II. UNE MODÉRATION SALARIALE À LAQUELLE ON PEUT ÉCHAPPER ?
Les scénarios de la Délégation sont bâtis sur une hypothèse de modération salariale qui ajoute ses effets à la réduction du déficit public. Le pouvoir d'achat global des ménages augmente mais pas assez pour que le pouvoir d'achat par ménage soit réellement dynamique.
Ces constats invitent à explorer des voies qui permettraient des évolutions plus favorables. Elles impliquent, pour l'essentiel, une autre orientation des politiques économiques en Europe.
A. LA MODÉRATION SALARIALE PÈSERAIT SUR LES PERSPECTIVES DU POUVOIR D'ACHAT DES MÉNAGES
Dans les scénarios proposés par votre Délégation, les gains de productivité par tête s'élèvent uniformément à 1,8 % l'an , soit une performance conforme à la tendance de long terme.
Les scénarios tiennent compte du relèvement du taux de croissance potentiel (+0,4 point l'an entre 2006 et 2011) résultant des nouvelles projections démographiques de l'INSEE (v. infra ). En revanche, l'hypothèse d'une accélération des gains de productivité n'a pas été retenue.
Cette dernière option combinée avec le choix de maintenir inchangé le partage de la valeur ajoutée pèse sur la progression des revenus individuels du travail .
En même temps, dans un tel contexte, les dynamiques observées sur le marché du travail ne sont pas perturbées et le chômage peut se réduire selon une pente inchangée :
- si l'on avait fait l'hypothèse d'une hausse des gains de productivité, la croissance aurait été moins riche en emplois et le niveau du chômage aurait baissé moins vite ;
- si l'on avait envisagé une déformation du partage de la valeur ajoutée, il aurait fallu s'interroger sur l'impact du renchérissement du coût du travail et de la baisse de la profitabilité des entreprises sur le rythme des créations d'emplois et de l'activité économique.
Avec les croissances économiques observées dans les trois scénarios, des créations nettes d'emplois interviennent, même si c'est selon des rythmes différents.
La masse des salaires d'activité dans le secteur marchand se déduit des gains individuels de pouvoir d'achat et de la progression de l'emploi associés aux scénarios qui sont explorés.
Il est important de garder à l'esprit que les résultats du scénario central sont fondés sur l'hypothèse que l'impulsion économique négative donnée par la politique budgétaire est compensée par une diminution de l'épargne des agents privés. Si celle-ci ne se produisait pas, la masse salariale du secteur marchand n'augmenterait plus en volume que de l'ordre de 1,5 point de PIB.
Tableau n° 7
PROGRESSION DE LA MASSE
SALARIALE DANS LES TROIS SCÉNARIOS (2008-2011)
(croissance annuelle en volume, en %)
Masse salariale
|
Masse salariale
|
|
Scénario central |
2,5 |
0,4 |
Scénario tendanciel |
2,7 |
1,5 |
Scénario alternatif |
2,6 |
1,6 |
Dans les trois scénarios (tableau n° 7), les salaires d'activité dans le secteur marchand progressent un peu plus vite que le PIB total (qui comprend le PIB marchand et le PIB non marchand) mais en ligne avec le PIB marchand.
Dans le secteur non marchand, la masse salariale progresse très peu dans le scénario central en raison des engagements de réduction du poids des dépenses publiques. Dans les autres scénarios, son évolution est plus contenue que dans le secteur marchand, sous l'effet d'une évolution compatible avec les politiques budgétaires décrites, mais, malgré tout, la masse salariale progresse plus vite que dans le scénario central.
Face aux perspectives retracées dans le tableau ci-dessus, plusieurs questions s'imposent :
Les projections illustrent une dynamique des salaires d'activité dans le secteur marchand qui ne laissent pas augurer de forts gains du pouvoir d'achat sur la période . Ils sont pourtant tirés par une croissance économique qui, elle-même, est un peu supérieure à la croissance potentielle estimée pour le futur proche et qui, par convention, n'est pas freinée par l'ajustement des comptes publics. Les gains de pouvoir d'achat par tête des salariés du secteur marchand ne devraient pas dépasser 1,7 % par an . Compte tenu de l'augmentation tendancielle du nombre des ménages, le gain de pouvoir d'achat par ménage serait inférieur à 1 % .
Les perspectives décrites pourraient être qualifiées de vertueuses en ce qu'elles sont conformes à l'exigence souvent énoncée de modération salariale . Elles sont seules compatibles avec un maintien des coûts unitaires salariaux, facteur important de la compétitivité extérieure. Par ailleurs, elles respectent les conditions de l'arbitrage salaires-emploi considérées comme favorables à celui-ci : la préservation du taux de marge des entreprises et, à nouveau, l'absence d'alourdissement du coût unitaire du travail.
Il existera à cet égard une incertitude pour ceux qui estiment que le taux de chômage non accélérateur d'inflation (le NAIRU), c'est-à-dire le taux de chômage en deçà duquel les salaires et les prix augmentent, se situent, en France, aux alentours de 9 %. Cette hypothèse est écartée dans nos projections puisque le taux de chômage reflue nettement sans tensions inflationnistes. Les évolutions récentes du marché du travail et du chômage en France, ainsi que l'absence d'enclenchement d'une spirale prix-salaires dans de nombreux pays où le chômage est très inférieur viennent confirmer les doutes sérieux que suscitent les travaux estimant le NAIRU à 9 % 5 ( * ) .
La modération salariale que décrivent les projections est une modération salariale globale qui, a priori , ne préjuge pas des modalités de répartition des salaires . Dans la période la plus récente, le SMIC a augmenté nettement plus que le salaire médian (graphique n° 2) dans un contexte de progression modérée des revenus du travail. La part des salariés au SMIC s'est rapprochée de 16 % et le rapport entre le SMIC et le salaire médian s'est élevé.
Graphique n° 2
ÉVOLUTION DU SMIC
NET EN PROPORTION DU SALAIRE HORAIRE NET MÉDIAN
(en %)
Source : REXECODE
Pour que cette progression relative du SMIC , qui a permis un gain du pouvoir d'achat de 10,8 % entre juillet 2002 et juillet 2005, soit supportable pour les entreprises mais aussi pour les « outsiders », les personnes à la recherche d'un emploi, son impact en termes de coût du travail a été tempéré par une exonération des charges sociales , politique qui est d'ailleurs allée au-delà du niveau du SMIC.
Les exonérations de cotisations sociales ont représenté un transfert des administrations publiques en direction des salariés au SMIC, sans lequel l'augmentation du SMIC ne se serait pas produite faute d'être supportable pour les entreprises.
LA MÉCANIQUE DES EXONÉRATIONS DE
CHARGES
A l'avenir, la charge pour les finances publiques liée aux exonérations de charges, qui s'élève à environ 20 milliards d'euros, devrait spontanément progresser comme les salaires concernés sauf à ce que les exonérations de cotisations sociales ne soient plus intégralement compensées. En soi, ce mécanisme automatique complique considérablement la « maîtrise » des dépenses publiques qui est le pivot de la programmation pluriannuelle du Gouvernement. Avec une masse salariale augmentant de 4 %, c'est une dépense supplémentaire de 800 millions d'euros qui intervient . L'objectif de maintenir constantes les dépenses budgétaires en euros courants impose donc de réduire les autres dépenses d'autant, effort qui vient s'ajouter à l'augmentation spontanée des charges d'intérêts de 1,4 milliard d'euros aux conditions actuelles de la dette. |
Incidemment, on note qu'avec les exonérations de charges, l'augmentation des salaires marchands aux alentours du SMIC a une répercussion directe sur les dépenses publiques qui complique les projets de réduction du déficit public.
Dans une stratégie de désendettement public, il est difficile d'imaginer qu'on puisse aller très au-delà sauf à restructurer en profondeur le financement de la protection sociale.
En bref, les objectifs de politique budgétaire semblent susceptibles de rendre indisponible l'instrument utilisé dans le proche passé pour asseoir la progression du pouvoir d'achat du SMIC .
* 5 Voir le chapitre du présent rapport consacré à l'inflation.