cette question ne pourra être valablement traitée que dans le cadre global de l'OMC. Pourquoi l'Europe baisserait-elle unilatéralement sa garde alors que d'autres, les Américains pour ne pas les nommer, continueraient à soutenir massivement leur agriculture ? Comme l'a déclaré récemment le Premier ministre français : l' «Europe ne renoncera à ses aides à l'exportation que si les autres pays font de même et nous en apportent la preuve.» Il est d'ailleurs faux d'affirmer que la politique agricole commune ne participe pas à l'aide au développement. Faut-il rappeler qu'en dix ans, nous avons divisé par trois le montant de nos restitutions à l'exportation et que nous sommes de loin le premier importateur mondial de produits agricoles en provenance des pays les moins avancés ?
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce rapport partiel et partial me paraît critiquable. Il participe à ce vaste mouvement de remise en cause de la PAC que déplorait Jacques Chirac en 2001 lorsqu'il regrettait que «La politique agricole soit si souvent malmenée, au risque de lâcher la proie pour l'ombre, dans des débats internes mal posés ou dans des négociations internationales mal maîtrisées.» Je me méfie des grands principes qui sont impossibles à assumer politiquement. A ceux qui veulent une libéralisation totale de l'agriculture, je rappellerai que l'application pure et simple des règles commerciales de l'OMC à l'agriculture impliquerait la disparition de 80 % environ des exploitations agricoles de l'Union européenne. Est-ce vers cela que l'on veut aller ? Ce n'est en tout cas pas mon cas et c'est pourquoi je m'opposerai au texte qui va être soumis à notre vote. »
M. Francis Grignon s'est, lui aussi, élevé contre le contenu de ce rapport. Il a fait remarquer que l'agriculture américaine était plus largement subventionnée que l'agriculture européenne. Il a surtout fait part du vote en France d'un projet de loi d'orientation de l'agriculture, qui, notamment, vise à favoriser l'évolution des exploitations d'un modèle familial vers un modèle d'entreprise.
« Notre rapporteur se livre à une charge contre la politique agricole commune de l'Union européenne, en toute bonne foi je n'en doute pas. Mais je crains qu'il se trompe largement de cible.
D'une part, il s'en prend à la politique agricole commune telle qu'elle était conduite dans les années soixante et d'autre part sa charge se concentre sur les agriculteurs européens sommés de faire tous les efforts, mais épargne les autres pays qui subventionnent leur agriculture, notamment les États-Unis.
Vous me permettez d'emprunter à un britannique illustre, M. Peter Mandelson, commissaire européen au commerce, une citation de son entretien avec le journal français «Le Figaro» du 26 septembre dernier :
«L'Europe est le marché le plus ouvert du monde, plus ouvert même que les États-Unis. Les critiques à l'encontre de notre secteur agricole font un portrait erroné de l'économie européenne et ne tiennent pas compte des réformes considérables déjà réalisées (...) Nos aides aux agriculteurs diminuent et nos réformes avancent alors qu'aux États-Unis avec la dernière Farm Bill, les aides augmentent. L'année dernière à Genève, nous avons décidé de réduire les soutiens internes qui perturbent le commerce et de supprimer les soutiens à l'exportation à la condition que les autres pays fassent de même. Dans le cycle commercial de Doha, l'Europe va négocier après avoir réformé. Les États-Unis vont devoir négocier sans avoir réformé».
En France même, l'Assemblée nationale débat ces jours-ci d'un projet de réforme qui vise à renforcer la prise en compte des contraintes économiques en favorisant l'évolution des exploitations vers une « démarche d'entreprise », tout en aidant les producteurs à répondre aux nouvelles attentes de la société en termes de qualité, de sécurité sanitaire, de protection de l'environnement et de bien être des animaux.
Notre rapporteur ne peut donc qu'être satisfait de cette réforme dont je me ferai un plaisir de lui transmettre le texte final.
Pendant que l'agriculture européenne se réforme, j'ajoute qu'on évalue à dix sept milliards de dollars les aides directes et indirectes que les agriculteurs américains reçoivent de leur gouvernement, y compris sous forme de soutien à l'exportation.
L'Europe a renoncé à toute aide à la culture du coton ; l'administration américaine quant à elle refuse de supprimer les subventions internes comme externes à ce produit, alors même qu'elles pénalisent des pays africains producteurs de coton qui sont parmi les plus pauvres du monde, comme le Mali.
Je voudrai aussi m'interroger sur une approche purement comptable du coût de la PAC, dans lequel sont pourtant incluses les dépenses visant à garantir la qualité des produits et la sécurité pour les consommateurs.
Je n'aurai pas la cruauté de rappeler la pénible affaire de la vache folle ... Ne représente-t-elle pas un coût immense pour les éleveurs et d'abord les éleveurs britanniques ? Sans parler des immenses souffrances des dizaines de malades conduits à une mort atroce ...
L'ouverture de nos marchés ne doit pas se faire au prix d'un abaissement des garanties offertes aux consommateurs. Nous devons au contraire obtenir de nos partenaires, et d'abord des pays développés, la reconnaissance des normes les plus élevées. Je pense en particulier à la prohibition de l'administration d'hormones dans l'élevage dont les traces se retrouvent dans la viande et dans le lait. Depuis de trop nombreuses années, les États-Unis nous imposent des mesures de rétorsion alors même que les cancers hormono-dépendants sont en augmentation considérable dans ce pays.
Quant aux agricultures qui nous sont données en exemple, je reste perplexe.
La Nouvelle-Zélande ? N'est-ce pas l'un des avocats de la primauté du droit des marques sur les appellations d'origine géographique ?
Si un commerçant, dans l'un des pays qui privilégient le droit des marques, a déposé une appellation comme marque, par exemple le fameux fromage Double Gloucester ou le vin de Champagne, un producteur de l'une de ces région en Europe est passible d'une procédure en contrefaçon s'il prétend importer, en Nouvelle-Zélande, par exemple, l'un des fleurons de nos terroirs.
Notre rapporteur se dit soucieux de préserver les traditions de nos terroirs. Peut-il se satisfaire d'un accord sur le vin, qui comporte de la part des États-Unis le seul engagement de déposer un projet de loi protégeant dix-sept appellations pour les vingt-cinq États européens, sans garantie d'adoption par le Congrès, en échange d'une acceptation de «pratiques oenologiques» : sucrage, arrosage, ajout d'arômes artificiels, etc, qui conduiraient n'importe quel vigneron européen en prison.
Mon interrogation fait sourire quand on nous cite en exemple l'agriculture suisse, dont les délices comme le Fendant ou l'Appenzeller disparaîtraient en même temps que les soutiens aux agriculteurs qui les produisent.
Je m'abstiendrai d'apprécier l'opportunité de publier les noms des bénéficiaires de subventions : je crois comprendre qu'il s'agit de dénoncer quelques grands propriétaires terriens du Royaume-Uni. En Alsace et dans la Suisse et la Souabe voisine, il s'agit d'exploitations familiales. Enfin, les réformes du régime communautaire du sucre et du tabac sont largement engagées dans le sens souhaité par notre rapporteur. Là encore, l'Europe montre la voie.
Quand notre rapporteur rapproche les dépenses communautaires pour la PAC de celles pour la recherche, sait il que la PAC est presque exclusivement communautarisée tandis que les budgets de recherche sont encore nationaux ? Cette comparaison est donc complètement faussée et je n'ose croire qu'elle l'est délibérément pour tromper l'opinion.
La plupart de nos concitoyens, notamment des États d'Europe centrale qui ont retrouvé toute leur place à nos côtés, sont attachés à des productions savoureuses, caractéristiques de leur terroir, mais aussi respectueuses de l'environnement et surtout de la santé, y compris à long terme, des consommateurs.
Les réformes déjà adoptées et celles qui sont en cours apportent en fait toutes les garanties que demande notre rapporteur. Je forme le souhait qu'il s'informe de l'état actuel de l'agriculture européenne et qu'il montre la même exigence à l'égard de nos grands partenaires commerciaux qui tardent, eux, à prendre des mesures phytosanitaires, de protection de l'environnement et de la santé animale et, enfin, de concurrence loyale avec les pays en développement que nous nous sommes déjà imposées. »
Après que la demande de renvoi en commission, demandée par le Président de la délégation française, M. Bernard Schreiner , arguant du caractère démagogique et polémique du rapport, a été repoussée, l'Assemblée a adopté la résolution n° 1470 qui appelle à une réforme de la politique agricole commune en prenant en compte la promotion du développement rural et la protection de l'environnement ainsi qu'en assurant une transparence des bénéficiaires de subventions.