N° 307
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 février 2007 Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mai 2007 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur les relations entre l' Union européenne et la Fédération de Russie,
Par M. Yves POZZO di BORGO,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Charles Josselin, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.
Union européenne. |
INTRODUCTION
« Moi, je dis qu'il faut faire l'Europe avec pour
base un accord entre Français et Allemands (...). Une fois l'Europe
faite sur ces bases (...), alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors,
on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l'Europe tout
entière avec la Russie aussi, dut-elle changer son régime.
Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le
mien. »
Général de Gaulle, Conférence de presse (1949)
Le partenariat avec la Russie est « le plus important, le plus urgent et le plus lourd de défis pour l'Union européenne » , déclarait le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana, lors de sa prise de fonction en octobre 1999.
Alors que la construction européenne s'était largement fondée sur l'opposition à l'Union soviétique, qui tenait lieu de ciment commun, la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition de l'URSS en 1991 ont rendu nécessaire la mise en place d'une relation nouvelle entre l'Union européenne et la Fédération de Russie.
Elles se sont donc fixé pour objectif de renforcer leur coopération sur la base d'un véritable partenariat stratégique.
L'Union européenne et la Russie partagent, en effet, une histoire, une culture et des valeurs communes.
La Russie représente pour l'Union européenne son plus grand voisin. Depuis l'élargissement du 1 er mai 2004, l'Union européenne et la Russie comptent 2 200 km de frontières communes et une partie du territoire de la Fédération de Russie - Kaliningrad - est entourée de pays membres de l'Union européenne.
Les relations économiques sont très étroites. La Russie est aujourd'hui le premier fournisseur d'hydrocarbures de l'Union européenne, tandis que celle-ci est son premier partenaire commercial.
Enfin, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie joue un rôle important sur la scène internationale, notamment, pour ne citer que les dossiers d'actualité : la crise iranienne, le Proche-Orient et les Balkans occidentaux.
Dans leur rapport consacré aux relations entre l'Union européenne et la Russie de 2004 (1 ( * )) , qui reste aujourd'hui encore une référence, nos collègues députés René André et Jean-Louis Bianco considéraient que « l'Union européenne et la Russie ont mutuellement besoin l'une de l'autre » et qu' « il existe entre les deux entités une indéniable communauté d'intérêts » . Or, malgré les grands espoirs suscités par le choix de la Russie en faveur de la démocratie et de l'économie de marché dans les années 1990, force est de constater que l'on assiste actuellement à une période de tensions dans les relations entre l'Union européenne et la Russie.
La question de la démocratie et du respect des droits de l'homme, la situation en Tchétchénie, le refus de la Russie de ratifier le traité sur la Charte de l'énergie ou encore la vive réaction de Moscou à l'annonce du déploiement d'éléments du système de défense anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque : autant de sujets qui illustrent les fortes tensions actuelles. De plus, les récentes crises du gaz entre la Russie et l'Ukraine, puis avec la Biélorussie, ont mis en lumière la forte dépendance énergétique de l'Union européenne à l'égard de la Russie, qui devrait d'ailleurs s'accroître dans les prochaines décennies.
Même si l'Union européenne et la Russie paraissent aujourd'hui davantage préoccupées par leurs difficultés internes (avec la question de l'avenir du traité constitutionnel pour l'une et de la succession de Vladimir Poutine pour l'autre), il semble nécessaire de réfléchir à l'avenir de leurs relations.
En effet, l'accord de partenariat et de coopération, qui régit actuellement ces relations, arrive à expiration à la fin de cette année. La présidence allemande de l'Union européenne souhaite lancer les négociations en vue de la conclusion d'un nouvel accord lors du Sommet Union européenne-Russie du 18 mai prochain et celles-ci pourraient s'achever sous présidence française au deuxième semestre 2008. Ce nouvel accord pourrait permettre de donner un nouvel élan aux relations entre l'Union européenne et la Russie.
Le moment paraît donc idéal pour faire le point sur l'état actuel des relations entre l'Union européenne et la Russie et les perspectives futures.
Tel est précisément l'objet de ce rapport, nourri de nombreux entretiens avec différentes personnalités rencontrées à Paris, à Bruxelles, à Berlin et à Moscou, que je tiens à remercier ici pour leur grande disponibilité et leur aide précieuse.
I. DES DÉSILLUSIONS RÉCIPROQUES
A. UN CADRE INSTITUTIONNEL DÉPASSÉ
1. Un accord de partenariat et de coopération désormais obsolète
a) Un accord daté
Acte fondateur des relations entre l'Union européenne et la Russie, l'Accord de partenariat et de coopération a été signé en juin 1994 et est entré en vigueur le 1 er décembre 1997, pour une période initiale de dix ans.
Ce volumineux document de 178 pages constitue le fondement juridique qui régit actuellement les relations entre l'Union européenne et la Russie.
Ainsi, l'accord institue un cadre pour le dialogue politique .
Ce cadre institutionnel comprend notamment :
- un Sommet qui réunit, deux fois par an, le Président de la Fédération de Russie, le Président du Conseil européen, le Président de la Commission européenne, ainsi que le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, et qui est chargé de définir les orientations stratégiques du partenariat ;
- un Conseil de coopération, rebaptisé en 2003 « Conseil de partenariat permanent », qui réunit, aussi souvent que nécessaire et en différentes formations, les ministres des pays de la « troïka » (c'est-à-dire le ministre du pays exerçant la présidence de l'Union européenne et le ministre du pays exerçant la présidence suivante) ainsi que le commissaire européen compétent et le ministre de la Fédération de Russie et qui est chargé d'examiner l'ensemble des questions relatives à l'application de l'accord ainsi que tous les sujets d'intérêt commun ;
- des réunions régulières sont également organisées entre les directeurs politiques des pays de la « troïka », des représentants de la Commission européenne, du Secrétariat général du Conseil et du ministère russe des Affaires étrangères pour évoquer les sujets de politique internationale ;
- des comités de coopération et des sous-comités au niveau des hauts fonctionnaires ainsi que des groupes d'experts, peuvent aussi se réunir pour approfondir des sujets spécifiques ;
- enfin, une coopération au niveau parlementaire est également prévue avec une commission conjointe réunissant des représentants du Parlement européen et du parlement de la Fédération de Russie.
Si l'accord de partenariat et de coopération a pour objectif de renforcer la coopération dans les domaines politiques, économiques et culturels, c'est toutefois l'approche économique qui y est privilégiée.
L'accord vise, en effet, à la promotion du commerce et à l'amélioration de la qualité de l'environnement pour les investissements avec pour finalité une intensification des relations économiques entre l'Union européenne et la Russie. A terme, l'objectif est d'instaurer une zone de libre échange entre la Communauté et la Russie, l'accession de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce étant toutefois considérée comme un préalable.
Ainsi, en matière commerciale, la Russie bénéficie de la clause de la « nation la plus favorisée » et de la suppression de la plupart des restrictions quantitatives aux importations, à l'exception de certains secteurs comme l'agriculture, l'acier et les matières nucléaires, qui doivent donner lieu à la conclusion d'accords spécifiques.
Outre le champ économique, d'autres domaines de coopération sont également prévus, notamment en matière de transport, d'éducation, de recherche, de culture, d'environnement ou encore de lutte contre la criminalité.
* (1) Rapport d'information n° 1989 sur les relations entre l'Union européenne et la Russie présenté par MM. René André et Jean-Louis Bianco pour la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, 2004.