EXAMEN EN DÉLÉGATION
La délégation s'est réunie le mercredi 25 octobre 2006 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :
M. Pierre Fauchon :
Le recours aux « clauses passerelles » présenterait un réel intérêt pour transférer les matières relevant du « troisième pilier » dans le « pilier » communautaire et appliquer le vote à la majorité qualifiée au Conseil et la procédure de codécision avec le Parlement européen.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le Parlement européen soutient l'idée de recourir aux « clauses passerelles », car la procédure de codécision le placerait sur un pied d'égalité avec le Conseil, alors qu'il est simplement consulté dans le cadre du « troisième pilier ». Le recours aux « clauses passerelles » pourrait donc avoir pour effet de renforcer ses prérogatives.
Dans ce contexte, j'ai été surpris d'apprendre, lors de la Conférence interparlementaire sur l'« espace de liberté, de sécurité et de justice » qui s'est tenue à Bruxelles les 2 et 3 octobre derniers et à laquelle je participais, que le Parlement européen avait adopté, le 28 septembre dernier, lors du vote d'une résolution sur la politique commune dans le domaine de l'immigration, un amendement de suppression d'un paragraphe qui demandait aux chefs d'État et de gouvernement de faire jouer la « clause passerelle » de l'article 67 § 2 du TCE, pour faire passer les mesures relatives à l'immigration légale de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen. Il me semblait, en effet, que le Parlement européen s'était prononcé en faveur des « clauses passerelles ». Auriez-vous des éléments permettant de m'éclairer sur ce point ?
M. Hubert Haenel :
Selon les indications figurant dans la presse, il apparaît, en effet, que le Parlement européen a voté cet amendement de suppression, qui a été adopté par 302 voix, dont celles du PPE et des députés français membres de ce groupe, contre 249. Le député européen Alain Lamassoure aurait indiqué qu'il s'agissait d'une erreur.
En tout état de cause, cet épisode ne remet pas en cause la position du Parlement européen, exprimée par plusieurs résolutions, en faveur des « clauses passerelles ».
M. Jacques Blanc :
Quelle est la position du Parlement européen au sujet des « coopérations renforcées » ?
M. Hubert Haenel :
Il y a une forte réticence au sein du Parlement européen à l'égard des « coopérations renforcées », en particulier lorsque ces coopérations se développent hors du cadre des traités. En effet, dans ce dernier cas de figure, le Parlement européen n'exerce aucun droit de regard puisqu'il s'agit d'une coopération intergouvernementale ; c'est pourquoi j'évoque alors, dans mon rapport, l'idée d'un contrôle exercé par les parlements nationaux.
M. Pierre Fauchon :
J'ajoute que le Parlement européen ne verrait pas son rôle s'accroître avec les coopérations renforcées dans le cadre des traités, alors qu'il pourrait bénéficier de la procédure de codécision avec les « clauses passerelles », ce qui aurait pour effet de lui donner un immense pouvoir.
M. Jacques Blanc :
En définitive, on en revient donc à des enjeux de pouvoir.
M. Hubert Haenel :
Exactement !
M. Roland Ries :
Il est évident que, dans une Europe à vingt-cinq ou vingt-sept États membres, les procédures de décision actuelles ne permettent pas d'avancer dans des délais raisonnables sur ces questions, en particulier lorsqu'il s'agit de sujets importants. Face à cette situation, deux voies s'offriraient donc à nous :
- la première consisterait à aller vers une Europe à géométrie variable avec la différenciation, grâce au mécanisme des « coopérations renforcées ». C'est d'ailleurs sous cette forme que l'on progresse dans le domaine de la défense, compte tenu de la difficulté à se mettre d'accord à vingt-cinq ;
- l'autre voie possible consisterait à recourir aux « clauses passerelles ». Mais qu'entend-on précisément par cette expression et quelles seraient ses implications, notamment au regard des dispositions du traité constitutionnel ?
M. Hubert Haenel :
Lors de la négociation des traités, il y a certains points qui n'ont pu faire l'objet d'un accord. Plutôt que de renoncer à certaines avancées, il a donc été décidé de maintenir la procédure de décision existante, mais de rendre possible une modification de celle-ci (par exemple le passage de la procédure de consultation à la procédure de codécision) par une décision à l'unanimité des États membres, sans qu'il soit nécessaire de modifier à nouveau les traités. C'est ce que l'on appelle une « clause passerelle ».
On peut donc dire que les « clauses passerelles » sont des dispositions des traités qui prévoient, sur des points précis, une procédure simplifiée d'évolution ne nécessitant pas la convocation d'une conférence intergouvernementale.
Il existe en réalité deux types de « clauses passerelles » en matière de justice et d'affaires intérieures :
- pour les matières qui ont été « communautarisées » par le traité d'Amsterdam, comme l'asile, l'immigration et les autres politiques relatives à la libre circulation des personnes, ainsi que la coopération judiciaire civile, il s'agit de la « clause passerelle » de l'article 67 § 2 du traité instituant la Communauté européenne, qui permet notamment de remplacer la règle de l'unanimité au sein du Conseil par le vote à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen ;
- pour les matières qui relèvent du « troisième pilier », c'est-à-dire la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale, il s'agit de la « clause passerelle » de l'article 42 du traité sur l'Union européenne, qui permet de « communautariser » tout ou partie de ces questions.
Ces « clauses passerelles » sont issues du traité d'Amsterdam. En effet, lors de la négociation de ce traité au sein de la Conférence intergouvernementale, les représentants des États se sont divisés au sujet de la « communautarisation » du « troisième pilier ». Certains États étaient favorables au transfert du « troisième pilier » dans le « pilier » communautaire et au passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil et à la codécision avec le Parlement européen sur ces questions, mais d'autres s'y sont opposés. Faute de parvenir à un accord, les négociateurs ont introduit la possibilité d'une telle « communautarisation » par une « clause passerelle ».
On peut toutefois relever que les conditions de mise en oeuvre de ces « clauses passerelles » ne sont pas identiques. En effet, la « clause passerelle » de l'article 42 du TUE est plus difficile à mettre en oeuvre que celle de l'article 67 § 2 du TCE car elle nécessite non seulement une décision unanime des gouvernements, mais aussi une ratification par l'ensemble des parlements nationaux, voire un référendum dans certains États membres. En outre, cette « clause passerelle » nécessiterait vraisemblablement une révision constitutionnelle préalable dans certains États membres, notamment en France.
L'appréciation des implications de la mise en oeuvre de ces « clauses passerelles » au regard des dispositions du traité constitutionnel est délicate. Par certains aspects, l'utilisation des « clauses passerelles » s'apparenterait aux dispositions du traité constitutionnel, notamment par le fait qu'elles permettraient de transférer les matières relevant du « troisième pilier » dans le « pilier » communautaire et d'étendre la procédure de vote à la majorité qualifiée au Conseil en codécision avec le Parlement européen. Mais, sur d'autres aspects, les conséquences des « clauses passerelles » se distingueraient nettement des dispositions du traité constitutionnel. Ainsi, en supprimant le droit d'initiative des États membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, la « clause passerelle » de l'article 42 du TUE irait au-delà de ce que prévoyait le traité constitutionnel. De même, cette « clause passerelle » ne permettrait pas d'étendre les compétences de l'Union européenne dans ces domaines, de renforcer les organes existants comme Europol et Eurojust ou de créer un parquet européen, contrairement à ce que prévoyait le traité constitutionnel.
M. Jacques Blanc :
Le recours aux « coopérations renforcées » me paraît effectivement une piste intéressante étant donné qu'il permettrait de contourner l'obstacle de l'unanimité.
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À l'issue du débat, la délégation a autorisé la publication du rapport d'information.