N° 249
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 mars 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les « class actions » ,
Par M. Jean-Jacques HYEST,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.
Actionnariat. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Lors de ses voeux aux forces vives de la Nation, le 4 janvier 2005, le Président de la République a demandé au Gouvernement « de proposer une modification de la législation pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives rencontrées sur certains marchés ».
Envisager une procédure nouvelle destinée à renforcer les droits des consommateurs, qui n'ont souvent qu'un intérêt financier très limité à agir individuellement en justice concernant des litiges portant sur des dommages d'un faible montant, a rapidement suscité de vives réactions tant de la part des consommateurs et des entreprises que des professionnels du droit.
Les prises de position des associations de consommateurs se sont multipliées, tout comme celles des représentants des entreprises. Plusieurs colloques ont été organisés sur cette question au cours de l'année 2005 pour débattre de l'opportunité de l'introduction en droit français d'un mécanisme d'action collective au profit des consommateurs.
Cette abondance de réactions révèle qu'au delà d'un simple mécanisme juridique permettant de faciliter la saisine des tribunaux, l'action collective constitue un véritable choix de société.
Il s'agit, en effet, de permettre à des plaignants de se regrouper pour faire valoir collectivement des droits à dommages et intérêts à l'encontre d'une seule et même personne réputée être l'auteur d'un ou plusieurs préjudices subis par chacun d'entre eux. Certains n'hésitent pas à évoquer le danger de voir ainsi se substituer une véritable régulation privée de la société à la régulation publique actuelle. A l'inverse, d'autres y voient la possibilité de rééquilibrer les rapports entre les professionnels et les consommateurs au profit de ces derniers.
Ce type d'action est également de nature à bouleverser notre tradition processuelle dans la mesure où il permettrait le règlement de plusieurs litiges individuels dans le cadre d'une même instance. Cet effet serait accentué si la possibilité était donnée d'autoriser l'introduction d'actions en justice au profit de demandeurs dont le nombre et l'identité ne seraient pas connus à ce stade de la procédure. Il le serait également s'il était permis d'introduire une action pour le compte d'une victime sans que celle-ci ait, au préalable, fait expressément connaître sa volonté de participer à une action en responsabilité civile à l'encontre de l'auteur du dommage qu'elle a subi. Il s'agit, pour reprendre le vocable anglo-saxon, de la controverse sur le choix d'un système d' opt out ou, au contraire, d' opt in .
*
A proprement parler, le droit français ne connaît pas d'action de groupe. Certes, diverses dispositions législatives autorisent d'ores et déjà des actions ayant un objet proche.
Les associations de consommateurs agréées peuvent ainsi exercer des actions dans l'intérêt collectif des consommateurs dans le cadre de l'action civile ou pour faire cesser des agissements illicites. Elles peuvent également intervenir dans le cadre d'actions en réparation aux fins d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi par l'intérêt collectif des consommateurs 1 ( * ) . Ces actions ont néanmoins des effets limités pour les consommateurs individuels puisqu'elles ne permettent d'assurer que la réparation du préjudice subi collectivement par les consommateurs et non celle du préjudice subi par chacun d'eux.
Depuis la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs, une action en représentation conjointe, proche d'un véritable système d'action de groupe, permet à des associations de consommateurs agréées et représentatives au plan national d'agir en réparation pour le compte de consommateurs identifiés, à condition d'avoir obtenu mandat de ces derniers 2 ( * ) .
Hors du droit de la consommation, d'autres dispositions particulières assurent par ailleurs l'exercice d'actions en réparation pour le compte d'une pluralité de victimes. Tel est le cas, en particulier, des actions exercées par les associations agréées de protection de l'environnement 3 ( * ) , par les associations de santé agréées 4 ( * ) ou par les associations de défense des investisseurs 5 ( * ) .
Faut-il aller plus loin que ne le prévoit le droit actuel et créer une véritable action collective ?
Cette question se pose d'abord concernant l'utilité d'un tel mécanisme en droit français : une action de groupe, quelle que puisse être sa forme, offrirait-elle une meilleure protection des victimes que ne l'assure actuellement le droit français ? Par ailleurs, d'un point de vue juridique, nos principes constitutionnels autorisent-il l'introduction d'un tel mécanisme ? Enfin, est-il possible d'introduire une procédure d'action de groupe sans mettre à mal la cohérence de notre système de procédure civile ?
Ces questions ont reçu des réponses positives dans de nombreux Etats, notamment sur le continent américain. Les Etats-Unis ont introduit les « class actions » en 1966 dans leur législation fédérale ; le Canada, tant au niveau fédéral qu'au niveau des Etats fédérés, à commencer par le Québec, connaît ce type d'action. L'action de groupe semble également connaître un certain engouement en Europe depuis le début des années 1990. La Suède, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni se sont dotés de ce type de procédure, avec des particularismes marqués selon les systèmes juridiques concernés. Un débat est en cours en Italie où un projet de loi sur cette question a été présenté au Parlement, tandis que l'Allemagne envisage également d'introduire une telle action.
Ces procédures introduites dans les droits étrangers n'en font pas moins l'objet de fortes critiques, notamment dans leur forme nord-américaine la plus connue : la « class action ».
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Votre commission des Lois a souhaité saisir l'occasion de la remise, le 16 décembre 2005, du rapport du groupe de travail institué par le garde des Sceaux, le ministre de l'Economie et des Finances ainsi que le ministre des Petites et moyennes entreprises 6 ( * ) , pour procéder à des auditions afin d'informer sur les enjeux juridiques et pratiques de l'introduction d'un tel mécanisme, tant au regard des intérêts des consommateurs que de ceux des entreprises.
Le présent rapport d'information présente donc, dans leur intégralité, les interventions des personnalités entendues par votre commission des Lois, le 1er février 2006, lors d'auditions publiques partiellement retransmises sur la chaîne parlementaire Public Sénat .
Ces auditions ont permis d'entendre les principales parties intéressées, à savoir les représentants des consommateurs, les représentants des entreprises ainsi que les représentants des professions judiciaires. Les travaux menés par le groupe de travail sur l'action de groupe ont donné une base commune à une réflexion d'autant plus large qu'aucune proposition unanime n'a pu être dégagée par ses membres.
Outre une modification éventuelle des dispositifs permettant l'action dans l'intérêt collectif des consommateurs ainsi que l'action en représentation conjointe, le rapport présenté par ce groupe de travail envisage deux types d'actions nouvelles, sans prendre réellement position, relevant à chaque fois les difficultés suscitées par chacun de ces dispositifs.
Comme l'ont rappelé à votre commission les co-présidents du groupe de travail, ce rapport propose, selon une première option, la mise en place d'une action collective inspirée de la « class action » américaine et du recours collectif québécois. Ce système se subdiviserait en deux phases : la première porterait sur l'examen de la recevabilité de l'action (qualité du requérant, identité, connexité ou similarité des préjudices, existence d'un moyen sérieux), la seconde sur le bien fondé de la demande d'indemnisation.
Le rapport du groupe de travail préconise, comme seconde option, l'introduction d'une action en « déclaration de responsabilité pour préjudice de masse ». Cette action se déroulerait en deux phases au cours d'une même instance. En premier lieu, une décision déterminerait la responsabilité du professionnel dans un dommage touchant plusieurs consommateurs, suivie d'un sursis à statuer permettant aux victimes d'intervenir à l'instance. Il s'agirait d'un jugement déclaratoire. En second lieu, une décision interviendrait pour statuer sur la réparation du préjudice subi par chacun des intervenants à l'instance.
Les personnalités entendues par votre commission des Lois ont fait apparaître des positions souvent tranchées. Celles-ci s'ordonnent, pour l'essentiel, autour d'une ligne de partage entre les représentants des consommateurs, attachés, pour la plupart, à l'introduction d'une forme d'action nouvelle permettant d'assurer une indemnisation effective des consommateurs, et les représentants des entreprises, réfractaires à une telle évolution des procédures, quelle que soit la forme de l'action envisagée, compte tenu de ses effets sur la compétitivité des entreprises. Pour leur part, les représentants de la profession d'avocat ont fait connaître leur accord de principe à une véritable action de groupe, tandis que le magistrat entendu par votre commission soulignait les incidences d'une telle action sur le fonctionnement quotidien des juridictions.
Toutefois, parmi les partisans d'une action de groupe spécifique, de nombreux sujets de débats demeurent. Ainsi en est-il, notamment, du champ d'application de cette procédure. Certains intervenants ont souhaité que l'action puisse être exercée quelle que soit la nature du litige concerné ; d'autres ont, au contraire, estimé qu'il convenait de la limiter aux litiges de consommation, voire à certains d'entre eux seulement. Certaines associations de consommateurs entendues ont également évoqué l'idée d'une mise en oeuvre expérimentale et a minima de la procédure nouvelle, dans l'attente d'un bilan qui interviendrait dans un délai de trois à quatre ans.
La question de la qualité pour agir fait également débat. La plupart des représentants des consommateurs entendus ont marqué leur préférence pour que l'action de groupe ne puisse être intentée que par des associations de consommateurs agréées, certains évoquant même la possibilité que le Conseil national de la consommation détermine, parmi ces associations, celle qui aura effectivement la responsabilité de la conduire. D'autres représentants des consommateurs, rejoints par les représentants de la profession d'avocat, ont au contraire estimé que cette procédure devait être ouverte à toute personne physique ou morale, le droit d'introduire une instance ne pouvant, selon eux, être restreint à certaines catégories de personnes.
Les modalités de constitution de la « classe » de victimes au profit de laquelle serait engagée l'action de groupe restent également discutées à ce stade. Toutefois, la majorité des personnes entendues a semblé privilégier l'instauration d'un système d' opt in , estimant qu'il serait davantage compatible avec le système processuel français.
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En conclusion, les auditions tenues le 1 er février 2006 devant votre commission des Lois ont permis de mettre en évidence, à ce stade du débat et en l'absence de tout projet ou proposition de loi déposé sur le sujet devant le Parlement, l'absence de consensus tant sur l'opportunité de l'introduction d'une véritable action de groupe en droit français que sur la forme que ce type de recours pourrait prendre s'il venait à être introduit en droit français.
* 1 Articles L. 421-1 à L. 421-7 du code de la consommation.
* 2 Articles L. 421-1 à L. 421-7 du code de la consommation.
* 3 Article L. 1114-2 du code de l'environnement.
* 4 Article L. 142-2 du code de la santé publique.
* 5 Articles L. 452-2 à L. 452-4 du code monétaire et financier.
* 6 « Rapport sur l'action de groupe », établi par le groupe de travail présidé par MM. Guillaume Cerutti, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au ministère de l'économie et des finances, et Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice.