2. Quelles mesures de compensation ?
Il est difficile, d'un point de vue juridique, d'intégrer d'éventuelles compensations aux perdants dans le cadre de l'OMC. Cependant, des mesures peuvent être prises, soit dans le cadre de l'aide au développement (bilatérale ou passant par les organisations internationales), soit dans le cadre du Fonds monétaire international (FMI).
Celui-ci vient d'indiquer qu'il disposait d'instruments comme le « mécanisme d'intégration aux échanges » pour aider des pays qui connaissent des problèmes de balance des paiements du fait de la libéralisation multilatérale et qui, ainsi, pourraient répondre à la question de l'érosion des préférences.
Vos rapporteurs ont cru déceler que, de manière assez compréhensible, l'intervention du FMI en réponse à ces difficultés spécifiques, n'était pas, pour nombre de pays pauvres concernés, la réponse la plus séduisante...
Ils ont pu noter en revanche la très forte attente, en particulier des pays africains, d'un traitement spécifique par l'Union européenne du problème de l'érosion des préférences. La compensation allouée par la Commission européenne (60 millions d'euros) aux pays ACP touchés par la baisse du prix d'intervention du sucre, répond, partiellement à cette attente.
Mais vos rapporteurs considèrent que l'Union européenne doit - et aurait déjà dû - apporter une réponse beaucoup plus ambitieuse. Cela aurait permis de prolonger la négociation sur une dynamique beaucoup plus positive ; cela aurait également permis de modifier sensiblement les rapports de force...
Peut-être l'Union européenne aurait-elle ainsi évité d'être, paradoxalement, l'objet des récriminations de pays, ou groupes de pays aux intérêts contradictoires. Il faut en effet bien percevoir que l'Union est à la fois critiquée par les pays en développement (non PMA ou non ACP) qui dénoncent une ouverture insuffisante de son marché et par les pays ACP qui bénéficient d'un accès préférentiel et ne souhaitent pas, à ce titre, une libéralisation du marché européen sur certains produits essentiels pour les économies locales (banane par exemple, cf. encadré ci-après).
L'EUROPE AU CENTRE D'INTÉRÊTS
CONTRADICTOIRES :
L'Union européenne avait mis en place un système complexe de quotas et de contingentements à l'entrée de bananes sur le marché européen, qui protégeait à la fois la production des Départements d'Outre-Mer et les exportations des pays ACP. Ce système a été déclaré non conforme aux règles de l'OMC. L'Union européenne a proposé de fixer un tarif de 230 euros par tonne à l'entrée sur le marché (tarif dont sont exonérés les pays ACP dans le cadre des accords existants). Sous la pression des pays d'Amérique Centrale, ce tarif a été baissé à 176 euros par tonne. Il est jugé encore trop élevé par ces pays, mais trop faible par les pays africains qui estiment qu'à ce tarif, ils ne sont plus compétitifs. La Commission européenne est ainsi la cible de récriminations des pays en développement, pourtant fondées sur des intérêts contradictoires... |
Vos rapporteurs s'autoriseront ici une parenthèse. L'atmosphère dans laquelle se déroule la négociation met en évidence une faiblesse de la diplomatie économique de l'Union européenne : celle-ci a conduit sa réforme de la Politique agricole commune (PAC), et en particulier le découplage des aides sans avoir su mettre clairement en évidence que son impact distorsif sur les prix était beaucoup moins fort que le système précédent. En outre, cette réforme est désormais considérée comme acquise, ce qui conduit à demander de nouvelles concessions à l'Union européenne.
On peut observer en parallèle que les États-Unis ont annoncé une réforme sur le coton avant CANCUN, qui n'a pas été suivie d'engagements concrets, de sorte que les pays en développement concernés négocient aujourd'hui avec les États-Unis les modalités d'une réforme annoncée il y a un an et demi...
L'hétérogénéité des intérêts des pays en développement suggère des pistes à étudier. Les travaux du CEPII ont montré que le bénéfice tiré par les pays intermédiaires de l'ouverture agricole des marchés des pays du Nord contrastait avec la concurrence accrue que cela suppose pour nombre de pays plus pauvres, du fait de l'érosion de leurs préférences.
Une solution proposée par certains économistes 33 ( * ) consisterait à demander aux pays intermédiaires d'offrir aux plus pauvres un accès préférentiel .
Cette solution présenterait plusieurs avantages :
- l'extension des débouchés pour les plus pauvres pourrait compenser les difficultés qu'ils rencontrent sur leurs marchés traditionnels (du Nord) ;
- cela garantirait aux pays riches que leurs concessions ne seraient pas effectuées au bénéfice exclusif des pays intermédiaires, aux dépens des plus pauvres ;
- les pays pauvres pourraient réorienter leurs exportations vers des marchés - émergents - en forte croissance et où les normes de qualité sont généralement plus facilement accessibles que dans les pays du Nord.
Cette idée peut apparaître prématurée compte tenu des positions très offensives des pays émergents sur l'agriculture.
L'introduction d'un nouveau système de préférences sera également contestée par les économistes qui y voient, en général, une cause de détournements des échanges ou du maintien de spécialisations artificielles.
Elle est cependant, selon vos rapporteurs, la plus séduisante du point de vue de l'analyse économique pour répondre à la question de l'érosion des préférences.
* 33 Voir Revue française d'économie, n° 1/Vol XX : « La libéralisation des marchés agricoles, une chance pour les pays en développement ? », par J-C. Bureau, Estelle Gozlan et Sébastien Jean.