B. DES RÉALISATIONS LIMITÉES : LES QUATRE « ESPACES COMMUNS »
Lors du Sommet de Saint-Pétersbourg, en mai 2003, l'Union européenne et la Russie ont adopté une déclaration visant à renforcer leur coopération avec l'objectif de créer à terme quatre « espace communs » : un « espace économique commun » ; un « espace commun de liberté, de sécurité et de justice » ; un « espace de coopération dans le domaine de la sécurité extérieure » et un « espace commun de recherche et d'éducation incluant les aspects culturels » .
L'idée de ces quatre « espaces communs » est une initiative française, qui a été reprise au niveau européen grâce au couple franco-allemand.
Des « feuilles de route », qui ont été agréées au Sommet de Moscou, le 10 mai 2005, détaillent pour chacun de ces quatre « espaces communs », les mesures à prendre pour atteindre les objectifs fixés.
A la différence de l'accord de partenariat et de coopération, les « feuilles de route » ne sont pas des instruments juridiquement contraignants, comme le sont les traités internationaux, mais des documents d'orientation. Elles se distinguent également par leur souplesse et leur caractère évolutif. Surtout, elles témoignent d'une approche concrète des relations entre l'Union européenne et la Russie.
1. Les relations économiques se sont beaucoup développées
Le domaine économique est certainement celui où les relations entre l'Union européenne et la Russie ont le plus progressé ces dernières années.
On peut citer, en particulier, l'accord bilatéral conclu entre l'Union européenne et la Russie au printemps 2004 sur l'adhésion de cette dernière à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Seul grand pays non membre de l'Organisation mondiale du commerce, la Russie est officiellement candidate à l'adhésion à l'OMC depuis 1993. Toutefois, jusqu'en 1999, les négociations n'avaient guère progressé en raison de la situation chaotique de l'économie russe. Ce n'est qu'à partir de l'année 2000 que les négociations ont pu réellement s'engager. La Russie a procédé à d'importantes réformes qui ont porté notamment sur la réduction des droits de douane et la simplification des dispositions relatives au commerce extérieur, mais aussi sur les conditions de concurrence, les investissements étrangers et la restructuration du système bancaire. L'accord bilatéral conclu avec l'Union européenne en mai 2004 a représenté une étape importante en vue de l'adhésion de la Russie à l'OMC. En effet, l'Union européenne représente le premier partenaire commercial pour la Russie avec lequel elle réalise plus de 55 % de ses échanges. À titre de comparaison, les échanges commerciaux avec les États-Unis sont très modestes (5 % du commerce extérieur russe). Les principales difficultés ont porté sur le prix de l'énergie, la propriété intellectuelle, l'agriculture, les réglementations sanitaires et phytosanitaires et les industries politiquement sensibles. L'accès de la Russie à l'OMC requiert l'approbation de l'ensemble des pays membres de l'organisation. Les personnalités rencontrées, tant à Bruxelles qu'à Moscou, se sont déclarées confiantes sur l'accession de la Russie à l'OMC qui pourrait, selon elles, intervenir dès cette année. La candidature de la Russie se heurte cependant à certaines difficultés avec les États-Unis et elle semble susciter actuellement un débat en Russie. L'issue des négociations devrait toutefois être favorisée par la forte volonté politique exprimée par le Président Vladimir Poutine d'obtenir l'adhésion de la Russie avant la fin de son mandat. |
Au titre des progrès, on peut également citer l'environnement et les transports .
En matière d'environnement, la ratification par la Russie du protocole de Kyoto, en novembre 2004, a été particulièrement appréciée par l'Union européenne.
Enfin, le secteur des transports a connu récemment un progrès important avec l'accord entre la Communauté européenne et la Russie sur le survol aérien de la Sibérie.
Les progrès réalisés dans le domaine économique s'expliquent par le fait que l'économie de la Russie et celle de l'Union européenne sont d'ores et déjà fortement intégrées.
La valeur du commerce entre l'Union européenne et la Russie a ainsi augmenté de 70 % en cinq ans et de 400 % en dix ans.
L'Union européenne est, de loin, le premier partenaire commercial de la Russie avec lequel elle réalise plus de la moitié de ses échanges (55 % des exportations russes ont été dirigées vers l'Union européenne et 49 % des importations de la Russie provenaient de l'Union européenne en 2005).
En 2005, les recettes tirées des exportations vers l'Union européenne représenteraient plus de 100 milliards de dollars et l'excédent commercial (50 milliards de dollars) est la plus importante source de devises étrangères pour la Russie.
Union européenne à 25 |
Russie |
|
Population (millions d'habitants) |
459 |
143,4 |
Superficie (milliers de km2) |
3191 |
17075 |
PIB (milliards de dollars) |
13400 |
764 |
PIB/Habitant (en dollars) |
29200 |
5300 |
Exportations (milliards de dollars) |
3920 |
240 |
Importations (milliards de dollars) |
3960 |
125 |
Source : Commission européenne, 2005
Commerce UE-Russie ( Milliards de dollars, 2005)
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
|
Exportations UE>Russie |
31,4 |
34,3 |
37,1 |
45,8 |
56,4 |
Importations UE<Russie |
63,0 |
62 |
67,8 |
80,7 |
106,7 |
Balance commerciale |
- 31,6 |
- 27,7 |
- 30,7 |
- 34,9 |
- 50,3 |
Source : Commission européenne
En sens inverse, la Russie ne constitue que le 3 e partenaire commercial de l'Union, après les États-Unis et la Chine, avec lequel elle réalise 9 % de ses importations et 5 % de ses exportations.
L'Allemagne est le premier partenaire commercial de la Russie devant l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Finlande et la France.
Le commerce entre l'Union européenne et la Russie se caractérise toutefois par une forte asymétrie : la Russie exporte surtout des matières premières, principalement des hydrocarbures, alors que l'Union européenne lui fournit essentiellement des biens d'équipement, des produits transformés et de l'agroalimentaire.
Composition du commerce UE-Russie ( Milliards de dollars, 2005)
Exportations UE>Russie |
Importations UE<Russie |
|||
Milliards de dollars |
% du total |
Milliards de dollars |
% du total |
|
Machines |
20,8 |
36,9 |
0,7 |
0,7 |
Équipement (Transport) |
5,7 |
10,1 |
0,5 |
0,5 |
Produits chimiques |
8,2 |
14,5 |
3,5 |
3,2 |
Produits agricoles |
8,0 |
8,8 |
2,4 |
2,3 |
Pétrole et gaz |
0,3 |
0,6 |
68,7 |
64,4 |
Textiles et habillement |
2,6 |
4,6 |
0,2 |
0,2 |
Source : Commission européenne
L'Union européenne est également le premier investisseur en Russie (70 % des investissements étrangers), même si une partie importante de ces capitaux proviennent de Chypre et du Luxembourg et sont en réalité des capitaux russes placés à l'étranger mais réinvestis en Russie.
L'économie russe Avec un taux de croissance du PIB de 6,7 % en moyenne sur la période 1999-2005, l'économie russe a connu des performances économiques remarquables, grâce notamment à la forte hausse du prix des hydrocarbures depuis 2000. Après avoir traversé une grave crise économique et financière dans les années 1990, la Russie a retrouvé le niveau de PIB de l'ex-URSS. Avec un revenu national brut de l'ordre de 760 milliards de dollars en 2005, le poids de l'économie russe reste toutefois modeste par rapport à celui de l'Union européenne (13 400 milliards de dollars). En ce qui concerne la richesse par habitant (9 600 dollars par habitant en 2004), la Russie est comparable à la Roumanie et reste loin de la moyenne de l'Union européenne (29 200 dollars par habitant). Le gouvernement russe s'est fixé pour objectif de doubler le PIB de la Russie d'ici 2010. Le budget est en excédent depuis 2000 (avec un excédent budgétaire de 5 % du PIB en 2004) et la Russie a remboursé la quasi-totalité de ses dettes auprès des créditeurs étrangers. La dette extérieure de la Russie, qui était de près de 150 % du PIB en 1998, ne représente plus aujourd'hui que 15 % du PIB. L'inflation, qui était de 90 % en 1999, a été ramenée autour de 10 % en 2004. Les investissements directs ont doublé entre 2005 et 2006 (30 milliards de dollars). En flux de capitaux, la Russie est passée d'une situation déficitaire en 2004 (avec une fuite des capitaux) à un solde positif de 40 milliards de dollars en 2006. Les revenus sont en hausse de même que le pouvoir d'achat, ce qui entraîne une forte hausse de la consommation. Toutefois, l'économie reste largement tributaire de l'exportation de matières premières, principalement les hydrocarbures. En effet, si la croissance est de plus en plus tirée par la consommation intérieure (+ 11 % en 2004), la croissance de la production industrielle (+ 4 % en 2005) et de la production agricole (+ 1 % en 2005) restent modestes. La Russie est donc confrontée au risque du « syndrome néerlandais », c'est-à-dire à un modèle d'économie de rente. La richesse actuelle tirée de l'exportation des hydrocarbures et de l'afflux de devises est telle que le Gouvernement ne se sent plus contraint de mener les réformes à bien. Le principal enjeu économique auquel est confrontée la Russie est par conséquent de s'engager résolument sur la voie des réformes structurelles. Cela passe notamment par la réduction de l'emprise de l'État et de la bureaucratie dans l'économie et par le renforcement de la lutte contre la corruption (1) . (1) Voir sur ce point le rapport de l'OCDE « Economic Survey of the Russian Federation 2006 : Sustaining Growth in the Russian Federation : key challenges », novembre 2006. |
Depuis la signature de l'accord bilatéral sur l'accession de la Russie à l'OMC, on constate un certain essoufflement des relations économiques entre l'Union européenne et la Russie.
L'adhésion de la Russie à l'OMC permettra-t-elle de relancer le projet de créer une zone de libre échange entre la Russie et l'Union européenne ?
Comme le souligne un expert : « pour l'instant cette idée ne semble guère enthousiasmer la Russie, qui soupçonne peut-être l'Union européenne d'accompagner son offre de libre échange d'une exigence d'ouverture du secteur de l'énergie russe à la concurrence »(3 ( * )).
* (3) Katinka Barysch, « L'espace économique commun est-il condamné ? » - Revue Centre UE - Russie, n° 2, Novembre 2006.