B. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME EN PÉRIL : URGENCE POUR LA RUSSIE DE RATIFIER LE PROTOCOLE N° 14

L'Assemblée a tenu un débat d'actualité - sans vote comme le veut l'usage - intitulé : « La Cour européenne des Droits de l'Homme en péril, et l'urgence pour la Russie de ratifier le Protocole 14 » . Ce protocole a été ratifié par tous les Parlements des pays membres à l'exception de la Douma, qui, en décembre dernier, n'a pu réunir un quorum suffisant à son vote. Ce protocole est destiné a donner à la Cour les moyens techniques de traiter le nombre croissant d'affaires qui sont portées devant elle : 90 000 affaires sont en instance dont une dizaine de milliers déposées par des citoyens russes. Les délégués, et au premier chef d'entre eux Dick Marty, initiateur du débat, ont vivement critiqué les responsables politiques russes qui émettent publiquement des doutes sur la probité de la Cour et l'accusent de rendre des arrêts guidés par des considérations politiques et non juridiques. Les représentants de la délégation russe ont assuré l'Assemblée de leur loyauté et de leurs efforts pour tenter de convaincre leurs collègues.

C. RESPECT DES OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS DE L'ARMÉNIE

Enfin, l'Assemblée a entendu le rapport de M. Georges Colombier (UMP- Isère) sur le respect des obligations et des engagements de l'Arménie . À la suite de la réforme constitutionnelle effectuée le 27 novembre 2005, à la demande du Conseil de l'Europe, le pays a fait de nombreux progrès sur la voie de la démocratie pluraliste, le respect de l'État de droit et des droits de l'homme. Néanmoins, l'Assemblée s'est dite déterminée à observer avec le plus grand soin le déroulement des prochaines élections législatives. Elle a souhaité qu'une réforme du système judiciaire et qu'un plan de lutte contre la corruption interviennent dans les meilleurs délais ; enfin, elle a regretté que le règlement pacifique du conflit avec le Haut-Karabakh ne connaisse pas d'avancée. L'Assemblée a décidé de poursuivre la procédure de suivi en Arménie, tout en reconnaissant une évolution favorable du pays.

M. Georges Colombier (Isère - UMP) s'est exprimé dans ce débat au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), ainsi que M. François Rochebloine (Loire - UDF).

M. Georges Colombier, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'Arménie a adhéré au Conseil de l'Europe le 25 janvier 2001, c'est-à-dire il y a précisément six ans. Et aujourd'hui discute son sixième rapport sur le respect des obligations et engagements pris en ce moment-là par l'Arménie. Ce fait suffit pour démontrer l'attention particulière que la commission de suivi et l'Assemblée toute entière a portée au suivi des engagements de ce pays. Nous pouvons dire qu'au cours de ces années nous avons véritablement accompagné l'Arménie dans le processus de réformes.

Notamment, la réforme constitutionnelle, approuvée il y a environ un an, peut être considérée comme une réussite commune de l'Arménie et du Conseil de l'Europe. Cette réforme, accompagnée de plusieurs réformes législatives, a créé les conditions pour que de nombreux engagements souscrits par l'Arménie puissent enfin être mis en oeuvre.

Ainsi une meilleure séparation et un meilleur équilibre des pouvoirs sont désormais garantis; l'élection du Maire d'Erevan, directe ou indirecte, est prévue dans la Constitution ; le droit de saisir la Cour constitutionnelle a été octroyé aux citoyens ainsi qu'à des institutions comme l'opposition parlementaire, le défenseur des droits de l'homme, etc..., les bases de l'indépendance des juges ont été créées et la deuxième étape du processus de réforme du système judiciaire, y compris du Parquet, va pouvoir commencer; l'institution du défenseur des droits de l'homme a trouvé sa place dans la Constitution, ce qui lui permet de jouer un rôle de plus en plus actif dans la protection des droits de l'homme et des citoyens; la détention administrative a été abolie.

En même temps, les irrégularités qui ont marqué le déroulement du référendum constitutionnel, que nous avons fortement regretté dans notre rapport, et l'absence de mesures pour sanctionner les cas de fraude observés, ont terni la crédibilité des résultats officiellement annoncés et ont malheureusement empêché que ceux-ci et donc la réforme constitutionnelle elle-même, soient acceptés par l'ensemble des forces politiques et l'opinion publique du pays.

Seules l'amélioration du climat politique et l'instauration d'un dialogue entre la coalition au pouvoir et l'opposition pourront garantir la mise en oeuvre effective du nouveau système de gouvernement prévu dans la Constitution révisée.

Aussi, l'adoption des lois ne suffit pas à elle seule pour mettre en oeuvre les réformes démocratiques dans le pays; les lois doivent aussi être appliquées, ce qui ne semble pas être toujours le cas actuellement. De plus, la mise en oeuvre de certaines réformes, comme celle du pouvoir judiciaire et l'éradication de la corruption, le pluralisme et l'indépendance des médias électroniques, l'amélioration des conditions de détention et du comportement des agents de la force publique, requiert plus de temps que la réforme des lois.

L'Arménie doit maintenant faire preuve de ses avancées dans la voie de la démocratie et de l'intégration européenne : les prochaines élections législatives, prévues dans trois mois, le 10 mai, sont d'une importance majeure : elles doivent respecter les normes européennes en matière délections libres et équitables. La couverture médiatique de la campagne électorale et des élections doit également être pluraliste et impartiale. Des amendements au code électoral récemment adoptés devraient offrir une bonne base pour l'organisation du prochain scrutin. Néanmoins, au-delà de la révision du code électoral, c'est notamment sa mise en oeuvre correcte et de bonne foi et une volonté politique au plus haut niveau qui seules peuvent garantir des élections démocratiques.

Tel est le message essentiel que nous souhaitons lancer avec la résolution que nous vous proposons. »

M. François Rochebloine, député :

« Monsieur le président, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour remercier nos rapporteurs, MM. Colombier et Elo, de la tonalité de leur rapport. Je n'y ai pas trouvé, comme dans certains documents antérieurs, l'esprit systématiquement négatif qui m'a toujours semblé compromettre, et non pas faciliter, l'efficacité de la procédure de suivi.

Je l'ai souvent dit, mais je crois qu'il est utile de le répéter aujourd'hui, l'Arménie est une nation de vieilles traditions, mais c'est une jeune démocratie. Quinze ans seulement nous séparent de l'indépendance de la République d'Arménie. On a parfois l'impression que l'on attend de l'Arménie qu'elle accomplisse en peu de temps ce que nos démocraties occidentales ont mis cent cinquante ans à atteindre.

Je ne prendrai qu'un exemple, tiré du rapport. Le Conseil de l'Europe a réclamé dans les plus brefs délais une réforme du statut de la ville d'Erevan prévoyant l'élection de son maire. Nous, Français, avons mis presque deux siècles à consacrer ce principe pour la ville de Paris ! Pourtant personne ne conteste que la vie politique et administrative française est fondée sur les principes essentiels de la démocratie. Et l'Arménie, elle, va mettre seulement quinze ans à réaliser la réforme symétrique du statut d'Erevan.

Un point sur lequel je suis en parfait accord avec les rapporteurs est la nécessité d'une majorité et d'une opposition politique clairement définies et pouvant jouer effectivement son rôle institutionnel dans l'État de droit. J'ai eu l'occasion de le dire à mes collègues arméniens, de la majorité comme de l'opposition, lors d'une récente visite en Arménie: je crois sincèrement qu'un débat démocratique est une force pour une nation aussi ancienne, aussi courageuse que l'Arménie. Et je souhaite que la campagne en vue des élections législatives de ce printemps donne au peuple arménien d'en faire pleinement l'expérience.

Le rapport évoque la situation géopolitique de l'Arménie, soumise à un jeu d'influences et d'intérêts pour partie contradictoires et qui conditionnent la vie du pays : d'abord, entre les États-Unis et la Russie, ensuite, entre les États du Caucase, enfin, du fait de sa proximité avec l'Iran. Sans y voir une cause d'excuse systématique, force est d'admettre que cette position inconfortable n'est pas de nature à favoriser la liberté de réflexion et d'action des autorités arméniennes, quelles qu'elles soient.

Nous savons aussi que le soutien de certains pays occidentaux, en premier lieu, les États-Unis, aux revendications de l'Azerbaïdjian sur le Haut-Karabakh doit sans doute davantage à l'abondance des richesses de ce pays qu'à leur attachement, par ailleurs certainement sincère, aux progrès des valeurs démocratiques dans les pays de la région du Caucase.

Je ne peux m'empêcher de penser que l'aveuglement volontaire de l'Occident sur la réalité politique de certains pays voisins, entretenu par une vision à court terme d'intérêts économiques et stratégiques, a donné aux assassins du journaliste turc d'origine arménienne Hrant Dink un sentiment renforcé d'impunité. Ce drame montre que l'intolérance et la haine peuvent conduire à des crimes odieux et qu'il est des silences et des attitudes, en Turquie comme à l'extérieur, qui encouragent et propagent la tentation de la violence. Le Conseil de l'Europe, porte-parole de l'idéal démocratique, doit dénoncer avec force toutes les formes de violence qui menacent les libertés publiques et exercer sa vigilance pour assurer le respect des principes et des valeurs de la démocratie.

Même et surtout en de telles circonstances, l'action du Conseil de l'Europe, en donnant à l'Arménie une possibilité de coopération et de dialogue plus large et plus intéressée, peut permettre à ce pays d'échapper au moins partiellement à l'étreinte des forces qui le menacent et au poids du négationnisme politique. Encore faut-il qu'elle soit conçue et perçue dans une perspective d'accompagnement et de coopération, et non pas de censure systématique, comme certains le souhaiteraient. »

À l'issue du débat, M. Georges Colombier a brièvement repris la parole.

M. Georges Colombier, député :

« Il n'est pas question que la commission de suivi arrête son travail concernant l'Arménie.

Comme plusieurs orateurs l'ont dit, il sera important que l'OCDE et le Conseil de l'Europe soient bel et bien présents en nombre aux côtés de nos amis Arméniens pour faire en sorte que le scrutin du 10 mai prochain se passe dans de bonnes conditions.

Un orateur disait qu'il fallait viser la paix et surtout la réconciliation. Je souscris pour ma part à ces objectifs pour que l'ensemble de la classe politique arménienne et l'ensemble de la population arménienne puissent se réconcilier et ainsi aller voter en nombre dans de bonnes conditions le 10 mai prochain. »

A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1532).

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