4. Audition du coordonnateur interministériel pour la valorisation de la biomasse
M. Claude Roy a tout d'abord présenté son rôle et ses fonctions.
Après cinq années passées à l'ADEME, il est depuis octobre 2005 coordonnateur interministériel pour la valorisation de la biomasse et chargé, dans un premier temps, après le plan biocarburants, de préparer d'ici avril 2006, un plan biocombustibles pour la période 2006-2015-2030. Placé auprès du ministère de l'agriculture et de la pêche, il a pour mission essentielle de proposer au Gouvernement les grandes orientations de valorisation de la biomasse en matière de politiques énergétiques, agricoles et industrielles. En concertation avec les ministères concernés (agriculture, environnement, industrie, recherche et équipement), il anime, coordonne et prépare les actions nécessaires dans ce domaine. Il participe également à la définition des études et programmes de recherche et développement mis en oeuvre par l'Etat et les organismes publics. Il doit enfin favoriser la diffusion des informations utiles auprès de toutes les parties prenantes.
M. Claude Roy a ensuite indiqué que la biomasse était au coeur d'un curieux paradoxe dans la mesure où la biomasse est un sujet à la fois simple et compliqué : simple, parce qu'avec l'eau et le vent, elle a fondé 3 millions d'années de développement de l'espèce humaine (nourriture, agriculture, logement, énergie...) ; compliqué, parce que, précisément, à l'opposé de nos approches sectorisées et spécialisées, la biomasse embrasse cinq grands types de ressources (déchets organiques, déchets lignocellulosiques, bois, cultures et sylviculture « plante entière », cultures spécifiques à graines et tubercules) et huit grands types de valorisations connues (amendements organiques des sols, alimentation, matériaux et produits, néopolymères et composites, néo-chimie, biocarburants, chaleur, électricité, etc.). C'est pourquoi il fait savoir que pas moins de six ministères, douze directions d'administration centrale et quatre vingt filières professionnelles étaient concernées par sa valorisation. C'est tout l'intérêt, a-t-il précisé, d'avoir créé un poste de coordonnateur interministériel.
M. Claude Roy s'est ensuite lancé dans un vibrant plaidoyer pour l'» intelligence territoriale » soutenant que des valorisations efficaces et équilibrées des différentes ressources de biomasse, dans leurs différents usages constituaient un enjeu essentiel pour un développement économique local durable. Il a appelé de ses voeux une exploitation intensive mais raisonnée de toutes les ressources territoriales : sous-produits agricoles et forestiers, bois matériaux, fibres, bois-énergie, pailles, biocarburants, déchets ménagers et industriels...en soulignant que les méthodes du passé alliées à la technologie du futur devaient permettre de satisfaire les besoins croissants d'une population en augmentation continue, sans pour autant compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs.
Il s'est inscrit en faux contre la vision « rousseauiste » d'une agriculture extensive (type « bio »), estimant que cette conception était irréaliste au regard des besoins croissants de la planète et des disponibilités en terres, surtout si l'alimentation des pays en développement progressait vers un régime carné.
Partant du principe que, par le passé, les hommes savaient parfaitement exploiter les ressources locales, M. Claude Roy en a appelé à un retour aux sources, mais « dans le sens du futur ». Si la population mondiale d'alors était dix fois plus faible et la consommation cent fois moins importante qu'aujourd'hui, ce décalage peut être comblé des comportements plus sobres, des sauts technologiques et une nouvelle organisation des activités dans les territoires.
MM. Claude Belot et Jean-Marc Juilhard, rapporteurs, se sont déclarés favorables à la conjugaison de l'ensemble des ressources locales (solution « multi-ressources/multi-filières »), afin de favoriser le développement économique tout en assurant une parfaite maîtrise des coûts énergétiques. A l'heure de la flambée des cours des énergies fossiles, l'idée d'une relocalisation des activités générant notamment une réduction des coûts énergétiques a paru extrêmement intéressante aux deux rapporteurs.
M. Claude Roy a indiqué que l'installation de réseaux combinés (bois-géothermie comme à Jonzac, Charente maritime ou bois-géothermie-solaire) présentait de nombreux avantages compte tenu de l'existence de cycles de fonctionnement différents.
M. Claude Belot, rapporteur, a toutefois souligné que les réseaux de chaleur d'origine renouvelable devaient nécessairement être couplés avec un appoint gaz ou pétrole, même très minoritaire afin de faire face à des pics de demande (« appels de pointe ») ou en secours. C'est ainsi, a-t-il expliqué, que l'approvisionnement du réseau de chaleur de Jonzac (Charente-Maritime) était globalement alimenté à 95% en énergies renouvelables (géothermie et biomasse) et 5% en énergies fossiles.
A la question de M. Claude Belot, rapporteur , sur les risques que pourrait faire peser l'exploitation intensive des terres sur la biodiversité, M. Claude Roy a indiqué que l'objectif de biodiversité méritait d'être précisé (à quelle échelle ? à quelle fin ?), devrait être considéré dans une vision évolutive, et être relativisé par rapport à celui de la sauvegarde de la planète, arguant du fait qu'au rythme actuel l'effet de serre pourrait supprimer toute vie sur terre dans quelques siècles. Il a en effet expliqué que si le réchauffement global de la planète dépassait 4 degrés, l'effet de serre pourrait s'emballer définitivement par dégazage des hydrates de méthane sous marins et du CO 2 /CH4, stocké dans les permafrosts, les glaces et les sols forestiers tropicaux. La perspective pourrait alors consister en un réchauffement massif et très rapide de la terre (+ 30° ?) entraînant probablement la disparition de toutes les espèces évoluées ...
M. Claude Roy a indiqué que la biomasse, (qui est un facteur important et peu coûteux de la bioséquestration massive du carbone), était de toutes façons sous-exploitée à l'heure actuelle et que la production de bioénergies pouvait reposer sur trois niveaux : le recours aux déchets industriels et urbains concentrés sur site (aujourd'hui largement valorisés), les sous-produits forestiers et agricoles diffus (petits bois et résidus d'exploitation, pailles non valorisées...et enfin les cultures dédiées cellulosiques annuelles ou en taillis à courte révolution, c'est-à-dire à croissance rapide (telles que le triticale, le miscanthus, le saule...). M. Claude Roy a préconisé ainsi de valoriser d'abord ce qui était le plus facile et le moins coûteux. Il a rappelé que la croissance de la forêt française était sous-utilisée à l'heure actuelle (82.000 hectares de croissance par an) et que la France récoltait chaque année moins de bois qu'il n'en poussait.
Il a soutenu que les usines d'incinération des ordures ménagères (UIOM) pouvaient désormais être appelées unités bioénergétiques, et constituer un gisement fécond d'énergie électrique et thermique.
M. Claude Belot, rapporteur , a toutefois insisté sur le nécessaire travail d'éducation et de pédagogie des élus locaux face à l'hostilité et l'incompréhension de l'opinion publique (comme en témoigne la peur des dioxines pourtant émises en très grande quantité par les citoyens : barbecue, feux de jardin etc ...).
M. Claude Roy a rappelé les efforts fournis par l'ADEME et les Régions dans le cadre du plan bois-énergie. L'Agence a développé dès 1994 un programme de soutien au bois-énergie, notamment dans les secteurs collectif et tertiaire : « le plan bois-énergie et développement local » et a lancé avec succès un nouveau programme national pour la période 2000-2006.
Il a rappelé que dans le cadre de ce plan, sont installées actuellement 300chaufferies par an pour une puissance totale annuelle de 300/400 mégawatts (soit la moitié d'une tranche nucléaire), correspondant au chauffage de 120.000 équivalent logements supplémentaires chaque année (y compris les grosses infrastructures : écoles, piscines, hôpitaux, prisons...).
C'est ainsi, a-t-il expliqué, que la part non alimentaire de l'agro-industrie (notamment carburants, énergie néo-chimie et néo-matériaux...) va considérablement se développer et pourrait passer de 5 à 30 % de l'agro-industrie d'ici 20 à 30 ans. C'est pourquoi on peut dire, a-t-il fait valoir, que le XXIè siècle sera « biologique » ou ne sera pas.
M. Claude Roy a ensuite présenté les objectifs de la biomasse en termes de production d'énergie et de créations nettes d'emploi. Le bois-énergie mobilise aujourd'hui 20.000 emplois durables directs et produit 9,8 Mtep primaires. La biomasse, quant à elle, avec le bois-énergie, produit 11 MTEP par an (9,8 pour le bois + 0,6 pour la bio-incinération + 0,40 pour les biocarburants + 0,20 pour le biogaz), soit 4,2 % de l'énergie primaire consommée en France. Il a souligné que la biomasse représentait aujourd'hui 30.000 emplois pour l'énergie, sans compter les filières du bois, de l'agroalimentaire, du textile, de la phytopharmacie, de la chimie « verte », des amendements organiques et organo-minéraux, etc...
Il a relevé que l'objectif « biomasse-énergie » pourrait être de passer à 40 MTEP en 2050 (dont 20 pour les biocarburants), soit 15 % de l'énergie primaire consommée. 150.000 emplois directs pourraient être ainsi créés dans les territoires. Cet objectif pourrait être satisfait, outre la valorisation des déchets et coproduits, par l'occupation de 6 à 8 millions d'hectares de terres agricoles ou forestières par des cultures intensives de type « cellulosiques », ce qui s'apparente au « profil » d'allocation des terres et des bioressources du 19 ème siècle.
Interrogé par les rapporteurs sur l'intérêt de la cogénération, M. Claude Roy s'est déclaré réservé, dès lors que la valorisation effective de la chaleur cogénérée (80 % de l'énergie produite) n'est pas prioritairement assurée. Le seul débouché électrique (20 % de l'énergie produite) ne justifie pas d'allouer des quantités très importantes de biomasse (1 Mwe = 14 000 m 3 de biomasse/an), dont le coût énergétique de collecte et de conditionnement (exploitation, broyage, transport) n'est pas négligeable. L'électricité peut être produite par le nucléaire ou d'autres sources renouvelables (solaire photovoltaïque ou éoliennes). En outre, l'électricité est excédentaire en France et le nucléaire n'émet pas de gaz à effets de serre. La biomasse, a-t-il estimé, pourrait servir beaucoup plus utilement à la production de biocarburants de deuxième génération (BTL), ou de matériaux fibreux susceptibles de remplacer les métaux, très coûteux en énergie. En tout état de cause, il s'est déclaré résolument hostile à la production seule d'électricité à partir de biomasse, cette option lui apparaissant comme un gaspillage de ressources.
L'idée force du plan biocombustible qu'il a remis au Gouvernement consiste ainsi dans l'allocation prioritaire de la biomasse aux usages pour lesquelles elle est la seule alternative prévisible possible et durable aux ressources fossiles.
M. Claude Roy s'est enfin déclaré extrêmement favorable aux biocarburants (qui sont les seuls substituts crédibles, à terme visible, au pétrole dans les transports), précisant que les usines de production de carburants nécessiteront en 2010/2015 plus de 3 M ha de cultures (colza, tournesol, betteraves, céréales). Il a souhaité que soit rapidement relevé le défi des filières de gazéification/liquéfaction de la biomasse ligno-cellulosique (BTL) pour ouvrir une voie au marché des biocarburants de synthèse (deuxième génération), voire aux biocarburants « enzymatiques » (troisième génération).
En conclusion, M. Claude Roy a soutenu que la stratégie de développement de la biomasse était une option « sans regret » : lutte contre le changement climatique grâce à la substitution d'énergies et de matériaux d'origine fossile et à la séquestration de carbone (dans le bois par la photosynthèse et dans les terres), valorisation des abondantes ressources en sous-produits agricoles et forestiers, création nette d'emploi, production de chaleur, de carburants et de « bioproduits », nouveaux débouchés pour l'agriculture, revitalisation de certaines zones rurales, réduction des risques sanitaires et environnementaux ainsi que des coûts géostratégiques ...