N° 464
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 2006 Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom des délégués élus par le Sénat sur les travaux de la Délégation française à l' Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (1) au cours de la troisième partie de la session ordinaire (2005-2006) de cette Assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,
Par Mme Josette DURRIEU,
Sénatrice.
(1) Cette délégation est composée de : M. Denis Badré, Mme Josette Durrieu, MM. Francis Grignon, Jacques Legendre, Jean-Pierre Masseret et Philippe Nachbar, Délégués titulaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Daniel Goulet, Jean-François Le Grand et Yves Pozzo di Borgo, délégués suppléants.
Conseil de l'Europe. |
INTRODUCTION
La présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe est exercée, tour à tour, par chaque État membre, pour une durée de six mois. Pour la première fois de son histoire, cette présidence est exercée par la Fédération de Russie depuis le 6 mai 2006. Au cours de la troisième partie de la session 2006, qui s'est tenue à Strasbourg du 26 au 30 juin 2006, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a débattu d'une question politiquement sensible du point de vue des relations transatlantiques, notamment parce qu'elle porte sur le respect des droits des personnes et des conventions internationales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à savoir les allégations de détention secrète et de transferts extrajudiciaires à partir du territoire d'États membres du Conseil de l'Europe. Elle a débattu également de l'équilibre entre la liberté d'expression et le respect des convictions religieuses.
Parmi les autres thèmes à l'ordre du jour, ont figuré la position de l'Assemblée à l'égard des États membres et observateurs du Conseil de l'Europe qui n'ont pas aboli la peine de mort, les droits fondamentaux des migrants irréguliers et la mise en oeuvre d'une résolution antérieure sur la contestation des pouvoirs de la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan.
Les parlementaires ont également discuté de la violence domestique contre les femmes, dans la perspective du lancement par le Conseil de l'Europe d'une campagne d'une durée de trois ans sur ce thème.
Des débats d'urgence sur les conséquences du référendum au Monténégro et sur la réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine se sont tenus.
Parmi les personnalités invitées, l'Assemblée a entendu M. Recep Tayyip Erdoðan, Premier ministre turc, M. Jean Lemierre, Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), M. Franco Frattini, Vice-Président de la Commission européenne, chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité, et la Ministre déléguée du Maroc chargée des Marocains résidant à l'étranger, Mme Nouzha Chekrouni.
Le texte intégral des Rapports, Avis, Comptes rendus des débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ainsi que les textes adoptés, sont consultables sur le site : http://assembly.coe.int |
I. DEBATS DE LA TROISIÈME PARTIE DE SESSION DU CONSEIL DE L'EUROPE - STRASBOURG - 26-30 JUIN 2006
A. LUNDI 26 JUIN 2006
1. Mise en oeuvre de la Résolution 1480 (2006) sur la contestation des pouvoirs de la délégation parlementaire d'Azerbaïdjan
C'est avec regret que les délégués ont constaté que, à nouveau, les récentes élections législatives en Azerbaïdjan, ne s'étaient pas tenues conformément aux normes démocratiques élaborées par le Conseil de l'Europe. Si des progrès réels ont été constatés, la presse n'a pas été libre et les fraudes se sont renouvelées. Toutefois, l'Assemblée a considéré que le pire serait de renoncer à tout lien avec l'Azerbaïdjan. Par conséquent, elle a décidé de ratifier les pouvoirs de la délégation non sans prévoir d'assurer un suivi très sérieux de l'évolution de la situation pour y accompagner un mouvement démocratique naissant.
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1505) .
2. Relations extérieures du Conseil de l'Europe
L'Assemblée a débattu d'un rapport qui repense le rôle du Conseil de l'Europe. Elle a souhaité que des contacts se nouent avec les pays démocratiques non européens, qui pourraient par exemple bénéficier du statut d'observateur. Elle a redit son adhésion aux propositions présentées par M. Jean-Claude Juncker à la session de printemps qui visent à bien distinguer le rôle du Conseil et de celui de l'Union européenne. Les questions du dialogue interculturel et du travail avec les ONG ont également été abordées.
MM. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) et Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) se sont exprimés dans ce débat.
M. Jean-Guy Branger, sénateur :
« La recommandation sur les relations extérieures du Conseil de l'Europe nous encourage à coopérer avec des organisations non gouvernementales qui militent pour le dialogue interculturel, interethnique et interreligieux, notamment dans le bassin méditerranéen, au Proche-Orient et Asie centrale, en vue d'aider « à évoluer vers la démocratie par une politique de coopération. »
Rappelez-vous la récente intervention ici du Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique. Je l'avais questionné sur le communiqué publié à Istanbul en juin 2004, qui rejetait toute critique à propos de l'imposition de la charia, y compris les peines comprenant la lapidation des femmes.
Devons-nous coopérer avec une organisation qui invoque le dialogue interculturel, interethnique et interreligieux, qui fait l'apologie de l'inégalité entre les hommes et les femmes jusque dans les formes les plus inacceptables de violence? Le Conseil de l'Europe se renierait alors même si ces ONG proposent des concours financiers très tentants. En revanche, une plus grande implication dans nos travaux des États dotés du statut d'observateur est évidemment souhaitable ainsi qu'une meilleure répartition des compétences avec l'Union européenne et l'OSCE. Je regrette seulement que le rôle de l'UEO ait été omis alors qu'elle est un forum interparlementaire irremplaçable pour l'approfondissement en commun de questions aussi sensibles que la politique de sécurité et de défense dans un monde de nouveau très dangereux. Soixante-dix pour cent de nos concitoyens interrogés placent cette question en numéro un.
Soumis aux contraintes budgétaires, nous sommes aussi des élus de terrain. Nous savons donc que le niveau des prélèvements obligatoires doit se stabiliser et même décroître pour relancer l'économie et les investissements créateurs d'emplois. Aussi, suis-je très réservé sur la création de bureaux permanents du Conseil de l'Europe « dans les grandes capitales internationales, telles que New York, Genève et Vienne ».
Dans un budget bloqué, la «variable d'ajustement» est et restera, non pas les dépenses de la Cour européenne des Droits de l'Homme ni celles du secrétariat général, mais bien celles de l'Assemblée. Or, nos crédits suffisent à peine à nos missions fondamentales. La création de filiales qui ne pourront fonctionner qu'aux dépens de nos propres missions est déraisonnable. Il en va ainsi de cette présence dans des capitales, dont je ne nie pas l'agrément. Il en va également de la création, « sous les auspices du Conseil de l'Europe » , d'un prétendu « Centre de la mémoire des personnes déplacées », dont l'objet est politiquement scabreux, et surtout du « Forum pour l'avenir de la démocratie ».
Avalisée par le 3e Sommet, et encore tout récemment par notre Comité des Ministres, cette formation va évidemment peser sur notre budget alors même qu'elle réunira : «des décideurs, des fonctionnaires, des acteurs de terrain, des universitaires». On atteint le sommet du ridicule quand on assigne à cette formation de «renforcer la démocratie» alors même qu'aucun de ses participants ne procède du suffrage universel ! Curieuse leçon de démocratie demandée à des personnes non élues pour lesquelles j'ai par ailleurs le plus grand respect.
Après le terme mis à l'Institut de la démocratie voilà que nous recréons un nouvel organe bien plus coûteux et tout aussi peu démocratique !
Enfin, je suis encore plus réservé devant la nouvelle filiale du Conseil de l'Europe, dite «Centre de coopération interrégionale et transfrontalière» qui serait créée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux avec siège permanent à Saint-Pétersbourg. Les délégations à ce Congrès, désignées par les gouvernements, comptent même des fonctionnaires. Quelle légitimité ont-ils pour créer un « centre » rassemblant des délégués de délégués des Gouvernements ?
Je ne nie pas l'agrément de la vie de Saint-Pétersbourg, mais quand nos propres activités sont menacées et que nos concitoyens se découragent sous le poids des impôts, est-il indispensable de créer des «forums» et autres «centres» sans légitimité démocratique ? Ces filiales ne peuvent que brouiller un peu plus le message de notre Assemblée, déjà si peu audible.
Il est parfois difficile de rappeler nos Organisations au principe de réalité. Si j'endosse ce rôle austère c'est pour tenter de prévenir le désamour de nos concitoyens pour une Europe où ils perçoivent trop souvent des gaspillages, en particulier une polysynodie et une bureaucratie proliférante. »
M. Jean-Claude Mignon, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'existence du Conseil de l'Europe se fonde sur des principes que nous estimons fondamentaux et constitutifs de la civilisation européenne. Inévitablement, nous sommes conduits à établir des relations en dehors de la sphère purement européenne. Pour cela, nous donnons une priorité au dialogue avec d'autres civilisations et d'autres cultures. Or, si le dialogue consiste en l'écoute de l'autre, il ne saurait, pour être abouti, se passer de l'apport de ce qui il y a de meilleur en nous. C'est pour cette raison que le Conseil de l'Europe ne peut se passer de délivrer inlassablement son message et de construire une politique extérieure cohérente.
Bien entendu, le modèle unique n'existe pas, et le rapport relève de manière judicieuse que des conceptions différentes de la démocratie et de la prééminence du droit s'expriment dans le monde. L'exemple type, touchant précisément les relations extérieures, concerne l'extension de la démocratie dans le monde. Pour certains, il faut imposer la démocratie. Pour d'autres, dont le Conseil de l'Europe, il s'agit d'obtenir le consentement des peuples. En effet, le meilleur des régimes peut se révéler être le pire lorsqu'il est exporté sans l'adhésion des peuples concernés.
Aussi, nous ne pouvons que nous féliciter de la vision cohérente des relations extérieures qu'ébauche le présent rapport et que doit nécessairement entretenir le Conseil de l'Europe pour remplir réellement sa mission.
Cependant, il me semble important de souligner deux points qui offrent prise à des interrogations.
Le premier concerne l'accès à la Cour européenne des Droits de l'Homme aux États non membres et aux personnes relevant de leur juridiction. Effectivement, il convient de souligner le travail exemplaire de cette grande institution et son rôle crucial dans l'extension du droit européen. Il convient cependant de rester réaliste et de ne pas gâcher inutilement le succès de la Cour. A l'heure actuelle, le foisonnement des recours et la multiplication des affaires pendantes mettent en péril son bon fonctionnement. Aussi, paraît-il hasardeux de vouloir accentuer ce phénomène au risque de décrédibiliser le travail des juges européens. Il me semble plus judicieux, en premier lieu, d'examiner les possibilités d'instituer des cours régionales des droits de l'homme et de transformer celle de Strasbourg en cour d'appel ou cour suprême. Certes, le rapport le préconise, mais cette réforme des juridictions européennes doit primer sur l'ouverture des recours à d'autres membres.
Le second point portant à interrogation concerne les liens entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Il est en effet essentiel de développer des relations institutionnelles fécondes entre les deux organisations. Je me réjouis d'ailleurs qu'une des pistes évoquées soit l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme. De même, je ne peux que me réjouir de la coordination qui naît entre l'activité du Conseil de l'Europe et celle de l'Union européenne par le biais de la politique européenne de voisinage.
Cependant, si des relations approfondies sont nécessaires, il faut prendre garde à ne pas envisager une fusion pure et simple des deux organisations. Le génie de l'une et de l'autre exige que chacune conserve sa vocation propre. C'est pourquoi l'approfondissement des relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne doit au préalable contenir la délimitation des compétences respectives.
Par conséquent, même si ces deux points prêtent à discussion, je pense que ce rapport peut constituer une base sérieuse pour établir une politique cohérente en matière de relations extérieures pour le Conseil de l'Europe. »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1506) et une Recommandation (n° 1753) .
B. MARDI 27 JUIN 2006
1. Allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des États membres du Conseil de l'Europe
M. Dick Marty, Délégué suisse et ancien magistrat, a présenté les conclusions de son enquête menée depuis plusieurs mois sur les allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus. Menés par la Central Intelligence Agency des États-Unis (CIA) ces opérations impliquent plus d'une dizaine de pays du Conseil de l'Europe.
Les délégués ont souligné que la guerre contre le terrorisme ne pouvait avoir lieu en dehors d'un cadre juridique légal, mais peu d'entre eux ont mis en cause les États membres présumés complices. Des délégués ont tenu des propos plus sévères. Ce fut le cas de certains Français, un Britannique a même exhorté le Conseil de l'Europe à exclure les États coupables si les allégations devenaient des faits prouvés. L'Assemblée a appelé à la création d'une structure judiciaire internationale où les États-Unis seraient partie prenante.
Tous se sont félicités de la coopération entre l'Assemblée et le Parlement européen sur ce dossier.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) et MM. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - Soc) et Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) se sont exprimés.
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
« Depuis le 11 septembre, les Américains et les Européens luttent ensemble contre le terrorisme avec détermination. L'ennemi est bien identifié et l'objectif est clair : éradiquer le terrorisme.
Mais la divergence est profonde sur la méthode utilisée parce que dans cette guerre - car il s'agit bien d'une guerre -, les Américains ont décidé de s'affranchir du droit, du droit international et des lois de la guerre. Ils ont ouvert Guantanamo en 2002. Les prisonniers n'ont pas le statut de prisonnier de guerre et la détention est illimitée. C'est le nouvel ordre de Bush ou le nouvel ordre américain. À cela, nous disons non. Reniant leurs propres valeurs, les États-Unis ont pratiqué, semble-t-il, enlèvements, tortures, transferts de suspects, ils ont affrété des avions spéciaux, établi des prisons délocalisées secrètes, les fameux « sites noirs ». Mais la notion de prisonnier itinérant n'existe pas dans le droit international et Guantanamo est une enclave de non droit.
Voilà des faits établis qui ne peuvent être admis en Europe. Il est primordial de ne pas lutter avec les armes de l'ennemi quand on veut promouvoir la paix et la démocratie. Les Américains doivent retrouver le chemin du droit. La Cour Suprême l'a fait - cela l'honore - dans une décision de juin 2004 : les détenus peuvent contester leur emprisonnement. Bush dit qu'il voudrait fermer Guantanamo. Eh bien, que le Président des États-Unis ferme donc Guantanamo ! L'Europe, messieurs les vice-présidents, a réagi, mais pas assez officiellement. Maintenant, on attend qu'elle agisse.
Quant aux Européens, vous l'avez dit, ils doivent rester des alliés dans cette lutte, bien sûr, mais des alliés exigeants pour accompagner les États-Unis dans ce combat, parce qu'il faut tirer au clair toutes ces opérations de la CIA. Procédons par affirmations ou par questions : violation des droits de l'homme, violation du droit en général, violation du droit national des États. Y a-t-il eu violation de leur souveraineté par une puissance étrangère qui ne peut ni détenir, ni faire entrer ni faire sortir clandestinement des individus, violation du droit international. On n'a plus affaire à des prisonniers, mais à des ennemis. Combattons ! Il faut faire la vérité.
L'Europe doit agir. Le Conseil de l'Europe s'honore d'avoir pris ces initiatives. Il doit poursuivre. Nous devons ensemble coordonner nos actions parce que, ici, nous sommes tous des parlementaires nationaux représentant quarante-six États européens. Nous avons à saisir chacun nos parlements. Les autorités nationales ont à savoir, parce qu'il s'agit de crimes et de délits, ce qui s'est passé sur leur territoire. Y a-t-il eu ignorance, négligence, complaisance, complicité ? Nous devons exercer notre rôle de contrôle. Nous sommes des parlementaires qui avons des responsabilités.
Quand les faits seront définitivement établis, des justices seront à saisir - tribunaux nationaux et internationaux. Ils existent, ils sont compétents, ils sont dûment constitués. Mais ici j'ai envie de redire au nom du Conseil de l'Europe, et en tout cas au nom du Groupe socialiste, qu'en aucun cas la lutte contre le terrorisme ne légitime un nouvel ordre juridique établi par les États-Unis sur de nouveaux concepts contraires à nos valeurs.
La lutte contre le terrorisme ne légitime pas le viol de ce qui fonde l'État de droit et les droits de l'homme. »
M. Jean-Pierre Kucheida, député :
« Monsieur le Président, je tiens à féliciter moi aussi M. Marty pour l'excellent et courageux rapport qui nous éclaire sur les exactions commises par les États-Unis qui renient les valeurs de leurs pères fondateurs au sein même notamment de nombreux pays membres du Conseil de l'Europe.
En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'Europe sert de base aux Américains dans leur traque du terrorisme. Un rapport d'Amnesty International a recensé près de 1 000 vols directement liés à la CIA, dont la plupart ont utilisé l'espace aérien européen.
Vols assurés par des avions de sociétés écrans utilisées pour transporter secrètement des personnes afin de les torturer, de les faire « disparaître » ou de les conduire, par exemple, dans cette « infâme » base de Guantanamo, le tout avec la bénédiction informelle de pays membres de notre Assemblée, et ce en toute impunité jusqu'à présent.
Le plus atroce dans tout cela, c'est que ces pays ne pouvaient pas ne pas être au courant directement ou indirectement, ils ont donc collaboré plus ou moins intentionnellement, avec des buts divers - reconnaissance, admiration envers les États-Unis ou autres. Ces méthodes sont dignes d'un régime totalitaire : les personnes ne sont plus des êtres humains, mais sont considérées comme du «fret».
Je ne peux ressentir que du mépris face à ces pays, membres du Conseil de l'Europe, qui parallèlement à leur combat en faveur de la défense des droits de l'homme, deviennent par ignorance, négligence ou complaisance active ou non, les mercenaires volontaires d'une nation qui, malgré son rôle de gendarme international de soi disant pays de la liberté, fait fi de tout respect de la vie humaine, violant avec arrogance les espaces aériens, les principes humanitaires, les consciences des pays européens tout en recourant à la torture par l'intermédiaire de pays tiers.
Je ne fais pas de l'antiaméricanisme, je défends les valeurs de la démocratie telles qu'elles furent posées il y a 230 ans. Ne l'oublions jamais.
Pour ces raisons, je demande instamment au Conseil de l'Europe de diligenter une enquête en collaboration avec la Commission européenne afin de faire la lumière sur cette abominable affaire, de punir les coupables et de prendre les sanctions exemplaires qui s'imposent à l'encontre des pays membres du Conseil de l'Europe - autrement, c'est la régression - qui ont cautionné directement ou indirectement cette infamie, ainsi qu'à l'égard des États-Unis, observateur, qui s'assoient néanmoins sur la souveraineté de l'Europe.
De plus, je demande aussi d'adopter les mesures nécessaires afin que de telles situations ne se reproduisent plus à l'avenir en mettant un terme à ces agissements - «restitutions», « disparitions », torture et mauvais traitements, etc. - et en veillant auprès des protagonistes et des compagnies privées de locations d'avions à ce que celles-ci soient appliquées.
Enfin, il faudrait libérer tous les détenus sous la garde des États-unis dans des lieux secrets et/ou les juger, conformément aux normes internationales, dans un délai raisonnable et sans recours à la peine de mort.
Il faut, de plus, comme le disait Mme Defraigne, que l'Europe se dote d'institutions communes fortes, indispensables pour pallier de pareilles dérives très inquiétantes. »
M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, en lisant le rapport de M. Marty, on a l'impression de voir une super production hollywoodienne.
Un faisceau d'indices, comme nous disons en droit romain, a été réuni par notre Rapporteur ; les témoignages recueillis sont d'autant plus insoutenables que les victimes ont été relâchées sans même avoir été inculpées par un juge.
D'autres, dont nous ne connaissons pas le nombre, n'ont toujours pas été informés des faits qui leur sont reprochés. Aucun d'entre eux n'a été jugé coupable ni même inculpé et n'a donc pas accès à un avocat. Il est aisé de démontrer que le respect des droits de l'Homme n'est pas cause d'inefficacité, et que même dans une situation exceptionnelle, les procédures juridiques respectant les droits de la défense ne sont pas les moins efficaces.
Je pense, pour illustrer mon propos, aux attentats que, comme d'autres, mon pays a connus, bien avant le 11 septembre 2001. Tous les auteurs n'ont pas étés arrêtés mais certains d'entre eux ont été jugés et condamnés en toute légalité. Illich Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été condamné en 2000 pour l'attentat commis au Drugstore Saint-Germain. Saint-Michel, Maison Blanche, Musée d'Orsay, ceux de la rue de Rennes en 1986, Port Royal, autant d'attentats sanglants dont les auteurs ont été jugés et condamnés.
Je soutiens sans réserve les démarches de notre courageux Rapporteur. Cette terrible affaire doit maintenant relever de la justice et de ceux qui détiennent des mandats légaux pour achever de faire toute la lumière sur ces actes indéfendables. Faute de quoi, le Conseil de l'Europe serait infidèle à sa mission en matière juridique, celle de faire respecter les droits de l'Homme dans un cadre fixé par les traités, conventions et lois démocratiques. Le droit à la présomption d'innocence joue en faveur des personnes mais aussi des États, le droit à un procès équitable n'est pas non plus réservé aux accusés.
Il y a deux catégories d'hommes, ceux qui bénéficient des droits de l'Homme et ceux qui n'en sont pas dignes. Et pourquoi ? Parce qu'ils sont soupçonnés de terrorisme.
C'est dire à quel point les États-Unis doutent de leur justice et ne croient guère aux conventions et traités qu'ils ont signés non plus qu'aux valeurs qui ont fondé leur démocratie, exemple pour de nombreux pays.
Oui, le terrorisme ne mérite aucune compassion, ne souffre aucune excuse, pourvu qu'il soit légalement prouvé.
Oui, le terrorisme a pour but de déstabiliser les démocraties occidentales, de démontrer leur fragilité. Nous devons démontrer que nous sommes plus forts que ces esprits fous, que si notre conception du monde repose sur des principes forts et universels, c'est bien parce que nous les concevons comme universels, qu'ils ne souffrent aucune exception, qu'ils s'appliquent à tous, même à ceux que l'on soupçonne du pire.
Oui, le terrorisme peut justifier des législations hors du cadre du droit commun, voire des procédures d'exception, mais néanmoins respectueuses des droits fondamentaux. Les peuples libres ont su, par le passé et encore il y a peu, inventer des structures judiciaires internationales, qui ont permis de condamner des hommes qui avaient commis des faits d'une exceptionnelle gravité. Je pense comme vous à Nuremberg.
Nos aînés avaient créé Nuremberg, nous avons instauré la Cour pénale internationale, mais, vous le savez, les États-Unis n'ont pas souhaité y participer.
Aujourd'hui, nous devons bien reconnaître qu'il est grand temps de les y inviter plus instamment qu'hier.
Qui va sanctionner les dérives de l'action nécessaire que mène la CIA contre le terrorisme ? Est-ce le TPI à qui nous accorderions un supplément de pouvoir, est-ce les tribunaux américains, est-ce le Congrès américain, c'est à nos amis américains de répondre. »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1507) et une Recommandation (n° 1754) .
2. La contribution de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au développement économique en Europe centrale et orientale
M. Bernard Schreiner , Président de la Délégation française et Rapporteur de la Commission des questions économiques et du développement, a souligné les excellents résultats de la BERD pour 2005. Il a approuvé la nouvelle stratégie de la banque, celle d'orienter son action, pour les cinq années à venir, vers les pays d'Asie centrale, les Balkans, l'Ukraine, la Russie, la Mongolie, la Roumanie et la Bulgarie. Les délégués se sont félicités du désengagement naturel de la BERD dans les huit anciens pays de l'Est qui ont regagné l'Union européenne en 2005, estimant que c'était là le signe de l'accession de leurs économies à la prospérité. Les délégués ont souligné l'importance du rôle de la BERD dans la construction du futur sarcophage du site de Tchernobyl.
M. Bernard Schreiner (Bas-Rhin - UMP), député, s'est exprimé dans ce débat en sa qualité de Rapporteur, ainsi que Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) et M. Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP).
M. Bernard Schreiner, député :
Monsieur le Président, monsieur le président de la BERD, mesdames, messieurs, j'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter au nom de la commission des questions économiques et du développement le rapport sur la contribution de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement au développement économique en Europe centrale et orientale. Il se focalisera principalement sur l'année 2005.
J'ai le plaisir de saluer parmi nous Jean Lemierre, Président de la BERD. Nous attendons, bien entendu, avec le plus grand intérêt son intervention. Lorsque la commission s'est réunie à Londres, nous avons eu des discussions fort intéressantes avec M. Lemierre et ses collaborateurs de très haut niveau. Je le remercie pour toute l'aide qu'il nous a apportée comme je remercie mes collègues pour leur soutien à l'élaboration du rapport.
Cette année, la BERD fête son quinzième anniversaire. Elle est sans doute l'institution financière internationale la plus jeune et la plus dynamique qui opère en Europe et dans le proche voisinage. Je précise aux nouveaux membres de cette Assemblée que la BERD et l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe ont signé, en 1992, un Accord de coopération, ce dont nous nous réjouissons, car cela permet à la BERD de s'exprimer devant une tribune parlementaire et au Conseil de l'Europe de constater son action. Nous sommes réconfortés de savoir que, depuis une quinzaine d'années, la BERD a aidé beaucoup des nouveaux pays entrant dans l'Union européenne de la même façon qu'elle a renforcé leurs institutions démocratiques, sociales, culturelles et politiques.
Je voudrais mettre en relief certains points clés. Ce texte présente le contexte dans lequel s'inscrit la Banque, son mandat et ses méthodes de travail, ainsi qu'un panorama des activités menées l'an dernier par la BERD, avec des chiffres audités, donc précis, concernant sa performance. Vous aurez noté que 2005 a été une année exceptionnellement bonne pour la BERD, ce qui reflète la croissance qualitative de ses activités, sa gestion de risques prudente et la solide performance économique de ses pays clients.
La plupart des 27 pays d'opération de la BERD (de l'Europe centrale à l'Asie centrale) ont considérablement progressé sur la voie d'un fonctionnement digne d'États démocratiques respectant les principes de l'État de droit et d'une économie de marché. Toutefois, le rythme de la transition a été inégal, selon les pays et leur évolution politique.
Pour faire le point sur les changements, la BERD, en partenariat avec la Banque mondiale, a mené en 2005 une grande étude sur l'environnement des affaires et la performance des entreprises. A l'issue de cette étude, l'évaluation générale était plutôt positive, toutefois, elle a énuméré aussi une série de défis - tant pour la Banque que pour ses pays cibles.
Il est pour l'essentiel nécessaire: premièrement, de consolider la croissance en renforçant l'intégrité et l'efficience des institutions de contrôle; deuxièmement, d'améliorer la compétitivité par une meilleure gestion des ressources, en particulier pour ce qui est de l'utilisation de l'énergie et du développement régional; troisièmement, de renforcer la surveillance des secteurs financiers; quatrièmement, de continuer à supprimer les contraintes pesant sur l'activité d'entreprise, en particulier pour ce qui est de la fiscalité, de l'accès à un financement et de la protection des droits de la propriété.
Étant donné l'importance de l'agriculture et de l'énergie pour bon nombre des pays clients de la BERD, nous avons consacré plusieurs parties du rapport à ces secteurs. L'agriculture, par exemple, est cruciale pour élever les revenus dans les zones rurales de la région d'opération de la BERD, où habitent entre un tiers et deux tiers de la population. Elle offre de bonnes opportunités pour stimuler la croissance des exportations et créer des produits de substitution aux importations.
Le soutien de la BERD vise à consolider les capacités en transformation agroalimentaire, emballage, commercialisation, vente au détail et distribution, et 60 % des investissements sont consacrés à la Fédération de Russie, aux Balkans et à l'Ukraine.
Étant donné que, de l'Europe centrale à l'Asie centrale, l'intensité énergétique est de cinq à sept fois plus élevée que la moyenne européenne et que les prix de l'énergie ne cessent de monter, l'efficacité énergétique s'impose comme l'une des priorités majeures. La BERD agit alors en tant que consultant et conseil, et en aidant les communautés, les collectivités et les PME à se mettre au même régime économique, d'anti-gaspillage, que les pays de l'OCDE.
Les ressources pétrolières ne cessent de s'amenuiser, la BERD encourage donc le développement des énergies durables - construction de barrages - afin que ces pays puissent profiter du développement. En conclusion, la BERD catalyse les énergies et entraîne d'autres investisseurs. Avec son approche visionnaire - adoptée grâce à M. Lemierre - la BERD souhaite que les nations bailleurs de fonds l'aident à poursuivre son action efficace, que je félicite. »
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
« Monsieur le Président de la BERD, vous nous disiez que les résultats vous donnaient le droit d'être fier. Nous voulons partager votre fierté et vous dire que, pour le Conseil de l'Europe, travailler avec la BERD consiste effectivement à trouver, dans la concertation et la complémentarité, la finalité d'une action, dans la mesure où, cela a été rappelé aussi par d'autres intervenants, le dialogue politique fait partie de l'environnement des affaires et qu'il est, par conséquent, nécessaire que nous ayons les deux dimensions.
Je remercie également le rapporteur qui nous permet tous les ans de faire le point sur vos activités. J'ai eu le privilège, monsieur le président, de m'entretenir tout à l'heure avec vous de certains points et je voudrais maintenant simplement formuler des témoignages publics qui vous permettront de nous apporter des réponses attendues par les parlementaires ici présents, représentant quarante-six États différents.
Je souhaiterais évoquer l'un des pays de l'Europe du Sud-Est et l'Asie Centrale. Je me suis entretenue avec vous de celui que l'on peut appeler le «petit bouchon» ou le «petit flocon», qu'est la Moldova. C'est un petit pays, il n'en demeure pas moins l'un des derniers éléments de l'Europe à intégrer. Lorsque nous aurons achevé cette intégration, il ne faudra donc pas l'oublier ; aujourd'hui, il l'est quelque peu. Ce pays est aujourd'hui relativement stabilisé ; cela peut ne pas durer. Il engage des réformes ; elles sont trop lentes. Mais nous voyons malgré tout s'affirmer une volonté en ce sens, qui nous fait dire à cette session, en tant que rapporteurs, que nous faisons confiance à la Moldova pour monter maintenant dans le train de réformes qui fera que, si l'environnement politique est structuré, le développement économique sera probablement mieux adapté.
Ce pays est atteint dans son intégrité par le problème de la Transnistrie. Il est atteint dans sa substance par la corruption, qui est un problème majeur. Mais il consent des efforts, ce qui n'a pas été toujours le cas. J'en veux pour exemple, entre autres, celui du contrôle joint exercé depuis peu avec l'Ukraine. Bravo aux deux États, l'Ukraine et la République de Moldova !
La frontière de la Transnistrie, entre Tiraspol et Odessa, est un espace où les choses ne sont pas faciles, mais où les mesures importantes prises sont accompagnées par l'Union européenne. Et si elles le sont par l'Union européenne, il faudrait que tout le monde aille dans le même sens. C'est un appel de plus à la Russie pour que la situation puisse, un jour, trouver une solution.
A l'évidence, l'Union européenne ne prend pas suffisamment en compte le sort et le devenir de la Moldova. Aujourd'hui, une fenêtre s'ouvre, qui rend des évolutions possibles. C'est maintenant qu'il faut agir ! Monsieur le président de la BERD, je sais que vous rencontrez des difficultés au niveau bancaire. Nos amis moldaves doivent l'entendre. La mise en place d'un système bancaire de confiance s'impose pour que l'économie puisse redémarrer et que les petites entreprises que vous accompagnez entrent dans le système.
Pour une autre assemblée, je suis chargée d'un rapport sur l'Asie centrale. Le contexte s'y présente de manière totalement différente. Le marché de la drogue domine l'environnement. Il est bien localisé. Aujourd'hui, 80 200 tonnes de drogue sont produites en Afghanistan alors que l'on saisit 110 kilos d'héroïne. Nous sommes confrontés à un espace où un immense trafic reste non maîtrisé. Je me demande jusqu'à quel point la drogue ne devient pas un outil politique majeur. Voilà le contexte. Dans cet espace où nous investissons beaucoup d'argent, où l'ensemble des pays européens investissent plus que les États-Unis, l'Union européenne est totalement absente. Absence absolue ! Que faut-il faire ?
Le Kazakhstan est l'un des grands producteurs de gaz, gaz que nous consommons en partie. Il transite par la Russie, qui l'achète et le revend. Le gaz est devenu une arme économique pour la Russie, dont elle s'est servie à l'encontre de la Géorgie, l'Ukraine, la Moldova. Comment peut-on à cet égard être prudents tout en étant efficaces ? L'efficacité économique mérite que nous la comprenions un peu moins, parce que vous nous la définirez, monsieur le Président, un peu mieux ! »
M. Francis Grignon, sénateur :
« La Banque européenne pour la reconstruction et le développement est née dans la controverse, mais je dois dire, et en particulier sous votre présidence, Monsieur Jean Lemierre, que cette banque fait maintenant l'unanimité.
Loin d'être le gouffre financier que certains redoutaient, vous avez su assurer la pérennité de cet établissement en obtenant une couverture exemplaire d'investissements judicieusement choisis. Entouré d'une équipe éminemment européenne, vous optez courageusement pour une concentration au profit des économies qui ont le plus besoin de votre accompagnement. Si la BERD se désengage peu à peu des États qui progressent, je veux y voir la réussite même de l'élargissement de l'Union Européenne, et en particulier la réussite de l'acquis communautaire et de toutes les règles qui organisent le grand marché intérieur.
Nous avons le devoir de mieux faire comprendre à nos concitoyens - et en France en particulier - cette réussite trop méconnue qui est celle de toute l'Europe, et notamment des économies tchèque, hongroise ou polonaise, pour ne citer que celles-là. Bien sûr, l'intervention de la BERD dans des États nettement moins développés comporte des risques. Mais nous ne pouvons qu'encourager le choix des investissements engagés par la Banque, puisqu'ils concernent des projets comportant toujours une grande rationalité économique, ce que traduisent bien les résultats positifs de la Banque depuis plusieurs années.
Je me réjouis que la BERD soutienne en particulier la modernisation du secteur agricole, dont on sait qu'il occupe encore une partie importante de la population des pays les moins développés; les concours aux petites et moyennes entreprises, qui sont la source de création d'emplois dans tous ces pays d'Europe, par le truchement de banques sélectionnées; la distribution de micro crédits qui ne peuvent qu'encourager la création d'entreprises ou les reconversions favorables à l'essor de l'économie de marché; le soutien aux privatisations des secteurs qui ont le plus besoin de réformes; l'adaptation et l'assainissement du secteur financier, et d'abord des banques; et enfin, la promotion d'un climat sain pour les affaires et d'institutions publiques fortes dans les pays bénéficiaires.
Je dois dire, Monsieur le Président, que votre rapport annuel apporte une confirmation éclatante de l'effet positif des réformes que vous encouragez. Ainsi, par exemple, le PIB du Kazakhstan a cru de près de 10 % en 2005, comme c'était déjà d'ailleurs le cas en 2004. Les pays les plus rétifs aux réformes, en revanche, affichent des scores nettement moins favorables, voire négatifs.
Aussi, Monsieur le Président, j'espère que l'impact des réformes sera connu des populations des États bénéficiaires, y compris dans ceux dont les gouvernants retardent encore les adaptations nécessaires. Comme ce sont aussi les États qui sont le plus en retard en termes de transition politique, je ne saurais trop vous encourager à aider leurs peuples à obtenir de leurs gouvernants qu'ils engagent enfin ces réformes nécessaires et bénéfiques.
Et je n'aurai garde d'oublier l'impérieuse nécessité de l'efficacité énergétique. Comme vous nous l'avez rappelé, Monsieur le Président, il s'agit d'un problème planétaire. Les énergies renouvelables ne résoudront pas tout, loin de là. Je vous remercie pour ce message universel qui nous rappelle à tous que nous vivons dans un monde fini où les énergies fossiles ne sont malheureusement pas inépuisables. »
En réponse aux orateurs, M. Bernard Schreiner, Rapporteur , s'est à nouveau exprimé :
« Je tiens à remercier M. Lemierre d'être parmi nous et d'être intervenu avec tant de franchise et de netteté. Je remercie également l'ensemble des intervenants dans ce débat. M. Lemierre a déjà répondu à nombre de leurs interventions. Je l'en remercie. J'aurais toutefois une petite précision à apporter : sans doute me suis-je mal exprimé ou m'avez-vous mal compris, mais je n'ai pas parlé d'échec. Mon propos était simplement de dire qu'il y avait eu des développements différents selon les situations politiques inhérentes à chaque pays, mais loin de moi la notion d'échec de la Banque. Nous l'avons au contraire tous félicitée de ses interventions dans des domaines multiples : infrastructures, développement durable, promotion d'une meilleure efficacité énergétique.
Je veux une fois encore féliciter M. Lemierre et ses collaborateurs pour la passion dont ils ont fait preuve afin que la BERD participe au mieux au développement des différents pays qui vont de l'Europe centrale à l'Europe du Sud et de l'Europe du Sud-Est jusqu'à l'Asie centrale. Je les remercie pour tout ce qu'ils ont réalisé au titre de l'investissement.
Mes chers collègues, nous avons compris que la BERD n'était pas une banque comme les autres. Utilisant l'argent public, elle n'est pas là pour faire des affaires. C'est un levier extraordinaire pour le Conseil de l'Europe afin d'asseoir la démocratie, l'État de droit, une gestion de transparence et afin de participer au développement et au bonheur que nous souhaitons à l'ensemble des populations de ces pays. Monsieur Lemierre, chers collègues, merci. Nous allons dans le bon sens, grâce à un dialogue permanent. »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Résolution (n° 1508).
3. Droits fondamentaux des migrants irréguliers
À l'ouverture de ce débat, M. Rudy Salles a soulevé un Rappel au règlement ainsi formulé :
« Monsieur le Président, Mes chers Collègues,
L'Unité de Communication de l'Assemblée parlementaire, le 19 juin dernier, a diffusé un texte intitulé : « Journée mondiale des réfugiés : LES parlementaires du Conseil de l'Europe appellent à un réexamen des politiques de forteresse », donc présenté en notre nom à tous.
Ladite déclaration appelle les États européens à, je cite : « Faire le point sur leurs responsabilités ». Cette formulation insinue que ces États seraient responsables, je cite encore : « Du nombre alarmant de morts que l'on continue de déplorer parmi les réfugiés et demandeurs d'asile ».
Jamais je n'aurais souscrit à pareille déclaration, qui confond migrants irréguliers et demandeurs d'asile et surtout reste muette sur le rôle des passeurs et autres trafiquants de vies humaines et sur les difficultés sociales des pays d'accueil manifestées par la progression des votes extrémistes.
Je récuse donc l'attribution de ce communiqué aux parlementaires du Conseil de l'Europe alors qu'il s'agit d'une démarche individuelle. Je la récuse d'autant plus que j'en conteste l'analyse. »
Puis, l'Assemblée parlementaire a engagé le débat sur les droits fondamentaux des migrants irréguliers. Tous les délégués ont souligné que les migrants réguliers comme « irréguliers » bénéficient des droits fondamentaux garantis par la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Néanmoins, si la commission des migrations saisie au fond a souhaité étendre à ces populations les droits sociaux, tel que le droit au logement, cet avis n'a pas été totalement partagé sur tous les bancs. Cet objectif, contraire au droit fondamental des États de maîtriser les flux migratoires à leurs frontières, a déclenché la controverse.
MM. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) et Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) se sont exprimés.
M. Jean-Guy Branger, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, je m'exprime en tant que parlementaire français. Le rapport qui nous est soumis m'interpelle sous certains aspects.
D'abord, le prétendu constat. Le rapport nous invite à respecter différentes normes internationales. Il omet de préciser que la Convention européenne des droits de l'homme s'applique à toute personne présente sur le territoire européen : citoyens, migrants, réguliers ou non. Les mesures suggérées sont déjà en vigueur dans la plupart des États membres, et en tout cas en France : prise en charge médicale des personnes qui ont besoin de soin, scolarisation des enfants quel que soit le statut de leurs parents, garanties judiciaires en cas de rétention ou d'expulsion et enfin assistance d'interprètes et de juristes.
Le rapport entretient une confusion entre migrants irréguliers et réfugiés ou demandeurs d'asile. Il va jusqu'à demander l'institution d'un «statut de migrant irrégulier» ! Lorsque j'avais organisé, au Sénat, en janvier 2004, la deuxième journée européenne des Migrations du Conseil de l'Europe, M. Nicolas Sarkozy, ministre français de l'Intérieur, avait judicieusement rappelé cette distinction nécessaire afin de pouvoir assurer aux migrants réguliers toute la protection qui leur est due.
La confusion entre toutes les catégories de migrants ne peut qu'encourager d'inquiétantes tendances extrémistes dans nos propres sociétés. Pouvons-nous réellement «offrir un logement à tous les migrants en situation irrégulière» ? Je le voudrais bien, mais nous n'en avons pas la possibilité en France. Ou renoncer au contrôle des mariages de complaisance ou encore étendre la protection sociale à tous ?
Enfin, le rapport ne dit mot des passeurs et autres trafiquants. Non, l'Europe n'est pas une forteresse : la France accueille 200 000 migrants sous différents statuts chaque année, et surtout, en 2005, 170 000 étrangers ont obtenu la nationalité française et sont donc devenus pleinement citoyens - ayant les mêmes droits que moi. La France, mais aussi l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne accueillent des millions de migrants et ont procédé plusieurs fois à des régularisations massives; l'image d'une forteresse est abusive. Mais je ne nie pas l'importance du problème des migrants économiques : faut-il accueillir tout le monde ou agir en amont ?
M. Hikmet Cetin, haut représentant civil en Afghanistan, a cité devant l'UEO, la semaine dernière, la confidence de l'imam d'un village afghan, déclarant : «J'ai onze enfants, comment voulez-vous que je puisse faire vivre ma famille sans cultiver l'opium, même si je sais que c'est mal et que c'est contraire à ma religion?»
Autres propos, ceux du représentant de l'UNICEF au Niger : «Ce pays est à nouveau en crise alimentaire, malgré une pluviométrie plus favorable. Que voulez-vous, les femmes ont en moyenne huit enfants et elles sont mariées à douze ou treize ans !» Pouvons-nous ignorer ces destins affreux ? Malgré des taux de croissance économique enviables, toute l'Afrique centrale, de la Somalie au delta du Niger, s'enfonce dans la misère.
Les États européens, plutôt que d'accueillir tous les candidats à des migrations économiques, au risque de déstabiliser complètement leurs propres sociétés, doivent lier leur aide, je ne crains pas de le dire, à la promotion du statut des femmes en Afrique sub-sahélienne.
L'accès des filles à l'éducation, n'est-ce pas la garantie de familles moins nombreuses et plus heureuses ? Les responsables politiques sont encore trop souvent en très grande majorité des hommes - et je salue la présence de Mme la ministre du gouvernement marocain ici présente. Nous devons faire l'effort de comprendre ce que peut représenter le mariage d'une fillette de 12 ans, accouchant à 13 ans de son premier enfant, suivi de sept à dix grossesses. Des mariages précoces, suivis de nombreuses grossesses qui épuisent l'organisme de ces toutes jeunes filles, par ailleurs soumises à des tâches écrasantes, constituent un traitement inhumain et dégradant.
Le Conseil de l'Europe serait pleinement dans son rôle en défendant la promotion des jeunes filles africaines et de tous ses enfants qui rêvent d'Europe, victimes des passeurs et autres exploiteurs de la misère. Mes propos n'enlèvent rien à la qualité du rapport qui nous est soumis. »
M. Jean-Claude Mignon, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, aborder la question des migrants irréguliers suscite inévitablement des querelles; mais une polémique est toujours un indicateur assez fiable de l'ampleur d'un phénomène. Tel est le cas lorsque l'on considère l'estimation du nombre de migrants irréguliers aujourd'hui en Europe : trois à cinq millions.
Ces chiffres pourtant éloquents peinent à cacher les événements tragiques qui ponctuent les flux migratoires. Chacun garde naturellement en mémoire ces embarcations de fortune surchargées de familles dérivant au gré des vents pour rejoindre les côtes européennes. Ces images de naufrages mettent en lumière les conditions inhumaines auxquelles sont livrés un grand nombre de migrants.
Toutefois, comment se persuader que le catalogue des droits préconisé dans ce rapport puisse améliorer durablement la situation de ces migrants irréguliers ? Sans doute, l'arsenal fourni par le droit international ne suffit-il jamais à couvrir toutes les situations; mais comment ne pas remarquer que la plupart des droits préconisés dans ce projet de résolution sont déjà des droits reconnus par le droit international et européen, notamment la Convention européenne des droits de l'Homme ? Et, franchement, quelle est la force réelle d'une telle litanie de droits ? N'est-elle pas précisément un aveu de faiblesse ?
L'exposé des motifs propose de sortir du raisonnement actuel. Effectivement, sortons-en et attaquons-nous aux causes du problème. A plusieurs reprises, le rapport préconise une égalité des droits entre nationaux et migrants irréguliers. Outre l'incongruité de cette proposition, comment ne pas remarquer le danger qu'elle fait courir aux principaux intéressés eux-mêmes ? L'appel à l'égalitarisme conduit fatalement à la xénophobie et au racisme. Peut-être faudrait-il imaginer un statut spécifique pour les migrants irréguliers dans lequel seraient rappelées les dispositions juridiques internationales les concernant, mais faire fi de leur situation spécifique conduirait à une simplification coupable. Nous ne pouvons pas l'accepter, et les populations européennes ne peuvent pas supporter l'idée de traiter l'illégalité de la même manière que la légalité.
En outre, nous nous étonnons qu'un rapport ayant pour objectif de traiter des droits fondamentaux passe sous silence l'un d'entre eux, et sans doute l'un des plus fondamentaux pour les migrants irréguliers : celui de ne plus être à la merci de réseaux criminels qui exploitent la misère du monde. Nous savons pertinemment que les afflux massifs de migrants ne sont pas libres et spontanés. Des réseaux bien organisés, ignorant totalement les catalogues de droits que nous proposons si ingénument, récoltent les maigres économies des candidats au départ, les abandonnent à leur triste sort une fois le voyage entamé ou les livrent à d'autres réseaux exploitant à leur tour une main d'oeuvre servile au coeur même de l'Europe.
Sans avoir l'ambition démesurée de faire disparaître les migrations irrégulières, l'objectif reste d'empêcher une irrégularité de plus en plus menaçante pour l'Europe entière mais, également, pour les migrants eux-mêmes. Or nous savons que ces migrations sont dues à la situation des pays de départ. L'économie de ces pays ne suffit pas à fournir un travail décent aux populations, et les États faibles et corrompus ne peuvent oeuvrer au bien commun. La mission qui est la nôtre est donc d'aider à lutter contre la criminalité organisée qui encourage et exploite la misère des hommes et d'aider les pays les plus faibles à bâtir des institutions solides, oeuvrant au bien commun.
Pour l'ensemble de ces raisons, je ne peux m'associer ni à l'adoption du projet de résolution ni à celle du projet de recommandation. »
A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1509) et une Recommandation (n° 1755) .
C. MERCREDI 28 JUIN 2006
1. Liberté d'expression et respect des croyances religieuses
À la suite de l'affaire dite des « caricatures de Mahomet », l'Assemblée a mené depuis plusieurs mois une réflexion sur la conciliation entre liberté d'expression et croyances religieuses. Point d'orgue de cette étude, une Résolution a été adoptée. Elle réaffirme une forme de primauté de la liberté d'expression sans négliger la tolérance, le dialogue et l'éducation. Certains, au cours du débat, animé par l'intervention de M. Recep Tayyip Erdoðan, Premier ministre de la Turquie, ont plaidé sans succès pour donner aux autorités religieuses le pouvoir de juger des atteintes éventuelles qui leur seraient faites.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc) et MM. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - Soc) et Jacques Legendre (Nord - UMP) se sont exprimés.
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
« De religion, nous avons beaucoup parlé. Chacun admet, me semble-t-il, qu'elle ressortit au domaine privé de l'individu - c'est alors ma pensée, ma conscience que j'engage. En revanche, l'expression est du domaine public. J'en profite pour rappeler que la séparation des deux domaines, privé et public, est la définition même de la laïcité.
Le respect des croyances, cela s'appelle la tolérance; et la tolérance est fondamentale. Pour élargir le débat, je dirais qu'il y a des croyances religieuses et des croyances philosophiques, mais que nous ne devons pas oublier les athées. Or je pense, que dans ce débat, elles n'ont pas trouvé leur place.
Je veux également élargir la notion de liberté d'expression qui a été ramenée essentiellement - et avec raison, compte tenu des événements récents - à la liberté d'expression de la presse. Il est vrai que, dans une démocratie, la liberté d'expression on la veut grande, et même totale. Il y a donc eu un certain consensus ici pour défendre une totale liberté de la presse. Toutefois il existe d'autres façons de s'exprimer! Ainsi porter le voile, c'est une autre forme d'expression.
La France et la Turquie ont fait de la laïcité une valeur fondamentale et lui ont donné une valeur constitutionnelle en l'inscrivant dans leurs textes. De ce fait, la France et la Turquie se sont rapprochées. En France, il s'agit de la loi de 1905, renforcée par la loi de 2003, rappelant qu'un certain nombre de symboles religieux n'ont pas leur place dans l'espace public, notamment à l'école. Cela signifie qu'en termes de liberté, quand cela apparaît nécessaire, l'État reprend ses droits et fixe des limites.
S'agissant de la Turquie, j'aurais eu plaisir à rappeler à M. le Premier ministre qu'elle a inscrit le principe de la laïcité dans sa Constitution en 1928, bien avant beaucoup d'autres pays qui se sont exprimés différemment. Il a parlé du « choc des civilisations ». Eh bien, j'aurais aimé lui parler du choc qui s'est produit récemment dans son pays - nous avons été spectateurs de nombreuses manifestations dans les rues -, et lui demander si la laïcité est en danger en Turquie. En effet, le Conseil d'État, l'institution garante de la laïcité en Turquie, a été attaqué, un magistrat est même décédé. Mais la liberté d'expression s'est manifestée dans les rues de la capitale pour défendre le principe de la laïcité.
Alors oui, l'Alliance des civilisations est un objectif; c'est même un défi, un honneur pour ceux qui veulent arriver à ce que cette alliance des civilisations commence par un débat. Or ce débat s'est engagé ici. Plus nos sociétés seront démocratiques, pluralistes et laïques, plus elles défendront les valeurs universelles et créeront un espace unifié, sans ligne de partage, auxquelles faisait référence le Président du Conseil de la Fédération de Russie. Les mots ont un sens. Il faut qu'ils en aient un et il faut surtout donner du sens à nos actions ! »
M. Jean-Pierre Kucheida, député :
« Depuis quelques années, nous assistons à la remise en question de la liberté d'expression. Je pense notamment à des critiques formulées à l'encontre des religions par des intellectuels, des cinéastes, des journalistes. La religion aurait-elle toujours raison ? Dernièrement encore, l'affaire des caricatures, a fait couler beaucoup d'encre, si je peux m'exprimer ainsi. La liberté d'expression inclut pourtant, le droit au blasphème car ses seules limites sont les appels à la haine, les appels à la violence et les attaques personnelles diffamatoires.
Mon intervention a pour but non pas d'attaquer les religions, - loin de moi cette idée -, mais de défendre, en tant qu'être humain et en ma qualité d'élu, mes semblables, lorsque ceux-ci sont victimes d'injustice ou lorsque les valeurs supérieures de la démocratie sont remises en question.
Par ailleurs, n'oublions pas que, chaque jour, des journalistes risquent leur vie pour l'information. Nombre d'entre eux sont morts ou emprisonnés. Soixante-trois ont été tués en 2005 et un journaliste suédois a été assassiné en Somalie, il y a quelques jours. La liberté de la presse doit parfois être encadrée pour éviter tout débordement, mais elle est trop précieuse pour être sacrifiée à des intérêts partisans.
D'Alembert ne disait-il pas déjà, au XVIIIe siècle : « Je pense que si l'on accorde la liberté de la presse, elle doit être sans limite et indéfinie ». Eh oui, M. Erdoðan, c'est ainsi que les sociétés ont évolué, par à-coups certes, mais elles ont évolué quand même !
N'oublions pas non plus que les réactions, - qui ne sont pas sans rappeler l'Inquisition - de certains intégristes religieux, toutes obédiences confondues, tendent à proscrire toute critique du fait religieux, alors que le droit de contester telle ou telle religion représente sans doute, historiquement, la conquête la plus importante et la plus chèrement payée de la liberté d'expression. La tolérance ne peut être à sens unique.
Je pense que, lorsque des personnes menacent de mort d'autres personnes dont le seul crime, au nom de la liberté d'expression, est d'avoir un point de vue différent sur la religion ou d'avoir plaisanté sur ce sujet, il y a atteinte profonde à la démocratie. Ce n'est d'ailleurs pas la seule atteinte que certaines religions infligent à la société. La non-reconnaissance du droit des femmes, en particulier, en est une majeure.
C'est pourquoi il convient de tout faire pour développer une société laïque, comme l'ont très bien compris des hommes comme Mustapha Kemal et, avant lui, les pères fondateurs des États-Unis, les grands révolutionnaires français, allemands ou italiens et les hommes politiques de la IIIe République française. Le pouvoir politique n'est influencé en rien par la religion dans ses politiques au niveau de la liberté d'expression et des droits de l'homme. Une société laïque est une société où s'est imposée la séparation des églises et de l'État, la séparation du domaine public et du domaine privé, comme le disait Mme Durrieu. C'est une tâche compliquée car il s'agit d'un combat de chaque jour où notre Assemblée a un grand rôle à jouer.
Les religions qui souhaitent être respectables et respectées doivent évoluer et admettre cette situation. En harmonie avec les droits de l'homme, le Conseil de l'Europe la défend toujours avec juste raison. »
En réponse aux orateurs, M. Jacques Legendre (Nord - UMP) s'est exprimé en sa qualité de Président de la commission de la Culture, de la science et de l'éducation (1 ( * )) .
M. Jacques Legendre, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, c'est à l'honneur de notre Assemblée parlementaire que d'avoir voulu un débat public sur un thème aussi important et aussi difficile. La liberté d'expression est au coeur des valeurs de l'Europe. Dans nos différents pays, nous avons conquis progressivement la possibilité de nous exprimer en toute liberté et en toute sécurité. Nous avons donné une forme à ces valeurs, grâce, par exemple, de la Convention européenne des Droits de l'Homme, à laquelle nous sommes particulièrement attachés.
Nous sommes maintenant confrontés à l'irruption d'autres sensibilités, celles d'autres zones géographiques qui, dans ce monde globalisé qui est maintenant le nôtre, se sont rapprochées de nous. Elles sont sensibles à ce dont nous débattons ici, ne le comprennent pas toujours et protestent. Mais, mes chers collègues, devrions-nous, avant chaque prise de parole, nous interroger sur les réactions qui pourraient être celles de toutes les parties du monde ? Nous serions alors menacés par l'autocensure.
Il importe donc qu'au travers du rapport que vient de présenter Mme Hurskainen, nous trouvions un équilibre à même de rappeler qu'on ne saurait transiger avec la liberté d'expression. Si, par l'éducation, par exemple, tous ceux qui ont une croyance et une foi doivent accepter, voire supporter, qu'elles soient contestées et caricaturées, en revanche, tous ceux qui s'expriment doivent toujours avoir à l'esprit que l'autre ne doit pas être blessé inutilement et que la liberté de conscience ne permet pas n'importe quoi. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1510).
2. Suivi du Troisième Sommet des chefs d'État et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe (Varsovie, 16-17 mai 2005)
L'après-midi, l'Assemblée a débattu conjointement de deux rapports relatifs aux suites données au Troisième Sommet du Conseil de l'Europe tenu à Varsovie les 16 et 17 mai 2005. L'Assemblée s'est félicitée du travail mené par le Groupe des Sages constitué pour mettre en oeuvre les décisions de ce sommet. Son premier travail a porté sur l'encombrement constaté à la Cour européenne des Droits de l'Homme et les mesures pratiques à prendre pour y remédier ; regroupées au sein du protocole 14, elles sont en passe d'être ratifiées par tous les États membres.
Il a également été question de la protection que les États se doivent d'apporter aux populations immigrées et déplacées. Une série de propositions favorisant la coopération culturelle et le dialogue interreligieux entre les peuples d'Europe a été proposée.
Enfin, certains délégués ont appelé de leurs voeux l'instauration d'une plus grande lisibilité des normes issues du Conseil et une diminution du nombre de résolutions et recommandations adoptées, afin de recentrer les travaux du Conseil de l'Europe sur ses missions premières ; cette rationalisation serait, selon eux, le gage d'une plus grande efficacité.
MM. Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP), Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) et Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin - Soc) se sont exprimés.
M. Francis Grignon, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, la recommandation que nous propose M. Kosachev comporte de nombreux éléments. Je me contenterai d'appeler votre attention sur quelques points.
J'approuve tout à fait l'invitation adressée à tous nos gouvernements de signer, puis de faire ratifier, les récentes conventions du Conseil de l'Europe. A cet égard, j'ai le plaisir de vous confirmer que mon pays vient de ratifier la Convention sur la traite des êtres humains ainsi que le protocole qui permettra la Cour européenne des Droits de l'Homme de résorber les trop nombreuses affaires en attente et d'écarter les requêtes abusives.
Vous savez que ce protocole ne peut entrer en vigueur que si tous les États du Conseil de l'Europe l'ont ratifié. Je joins donc ma voix à celle de M. Kosachev et de notre commission des questions politiques pour que les États qui ne l'ont pas fait, ratifient ce protocole suspendu à leur adhésion. Ne laissons pas perdurer ce paradoxe d'une Cour européenne des Droits de l'Homme qui juge inéquitables les procédures nationales d'une durée excessive, d'une part; qui met plusieurs années elle-même à trancher ces contentieux, d'autre part.
S'agissant de la clarification des compétences entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, j'approuve, bien entendu, avec notre rapporteur, l'essentiel du rapport de M. Juncker. J'aurais même souhaité qu'il aille plus loin et rappelle l'inutilité d'une Agence européenne des droits de l'homme de l'Union européenne. Certains États de l'Union n'y sont d'ailleurs pas favorables, d'abord pour des raisons budgétaires. Nous sommes fondés à ajouter que cette nouvelle agence serait redondante par rapport à la Cour européenne des Droits de l'Homme. Prenons garde à ne pas brouiller toujours plus un paysage institutionnel déjà perçu par nos concitoyens comme de plus en plus bureaucratique.
C'est dans le même esprit de clarté et d'économies que je suis très réservé sur l'institution du « Forum du Conseil de l'Europe pour l'avenir de la démocratie, pour renforcer la démocratie » et, surtout à l'égard de sa pérennisation. On dit de façon plaisante en France que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires. La démocratie serait-elle une chose trop sérieuse pour la confier aux élus? On pourrait le croire en lisant la composition de ce Forum, qui rassemble « des décideurs, des fonctionnaires, des acteurs de terrain et des universitaires ».
Le fonctionnement de cette nouvelle institution pèsera immanquablement sur notre budget. Ses déclarations éventuelles feront concurrence à nos propres débats alors même que nous tenons notre mandat du suffrage universel, c'est-à-dire de l'expression même de la démocratie.
Pour le reste, je souscris aux différentes propositions de notre rapporteur, dans la mesure où nous poursuivons un objectif commun d'efficacité de toutes les institutions européennes. C'est la meilleure réponse que nous pouvons adresser à tous les eurosceptiques. Je dirais même que c'est notre devoir si nous voulons redonner souffle au grand projet européen !
J'ajoute pour conclure que nous en aurons grandement besoin dans mon pays, entre autres, si nous ne voulons pas que l'Europe reste à la traîne des autres grandes régions du monde, car, j'en suis convaincu, la prospérité à long terme passe par plus d'Europe, qui reste véritablement la condition sine qua non du développement, de la culture, de la paix sociale, de la paix et de la démocratie. »
M. Jean-Guy Branger, sénateur :
« Permettez-moi d'abord de remercier notre rapporteur, M. Hagberg, ainsi que les deux autres rapporteurs qui ont effectué un travail remarquable.
L'excellent rapport de M. Hagberg est le fruit d'un long et riche débat au sein de la commission des migrations, des réfugiés et de la population. L'objectif de ce rapport était de définir les activités de la commission à la lumière du Plan d'action de Varsovie et d'adopter des priorités pour les années à venir. L'idée force de la déclaration que le Conseil de l'Europe doit continuer de privilégier dans son action sont les valeurs communes qu'il incarne depuis sa création : la défense et le développement d'une démocratie pluraliste, les droits de l'Homme et l'État de droit.
Pour sa part, la commission des migrations, des réfugiés et de la population a défini trois axes de travail, comme son rapporteur vient de le souligner. Nous avons également insisté sur la nécessité de développer davantage de synergies avec les parlements nationaux -, notamment avec leurs commissions compétentes, - avec le Parlement européen, avec les différents organes des Nations Unies, avec l'organisation internationale pour les migrations, avec le Comité international de la Croix-Rouge, ainsi qu'avec les syndicats, les employeurs et la société civile.
La commission des migrations, des réfugiés et de la population entend également renforcer ses liens avec d'autres secteurs au sein du Conseil de l'Europe, notamment en jouant un rôle actif lors des réunions régulières de la plate-forme politique sur les migrations. Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention et vous invite à apporter votre soutien à ce rapport.
Je veux ajouter un petit mot pour remercier M. Kox qui faisait observer que la France avait gagné hier avec des Français d'origine étrangère. C'est vrai, nous sommes un pays de 60 millions d'habitants; plus de 6 millions de Françaises et Français sont d'origine étrangère. Sachez que je m'en réjouis et m'en félicite. Évidemment, nous les trouvons à la tête d'entreprises, d'organisations bancaires mais aussi sur les terrains de sport où ils courent parfois plus vite que les Européens. »
M. Jean-Marie Bockel, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, Le Rapport de notre Commission des migrations sur le Troisième Sommet me laisse perplexe, essentiellement par l'ambiguïté de certaines formulations. J'approuve évidemment pleinement l'appel à rester fidèle aux valeurs du Conseil de l'Europe dans l'approche des problèmes migratoires.
D'ailleurs, la Convention européenne des Droits de l'Homme garantit l'exercice des libertés fondamentales non seulement aux citoyens des États membres du Conseil de l'Europe, mais également à toute personne se trouvant sur le territoire d'un de ces États, y compris s'il s'agit de migrants en situation irrégulière.
En revanche, il ne me semble pas que la Commission des migrations ait reçu des chefs d'État et de gouvernement la mission de, je cite : «assurer la gestion des flux migratoires légaux et clandestins», comme le répètent le projet de Résolution et le projet de Recommandation.
Je suis d'autant plus perplexe sur ce point qu'il s'agit du vrai défi posé à l'Europe comme vient de le réaffirmer le dernier Conseil de l'Union européenne.
Élus par nos concitoyens, nous sommes évidemment garants du respect des Droits de l'Homme, mais nous sommes aussi responsables du fonctionnement harmonieux de nos sociétés, y compris l'intégration des migrants que nous accueillons par dizaines de milliers, dont plus de 150 000 reçoivent chaque année la pleine nationalité française . Il est irréaliste de laisser croire aux migrants irréguliers qu'ils pourront trouver leur place sans problème dans nos villes déjà aux prises avec des problèmes difficiles.
La priorité n'est-elle pas pour nous d'aider les enfants ou petits-enfants d'immigrés à se situer dans les sociétés où ils sont nés ? Il faut leur assurer des formations qui débouchent sur des emplois, y compris les plus qualifiés, leur rendre une nécessaire estime d'eux-mêmes dans le respect des droits et libertés des autres.
Je réfute l'allégation de guerre des civilisations : il est possible d'être fidèle à l'héritage culturel musulman et de partager les valeurs européennes. Ainsi, j'ai le plaisir ainsi de saluer l'entrée à l'Académie française de la romancière Assia Djebar, née en Algérie.
Les projets de Résolution et de Recommandation dont nous discutons s'engagent aussi en faveur de la promotion du dialogue interculturel. Il me semble que cette mission, éminemment nécessaire, incombe par excellence à notre Commission de la culture, de la science et de l'éducation. Nombre de ses rapports promeuvent d'ailleurs ce dialogue interculturel, comme ce matin même au sujet de la liberté d'expression et du respect des croyances religieuses.
Enfin, je regrette que la Commission des migrations entretienne une certaine confusion entre réfugiés et demandeurs d'asile, d'une part, et migrants irréguliers, d'autre part. Il est évident que ces flux appellent des réponses distinctes. La solution des problèmes des pays qui souffrent de sous-développement économique ne peut pas être la seule émigration vers l'Europe. En revanche, nos États doivent se montrer résolument généreux dans la conduite de politiques de co-développement.
Nous devons également prendre en compte les besoins à long terme des populations, notamment de l'Afrique sub-sahélienne, dans les négociations commerciales internationales. Ainsi, l'Union européenne a renoncé à toute subvention à la culture du coton dont dépend une large partie de l'économie du Burkina Faso et du Mali.
De même, nous devons peser sur les orientations du FMI et de la Banque mondiale pour que ne soient jamais sacrifiées les dépenses d'éducation et de santé. L'investissement primordial sur lequel je veux insister est la scolarisation des filles. Je souhaiterais d'ailleurs que cette question fasse l'objet de travaux de notre Commission tant je la crois déterminante pour l'évolution des sociétés d'où partent les migrants chassés par la misère. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté trois Recommandations (n° 1756, n° 1757 et n° 1758) et une Résolution (n° 1511).
3. Les parlements unis pour combattre la violence domestique contre les femmes
Au cours d'un débat chargé d'émotion, l'Assemblée a décidé que chaque Parlement des États membres du Conseil de l'Europe organiserait tous les 24 novembre une manifestation en faveur de la lutte contre les violences domestiques dont sont victimes les femmes. Les délégués ont rappelé l'ampleur de ce fléau dans nos sociétés et la nécessaire protection que les États se doivent d'apporter aux victimes et à leurs enfants.
Mmes Arlette Grosskost (Haut-Rhin - UMP) et Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc), ainsi que M. Jean-Guy Branger (Charente-Maritime - UMP) se sont exprimés.
Mme Arlette Grosskost, députée :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, si la lutte contre les violences envers les femmes dépasse le seul cadre français, à l'exemple de nos discussions dans cette enceinte ou bien encore, à l'exemple de la décision prise par l'Assemblée générale des Nations unies de décréter tous les 24 novembre « Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes », je veux rappeler la volonté des responsables gouvernementaux de mon pays de mettre les violences faites aux femmes au coeur de leur action.
Voilà près de dix-huit mois maintenant a été présenté au conseil des ministres un Plan global de lutte contre les violences faites aux femmes, s'agissant plus particulièrement des violences exercées dans le cadre conjugal. Au niveau de notre gouvernement, ce dossier relève de la compétence de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.
Il faut dire que les violences faites aux femmes ont souvent été mésestimées ou sous-estimées. C'est l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, réalisée en 2000, qui a véritablement permis d'en mesurer l'ampleur. De cette enquête il ressortirait qu'une femme sur dix avait été victime de violences conjugales au cours des onze derniers mois. Cinq ans plus tard, une étude sur l'ensemble des homicides recensés en France faisait apparaître que ces violences provoquaient le décès d'une femme tous les quatre jours. Il faut savoir aussi que plus de la moitié des conjoints violents récidivent.
Face à ces violences, brutales et inacceptables, le plan triennal de lutte 2005-2007, lequel se rattache aux principes définis en 2003 par la Charte de l'égalité, définit dix mesures-phares pour assurer une meilleure protection juridique des femmes. Il s'agit ainsi de repérer les situations de violence, de mesurer le phénomène de la violence au sein du couple et d'évaluer son coût, d'accueillir, d'héberger ou de favoriser l'accès au logement des femmes victimes, de leur proposer des aides financières, de les accompagner professionnellement, de faciliter l'accès des femmes à la justice et d'assurer leur protection, de renforcer le soutien financier aux associations et le partenariat entre les différents acteurs, d'accroître l'effort de communication vers le grand public, de prévenir les violences dès l'école et d'agir en Europe et dans le monde.
Au mois de mars dernier a été remis à Mme Vautrin un rapport intitulé Auteurs de violence au sein du couple: prise en charge et prévention qui examine les voies et moyens d'une prise en charge du partenaire violent, dans la perspective d'éviter la récidive, qu'il y ait ou non, reprise de la vie commune avec la victime.
Par ailleurs, une expérience intéressante est en cours à Douai, dans le nord de la France. Un magistrat, longtemps avocat général en cours d'assises, a mis sur pied une politique «tolérance zéro» pour les maris violents. A l'inverse de ce qui se passe dans l'ensemble du pays, c'est le conjoint violent qui doit partir. Dans le Nord, désormais, une simple gifle, des menaces ou de simples insultes et le mari fait l'objet d'une convocation d'un magistrat qui lui adresse un rappel à la loi. En cas de faits de violence grave, des peines de prison sont systématiquement prononcées.
De nombreuses lois dans notre pays ont fait avancer le dossier. Ainsi la dernière loi, en date du 4 avril 2006, renforce la prévention et la répression des violences au sein du couple : le seul fait de commettre des violences constitue une circonstance aggravante. Ainsi, en cas de meurtre -malheureusement, cela se produit- la peine encourue est dorénavant la perpétuité. M. Sarkozy, notre ministre de l'intérieur érige la lutte contre les violences conjugales en priorité. Dans une circulaire datant de janvier 2006, il demande la garde à vue immédiate et systématique pour les auteurs de violences conjugales.
Cependant la lutte contre les violences faites aux femmes dépasse évidemment le cadre des violences conjugales car elles concernent aussi l'exploitation sexuelle, les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés, le harcèlement sexuel ou moral.
La femme victime doit faire l'objet de toutes nos attentions : il en va de notre responsabilité, de notre morale et de la vision de la société que nous voulons laisser en héritage à nos enfants.
En conclusion, permettez-moi de saluer l'excellent rapport qui nous a été soumis par Mme Clivetti, de remercier Mme Ertürk et d'encourager l'ensemble des parlementaires ici présents, de tous pays de s'attacher encore et toujours à ce fléau pour l'éradiquer. »
Mme Josette Durrieu, sénatrice :
Je sens beaucoup d'émotion dans cet hémicycle en cet instant. Des sentiments divers animent les propos entendus.
Les femmes battues ! Ainsi que ma collègue française l'a rappelé, dans mon pays, tous les quatre jours une femme décède des coups qu'elle reçoit. J'aurais pu ne pas le savoir; c'est un rapport de la Cour de cassation qui en a fait état en 2003. Je ne pouvais pas le croire. Eh bien, c'est vrai !
Tout ayant été dit et je n'ai pas besoin de répéter ce que vous avez déjà entendu. Toutes les causes ont été énumérées : l'alcool, les causes psychologiques, culturelles, la religion, dont nous avons beaucoup parlé ce matin. A Lyon, dans mon pays, un imam a déclaré récemment que, dans le Coran, il était écrit que l'on pouvait battre sa femme.
Cependant la raison première, la raison majeure, c'est quand même Dame nature, qui a donné à l'homme cette supériorité qu'est la force. La violence s'exprime par un acte bestial. M. de Puig a parlé avec juste raison de barbarie.
Et tout cela se produit dans la sphère privée, de bonheur, espace d'humeur, espace d'horreurs, espace de terreur... de silence ! Pas vu, pas pris ! Non, vu ! Pourtant ils sont au moins trois à savoir : la femme qui reçoit les coups, l'homme qui les donne et les enfants qui assistent à la scène. Un jour, quelqu'un parlera. Il faudrait que chaque responsable de violences le sache une fois pour toutes et s'en souvienne.
La notion de femme marchandise joue aussi un rôle. A cet égard, nous avons examiné un rapport du Conseil de l'Europe portant sur le trafic des femmes à la veille de la Coupe du monde de football. Prostitution et trafic de la femme ont pour finalité le profit, disons le «fric» ! Voici l'économie de marché dans toute son horreur, quand le produit vendu est un être humain. Ce trafic se déroule peut-être à l'instant même au centre de l'Allemagne, à Cologne, à Hambourg et dans toutes ces villes dans lesquelles se déroule ce spectacle sportif.
S'il s'agissait d'un trafic d'armes, on s'en serait peut-être ému au sein de la FIFA mais il s'agit «seulement d'un trafic de femmes ! Désormais, le fait est acquis, on ne s'émeut plus. «Elles font le plus vieux métier du monde, elles sont consentantes» entend-on. - Non, ce n'est pas vrai !
Il est des moments, quand je croise le regard des hommes, y compris ceux qui sont ici, je me demande... D'ailleurs, toute la journée, je n'ai cessé de penser à ce débat et je me disais... Mais je préfère ne pas dire ce que je me disais. A propos de certains, je me demandais quand même s'ils pensaient que celle-là pouvait être leur femme, leur fille ou leur soeur. Bon, n'en parlons plus ! D'ailleurs, qu'a dit la FIFA ? Rien ! Et les stars de football, qui ont tant d'influence sur nos enfants ?
Que devient la Chine, ce pays où l'on ne veut plus de femmes ? On y élimine les foetus, les infanticides post-natals sont systématiques : pas de femmes, pas de traces. J'ai envie de poser quelques questions cyniques : les garçons qui restent sont-ils bien en Chine ? Non ! Et que vont faire ces hommes sans femmes ? Ils en achèteront peut-être une, mais les femmes deviendront un produit rare, par conséquent un produit cher. Mais que va devenir la Chine ? »
M. Jean-Guy Branger, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, je me réjouis, à la lecture de cet excellent rapport, de constater que notre Assemblée persévère sur un sujet aussi difficile que révoltant : la violence faite aux femmes.
Membre de la commission d'égalité de notre Assemblée, je suis aussi l'auteur, au nom de la délégation du Sénat français aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, d'un rapport sur la lutte contre les violences faites aux femmes au sein du couple. Mon rapport traite de toutes les formes de violence, des plus graves - les meurtres et les mutilations sexuelles - jusqu'aux plus fréquents, les mariages forcés. Je tiens d'ailleurs, en cette occasion, à saluer notre collègue Mimount Bousakla, qui avait organisé une très importante audition parlementaire à Anvers, laquelle m'a permis de faire progresser la législation française. Nous venons d'adopter l'âge unique de 18 ans pour contracter mariage; en outre, des dispositions nous permettront d'éviter les mariages forcés, y compris lorsqu'ils sont «célébrés» à l'étranger.
Je suis convaincu que la meilleure arme pour éviter que les femmes ne soient des victimes c'est qu'elles trouvent dans nos sociétés une indépendance financière, stable et durable, dans le monde du travail. Toutes les actions qui encouragent l'insertion des femmes dans la vie professionnelle et celles qui les aident à concilier leur vie de famille et l'exercice d'une profession me semblent majeures.
En 2004, nous avons en France, adopté un plan de lutte contre les violences. Les mesures principales qu'il contient sont d'ordre matériel: expulser du logement familial le conjoint violent plutôt que l'épouse victime; proposer des aides financières; mettre en place un accompagnement professionnel et assurer la protection physique des victimes. Nous devons prouver aux femmes que les États peuvent et veulent les protéger d'inacceptables situations, même si celles-ci relèvent du domaine de la vie privée.
Toutefois la difficulté est grande lorsque l'on s'attaque aux violences familiales; elles ont lieu dans les maisons, derrière les volets clos, à l'abri des regards dont les seuls témoins - et c'est là une cruelle réalité- sont les enfants.
Après Sohane, brûlée vive par un «ami» repoussé, près de Paris, Datou Coulibaly, 19 ans, a été, le 15 mai dernier, égorgée par un ex-fiancé. Ces violences abominables sont aussi intolérables que les crimes d'honneur qui ont eu lieu en Suède ou en Allemagne. C'est pourquoi je vais, en cet instant, m'arrêter sur la dernière phase du point 2 du projet de résolution qui, je dois le dire, me tient tout particulièrement à coeur, je cite : «L'Assemblée rejette tout relativisme culturel ou religieux qui amènerait les États à se soustraire à leur obligation d'éliminer toute forme de violence contre les femmes».
Il y a les coups, inadmissibles, mais la privation des droits des femmes et des jeunes filles ne le sont pas moins, le joug de certains parents qui les détournent de l'obligation scolaire ou l'oppression dont elles font l'objet. Nous devons donc soutenir résolument la manifestation à laquelle le rapport nous invite, tous les 24 novembre, nous, les parlementaires membres du Conseil de l'Europe.
J'y vois deux grands impératifs: d'une part, nos sociétés sont appelées à prendre acte du silence, de l'effroi et de l'humiliation des femmes et des enfants victimes de violences; d'autre part, vous le savez, j'ai l'habitude, au nom d'un certain réalisme et de la conception que je me fais de l'exercice de nos mandats électifs, de ne pas souscrire aux propositions qui délèguent à un centre ou à un cercle d'experts les missions qui sont les nôtres. Nous sommes d'abord des responsables.
C'est donc sans réserve que je voterai cette résolution et que je me félicite de cette initiative qui fait de chaque Parlement national un acteur de cette grande cause. Madame Cliveti, merci pour cette initiative ! Merci pour ce rapport ! »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Recommandation (n° 1759) et une Résolution (n° 1512) .
4. Position de l'Assemblée parlementaire à l'égard des États membres et observateurs du Conseil de l'Europe n'ayant pas aboli la peine de mort
Dans une ambiance grave, l'Assemblée a examiné un rapport enjoignant les États membres et les observateurs du Conseil de l'Europe à abolir la peine de mort. La Fédération de Russie, membre depuis 10 ans du Conseil, s'était engagée à le faire avant 1999. Elle n'a depuis lors que suspendu les exécutions par un moratoire de fait (il faut souligner que le seul auteur jugé pour le crime terroriste de Beslan qui fit plusieurs centaines de morts, pour la plupart des enfants, a été condamné à la prison à perpétuité et non à mort).
Si les mots ont été durs envers la Fédération de Russie, qui préside le Comité des Ministres pour la première fois de son histoire, ils l'ont été tout autant envers les États-Unis et le Japon, qui ont été menacés de perdre leur qualité d'Observateurs auprès de l'Organisation.
Il a été demandé à l'Albanie et la Lettonie d'abolir la peine de mort pour les crimes de guerre, pour lesquels ce châtiment existe encore. Enfin, l'Assemblée a demandé à l'Azerbaïdjan de clarifier la situation des prisonniers condamnés avant l'abolition de la peine de mort.
Les délégués russes qui se sont exprimés au cours du débat ont souligné que si une partie de la classe politique était favorable à l'abolition, tel n'était pas le cas du peuple et qu'il serait contre-productif de présenter une loi qui serait rejetée aujourd'hui, en raison de la persistance de certaines formes de terrorisme.
MM. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) et François Rochebloine (Loire - UDF) se sont exprimés.
M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur :
« En félicitant Mme Wohlwend pour son rapport, j'exprime le même regret qu'elle de devoir renouveler une recommandation de notre Assemblée à deux États observateurs, les États-Unis et le Japon, d'abolir la peine de mort. Une actualité récente rend cet appel malheureusement plus urgent encore. Une exécution par injection létale, pratiquée aux États-Unis il y a quelques semaines, n'a provoqué la mort du condamné qu'au terme d'une agonie de 84 minutes, après convulsions et appels au secours, l'anesthésie n'ayant pas fait effet.
Une décision de la Cour suprême des États-Unis a jugé que la peine de mort n'était pas contraire au principe constitutionnel de prohibition des châtiments cruels et exceptionnels. L'exécution, dont je viens de rappeler le déroulement affreux, est pourtant bien constitutive de cette cruauté que les constituants américains ont proscrite.
Le mode de désignation des juges à la Cour suprême laisse malheureusement augurer du rejet de tout nouveau recours contre la peine de mort aux États-Unis. Pourtant -et c'est un bon signe- la population américaine semble bien évoluer sur cette question, au moins à travers les prises de position de ses élus, et notamment de l'usage du droit de grâce. On se souvient du geste du Gouverneur de l'Illinois commuant toutes les peines capitales et une statistique récente montre que, en dix ans, les exécutions ont diminué de moitié. Une décision de la Cour suprême ne permet plus de condamner à mort les inculpés qui ont commis leurs crimes avant leur majorité ou dont les facultés mentales sont diminuées.
Je veux voir également un signe positif de l'évolution de l'opinion américaine dans l'adoption par le Congrès d'une loi interdisant aux forces armées de recourir à la torture, fût-ce dans le cadre des opérations anti-terroristes. Je ne parle pas de la CIA.
S'agissant du Japon, le message est en quelque sorte à double entendement. On connaît la compétition pour le leadership en Extrême-Orient entre le Japon et la Chine. La Chine n'a pas demandé le statut d'observateur au Conseil de l'Europe, mais elle doit accueillir en 2008 les Jeux olympiques. Or, dans ce pays, ce sont plusieurs milliers de prisonniers qui sont exécutés chaque année.
La peine de mort est là d'autant plus indéfendable qu'elle est prononcée par des structures qui n'ont de «tribunaux» que le nom et le plus souvent sans assistance d'un avocat réellement indépendant. Le Japon n'est-il pas, de par son statut d'observateur, une manière d'ambassadeur des valeurs du Conseil de l'Europe que nous voulons croire plus que jamais universelles ?
C'est pourquoi nous souhaitons que le Japon abolisse effectivement la peine capitale dans sa propre législation afin d'être un membre à part entière de la communauté abolitionniste. Nous le désirons particulièrement pour influencer l'immense Chine, afin que son développement s'accompagne de l'indispensable progrès juridique avec les institutions de l'État de droit que sont : un code pénal respectant les libertés fondamentales et d'abord le droit à la vie; des tribunaux indépendants et des juges bien formés ; un barreau à l'abri de toute pression, d'abord politique. »
M. François Rochebloine, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'abolition de la peine de mort est un débat de conscience. Il ne cesse d'être repris à chaque occasion où un acte odieux, un comportement de guerre terroriste, une marque de mépris de la vie humaine vient susciter l'indignation collective.
Il faut sans aucun doute lutter contre la tentation du rétablissement de la peine de mort ; il faut sans aucun doute encourager ceux qui préconisent son abolition là où elle existe encore. Mais en se gardant de séparer le combat, négatif, de l'abolition, du combat, positif, pour la dignité de l'homme.
J'observe que les deux adversaires de l'antagonisme ancien qui a structuré la vie politique de la seconde moitié du vingtième siècle, la Russie et les États-Unis, se retrouvent dans une hostilité commune à l'abolition de la peine de mort, même si la première, de fait, ne la met pas en pratique actuellement. Je ne peux que déplorer que la tentation de grande puissance porte ainsi le premier État du monde à s'affranchir des principes démocratiques qu'il a lui-même contribué à définir avant la Révolution française, et je souhaite que la Russie transforme rapidement en situation de droit positif, par une abolition formelle, le moratoire précaire actuellement appliqué.
J'observe qu'une nouvelle fois l'Azerbaïdjan se singularise par une curieuse pratique, consistant à maintenir depuis huit ans dans les conditions de détention des condamnés à mort les personnes que l'abolition juridique de cette peine absolue dans ce pays a préservé en droit de l'exécution capitale.
Une telle situation ne saurait, malheureusement, me surprendre tellement les actuelles autorités azerbaïdjanaises sont habituées à masquer derrière des concessions de façade des comportements caractérisés de violation des droits élémentaires de la personne. C'est bien la preuve de l'intégration nécessaire du combat abolitionniste dans la défense et promotion de la dignité de la personne. Je soutiens donc vigoureusement la proposition du rapport qui prévoit l'évaluation exacte de la situation ainsi dénoncée et, plus largement, j'approuve les orientations générales du projet de recommandation qui nous est soumis. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Recommandation (n° 1760).
D. JEUDI 29 JUIN 2006
1. Réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine
L'Assemblée a regretté le rejet, par le Parlement, de la réforme constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine le 26 mai dernier. Elle a insisté sur l'urgence à passer d'une représentation politique basée sur l'appartenance à une représentation basée sur la citoyenneté.
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1513) .
2. Conséquences du référendum au Monténégro
L'Assemblée s'est félicitée du résultat du référendum au Monténégro, dont elle a souligné le bon déroulement au regard des normes démocratiques établies par le Conseil de l'Europe. Elle s'est dite prête à accueillir dès la prochaine session des observateurs monténégrins et à enclencher les négociations avec ce nouveau pays sous l'égide de la commission de suivi. Elle a souligné l'importance de maintenir un équilibre pacifique dans les Balkans et poursuivra avec la Serbie les contacts rapprochés qu'elle entretient d'ores et déjà pour y améliorer la protection des Droits de l'Homme.
M. Jean-Marie Geveaux (Sarthe - UMP) s'est exprimé.
M. Jean-Marie Geveaux, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, le 21 mai dernier la population monténégrine a permis au Monténégro de devenir un État à part entière. Cette sécession, comme l'a rappelé à juste titre notre rapporteur, s'est déroulée sans heurts et en toute transparence. Elle est un bel exemple de démocratie directe dans une région troublée.
Les conditions posées par la Commission de Venise peuvent nous interpeller. Je rejoins les propos de notre rapporteur et de M. Gardetto sur cette question : doit-on exiger des conditions similaires pour d'autres cas semblables ? Il convient vraiment de s'interroger. Il n'en reste pas moins que ces conditions ont été largement remplies.
Cette indépendance repose sur des fondements juridiques solides et dispose de la légitimité politique. Le Monténégro est l'un des rares pays de la région à avoir su préserver une paix relative entre ses minorités. Il est significatif que le Parlement, dans sa déclaration d'indépendance, a aussitôt défini le nouvel État comme une société civile, multinationale, multiethnique, multiculturelle et multiconfessionnelle. Il reste néanmoins à ce nouvel État à affronter les réalités, et, avant tout, à relever le défi de la reconstruction économique. Le chômage sévit et les trafics, l'économie parallèle, prospèrent. Ce pays, faiblement industrialisé, au relief montagneux, mise sur son littoral encore préservé pour développer le secteur touristique.
Sur le plan politique, comme le souligne justement le rapporteur, il doit finaliser sa réorganisation interne et trouver un compromis avec les tenants de l'unité de la République serbe.Plus important encore, il doit engager une lutte sans merci contre la corruption et la criminalité organisée.
Plus inquiétant : cette indépendance réveille les aspirations nationalistes dans nombre de pays. L'effet domino est en marche. N'oublions pas que le tracé des frontières, fruit de l'histoire, particulièrement dans les Balkans et dans le Caucase, a souvent relevé de l'arbitraire et ne recouvre pas les réalités ethniques ou religieuses. D'où ce dilemme : comment concilier le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité des États juridiquement reconnus par la communauté internationale ?
Le Conseil de l'Europe, qui sera heureux d'accueillir en son sein un 47e État, a un rôle important à jouer pour préserver la stabilité dans ces régions. Il se doit d'être vigilant et d'encourager la démocratie, et par-dessus tout de veiller au respect du droit des minorités afin de prévenir toute velléité sécessionniste. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1514).
3. Évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée
Tout en se félicitant de l'excellent travail de la commission de suivi, l'Assemblée a souhaité lui donner les moyens d'enclencher plus simplement une procédure dans les États, membres depuis de longues années du Conseil de l'Europe, et non plus seulement dans les États nouvellement adhérents.
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Résolution (n° 1515).
E. VENDREDI 30 JUIN
1. La prévention des incendies de forêts
L'Assemblée a débattu de la question des incendies de forêt. Leur multiplication et les graves dommages qu'ils causent à l'environnement, ont incité les délégués à encourager les États à accroître les mesures de prévention et à renforcer la qualité des services de lutte contre les incendies. Elle a recommandé de ne pas délivrer de permis de construire dans les zones incendiées, et ce pour une durée de trente ans.
M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) s'est exprimé.
M. André Schneider, député :
« L'excellent rapport de notre collègue espagnol attire notre attention sur un problème récurrent : celui des incendies de forêts qui, chaque année, à l'approche de l'été, ravagent des milliers d'hectares, spécialement autour de la Méditerranée. Dans les années qui viennent, avec la perspective d'un réchauffement climatique, ce problème risque de s'exacerber. Quant à l'exode rural, il représente une tendance lourde de nos sociétés.
Ce contexte est alarmant. Que pouvons-nous faire ? En visite dans le Vaucluse afin de lancer la campagne 2006 contre les feux de forêt, le ministre de l'Intérieur français a appelé la population à s'engager auprès des sapeurs-pompiers ainsi qu'à la vigilance et à la prudence. Il a également incité nos concitoyens à respecter leurs obligations en matière de débroussaillage.
Ainsi, dans le département du Var, une action pilote a été mise en place avec le parquet du département pour informer, puis pour sanctionner si le débroussaillage n'a pas été fait. Les communes peuvent se substituer aux particuliers réfractaires et leur demander ensuite le remboursement des travaux.
La prévention passe aussi par la restitution d'espaces forestiers à l'agriculture, notamment à des fins d'élevage, ou pour la culture d'oliviers ou de vignes, afin de créer des coupures vertes qui pourraient faire barrage aux incendies.
Trois axes paraissent essentiels dans ce combat : prévention, lutte contre le feu, poursuite des pyromanes.
En France, le Gouvernement a prévu de renforcer les effectifs de pompiers locaux dans la lutte contre les incendies cet été. Il est prévu d'affecter 650 militaires des unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, ainsi que vingt-trois bombardiers d'eau, dont deux gros porteurs d'une capacité de dix tonnes chacun, et un hélicoptère positionné en Corse, ainsi que trois avions et huit hélicoptères de secours et de commandement.
La Corse bénéficiera d'une réserve de matériels financés par l'État.
Les parquets ont, quant à eux, pour consigne de « veiller à la ferme application de la loi du 9 mars 2004 aggravant les peines en matière de feux de forêts. » Le ministre français a prôné la sévérité contre les pyromanes et souhaité que soient constituées des « cellules spécifiques d'enquête, en faisant appel à des techniques en identification criminelle disposant de détecteurs électroniques d'hydrocarbures. » Sur l'ensemble du territoire français plus de deux cents auteurs d'incendie ont été confondus l'année dernière.
Pour améliorer la surveillance des massifs, de nouvelles structures d'organisation ont été mises en place. Toutes ces mesures ont un coût, qui pèse de plus en plus lourd sur les finances publiques, en particulier, sur celles des conseils généraux. Néanmoins c'est le prix à payer pour prévenir les dévastations annuelles provoquées par les incendies de forêts. En conséquence, j'apporte mon plein soutien au rapport de notre collègue, M. Txueka. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Recommandation (n° 1761) .
2. Liberté académique et autonomie des universités
Pour clore cette session, l'Assemblée a adopté une Recommandation en faveur de la liberté académique. Elle a souligné que seule l'autonomie des universités pouvait faire d'elles des centres de réflexion et de liberté intellectuelle ; certains ont toutefois fait valoir qu'elles ne devaient pas ignorer le monde économique dans lequel nous vivons, pour lequel les universités forment nos futures élites.
MM. Marc Reymann (Bas-Rhin - UMP) et Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) se sont exprimés.
M. Marc Reymann, député :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'excellent rapport de notre collègue Josef Jaøab traite de l'autonomie des universités. Comme il l'a souligné, c'est lorsque les universités sont moralement et intellectuellement indépendantes de toute autorité politique ou religieuse et de tout pouvoir économique qu'elles sont le mieux à même de répondre aux besoins et aux exigences du monde moderne et des sociétés contemporaines.
Si vous me le permettez, je vais vous présenter rapidement l'expérience française dans ce domaine.
L'autonomie des universités est un principe clairement énoncé dans loi du 26 janvier 1984 dont l'article 20 dispose que: « Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont des établissements nationaux d'enseignement supérieur et de recherche jouissance de la personnalité morale et de l'autonomie administrative et financière. » Selon les dispositions de cette loi, les organes statutaires des universités sont : le conseil d'administration, le conseil scientifique, le conseil des études et de la vie universitaire. Ces trois conseils comprennent des représentants des enseignants, des chercheurs, des étudiants et des personnels administratifs et techniques ainsi que des personnalités extérieures.
Le président de l'université est élu par l'ensemble des membres des trois conseils. Il dirige l'université, préside les conseils; il est l'ordonnateur des recettes et des dépenses; il a autorité sur tout le personnel, nomme les jurys, est responsable du maintien de l'ordre.
Dans l'esprit de la loi de 1984, le ministère chargé de l'enseignement supérieur a introduit depuis 1989 un nouveau mode de relations avec les établissements d'enseignement supérieur.
À l'ancienne attribution annuelle, par l'administration centrale, des moyens et des habilitations d'enseignement s'est substituée une politique caractérisée par la signature de contrats quadriennaux entre l'État et les établissements. L'objectif de cette politique contractuelle est à la fois de donner un nouveau et réel contenu à l'autonomie des universités et de permettre à l'État d'exercer pleinement ses responsabilités d'impulsion et de mise en cohérence.
Chaque établissement définit un projet de développement répondant à la fois aux objectifs nationaux et aux besoins locaux de formation. Ce projet, qui porte sur l'ensemble des activités de l'établissement, est adressé aux services compétents du ministère, puis négocié avec eux : la discussion aboutit à la signature d'un contrat qui engage l'État à attribuer à l'établissement, sur une période de quatre ans, des moyens - en emplois d'enseignants, crédits de fonctionnement - déterminés.
Des résultats tangibles ont été obtenus grâce à la contractualisation : une meilleure structuration de la recherche universitaire et l'élaboration de politiques scientifiques d'établissement, le développement des formations professionnelles, l'amélioration de la situation des bibliothèques, de l'orientation, de la vie étudiante, de l'action culturelle, le développement des relations internationales, ces actions étant directement soutenues par les contrats.
Toutefois il faut reconnaître que l'autonomie des universités françaises comparée à celle de beaucoup d'universités étrangères reste relative. Ainsi l'autonomie pédagogique renforcée par la mise en oeuvre de la réforme LMD est relativement large dans le cadre de la réglementation nationale des diplômes et programmes, tandis que l'autonomie financière et administrative est plus limitée.
Avec l'introduction de la réforme LMD - licence, master, doctorat - beaucoup d'enseignants chercheurs ont saisi l'occasion qui leur était offerte pour concevoir de nouvelles formations. Cela a suscité un regain d'intérêt pour l'enseignement. L'offre de formation est devenue l'expression d'une politique d'établissement, lui permettant de mettre en valeur ses spécificités.
Néanmoins des faiblesses demeurent en matière d'autonomie des universités françaises. De récents rapports d'information rédigés par des parlementaires ont fait des propositions pour améliorer la gouvernance des universités. Ainsi l'État doit recentrer ses relations avec les universités sur les orientations stratégiques, tout en renforçant leur capacité à assumer l'autonomie. Pour que l'université puisse se déterminer en tant qu'établissement dont les composantes participent à un même projet, il est nécessaire de renforcer son administration, en premier lieu son président et son conseil d'administration. Il conviendrait aussi sans doute de laisser aux universités plus de latitude dans la gestion de leurs ressources humaines, immobilières et budgétaires.
Sur tous ces sujets, le rapport qui nous est présenté et les propositions contenues dans la recommandation proposée contiennent des analyses et des propositions très pertinentes auxquelles j'apporte mon entier soutien.
Pour conclure cette présentation, je dirais volontiers : « Monsieur le Président, mes chers collègues, n'ayons pas peur de faire confiance à nos universités ! »
M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport de M. Joseph Jaøab. Avec quelques nuances, je partage son opinion sur l'absolue nécessité pour nos États d'assurer à nos universités l'autonomie et la liberté, en contrepartie de quoi elles se doivent d'être transparentes et d'assurer une qualité d'enseignement irréprochable.
Le paragraphe 4.4 du projet de recommandation a tout particulièrement retenu mon attention. Vous le dites très bien, monsieur le rapporteur : «Les universités pourraient essuyer des coûts et des pertes élevés si elles s'isolaient dans une tour d'ivoire » .
Toutefois il est actuellement dans les universités une réalité, dont nous devons tenir compte dans notre réflexion. Bien qu'elles soient premières formatrices des élites du monde, nous devons nous, occidentaux, avouer et reconnaître que les universités se transforment en un bien culturel, pour ne pas dire en un bien marchand, dans notre économie de marché. Elles se concurrencent entre elles. Cette concurrence se mesure désormais en fonction de leurs capacités à former des élites et de l'accès à l'emploi qu'elles garantissent à leurs étudiants.
Les réseaux d'excellence, les campus prestigieux, nous les connaissons au-delà des frontières de l'Europe. Je cite l'exemple de Harvard, qui détient vingt-cinq milliards de dollars de réserves - soit à peine moins que le budget universitaire de recherche de la France, qui est tout de même la cinquième puissance économique du monde. Je pourrais citer aussi toutes les universités naissantes, en Orient, qui forment des milliers d'ingénieurs chaque année. En Chine, 211 projets d'excellence sont d'ores et déjà mis en place et près d'un millier sont en cours de développement. Une grande agence des sciences et technologies y définit et y met en oeuvre les priorités de la politique de recherche chinoise. Elle s'attache au développement de la recherche appliquée et à la recherche sur ce que les Chinois baptisent les « technologies clés ».
Pour que nos universités d'Europe relèvent dignement les défis de ces grandes puissances qui s'installent dans le monde actuel, nous devons leur assurer une forme d'indépendance financière, un financement croisé qui implique l'État, les collectivités territoriales, les entreprises et les universités elles-mêmes. Celles-ci doivent faire l'effort d'un regroupement large pour former de réels pôles d'excellence des ensembles visibles et ouverts à tous.
Ces deux aspects me semblent essentiels : c'est en unissant les richesses intellectuelles dans des structures très spécialisées que nous serons à la hauteur des enjeux de demain.
Mes chers collègues, j'appelle de mes voeux une poursuite de la réflexion du Conseil de l'Europe - sur la base de ce rapport, que je considère comme un début - sur l'importance et la lisibilité du système des universités européennes dans le monde tel qu'il évolue. Ces universités deviendront ainsi un vecteur de diffusion de notre vision, de ce que doit être la liberté académique et la liberté intellectuelle. »
À l'issue du débat, l'Assemblée a adopté à l'unanimité une Recommandation (n° 1762).
* (1) M. Jacques Legendre a organisé au Palais du Luxembourg, avec la Commission qu'il préside, une audition parlementaire sur le thème « Liberté d'expression et respect des croyances religieuses », qui fait l'objet d'un rapport distinct.