Rapport d'information n° 357 (2006-2007) de MM. Michel BILLOUT , Marcel DENEUX et Jean-Marc PASTOR , fait au nom de la mission commune d'information Electricite, déposé le 27 juin 2007

Synthèse du rapport (128 Koctets)

Disponible au format Acrobat (2,8 Moctets)

N° 357

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 juin 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur la sécurité d' approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver,

Par MM. Michel BILLOUT, Marcel DENEUX et Jean-Marc PASTOR,

Sénateurs.

Tome I : Rapport

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bruno Sido, président ; MM. Gérard Longuet, Pierre Laffitte, vice-présidents ; M. Michel Esneu, Mme Nicole Bricq, secrétaires ; MM. Jean-Marc Pastor, Marcel Deneux, Michel Billout, rapporteurs ; M. Jean-Paul Amoudry, Mme Marie-France Beaufils, MM. René Beaumont, Gérard César, Éric Doligé, Claude Domeizel, Philippe Dominati, Ambroise Dupont, Serge Lagauche, Mme Élisabeth Lamure, MM. Dominique Mortemousque, Jackie Pierre, Xavier Pintat, Daniel Raoul, Thierry Repentin, Henri Revol, Michel Sergent, Jacques Valade, André Vallet, Mme Dominique Voynet.

Énergie .

PRÉAMBULE, PAR BRUNO SIDO, PRÉSIDENT

Transit umbra, sed lux permanet

Mesdames, Messieurs,

Dans la soirée du samedi 4 novembre 2006, en quelques secondes, quinze millions de foyers européens, dont plus de 5,6 millions dans notre pays, ont soudainement été privés d'électricité après une défaillance survenue sur le réseau allemand. Sans être aussi grave que les gigantesques pannes qu'ont connues la Californie en janvier 2001, le nord-est des Etats-Unis et une partie du Canada en août 2003, ou encore l'Italie en septembre de la même année, cet incident a cependant démontré la vulnérabilité du système électrique tant européen que national.

Son origine est désormais connue : notre collègue Ladislas Poniatowski en a excellemment expliqué les causes en décembre dernier 1 ( * ) et divers rapports officiels en ont ultérieurement démonté le mécanisme et précisé les responsabilités 2 ( * ) . Celles-ci incombent principalement à l'un des gestionnaires du réseau de transport (GRT) électrique allemand qui n'a ni modifié ses prévisions de charges, ni prévenu ses correspondants des autres réseaux de transport, de l'anticipation de quelques heures, par rapport aux prévisions initiales, de la mise hors service d'une double ligne à haute tension traversant la rivière Ems, dans le nord du pays, pour laisser à un navire le passage vers la Mer du Nord. Faute de coordination entre les GRT, faute également du respect d'un certain nombre de règles de sécurité 3 ( * ) , les autres lignes de transport, tout d'un coup surchargées par l'afflux massif de l'électricité transitant habituellement par la ligne interrompue, se sont alors déconnectées. Un enchaînement de procédures de sauvegarde, pour beaucoup automatiques, a ensuite brutalement conduit le réseau électrique européen, d'habitude interconnecté, à se séparer en trois zones indépendantes. En Europe de l'Ouest, des délestages ont été nécessaires pour éviter un écroulement total du réseau, d'autant que le déficit instantané de production a été aggravé par le décrochage automatique de moyens de production décentralisés, tels que les centrales éoliennes. En une vingtaine de minutes, toutefois, l'appel à diverses sources productives a permis de restaurer la fréquence et de reconnecter progressivement l'ensemble des consommateurs, l'incident n'ayant ainsi duré au total que cinquante minutes.

Sans être dramatique, cet événement a révélé que l' interdépendance des systèmes électriques européens , si elle favorise leur solidarité en cas de difficulté, introduit aussi en leur coeur un élément de fragilité d'autant plus redoutable que la coordination, l'harmonisation et la régulation s'avèrent insuffisantes . Aussi est-ce tout naturellement qu'à la suite d'une initiative de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen 4 ( * ) , le Sénat a créé le 10 janvier dernier une mission commune d'information chargée d'examiner les conditions dans lesquelles est assurée la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et de proposer les moyens de la préserver.

Une réflexion que rend nécessaire le contexte communautaire...

Cette initiative s'inscrit au demeurant dans un contexte propice à une telle réflexion , au plan tant communautaire qu' international ou national . A ces trois échelons, en effet, la problématique de l'électricité s'est posée de manière importante ces derniers mois, la plaçant au centre des préoccupations politiques et justifiant une analyse approfondie.

Ainsi, depuis une dizaine d'années, les politiques énergétiques ne dépendent plus seulement d'orientations et de décisions prises au niveau strictement national mais sont contraintes par un cadre fixé à l'échelon européen . Alors que le secteur énergétique ne figurait pas parmi les piliers originels de la construction communautaire, l'importance grandissante des problèmes en la matière, qu'il s'agisse de la sécurité d'approvisionnement, du développement des échanges ou de la prégnance des enjeux environnementaux, a progressivement donné une actualité permanente à la question de l'énergie. Mais en l'absence d'un fondement juridique spécifique autorisant la mise en oeuvre d'une politique commune de l'énergie, l'action communautaire s'est cantonnée à une approche fragmentée, fondée sur le « marché intérieur » du gaz et de l'électricité et sur quelques textes relatifs soit à la sécurité d'approvisionnement, soit à la protection de l'environnement.

S'agissant plus particulièrement de l'électricité, la première étape a été l'adoption de la directive du 19 décembre 1996 5 ( * ) assignant aux États membres l'ouverture progressive des marchés électriques par l'accès libre des fournisseurs concurrents aux réseaux, la séparation comptable et managériale des activités de production et de transport dans le cas des entreprises intégrées et la création de gestionnaires de réseaux de transport chargés d'assurer, en toute indépendance vis à vis des producteurs, le bon fonctionnement du système électrique et l'acheminement de l'énergie dans des conditions non discriminatoires.

La directive du 26 juin 2003 6 ( * ) a poursuivi la libéralisation des marchés de l'électricité en prévoyant le libre choix du fournisseur pour les clients professionnels, entreprises et collectivités à partir du 1 er juillet 2004, et pour tous les consommateurs domestiques à partir du 1 er juillet 2007. Elle imposait également la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution des autres activités des entreprises intégrées.

Mais depuis le Conseil informel d'Hampton Court, en octobre 2005, la réflexion communautaire a pris une nouvelle dimension. Pour gérer efficacement la production, le transport et la distribution d'électricité dans l'Union européenne (UE), et pour éviter d'éventuels problèmes entre les États membres résultant de leurs spécificités et choix nationaux, est-il nécessaire d' élaborer une politique commune ou suffit-il d' assurer la coordination des politiques nationales ? C'est tout le sens des débats actuels sur la pertinence d'une politique énergétique pour l'Europe, dont les bases ont été posées en mars 2006 par le Livre vert de la Commission européenne 7 ( * ) et qui se trouvent au coeur de l'agenda communautaire actuel.

Ainsi, le 10 janvier 2007, la Commission a publié un « paquet énergie » d'une dizaine de documents stratégiques et leurs annexes faisant le constat qu'une politique énergétique plus ambitieuse devait avoir pour triple objectif de garantir la sécurité d'approvisionnement , de développer la compétitivité et de préserver l'environnement . C'est pour rendre compatibles ces trois objectifs - auxquels s'ajoute la nécessité d'une meilleure coordination pour que « l'Union européenne s'exprime d'une seule voix » et montre une meilleure cohésion vis à vis de ses partenaires étrangers - que le Conseil européen des 8 et 9 mars suivant a arrêté un plan d'action 8 ( * ) en faveur d' « une politique énergétique pour l'Europe » . Les mesures prioritaires à arrêter selon ce plan sont déployées autour de cinq axes : le marché intérieur du gaz et de l'électricité , la sécurité d'approvisionnement , la politique énergétique internationale , l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables et, enfin, les technologies de l'énergie.

...ainsi que les préoccupations géopolitiques...

L'actualité internationale récente a également conféré à la question énergétique une importance stratégique essentielle pour les Européens.

Tout d'abord, la très forte dépendance d'un nombre significatif d'Etats membres de l'UE à l'égard des hydrocarbures russes ne peut manquer de susciter des interrogations quant à leur sécurité d'approvisionnement, d'autant que Moscou entend faire de sa puissance énergétique un usage diplomatique.

Deux importants différends successifs entre la Russie et deux républiques de l'ex-URSS 9 ( * ) ont ainsi brièvement provoqué l'inquiétude au premier trimestre de l'année dans la mesure où ils ont eu des conséquences directes sur l'alimentation en gaz et en pétrole de nombreux Etats de l'Union européenne. Car ce n'est pas seulement la Pologne, la Hongrie, la République tchèque ou la Slovaquie, pays dont les liens économiques avec la Russie dans le domaine de l'énergie sont encore essentiels pour des raisons historiques, qui ont été touchés, mais aussi par exemple l'Allemagne, dont plus du tiers de l'approvisionnement en gaz et en pétrole est assuré par la Russie. Au-delà de ces deux incidents temporaires, les relations conflictuelles que cette dernière entretient en matière énergétique avec certains Etats-membres de l'Union, comme la Lituanie ou la Pologne, n'est pas sans créer des difficultés diplomatiques plus générales : ainsi, la Pologne s'oppose toujours à l'ouverture de négociations destinées à renouveler le partenariat politique et économique avec la Russie, exigeant notamment, pour lever son veto, des garanties sur ses approvisionnements énergétiques. Enfin, alors que l'Europe importe globalement un quart de son gaz de Russie, l'idée entretenue par celle-ci de coordonner ses activités avec d'autres pays producteurs, évoquant même un « cartel du gaz » similaire à celui de l'OPEP pour le pétrole, ne serait pas sans conséquences sur l'approvisionnement de l'UE en électricité. En effet, les marchés électriques sont organisés de façon telle que le prix du gaz, comme celui du pétrole, ont une influence directe sur le coût de l'électricité.

Ainsi, l'Union européenne peut certes exiger « un comportement fiable et transparent » 10 ( * ) de la part de son partenaire russe, la sécurité de son approvisionnement énergétique pose nécessairement la question du degré de son indépendance énergétique , c'est-à-dire, s'agissant plus particulièrement de la fourniture en électricité, celle de la composition de son « bouquet » de production, de son « mix électrique » . Cette problématique est essentielle pour les nombreux Etats membres qui, tels la Belgique, l'Espagne ou le Royaume-Uni, ont décidé d'un moratoire sur la production nucléaire, et davantage encore pour ceux qui, comme l'Italie ou l'Allemagne 11 ( * ) , ont même engagé un processus de sortie du nucléaire.

Elle l'est aussi, plus généralement, en raison tant de la raréfaction, et donc du renchérissement, des hydrocarbures que du durcissement souhaitable des exigences environnementales pour lutter contre le réchauffement climatique. Ainsi, l'important accroissement du prix du pétrole, en 2005-2006, a très largement pesé sur le coût de l'électricité, que ce soit directement -beaucoup de centrales thermiques fonctionnent au fioul - ou indirectement, l'évolution des prix mondiaux du gaz étant étroitement corrélée à celle des prix du pétrole en raison notamment de la facile substitution de ces deux hydrocarbures dans les procédés de production énergétique. Par ailleurs, le développement des énergies renouvelables (ENR) autres que l'hydraulique (l'éolien, le photovoltaïque, la géothermie...), indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), a un coût encore important et qui devrait demeurer longtemps supérieur à celui des modes de production électrique classiques, qu'ils soient thermiques ou nucléaire.

Ces deux types de contraintes rendront dès lors l'électricité du futur plus chère que celle d'aujourd'hui , y compris en France, même si notre pays dispose du parc nucléaire le plus développé du monde, qui lui fournit plus de 78 % de son électricité 12 ( * ) à un coût raisonnable, de l'ordre de 30 euros du mégawattheure.

...et la situation nationale

Du reste, le marché libre de l'électricité en France a précisément connu, malgré un bouquet électrique national essentiellement constitué par du nucléaire et de l'hydraulique, également peu coûteux, une très forte augmentation des prix.

En juillet 2004, à la faveur de la libéralisation de ce marché, de nombreux professionnels (les « clients éligibles »), séduits par des offres commerciales devant leur permettre de réduire leur facture d'électricité, ont quitté l'opérateur historique EDF. Mais après avoir baissé de 30 % dans la phase d'ouverture, les prix ont ensuite augmenté de plus de 60 %, dépassant largement les tarifs régulés par l'État et plaçant en grande difficulté économique nombre d'entreprises, en particulier celles, dites « électro-intensives », pour lesquelles l'électricité constitue, en tant que matière première, une part importante des coûts de production.

C'est pour répondre à l'inquiétude des consommateurs ayant fait jouer leur éligibilité que le législateur, par la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie 13 ( * ) , les a autorisés à bénéficier, sous certaines conditions et pour une période limitée à deux ans, d'un tarif régulé, le « TaRTAM » (tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché). Ce tarif de retour, dont le niveau se situe entre les prix du marché et les tarifs réglementés, est établi à partir du tarif réglementé hors taxes applicable au même site de consommation, majoré de 10 % pour les « tarifs bleus », de 20 % pour les « tarifs jaunes » et de 23 % pour les « tarifs verts ». C'est également pour trouver une solution plus pérenne aux difficultés des secteurs industriels concernés, tels que la pétro-chimie, l'aluminium, la cimenterie, la papeterie ou la sidérurgie, que s'est constitué, début 2007, le consortium Exeltium , groupement d'achat d'électricité d'industries électro-intensives dont le principe avait été autorisé par la loi de finances rectificative pour 2005. La particularité de ce dispositif est d'associer directement les adhérents du consortium aux investissements en unités de production d'électricité pour garantir leur approvisionnement à des prix compatibles avec leur activité.

Reste que ces mesures de sauvegarde, destinées en particulier à éviter la délocalisation de certaines industries électro-intensives, ne sont en elles-mêmes pas de nature à rassurer les consommateurs domestiques quant aux bénéfices supposés de l'ouverture totale du marché de l'électricité le 1 er juillet 2007. Les Français sont extrêmement sensibles au prix de ce bien , et davantage, sans doute, que les autres Européens puisqu'ils ont consenti, voici trente ans, un considérable effort en faveur de la production nucléaire : ils entendent donc légitimement être payés en retour de leur investissement , entendu au sens économique comme au plan sociétal . Or, à l'évidence, la question de la sécurité d'approvisionnement électrique est intimement liée à celle du prix de l'électricité . Elle l'est dans la mesure où, d'une part, la fourniture ne peut être considérée comme satisfaisante si les prix explosent et interdisent un usage « normal » de cette commodité, et, d'autre part, les prix doivent cependant être d'un niveau suffisant pour envoyer aux producteurs des signaux clairs les incitant à réaliser les investissements nécessaires à l'adaptation continue de l'offre à la croissance de la demande.

Ainsi, qu'il s'agisse des priorités de l'agenda communautaire, des défis géostratégiques posés à la France et à l'Union européenne par son approvisionnement en énergies fossiles ou encore des effets apparents de la dérégulation du marché de l'électricité sur les équilibres économiques et sociaux du pays, les travaux qu'a menés la mission commune d'information ont baigné dans un contexte particulièrement propice à la réflexion.

Cinq mois de travaux

Constituée de représentants de cinq des six commissions permanentes du Sénat 14 ( * ) , membres de tous les groupes politiques, votre mission a circonscrit le périmètre de son analyse au champ exact de son intitulé afin notamment de ne pas diluer la question de l'approvisionnement électrique dans une étude plus vaste sur celle de l'énergie. Toutefois, ayant immédiatement perçu l'incidence des politiques menées par nos partenaires européens sur la propre sécurité d'approvisionnement de la France, la mission a évidemment souhaité élargir sa vision de la problématique à l'Union européenne.

Ainsi, entre mi-janvier et mi-mai, elle a procédé à trente-deux auditions au Sénat , qui ont permis de recueillir les analyses très précieuses d'une cinquantaine de personnalités : outre le ministre délégué à l'industrie, le président de la CRE et celui du directoire de RTE, elle a entendu des représentants des producteurs - qu'il s'agisse des grands électriciens comme EDF ou Suez, dont les présidents sont venus devant la mission, ou encore Endesa, des nouveaux venus tels Total ou GDF, ou des producteurs d'énergie renouvelable hydraulique ou éolienne -, des fournisseurs et intermédiaires, des distributeurs et des consommateurs - qu'ils soient professionnels ou domestiques -, ainsi que des économistes, ingénieurs et experts spécialistes des questions électriques 15 ( * ) .

Ces auditions ont été éclairées par la visite de divers sites en France au mois de mai. Plusieurs de mes collègues et moi-même avons ainsi été accueillis au Centre national d'exploitation du système (CNES) de RTE à Saint-Denis, au Centre de recherche et développement d'EDF à Chatou, à la centrale à cycle combiné à gaz DK6 de GDF à Dunkerque, à la ferme éolienne de Total à Mardyck, ainsi qu'à la centrale nucléaire d'EDF à Gravelines. Ces rencontres de terrain ont efficacement contribué à forger notre vision d'ensemble de la chaîne de l'électricité 16 ( * ) .

Début mars, nous avons également fait, naturellement, le voyage de Bruxelles afin d'appréhender les enjeux européens du marché de l'électricité, bénéficiant à cette occasion des contributions de représentants des directions générales « Énergie et transports » et « Concurrence » de la Commission européenne, du Secrétariat général du Conseil de l'UE, de la représentation permanente de la France auprès de l'UE, de l'Union pour la coordination du transport d'électricité en Europe (UCTE), de l'Union des industries dans le domaine de l'électricité (Eurelectric), de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP) et de Business Europe 17 ( * ) .

Enfin, parce que dans un système interconnecté, les problèmes électriques de nos voisins peuvent irrémédiablement devenir les nôtres, notre programme de travail a été complété, au mois d'avril, par des déplacements à l'étranger . Nous nous sommes donc rendus en Allemagne , puisque ce pays est le principal partenaire économique de la France, que l'origine de la panne du 4 novembre 2006 lui est imputable, qu'il exerçait, durant la période de nos travaux, la présidence de l'UE, et, enfin, qu'il a renoncé - peut-être provisoirement - à l'énergie nucléaire ; en Pologne , afin d'appréhender les difficultés spécifiques aux PECO et aux pays qui, comme elle, disposent d'un système électrique reposant à plus de 95 % sur le charbon et le lignite ; au Royaume-Uni , dont l'interconnexion avec le continent présente la particularité d'être assurée en courant continu et que la diminution progressive des ressources gazières de la Mer du Nord confronte à la question de la reprise d'un programme nucléaire ; en Italie , pays fortement importateur d'électricité, pour connaître la politique engagée après le black out qu'elle a subi en 2003 ; en Suisse , pays d'origine dudit black out , qui, bien qu'il ne fasse pas partie de l'UE, est une pièce centrale du système électrique ouest-européen et dont le mix électrique, assis sur le nucléaire et l'hydraulique, est de la sorte assez comparable au nôtre ; en Espagne , enfin, qui elle aussi a décidé d'un moratoire nucléaire pour se tourner notamment vers la production éolienne, et qui, avec son voisin portugais, souffre d'une trop faible interconnexion avec le reste de la « plaque de cuivre » continentale. Au cours de ces divers déplacements, nous avons rencontré plus de cent intervenants : parlementaires, membres du gouvernement, fonctionnaires et représentants des autorités de régulation, des gestionnaires de réseaux, des distributeurs, des fournisseurs, des intermédiaires boursiers, des consommateurs industriels et particuliers... 18 ( * )

C'est donc un ensemble très volumineux d'informations émanant de sources multiples, complété par une épaisse bibliographie 19 ( * ) , dont la mission a pu disposer pour mener ses travaux.

A l'issue de cette réflexion collective de cinq mois et avant de laisser mes collègues rapporteurs, Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor, présenter les conclusions et propositions de notre mission, je voudrais souligner les quelques points essentiels qui structureront tant la philosophie générale du présent rapport que son organisation.

Un constat et deux observations

Tout d'abord, un constat, qu'il convient de rappeler même s'il a été déjà abondamment commenté : la panne du 4 novembre 2006 n'est pas la conséquence d'une interruption des approvisionnements en énergie primaire, d'un déficit de production ou encore d'une faiblesse des réseaux, mais résulte d'une erreur humaine et d'une insuffisante précision des procédures de coordination entre GRT. L'analyse des flux d'électricité dans la soirée du 4 novembre, avant que l'incident ne se produise, laisse en effet apparaître une situation tout à fait normale : la capacité de production électrique était alors largement suffisante pour satisfaire la demande, la consommation effective était conforme aux prévisions et, en France en particulier, le solde des échanges transfrontaliers était excédentaire, le pays étant exportateur.

Il doit par ailleurs être souligné que la panne a été rapidement maîtrisée. D'une part, les mécanismes de défense, qu'ils soient automatiques ou non, ont été efficaces, même si une analyse minutieuse démontre que les efforts n'ont pas été uniformément répartis entre les différents pays et que de nombreuses pistes d'amélioration de la coordination peuvent être envisagées. D'autre part, en France, la réactivité de RTE doit être saluée car elle a permis d'éviter un black-out généralisé : le gestionnaire du réseau a immédiatement fait appel aux producteurs d'électricité, notamment d'origine hydraulique, pour qu'ils augmentent leur puissance disponible afin de réalimenter les consommateurs dans des délais assez brefs et de limiter ainsi la durée des délestages à quelques dizaines de minutes seulement.

Dès lors, de manière somme toute paradoxale, tant la singularité de l'incident de novembre 2006 20 ( * ) que ses causes et son traitement démontrent que, globalement , le système électrique fonctionne correctement , dans un cadre garantissant aux consommateurs français (collectivités publiques, particuliers, industriels et autres professionnels) une fourniture d'électricité d'excellente qualité , avec une grande régularité et à un coût satisfaisant . La sécurité de l'approvisionnement électrique de la France est donc aujourd'hui réelle .

Pour autant, cette sécurité, pour être entretenue avec constance, doit faire l'objet d'une attention soutenue. Car l' Europe risque de rapidement connaître une insuffisance des moyens de production face, d'une part, aux besoins de renouvellement d'un parc de production vieillissant et, d'autre part, à la hausse moyenne de 2 à 3 % par an de la consommation d'électricité, phénomène observé, à des degrés certes divers, dans tous les pays. En clair, si, il y a peu de temps encore, l'Europe était en surcapacité électrique, sa marge de sécurité se détériore et elle pourrait bientôt, en l'absence de décisions structurelles, ne plus être en mesure de répondre à la demande. Ainsi, la sécurité d'approvisionnement électrique de la France pourrait se trouver fragilisée tant par les évolutions récentes ou à venir du cadre communautaire que par les décisions nationales de nos partenaires en la matière . Cette situation appelle, nous semble-t-il, deux observations.

Première observation : les membres de la mission commune d'information s'interrogent sur la pertinence de l'option, décidée en 1996, de créer un marché libéralisé de l'électricité car les règles habituelles de fonctionnement des marchés ne semblent pas adaptées à ce bien dont les caractéristiques sont si particulières .

Tout d'abord, l'électricité n'étant pas stockable , la demande commande l'offre en imposant un équilibrage instantané et permanent entre l'offre et la demande, alors même que celle-ci peut connaître à tout instant des fluctuations extrêmement importantes. Un gestionnaire central , disposant de pouvoirs renforcés pour garantir l'équilibre, nous paraît donc indispensable au fonctionnement du système. Par ailleurs, les flux d'électricité répondent à des lois physiques impossibles à totalement anticiper, et en tout cas à contourner : dès lors, les échanges réels d'électricité peuvent suivre des voies assez éloignées des transferts commerciaux qui les fondent et causer des congestions imprévues à certains postes d'interconnexion. En outre, dans de nombreuses circonstances, cette énergie n'est pas substituable 21 ( * ) , ce qui rend sa consommation très inélastique aux prix et soulève un problème de responsabilité publique à l'égard de la qualité et de la permanence de son offre . Enfin, ses modes de production posent désormais des questions qui dépassent les habituels enjeux écologiques, qu'il s'agisse de la lutte impérative contre les émissions de GES ou du statut particulier de l'énergie nucléaire au regard de la sûreté et de la sécurité.

Toutes ces particularités font donc de l'électricité une commodité unique, soumise à des contraintes singulières justifiant au demeurant la nature de service public qui lui est historiquement conférée en France . Mais même dans les pays qui ne partagent pas cette conception, il semble évident à votre mission d'information que les spécificités de ce bien rendent extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, sa soumission aux règles habituelles de fonctionnement des marchés libéralisés .

Seconde observation : on ne saurait mener de réflexion sur la sécurité de l'approvisionnement électrique sans prendre en compte les deux autres piliers de la nouvelle politique énergétique communautaire que sont l' amélioration de la compétitivité du marché européen interconnecté et la lutte contre le réchauffement climatique . Or, ces deux préoccupations peuvent constituer autant de contraintes à la recherche de solutions optimales garantissant la sécurité d'approvisionnement, et peuvent même parfois lui être contradictoires .

A titre d'exemple, le choix de l'Allemagne de compenser l'arrêt total de sa production d'électricité d'origine nucléaire par le développement considérable de la puissance éolienne est susceptible de poser plusieurs problèmes à ses voisins : d'une part, l'éolien étant une énergie par nature aléatoire et faiblement prévisible, il est possible que les besoins d'importation du pays s'accroissent dans les années à venir et suscitent des tensions de marché ; d'autre part, le mode automatique de déconnection des éoliennes en cas de variation de la fréquence peut les conduire à aggraver les incidents de réseau, et donc à fragiliser l'ensemble de la plaque interconnectée. Ainsi, cette décision strictement nationale peut directement impacter la sécurité d'approvisionnement électrique des pays voisins.

Dans ce contexte, tant l'hétérogénéité des situations et des options de production électrique des divers États membres de l'UE ou des États participants au système européen interconnecté, que l'extrême ambition du plan adopté par le Conseil européen les 8 et 9 mars 2007 dans le cadre de sa « Stratégie climat » 22 ( * ) , accroissent le nombre des difficultés à surmonter pour envisager une politique communautaire intégrée de l'électricité dans laquelle la préservation et l'amélioration de la sécurité de l'approvisionnement de la France seraient correctement prises en compte.

Un rapport charpenté autour de trois lignes directrices

Confrontés à l'extrême richesse des informations recueillies, au nombre considérable de pistes ouvertes par les propos, toujours pertinents et souvent passionnants, des divers intervenants, français et étrangers, entendus par la mission, et au caractère désormais vital de l'énergie pour la croissance économique et sociale, qui fait sans aucun doute de ce thème l'un des enjeux essentiels du siècle à venir, nous avons eu, avec mes collègues rapporteurs, la volonté de répondre exactement à la question posée à la mission : comment assurer la sécurité de l'approvisionnement électrique de la France ? Cela nous a naturellement conduits à ne pas présenter une thèse exhaustive, qui aurait pu s'avérer indigeste, sur le système électrique français et européen, mais plutôt à envisager la problématique de manière politique, en faisant des propositions concrètes tenant compte à la fois des contraintes environnementales et des défis posés par l'émergence d'un marché communautaire intégré.

Dans cet esprit, nous avons ensuite opté pour une présentation volontairement simple et didactique du sujet, ce qui ne signifie pour autant pas que nous avons sous-estimé la complexité de ses enjeux. Notre rapport est ainsi structuré autour des trois vecteurs sur lesquels il semble nécessaire d'agir pour sécuriser l'approvisionnement électrique de la France, voire de l'Europe : la production d'abord, le transport et la distribution ensuite, la maîtrise de la consommation enfin. Si chaque partie sera respectivement présentée par Jean-Marc Pastor , Michel Billout et Marcel Deneux , elle fait l'objet d'un consensus au sein de la mission commune d'information . Et même si ce découpage peut parfois présenter un caractère artificiel en raison des évidentes interactions existant entre ces trois thématiques, il nous paraît intéressant et opportun qu'il respecte le trajet des électrons depuis le producteur jusqu'au consommateur final , afin que chaque citoyen puisse prendre toute la mesure de la complexité des étapes qui régissent la fourniture d'électricité . En effet, il est pour nous essentiel que les populations soient pleinement informées des enjeux électriques et étroitement associées aux débats qu'ils suscitent 23 ( * ) . A cet égard, ce rapport leur est autant adressé qu'il est destiné aux décideurs politiques et économiques et aux spécialistes du secteur.

Enfin, souhaitant modestement que ledit rapport ne s'ajoute pas inutilement aux diverses études sur le sujet qui ne sont malheureusement pas toujours suivies d'effet 24 ( * ) , nous avons décidé de ne retenir qu'un nombre relativement limité de propositions susceptibles d'être appliquées à court ou moyen terme . Ainsi, c'est délibérément que, par exemple, aucun développement n'est consacré à la recherche à long terme sur la capture et le stockage du CO 2 , sur l'énergie hydraulienne (générée par les courants marins), sur la supraconductivité des matériaux utilisés pour les lignes de transport ou encore sur la pile à hydrogène et le stockage de l'électricité. Mais nos quarante préconisations peuvent être distinguées en deux catégories : les unes s'adressent aux pouvoirs publics et aux acteurs du système électrique français pour être immédiatement ou rapidement mises en oeuvre ; les autres, qui ne peuvent être adoptées qu'à l' échelon communautaire , se veulent davantage des indications du Sénat au Gouvernement dans le cadre des négociations européennes préalables à l'adoption du troisième « paquet énergie ».

Une réflexion assise sur trois principes fondamentaux

Je l'ai dit, l'organisation de nos propositions en trois séquences qui suivent le flux physique de l'électricité peut parfois conduire à une présentation apparemment artificielle du propos. Aussi paraît-il indispensable de souligner ici les trois options principales, sur lesquelles l'ensemble de la mission a trouvé un accord, qui servent de fil conducteur à plusieurs des suggestions figurant dans les diverses parties de son rapport.

Le premier point, le principal aussi, touche à la conception même de la politique de l'électricité.

Notre perplexité quant aux principes directeurs ayant jusqu'à présent fondé la politique communautaire de l'énergie, que j'ai déjà évoquée, nous conduit à affirmer comme principe premier l'absolue nécessité d'une maîtrise publique dans le domaine électrique . Nul n'a mieux résumé notre sentiment commun qu'Alain Juppé lorsque, à l'issue du Conseil Energie du 6 juin 2007 auquel il venait de participer en tant que ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durable, il a observé qu'il « allait falloir avoir un débat sur une certaine vision de la concurrence comme l'alpha et l'oméga de la politique européenne » .

Quoi qu'en pensent tant la Commission européenne qu'un nombre significatif d'Etats membres, jusqu'à présent viscéralement attachés aux principes libéraux, il n'est en effet pas certain que le marché soit le mécanisme le plus efficace pour garantir l'approvisionnement en électricité, compte tenu des particularités précédemment soulignées de cette commodité. Même aux Etats-Unis, où les principes de la libre concurrence sont consubstantiels à l'organisation socio-économique, de grands États tels que la Californie sont revenus sur la dérégulation du marché électrique . Celle-ci, en effet, est parfois tout sauf vertueuse : à titre d'exemple, le processus de libéralisation des marchés préconisé par la Commission européenne favorise en ce moment même un vaste mouvement de concentration dans le secteur de l'électricité qui, paradoxalement, aboutit à la constitution d'oligopoles privés venant remplacer les monopoles nationaux qu'elle cherchait à démanteler. Où sera l'intérêt du consommateur quand les prix seront commandés par un petit nombre d'opérateurs géants exclusivement sensibles aux préoccupations de leurs actionnaires ? Quel sera le degré d'indépendance nationale en matière d'approvisionnement lorsque tel de ces opérateurs sera contrôlé, directement ou non, par des capitaux non communautaires ? Quelle sera la situation lorsque le contrôle sera exercé par un acteur ayant par ailleurs un rôle dominant dans le commerce des hydrocarbures en général, ou celui du gaz en particulier ?

Pour la mission d'information, le secteur électrique ne saurait donc être laissé à la « main invisible » du marché et nécessite une forte régulation publique, la puissance publique ayant une responsabilité particulière et légitime aux yeux des citoyens dans la fourniture d'électricité . C'est d'ailleurs dans le domaine électrique qu'est apparue l'expression « obligation de service public » en droit communautaire : la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 sur le marché intérieur de l'électricité qualifie ainsi la sécurité d'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l'environnement 25 ( * ) .

La France a résolument conduit dans le secteur de l'électricité l'une des politiques les plus ambitieuses et volontaristes de tous les pays européens , qui lui assure aujourd'hui, avec son parc nucléaire, sa puissance hydraulique, son éventail diversifié d'approvisionnement en énergies fossiles, ses réseaux de transport et de distribution efficaces, correctement dimensionnés et globalement bien répartis, une situation enviable . Son système électrique est un bien appartenant à l'ensemble de la collectivité nationale qui, pour le bâtir, a consenti sinon des sacrifices, du moins de réels efforts, et dont le bénéfice qu'elle en tire s'exprime au travers du service public de l'électricité , auquel toutes les lois successives sur l'énergie ont réaffirmé l'attachement des Français 26 ( * ) .

A ce titre, compte tenu de l'importance de l'électricité en matière économique et sociale, nous estimons que la sécurité de l'approvisionnement est une question politique qui concerne directement la puissance publique . Même les Britanniques, désormais confrontés à cette préoccupation, commencent à en convenir malgré leur foi traditionnelle dans les vertus du marché, comme l'a reconnu le député Paddy Tipping lors de notre entretien à la Chambre des communes le 19 avril 2007. Aussi ne peut-on envisager que les options communautaires puissent désorganiser le système électrique, qu'il s'agisse de son volet production, en particulier lorsqu'il comporte un secteur nucléaire, ou de celui du transport. C'est pourquoi plusieurs des préconisations de la mission auront comme préoccupation de favoriser la régulation du secteur de l'électricité à l'échelon européen comme national .

Le deuxième point concerne le bouquet électrique français et les relations qu'entretient la France avec ses voisins.

Pour la mission commune d'information, la situation tant actuelle que prévisible du mix électrique national est globalement satisfaisante , avec une base nucléaire - dont la proportion pourra certes diminuer si, comme on peut l'espérer, l'augmentation de la demande électrique est satisfaite par le développement des énergies renouvelables - qui restera essentielle, ne serait-ce qu'en raison du fait que les usages de l'électricité « en base » peuvent considérablement augmenter 27 ( * ) . En revanche, on peut s'interroger sur l'équilibre du bouquet de plusieurs des partenaires de la France : la progression annoncée de la part des ENR, pour souhaitable qu'elle soit, ne paraît pas de nature à permettre, à elle seule, la satisfaction de l'intégralité des besoins des consommateurs, en tout cas à moyen terme. Il semble ainsi à la mission qu'il existe en filigrane une sorte de tentation, chez d'importants voisins européens, de s'appuyer sur le parc nucléaire français pour refuser cette filière sur leur territoire .

Or, la France n'a pas vocation à devenir l'unique producteur d'électricité nucléaire en Europe qui assumerait seul les coûts économiques et sociaux du développement de cette énergie . Chacun comprendra qu'en tant que président du conseil général de la Haute-Marne, département susceptible dans quelques années d'accueillir, pour les stocker en couche géologique profonde de manière réversible, tous les déchets ultimes produits par la filière nucléaire, je suis particulièrement préoccupé par cette question et attaché à ce principe que je juge essentiel : la France ne doit pas devenir le « poumon nucléaire » de l'Europe .

De ce postulat découlent par ailleurs deux autres affirmations.

La première est la contestation que les prix de l'électricité doivent nécessairement converger dans l'ensemble de l'UE , comme le recommande explicitement la Commission européenne 28 ( * ) . Dans les conditions actuelles d'organisation du système électrique européen et de fonctionnement des marchés, cet objectif conduirait inéluctablement à un fort renchérissement du coût de l'électricité pour les consommateurs français, qui perdraient alors le bénéfice de l'avantage comparatif que leur procure l'équilibre du bouquet électrique national . J'insiste sur ce point puisqu'à l'évidence, ça n'est pas l'hydraulique qui est ici en cause, mais bien entendu le nucléaire : au nom de quoi les Français, qui ont fait le choix, manifestement difficile au regard des préventions manifestées par la plupart de leurs voisins, de soutenir la filière nucléaire, devraient-ils payer leur électricité aussi chère que si elle était produite principalement avec du gaz ou du fioul ? Pour la mission d'information, l'objectif de la Commission ne pourrait être acceptable qu'à la condition corrélative que les bouquets électriques des différents Etats membres soient, sinon identiques, du moins similaires , et laissent toute sa place à la production d'origine nucléaire.

La seconde affirmation concerne le réseau électrique interconnecté européen. Jusqu'à présent, les infrastructures d'interconnexion ont bien assuré la mission pour laquelle elles avaient été conçues : garantir la solidarité mutuelle entre les pays en cas de difficulté occasionnelle et jouer efficacement sur leurs différences de pointe de consommation résultant notamment des comportements nationaux traditionnels ou des aléas climatiques. Mais ce dispositif s'avère aujourd'hui de moins en moins adapté au volume croissant des échanges résultant d'opportunités strictement commerciales . Là encore, la conception communautaire des marchés de l'électricité défendue par la Commission européenne paraît difficilement conciliable, même en améliorant et en renforçant les interconnexions entre les différents pays de la « plaque » ouest-européenne, avec le souci de préserver la sécurité d'approvisionnement . Pour votre mission d'information, si la destination des réseaux de transport change de nature, c'est alors leur conception même qui doit être repensée .

C'est à l'aune de ces différentes observations que, selon la mission, doivent être définis les principes directeurs des relations entretenues par la France avec ses voisins et, plus largement, ses partenaires de l'UE.

Le troisième point est d'une nature plus strictement nationale.

Il est clairement apparu aux membres de la mission qu'à court terme, le principal problème de la France est celui la gestion de la « pointe » , ces périodes de forte demande au cours desquelles le pays est contraint d'activer ses centrales thermiques au fioul ou au gaz, voire d'être importateur net, et donc de consommer une électricité au coût élevé. Ces difficultés se posent principalement l'hiver, à cause du chauffage électrique résidentiel , particulièrement important dans notre pays, et dans une moindre mesure l'été, en raison notamment du développement de la climatisation. Ce déficit s'explique en grande partie par l' insuffisance des capacités de production de pointe , que les investissements récemment programmés par les électriciens opérant sur le territoire devraient toutefois permettre de combler rapidement. Mais il résulte aussi de la relative faiblesse des incitations à maîtriser la consommation d'électricité .

A cet égard, un des axes essentiels structurant les trois parties de ce rapport sera de favoriser le développement des capacités de production de pointe moins onéreuses, l'instauration de mécanismes intelligents d'effacement de la consommation, le renforcement de l'efficacité énergétique des procès industriels, des bâtiments et des matériels et, enfin, l'adoption par les consommateurs de comportements redonnant la priorité aux économies d'énergie.

Votre mission commune d'information est en effet convaincue que la sécurité de l'approvisionnement électrique du pays dépendra d'une manière essentielle , tout au long de ce siècle qui commence à peine, de l'appropriation par les citoyens d'une conception radicalement nouvelle de leur façon d'appréhender l'électricité : non pas nécessairement en consommer moins, mais la consommer mieux .

*

* *

Dans cette perspective, je forme le voeu que le rapport de Michel Billout, Marcel Deneux et Jean-Marc Pastor, adopté le 27 juin 2007 par la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, apporte un éclairage nouveau et utile à nos concitoyens comme aux décideurs et leur serve de programme d'action pour les années à venir .

Ainsi, la panne du 4 novembre 2006 aura eu pour vertu de substituer à l'inquiétude qu'elle a légitimement suscitée la confiance en un système électrique sûr et efficace.

Bruno Sido

Président

PREMIÈRE PARTIE - PRODUIRE L'ÉLECTRICITÉ DONT LA FRANCE ET L'EUROPE ONT BESOIN, PRÉSENTÉE PAR JEAN-MARC PASTOR

Présentée par Jean-Marc Pastor

A l'occasion de la présentation par la Commission européenne le 10 janvier 2007 de sa communication intitulée « Une politique de l'énergie pour l'Europe », la sécurité d'approvisionnement est devenue une des principales préoccupations de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie. Reconnue comme l'un des trois piliers fondamentaux d'une politique énergétique communautaire qui reste encore largement à bâtir, elle est placée sur un pied d'égalité avec les deux autres objectifs que sont la promotion d'un secteur énergétique compétitif et la protection de l'environnement, plus particulièrement la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La panne européenne du 4 novembre 2006 a remis en lumière la complexité des mécanismes permettant de garantir la sécurité d'approvisionnement électrique. Plus singulièrement, cet incident, nullement imputable à un manque de capacités de production en Europe, est à l'origine d'une prise de conscience générale des responsables politiques et des acteurs du secteur de l'électricité : l'Europe, et notamment la France, sont-elles en mesure d'assurer, à court, moyen et long termes, la satisfaction de leurs besoins en électricité ?

La France est un des premiers pays qui, en Europe, a fondé en grande partie sa sécurité énergétique sur l'électricité. A la suite du premier choc pétrolier, le gouvernement a décidé d'accroître les usages de l'électricité avec le déploiement d'un parc électronucléaire, dans le double objectif de réduire les importations d'hydrocarbures et d'assurer l'indépendance énergétique nationale. Depuis cette date, la consommation finale d'électricité , entraînée par celle des secteurs résidentiel et tertiaire avec le déploiement massif du chauffage électrique, a été multipliée par trois . Ce faisant, la France est devenue l'un des plus gros consommateurs par habitant en Europe 29 ( * ) , ce qui place la question de la sécurité d'approvisionnement au coeur des préoccupations nationales.

L'appréhension de cet enjeu politique majeur se pose différemment au seuil du XXI ème siècle. Sous l'impulsion de l'Union européenne, l'organisation du secteur énergétique en général, et électrique en particulier, a subi d'importants bouleversements au cours des vingt dernières années avec l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz. Cette politique s'est traduite par une recomposition industrielle profonde marquée par le démantèlement progressif des grands opérateurs nationaux intégrés, auparavant placés en situation de monopole, et l'apparition de nouveaux acteurs. En France, la parfaite courroie de transmission qui reliait le ministère de l'énergie à deux établissements publics chargés de produire, d'acheminer et de fournir ces deux énergies essentielles que sont le gaz et l'électricité, garantissait une maîtrise publique totale du secteur. La création d'un marché libre a rendu cette organisation beaucoup plus complexe puisqu'elle se traduit par la multiplication d'opérateurs privés prenant leurs décisions d'investissements en fonction de signaux de prix envoyés par le marché. Elle remet en cause le mode de fonctionnement des opérateurs historiques, Electricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF), qui évoluent désormais dans un cadre concurrentiel excluant, en vertu du principe de concurrence libre et non faussée, tout soutien direct de leurs activités par la puissance publique.

Cette évolution a conduit votre mission d'information à se demander si la concurrence, totalement effective pour le marché de la production d'électricité mais aussi pour celui de la fourniture depuis le 1 er juillet 2007, pouvait constituer l'unique aiguillon de la politique de l'énergie en Europe et était de nature à favoriser la réalisation des investissements nécessaires. A cet égard, elle estime que le secteur de l'énergie, en particulier celui de l'électricité, ne saurait se passer de puissants outils de régulation et de maîtrise publique, compte tenu des enjeux politiques et stratégiques de l'énergie. Pour vos rapporteurs, au regard de la situation géopolitique actuelle, détenir les clés de l'énergie, c'est détenir un pouvoir politique.

La France a, du reste, bien intégrée cette donnée puisque son système électrique s'organise autour d'acteurs publics dont les rôles sont désormais bien stabilisés. Ainsi, le gouvernement conserve un large pouvoir d'orientation du secteur et dispose d'outils de mise en oeuvre de la politique de l'énergie décidée, pour les grandes orientations, par le législateur et, pour les choix quotidiens, par le ministère chargé de l'énergie. Par ailleurs, le pays dispose, avec EDF, d'un opérateur public puissant en charge notamment de produire de l'électricité, d'assurer la conduite de missions de service public assignées par la loi et de fournir, dans un cadre totalement ouvert à la concurrence depuis le 1 er juillet 2007, de l'électricité. Réseau de Transport d'Electricité (RTE), filiale à 100 % d'EDF mais bénéficiant d'une totale indépendance de gestion comme l'exigent les directives européennes, est quant à lui chargé de la gestion du réseau de transport d'électricité et de l'équilibre instantané des flux sur ce réseau. Les collectivités territoriales jouent elles aussi un rôle dans ce schéma puisqu'elles sont propriétaires des réseaux de distribution, dont elles concèdent la gestion à EDF ou, dans leur zone de desserte exclusive, aux distributeurs non nationalisés (DNN). Enfin, depuis 2000 et l'ouverture à la concurrence, un régulateur du secteur a été créé avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Celle-ci a pour mission principale d'exercer un contrôle sur les activités de réseau (activités dites régulées) et de vérifier qu'elles sont gérées de manière à permettre à toute personne un accès transparent et non discriminatoire aux réseaux. Plus récemment, elle s'est également vue attribuer la surveillance des marchés de l'énergie.

Tout en prenant acte des décisions communautaires en matière de libéralisation, le législateur a tenu à réaffirmer clairement l'existence en France d'un service public de l'énergie . Dès l'adoption de la loi du 10 février 2000, la sécurité d'approvisionnement - garantir à tout consommateur d'électricité, où qu'il soit situé sur le territoire, une fourniture de qualité quand il en a besoin - a été reconnue comme la première mission du service public de l'électricité 30 ( * ) . L'article 1 er de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) s'inscrit dans le droit fil de cette orientation lorsqu'il indique que la garantie de cette sécurité fait partie des quatre grands objectifs de la politique énergétique.

Cette responsabilité suppose d'abord que les moyens de production soient en mesure, à tout instant de l'année ou de la journée, de répondre à la demande. Elle implique de s'assurer de la disponibilité de ces moyens en nombre suffisant et d'anticiper les évolutions de l'offre et de la demande. Bien entendu, l'examen de cet équilibre ne peut plus se cantonner au strict cadre national, en raison de l'ancrage de notre pays, relié à ses six voisins par 44 liaisons transfrontalières, au coeur du système électrique européen.

Votre mission d'information a la profonde conviction que l'organisation européenne, telle qu'elle se dessine aujourd'hui, n'est pas en mesure de garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de l'Union européenne. En effet, elle juge que la plupart des décisions communautaires dans le domaine de l'énergie ont trop souvent mis l'accent sur le renforcement de la concurrence et des capacités d'échanges entre pays et pas sur l'élaboration de mécanismes favorisant le développement des capacités de production. Son propos n'est certes pas de récuser en bloc toutes les avancées communautaires qui ont structuré le secteur. Pour autant, il apparaît aux yeux des membres de la mission que la politique énergétique européenne doit faire l'objet d'une profonde réorientation, qui s'appuierait sur la création de véritables outils de régulation et de maîtrise publique du secteur .

Afin d'apprécier la situation française en matière de production d'électricité , tout en la replaçant dans son contexte européen, vos rapporteurs examineront tout d'abord les conditions dans lesquelles est organisée l'anticipation des besoins en électricité et analyseront les outils permettant de répondre aux risques de déséquilibre entre l'offre et la demande. Puis, ils présenteront les différentes pistes de développement des filières de production électrique et leurs évolutions souhaitables pour assurer la sécurité d'approvisionnement. Enfin, ils consacreront des développements à la question des prix de l'électricité, partie intégrante de cette sécurité dans un contexte de libéralisation du marché électrique.

I. VERS UNE PÉNURIE D'ÉLECTRICITÉ EN EUROPE EN 2020 ?

L'état des capacités de production françaises est globalement satisfaisant. En outre, l'existence d'outils permettant d'analyser les faiblesses du système électrique, d'anticiper les besoins et de remédier aux carences des opérateurs constitue un gage évident de sécurité d'approvisionnement. Le constat n'est en revanche pas le même s'agissant de l'Europe : la faiblesse des mécanismes de prévention des déséquilibres au sein de l'UE pourrait, à terme, favoriser l'apparition d'une pénurie d'électricité.

A. LE PARC FRANÇAIS : LA BASE ASSURÉE, LA POINTE À SURVEILLER

La France est dotée d'un parc de production lui permettant de répondre largement à la demande d'électricité « en base ». Toutefois, notre pays est régulièrement contraint de faire appel aux capacités électriques de ses voisins pour « passer les pointes ». Deux raisons expliquent ce phénomène : le niveau de plus en plus élevé des pics de consommation pendant l'hiver et un relatif manque d'investissements dans les centrales de pointe au cours des dernières années.

A des fins didactiques et pour faciliter la lecture du rapport, vos rapporteurs rappellent que les données exprimées en watts représentent des puissances électriques servies instantanément. Les valeurs exprimées en wattheures représentent en revanche des productions (ou des consommations), obtenues en multipliant la puissance effective de chaque installation par sa durée de fonctionnement : ainsi, une centrale d'un gigawatt fonctionnant à sa puissance nominale pendant 1 000 heures permet de produire (et donc de servir une consommation) de 1 000 gigawattheures. Enfin, il existe un facteur mille entre les différentes unités utilisées pour les données relatives tant aux puissances qu'aux productions : par exemple, 1 mégawatt (MW) = mille kilowatts (kW) ; 1 gigawatt (GW) = un million de kW ; 1 térawatt (TW) = un milliard de kW.

1. Analyse des dernières statistiques électriques nationales

Le système électrique français présente une double spécificité par rapport à l'UE et aux pays membres de l'OCDE. D'une part, avec l'accroissement de ses usages au cours des trente dernières années, la part de l'électricité dans la consommation énergétique finale 31 ( * ) est importante puisqu'elle s'élève à 23 %, contre un peu plus de 16 % pour la moyenne mondiale et moins de 20 % pour les pays de l'OCDE. D'autre part, la très grande majorité de l'électricité française est d'origine nucléaire : avec un parc de 19 centrales totalisant une puissance de plus de 63 gigawatts (GW), la France possède la seconde puissance nucléaire installée au monde après les Etats-Unis. Toutefois, elle est le premier producteur d'électricité nucléaire en pourcentage de sa production totale (78 %) 32 ( * ) .

D'après des données provisoires, le parc français se composait au 1 er janvier 2007 de 63,3 GW de nucléaire, 24,8 GW de thermique (charbon, gaz et pétrole), 25,5 GW d'hydraulique et 2,4 GW d'autres énergies renouvelables, dont 1,3 GW d'éolien, soit une puissance totale légèrement supérieure à 116 GW. Il s'agit de la deuxième puissance électrique installée dans l'Union européenne derrière l'Allemagne (122,3 GW). Avec 96 GW, EDF est le premier producteur français ; viennent ensuite Suez, avec plus de 8 GW, et la SNET, avec 2,5 GW.

La structure du parc français, qui repose essentiellement sur le nucléaire et l'hydraulique, rend donc le coût de la production indépendant à 95 % de l'évolution du prix des hydrocarbures, ce qui constitue un facteur majeur d'indépendance énergétique .

Comme l'indique le tableau figurant page suivante, le bilan énergétique français pour l'année 2006 33 ( * ) fait apparaître, par rapport à 2005, une réduction de 0,2 % de la production totale nette d'électricité , qui s'est établie à 548,8 térawattheures (TWh) 34 ( * ) , et ce malgré une hausse de 5 % du solde exportateur français , qui s'élève à 63,3 TWh.

La consommation intérieure d'électricité 35 ( * ) s'est, pour la même année, élevée à 480,6 TWh contre 483 TWh en 2005 36 ( * ) . Comme le souligne l'Observatoire de l'énergie, il s'agit de la première baisse de cet indicateur depuis 1947, qui résulte exclusivement du recul de la consommation d'électricité de la branche énergie.

Malgré cette évolution récente, la France a connu, au cours des dernières années, des pointes aiguës de demande d'électricité : la forte pénétration du chauffage électrique dans les bâtiments français rend la consommation particulièrement dépendante des variations de température. Comme le souligne RTE, la baisse des températures de 1°C en hiver peut provoquer un accroissement de la puissance appelée pouvant aller jusqu'à 1 500 MW, ce qui équivaut à la mobilisation complète de plus d'une tranche nucléaire. L'année 2006 a ainsi vu s'établir un nouveau record de consommation, le 27 janvier en début de soirée, avec une demande de 86,3 GW , le précédent record ayant été atteint le 28 février 2005 avec 86 GW.

LE BILAN ELECTRIQUE EN 2006 (France Métropolitaine)

Montant

en Twh

Evolution en Twh

Evolution en %

Production nette (1) dont :

548,8

-1,4

-0,2

Nucléaire

428,7

-1,3

-0,3

Thermique classique

57,1

-5,8

-9,3

dont : charbon

21,6

fiouls (*)

4,6

gaz naturel

20,9

renouvelables et déchets

4,7

gaz industriels et autres (**)

5,2

total

57,1

Hydraulique

60,9

4,6

8,1

Eolienne et photovoltaïque

2,2

1,2

222

Importations (2)

8,5

0,5

5,7

Exportations (3)

71,9

3,5

5,1

Solde des échanges (4) = (3) - (2)

63,3

3

5

Pompages (5)

7,5

0,8

12,2

Energie appelée (***) (6) = (1) - (4) - (5)

478

-5,2

-1,1

dont : basse tension

189,3

3,6

1,9

haute et moyenne tension

256,8

-8,3

-3,1

pertes et ajustements

31,8

-0,4

-1,3

(*) : fioul lourd, fioul domestique et coke de pétrole

(**) : gaz de hauts fourneaux, de raffineries, de cokerie + production non répartie

(***) : non corrigée du climat

Source : Observatoire de l'énergie

Une simple observation de la puissance installée en France, 116 GW, pourrait laisser supposer que celle-ci est en mesure de satisfaire les besoins à tout instant de la journée ou de l'année, y compris quand la consommation atteint des records. En réalité, ces données statistiques laissent de côté le fait que les producteurs français sont liés par des accords commerciaux les obligeant à livrer de l'électricité à l'étranger, y compris quand la demande nationale est au plus haut. Surtout, la totalité des moyens de production est loin d'être disponible à tout instant de l'année . Ainsi, l'Union pour la coordination du transport d'électricité (UCTE 37 ( * ) ) estime que les capacités disponibles du parc français s'établissaient à un niveau de 91,6 GW pour une journée de janvier 2007, soit un taux d'indisponibilité des installations de 20 % 38 ( * ) .

Ces deux raisons expliquent que notre pays peut être conduit à faire massivement appel à des capacités de production installées chez ses voisins pour répondre à ses pointes de consommation. Ce n'est cependant pas nécessairement le cas : si, selon des informations recueillies par vos rapporteurs, la France a mobilisé 2 600 MW de capacités étrangères le 28 février 2005, elle était en revanche globalement exportatrice, pour une puissance de 600 MW, le 27 janvier 2006, au moment où la consommation était la plus forte,. Malgré cette apparente amélioration, il n'en reste pas moins qu'en 2006, près de 8,5 TWh ont été importés, dont une part pour répondre à la demande en pointe.

Lors de son audition par la mission d'information, M. Alberto Martin Rivals 39 ( * ) , directeur général d'Endesa France 40 ( * ) , a confirmé cette dégradation de la capacité du parc français à répondre, de manière autonome, aux pics de consommation. Selon lui, cette évolution serait liée au fait qu'entre 1990 et 2006, dans un contexte général de croissance régulière de la consommation d'électricité, seulement 5 GW de capacités additionnelles ont été installés alors que la puissance appelée en période de pointe a pour sa part augmenté de 22 GW, passant de 64 GW à 86,3 GW. Dans ces conditions, la « couverture », entendue comme la différence entre le point le plus haut de la demande et la capacité supplémentaire installée, a diminué de 17 GW en quinze ans , ce phénomène s'étant accéléré au cours des cinq dernières années.

Ces analyses laissent penser que la France, pour assurer sa sécurité d'approvisionnement, doit consolider ses moyens de pointe . En effet, le parc de production dispose de surcapacités en base autorisant des exportations d'électricité mais semble insuffisant pour assurer la pointe 41 ( * ) .

2. Des risques de déséquilibre identifiés

a) Présentation des outils de prévision

Malgré ces apparentes difficultés pour la pointe, votre mission d'information note que ces tendances sont analysées, anticipées et prises en compte par les responsables du secteur électrique. Avec la loi du 10 février 2000, la France s'est dotée des outils d'analyse et d'anticipation indispensables pour que la sécurité d'approvisionnement, pilier du service public de l'électricité, ne reste pas qu'un principe sans traduction concrète.

A cet effet, l'article 6 de cette loi dispose que le ministre chargé de l'énergie élabore une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) de production d'électricité fixant les objectifs de répartition des nouvelles capacités par source d'énergie primaire et, le cas échéant, par technique et par zone géographique. Pour l'établissement de l'arrêté relatif à la PPI, qui fait l'objet d'un rapport transmis au Parlement 42 ( * ) , la loi indique que le ministre s'appuie notamment sur le schéma de service collectif de l'énergie et sur un bilan prévisionnel pluriannuel d'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, élaboré tous les deux ans par le gestionnaire du réseau public de transport, RTE 43 ( * ) .

Ce bilan prévisionnel, réalisé sous le contrôle de l'Etat, doit tenir compte des évolutions de la consommation, des capacités de transport et de distribution, et des échanges avec les réseaux étrangers. Depuis septembre 2006, ses modalités de réalisation ont été précisées par un décret 44 ( * ) qui a formalisé son cadre d'élaboration. Ce texte indique que le bilan porte sur les quinze années suivant la date à laquelle il est rendu public et qu'il a pour objet d'identifier « les risques de déséquilibre entre les besoins de la France et l'électricité disponible pour les satisfaire ». A cet effet, il doit prévoir « les besoins en puissance permettant de maintenir en dessous d'un seuil, défini par arrêté ministériel, le risque de défaillance lié à une rupture entre l'offre et la demande ». Au sein du bilan, une étude détaillée, mise à jour annuellement, doit être réalisée sur une période portant sur les cinq années suivant sa publication.

Enfin, la loi POPE de 2005 a opportunément complété cet édifice juridique en disposant que le ministre chargé de l'énergie publie une évaluation , par zone géographique, du potentiel de développement des filières de production d'électricité à partir de sources renouvelables , qui doit tenir compte de la PPI 45 ( * ) .

En application de ces dispositions, une première PPI , s'appuyant sur le bilan élaboré en janvier 2001 par RTE, a été arrêtée en mars 2003 46 ( * ) pour fixer des objectifs de développement des capacités électriques sur la période 2003-2007. Puis, une seconde PPI , fondée sur le bilan prévisionnel publié en novembre 2005, a été établie en juillet 2006 47 ( * ) afin de couvrir la période 2006-2015. En outre, RTE rendra public au cours de l'été 2007 un nouveau bilan de l'équilibre offre/demande prenant en compte les évolutions intervenues dans le secteur de l'énergie depuis 2005, notamment les nouveaux projets de capacités de production, ainsi que la mise en oeuvre des mesures de maîtrise de la demande d'énergie décidées par le législateur dans la loi POPE. Ce bilan intégrera aussi les hypothèses ayant trait à la durée de vie des centrales nucléaires puisqu'il couvrira l'horizon 2020.

Par ailleurs, le Gouvernement sera tenu 48 ( * ) , avant la fin de l'année 2008, de présenter au Parlement un nouveau rapport sur la PPI. Il est probable que cette obligation le conduise à élaborer une nouvelle PPI.

b) Les grands enseignements des derniers bilans prévisionnels de RTE

Le bilan prévisionnel publié en novembre 2005 s'appuie sur plusieurs hypothèses d'évolution des paramètres influençant la demande et l'offre d'électricité 49 ( * ) .

Dans le cadre du bilan 2005, RTE a bâti plusieurs scénarios, portant tous sur la période 2006-2016, dont il a indiqué leur plus ou moins grande plausibilité. S'agissant de la consommation, RTE a mis en évidence trois scénarios différents :

- un scénario fondé sur une économie fortement consommatrice d'énergie ;

- un scénario « de référence » - dont RTE estimait la survenance la plus plausible - combinant croissance économique et inflexion de la consommation grâce à des mesures d'amélioration de l'efficacité énergétique ;

- un scénario « engagement environnemental » se caractérisant par des actions très volontaristes en matière de maîtrise de la demande d'énergie.

Du côté de la demande , plusieurs hypothèses de travail étaient communes à ces projections, comme le taux de croissance de l'économie ou la contribution à la baisse de la consommation du remplacement du procédé actuel d'enrichissement d'uranium sur le site d'Eurodif par une technique plus économe en électricité, qui représente près de trois années de croissance de la consommation.

Du côté de l'offre , RTE a pris en compte la mise en service du réacteur EPR à l'horizon 2012, l'arrêt ou la limitation des durées de fonctionnement des centrales thermiques les plus polluantes en application de la directive 2001/80/CE du 23 octobre 2001 relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l'atmosphère en provenance des grandes installations de combustion (« directive GIC »), et les décisions d'investissements des producteurs arrêtées avant le 1 er janvier 2005. S'agissant des énergies renouvelables, RTE a retenu l'hypothèse, qualifiée de médiane, d'une puissance éolienne installée de 4 000 MW en 2010.

Par ailleurs, ce bilan a été construit sur l'hypothèse qu'à l'occasion des pointes de consommation, la France peut avoir recours aux capacités de production de ses voisins pour répondre à la demande.

Enfin, autre donnée structurante de ce bilan, RTE a élaboré ses scénarios avec un critère d'adéquation (possibilité théorique d'un délestage affectant au moins un consommateur en raison d'absence de moyens de production suffisants) d'une durée de trois heures par an.

Dans le document de 2005, sur le fondement du scénario « de référence », RTE arrivait à la conclusion qu'au regard du parc de production et des décisions d'investissements prises avant le 1 er janvier 2005 par les opérateurs sur le marché français, il convenait, pour maintenir le risque de défaillance à son niveau actuel, de mettre en service 1 200 MW de capacités supplémentaires pour 2010, puis 1 000 MW chaque année jusqu'en 2016, soit environ 7 300 MW sur la période 2006-2016 50 ( * ) .

En août 2006, RTE a publié une actualisation partielle du bilan prévisionnel de novembre 2005 51 ( * ) , qui nuance les analyses précédentes sur la capacité du parc à répondre aux pointes de consommation. Cette actualisation intègre l'évolution constatée depuis 2005 des nouveaux moyens de production, en particulier le développement de la filière éolienne et les projets de cycles combinés à gaz (CCG).

RTE fait notamment valoir qu'entre janvier 2005 et mai 2006, plusieurs demandes de raccordement au réseau de transport, portant sur une puissance totale de 5 000 MW de CCG, ont été validées. Par ailleurs, il note que des demandes similaires sont en cours pour des projets de turbines à combustion (TAC) d'une puissance cumulée de 500 MW.

A la suite des constats réalisés en 2005, l'actualisation de 2006 met en évidence le fait que la réalisation d'au moins trois projets de cycle combinés à gaz à l'horizon 2010, ou de tout autre moyen de production d'apport équivalent, apparaît nécessaire pour répondre aux hypothèses de progression de la consommation . Le développement de la filière éolienne et les efforts de maîtrise de la demande engagés dans le cadre de la loi POPE 52 ( * ) devraient néanmoins contribuer à réduire le risque de défaillance dans les années à venir.

Au total, les conclusions du bilan prévisionnel de 2005 ont contribué à la reprise des investissements en France, phénomène constaté par RTE dans sa note d'actualisation . L'ampleur des projets d'investissements - dont certains ont d'ailleurs été présentés à votre mission d'information par différentes entreprises énergétiques 53 ( * ) - peut laisser supposer que la situation française au regard de la pointe est en voie d'amélioration, dès lors que la possibilité de développer le réseau de transport sera effective. Votre mission d'information considère donc qu'il importe de favoriser le développement de ce réseau et d' assurer un suivi vigilant de la bonne réalisation 54 ( * ) par les producteurs de leurs investissements concernant des moyens de production de semi-base 55 ( * ) et de pointe 56 ( * ) .

c) Les grandes lignes de la PPI du 7 juillet 2006

Sur la base du bilan prévisionnel de 2005, la PPI du 7 juillet 2006 a fixé, par catégorie d'énergies primaires, les objectifs de développement de nouvelles capacités de production à l'horizon 2010, puis à l'horizon 2015. Afin de satisfaire aux obligations de la directive 2001/77 57 ( * ) , des perspectives très ambitieuses ont été tracées pour l'énergie éolienne, puisque la PPI prévoit 13 500 MW supplémentaires d'éolien (terrestre et maritime) avant la fin de l'année 2010 et un total de 17 000 MW en 2015 , alors que la puissance installée au 1 er janvier 2007 n'était que de 1 300 MW. Des développements des capacités hydroélectriques sont également prévus à l'horizon 2015 avec la mise en service de 2 000 MW supplémentaires d'hydraulique « classique » et 2 000 MW supplémentaires de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP).

En ce qui concerne les autres sources d'énergies renouvelables, des augmentations plus modestes sont programmées, comme le montre le tableau suivant.

Détails des objectifs de mise en service de certaines ENR

Energies primaires renouvelables (en MW)

Objectif 2010

Objectif 2015

Biogaz (y compris de méthanisation, gaz de décharge et gaz des stations d'épuration)

100

250

Biomasse (sauf fraction renouvelable des déchets ménagers et assimilés)

1 000

2 000

Déchets ménagers et assimilés

200

300

Géothermie

90

200

Solaire photovoltaïque

160

500

Source : arrêté du 7 juillet 2006

En outre, l'installation de 3 000 MW supplémentaires de moyens fonctionnant au gaz naturel, y compris à partir de cogénération, est programmée pour 2015, tout comme 3 100 MW de puissance électrique à partir de produits pétroliers à la même échéance. Enfin, conformément à l'article 9 58 ( * ) de la loi POPE du 13 juillet 2005, la PPI prévoit la mise en service du réacteur EPR à l'horizon 2015 , pour une puissance de 1 600 MW.

Afin que la PPI soit la traduction concrète de la politique énergétique nationale dans le secteur électrique, l'article 8 de la loi du 10 février 2000 autorise le ministre chargé de l'énergie à recourir à une procédure d'appel d'offres dans le cas où les acteurs du marché ne réaliseraient pas les investissements permettant d'atteindre ces objectifs, notamment ceux concernant les techniques de production et la localisation des installations.

En cas de recours à cette procédure assez lourde, le ministre est chargé d'en définir les conditions et la Commission de régulation de l'énergie (CRE) d'en assurer la mise en oeuvre sur la base d'un cahier des charges. Sont notamment précisées les caractéristiques énergétiques, techniques, économiques et financières de l'installation de production faisant l'objet de l'appel d'offres, l'utilisation attendue et la région d'implantation. Après réception des offres, la CRE les examine et fait connaître les résultats de son évaluation au ministre, qui prend alors sa décision et recueille à nouveau l'avis de la CRE sur ce choix, avant d'arrêter sa décision définitive.

d) Un développement important des capacités de production françaises

Sur le fondement de l'article 8 de la loi de 2000, quatre appels d'offres, s'appuyant sur les objectifs fixés par les PPI de 2003 et de 2006 59 ( * ) , ont été lancés afin de développer les capacités de production d'électricité d'origine renouvelable. Ils ont permis la mise en chantier de capacités de plusieurs centaines de mégawatts 60 ( * ) , dont la contribution n'est cependant pas suffisante pour assurer la sécurité d'approvisionnement et répondre aux besoins identifiés par RTE.

L'existence d'une telle procédure, autorisée par la directive 2003/54 et mise en oeuvre pour le moment uniquement pour les énergies renouvelables, apparaît nécessaire car ces technologies sont encore loin de présenter toutes les caractéristiques de rentabilité sans une aide de la collectivité nationale. Cela justifie en conséquence la fixation, dans chaque appel d'offres, de tarifs de rachat élevés 61 ( * ) .

Par ailleurs, EDF étant une entreprise publique, l'Etat, qui détient la majorité des sièges au conseil d'administration, a toute latitude pour orienter les décisions d'investissement de l'électricien afin de répondre aux objectifs de la PPI. A cet effet, EDF s'est engagée à augmenter très substantiellement le volume de ses investissements dans de nouveaux moyens de production, en particulier dans des capacités de semi-base et de pointe.

M. Pierre Gadonneix 62 ( * ) , PDG d'EDF, a mis en avant le fait que les investissements de l'entreprise dans les capacités de production allaient passer de 1,5 milliard d'euros entre 2003 et 2005 à 7,2 milliards d'euros entre 2007 et 2009. Il a souligné que « l'effort le plus conséquent est réalisé dans ce domaine et [qu'EDF construit] l'équivalent, en puissance, d'une tranche nucléaire par an. Dans les cinq ans à venir, [EDF va] donc mettre en service 5 000 MW, dont deux tiers en thermique et en éolien et un tiers en nucléaire ». L'entreprise a ainsi lancé un programme de réactivation de quatre tranches à fioul, pour une puissance totale de 2 600 MW, la première d'entre elles, située à Porcheville (Yvelines), d'une puissance de 600 MW, ayant été mise en service à la fin de l'année 2006. Avant la fin de l'hiver 2009, trois autres tranches thermiques - une seconde à Porcheville, une à Cordemais (Loire-Atlantique) et une à Aramon (Gard) - entreront en service, dont deux d'entre elles pour l'hiver 2007-2008. En outre, 500 MW de turbine à combustion (TAC), technologie répondant aux besoins « d'extrême pointe », seront installés sur les sites de Vitry (Val-de-Marne) et Vaires (Seine-et-Marne).

Par ailleurs, le groupe étudie l'opportunité de renforcer ses capacités de pointe et de semi-base pour 2010. Dans ce cadre, il a annoncé, le 18 juin 2007, sa décision d'investir 900 millions d'euros dans la construction de nouveaux moyens thermiques : trois TAC sur les sites de Vaires et de Montereau (Seine-et-Marne) pour une puissance totale de 555 MW, et un cycle combiné à gaz (CCG) de 440 MW sur le site de Blénod-lès-Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), la centrale au fioul de Martigues (Bouches-du-Rhône) étant pour sa part transformée en deux CCG d'une puissance totale de 930 MW.

M. Pierre Gadonneix a également précisé qu'EDF avait prévu d'investir environ trois milliards d'euros dans l'éolien , à travers sa filiale EDF Energies Nouvelles. Il a noté que l'entreprise serait en mesure, à terme, de contribuer à hauteur de 20 à 25 % du marché français de l'éolien avec un potentiel de 10 000 MW. Enfin, il convient de rappeler que les travaux de l'EPR sont désormais commencés, la construction de cette installation ayant récemment été autorisée 63 ( * ) .

Mais bien qu'EDF occupe en France une place prépondérante sur le marché de la production d'électricité, d'autres opérateurs , dont certains sont établis depuis longtemps sur le territoire national, comptent eux aussi développer leurs capacités de production , ce qui est de nature à renforcer la sécurité d'approvisionnement. La mission d'information a pu apprendre, lors des auditions des entreprises du secteur, que de nombreux investissements sont programmés à court terme, leur addition représentant des puissances non négligeables .

M. Gérard Mestrallet 64 ( * ) , président-directeur général de Suez, deuxième producteur d'électricité français, a souligné que l'entreprise, qui possède un parc important avec les installations de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et de la Société hydroélectrique du midi (SHEM), étudiait plusieurs options pour augmenter ses capacités de production d'origine nucléaire, notamment avec des réacteurs de troisième génération (EPR). Il a indiqué que cette orientation nécessiterait des décisions concrètes entre 2008 et 2009. Par ailleurs, il a précisé que Suez envisageait la mise en service d'un CCG à Fos-sur-Mer d'une puissance de 420 MW, de 500 MW d'éolien supplémentaires à l'horizon 2012 et de 40 MW supplémentaires d'hydraulique d'ici 2013.

M. Alberto Martin Rivals 65 ( * ) , directeur général d'Endesa France, a indiqué pour sa part que l'entreprise, qui sera prochainement confrontée à la fermeture de plusieurs unités en application de la directive « GIC », avait pour objectif d'installer plus de 2 000 MW de CCG et de 200 MW de puissance éolienne dans les cinq prochaines années, pour un investissement total de 1,3 milliard d'euros.

M. Olivier Lecointe 66 ( * ) , directeur Electricité de GDF, a précisé que l'entreprise venait de mettre en service un CCG à Dunkerque 67 ( * ) d'une puissance de 800 MW. Surtout, GDF souhaite disposer, à terme, de 2 500 MW de capacités électriques en France. Dans le cadre de cette stratégie, elle compte mettre en service, près de Fos-sur-Mer, une centrale à gaz de 500 MW, employant la même technologie qu'à Dunkerque. GDF a également remporté l'appel d'offres lancé en Bretagne par RTE pour l'alimentation de cette région, avec une centrale de pointe de 200 MW située à Saint-Brieuc. Un autre projet de CCG de 420 MW, situé à Montoir-de-Bretagne, pourrait être décidé par le conseil d'administration, pour une mise en service avant la fin de l'année 2009. Enfin, GDF n'entendant pas fonder la totalité de son développement électrique sur les CCG, elle ambitionne également de déployer dans les années à venir près de 500 MW d'éolien, en partenariat avec l'entreprise Maïa Sonnier.

L'audition de M. Philippe Sauquet 68 ( * ) , directeur stratégie Gaz-Electricité de Total, a permis à la mission de constater que Total, qui a mis en service en 2005 à Gonfreville (Seine-Maritime) la plus puissante installation de cogénération au gaz naturel en France, d'une puissance de 250 MW, n'envisageait pas pour le moment de développements substantiels de ses capacités de production électrique. En revanche, Total projette de construire des parcs éoliens terrestres et off-shore , comme cela a été indiqué à votre mission d'information par certains responsables de l'entreprise lors de sa visite de la ferme éolienne expérimentale de Mardyck.

Selon M. Philippe Sauquet, la totalité des projets de cycles combinés à gaz annoncés par l'ensemble des opérateurs sur le territoire national représenterait une puissance globale de 5 400 MW . Ceux-ci seront mis en service dans les prochaines années, permettant ainsi de répondre en partie aux besoins identifiés par RTE, et de dépasser même les objectifs de la PPI 69 ( * ) . Ces chiffres sont au demeurant conformes à l'estimation qu'en faisait la CRE dans son rapport annuel 2006 puisqu'elle évoquait des projets d'investissements d'une puissance supérieure à 4 900 MW dans la filière des CCG. Votre mission d'information note que ces projets, s'ils devaient se concrétiser, sont de nature à apporter une réponse rassurante sur la capacité de la France à subvenir aux besoins de pointe d'ici 2010.

3. La sécurité d'approvisionnement régionale

a) Deux zones de faiblesse en France métropolitaine continentale

Au-delà de l'analyse de l'équilibre offre/demande à l'échelon national, l'examen de la sécurité d'approvisionnement en France suppose également d'adopter une approche régionale . L'existence de pertes de puissance électrique liées à l'acheminement de l'électricité 70 ( * ) , ainsi que les difficultés de plus en plus aiguës rencontrées par le transporteur pour construire des infrastructures 71 ( * ) , ont conduit votre mission d'information à s'interroger sur le rapprochement des lieux de production de ceux de consommation .

Tant le bilan prévisionnel de RTE que le rapport au Parlement sur la PPI 2006 mettent en exergue le fait que deux régions françaises , le sud-est et la Bretagne , présentent de réelles fragilités pour leur approvisionnement électrique . Ces déséquilibres s'expliquent par une insuffisance de moyens de production aptes à répondre à la demande régionale ainsi que par la faiblesse des raccordements au réseau de transport .

Comme le souligne le rapport sur la PPI 2006, la consommation de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (7,8 % de la population française, 5,7 % de la superficie du territoire français) a représenté 8,2 % de la consommation nationale (36,9 TWh) en 2005, alors que les moyens de production installés dans cette région n'ont produit que 15 TWh (2,7 % de la production française). Au surplus, la puissance appelée peut être très élevée à certains instants, comme l'a attesté le record de demande du 28 février 2005 (6,9 GW). Or, dans cette région, la puissance disponible ne s'élève qu'à 3,4 GW en moyenne (le parc installé étant de 5,7 GW) et ne permet de satisfaire que la moitié de la demande de pointe . Enfin, sur ces capacités installées, 2,5 GW sont des moyens thermiques, dont l'avenir est, pour certains d'entre eux, incertain en raison de l'application de la directive « GIC ». Le réseau est, quant à lui, notoirement insuffisant. La situation est d'ailleurs devenue encore plus préoccupante après l'annulation par le Conseil d'Etat de la déclaration d'utilité publique dont avait fait l'objet la ligne de transport Boutre-Broc Carros. Au total, le rapport sur la PPI, publié avant que n'intervienne cette décision juridictionnelle, indiquait qu'au regard de cette situation, il était nécessaire de mettre en service au moins

400 MW de moyens supplémentaires avant 2010 et de définir un programme ambitieux de maîtrise de la demande d'énergie dans la région. Il est probable que ces préconisations devront être revues à la hausse avec l'annulation du projet de ligne à haute tension .

En ce qui concerne la Bretagne, la consommation dans cette région a représenté, en 2006, 4,1 % de l'électricité consommée en France (19,81 TWh). Sa croissance prévisionnelle dans les années à venir est légèrement supérieure à celle anticipée au niveau national. La situation de la Bretagne est particulièrement atypique puisque la plupart des moyens de production sont situés hors de la péninsule bretonne, avec la centrale de Cordemais. Comme le souligne RTE, la Bretagne produit moins de 5 % de l'électricité qu'elle consomme (1 GW de puissance installée ayant produit 1 TWh en 2005). Cette région (5 % de la population française sur 5 % de la superficie du territoire français) ne produit que 0,2 % de l'électricité française . En raison de cette faiblesse structurelle du parc, le courant est acheminé sur de longues distances, ce qui se traduit par de fortes pertes de tension . Ce problème a été traité par RTE (qui a récemment procédé à des actions ponctuelles de renforcement du réseau) mais devrait se reposer après 2010 en raison de la croissance de la consommation. En conséquence, les lignes existantes s'avéreront insuffisantes après 2010 pour respecter la règle du N-1 72 ( * ) . Au total, compte tenu du déficit de production régional, le rapport sur la PPI penche en faveur d'une solution tendant à mettre en service des moyens de pointe.

S'agissant de l'alimentation du sud-est et compte tenu de la décision du Conseil d'Etat, RTE étudie des scénarios alternatifs afin de sécuriser l'approvisionnement de cette région. Pour ce qui concerne la Bretagne, les analyses présentées ci-dessus ont conduit RTE à lancer un appel d'offres le 16 février 2006, sur le fondement de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, pour un projet de centrale de pointe afin d'alimenter le nord de la Bretagne. Cet appel d'offres, auquel quatre sociétés avaient répondu, a été remporté en décembre 2006 par GDF et devrait déboucher sur la mise en service d'une unité de production d'une puissance de 200 MW, située à proximité de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor).

L'article 15 de la loi du 10 février 2000 dispose que « le gestionnaire du réseau public de transport assure à tout instant l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau, ainsi que la sécurité, la sûreté et l'efficacité de ce réseau, en tenant compte des contraintes techniques pesant sur celui-ci ». Cette mission générale définie, le III du même article précise que le GRT « veille à la disponibilité et à la mise en oeuvre des services et des réserves nécessaires au fonctionnement du réseau » et qu'à cet effet, « il négocie librement avec les producteurs et les fournisseurs de son choix les contrats nécessaires à l'exécution des missions énoncées (...) selon des procédures concurrentielles, non discriminatoires et transparentes, telles que notamment des consultations publiques ou le recours à des marchés organisés ».

Tout en se félicitant de cette initiative qui permet d'apporter une réponse partielle aux défis électriques de la Bretagne, véritable « péninsule électrique », votre mission d'information estime hautement souhaitable de définir avec plus de précisions les conditions dans lesquelles la loi reconnaît à RTE le droit de procéder à des appels d'offres pour garantir la sécurité d'alimentation régionale. En particulier, elle estime qu'il serait opportun que la loi utilise explicitement les termes « d'appel d'offres » , afin de remédier aux déséquilibres géographiques identifiés dans les bilans de RTE.

D'une manière plus générale, même si ces déséquilibres régionaux devraient être traités à moyen terme dans des conditions plus ou moins satisfaisantes, votre mission d'information s'interroge sur l'insuffisance des moyens de production installés dans ces deux régions qui représentent près de 12 % de la consommation nationale et ne produisent que 2,9 % de l'électricité française , et dont les populations, pour le cas de la Bretagne, sont opposées à tout développement de centrales électriques, plus particulièrement de centrales nucléaires 73 ( * ) .

Equilibres régionaux de l'électricité en France

Régions

Capacités régionales/
capacités nationales
(en puissance)

Consommation
régionale/
consommation
nationale

Production
régionale/
production
nationale

Production
régionale/
consommation
régionale

Alsace

2,95 %

3,23 %

3,57 %

137,51 %

Aquitaine

4,03 %

4,89 %

5,12 %

130,36 %

Auvergne

1,00 %

1,98 %

0,30 %

18,84 %

Basse-Normandie

2,45 %

2,09 %

3,45 %

205,20 %

Bourgogne

0,38 %

2,56 %

0,24 %

11,79 %

Bretagne

0,92 %

4,30 %

0,19 %

5,52 %

Centre

10,37 %

3,60 %

14,35 %

495,13 %

Champagne-Ardenne

5,76 %

2,26 %

6,86 %

377,84 %

Corse

0,41 %

0,37 %

0,28 %

96,05 %

Franche-Comté

0,70 %

1,90 %

0,28 %

18,36 %

Haute-Normandie

9,57 %

3,70 %

11,07 %

371,43 %

Ile-de-France

4,47 %

14,96 %

1,37 %

11,38 %

Languedoc-Roussillon

2,22 %

3,28 %

0,77 %

29,27 %

Limousin

1,12 %

1,01 %

0,37 %

45,80 %

Lorraine

7,48 %

4,38 %

9,00 %

255,35 %

Midi-Pyrénées

6,79 %

3,79 %

5,20 %

170,41 %

Nord Pas-de-Calais

6,89 %

8,05 %

8,50 %

131,26 %

Pays de la Loire

2,96 %

5,05 %

1,26 %

30,91 %

Picardie

0,28 %

2,82 %

0,22 %

9,87 %

Poitou-Charentes

2,74 %

2,22 %

3,58 %

200,55 %

PACA

4,95 %

8,36 %

2,72 %

40,39 %

Rhône-Alpes

21,57 %

15,20 %

21,29 %

174,08 %

Source : Données RTE

Sans aller jusqu'à plaider en faveur de l'instauration d'une obligation d'autosuffisance électrique qui trouverait à s'appliquer dans le périmètre de chaque région 74 ( * ) , la mission n'en incline pas moins à considérer que des déséquilibres aussi flagrants sont injustes vis-à-vis des habitants des régions qui acceptent l'installation de capacités de production avec les divers inconvénients associés , et porteurs de fortes inefficiences puisque l'acheminement d'électricité sur de longues distances occasionne des pertes. En conséquence, tout en étant consciente qu'il serait sûrement inapproprié et brutal d'imposer à ces régions la construction de capacités électriques, elle estime que ces déficits, qui fragilisent la sécurité d'approvisionnement de millions d'habitants, ne sauraient perdurer et invite les pouvoirs publics à réfléchir à des pistes d'amélioration à brève échéance 75 ( * ) . Elle considère opportun de lancer une réflexion sur la mise en oeuvre d'une obligation d'équilibrage entre production et consommation qui pourrait être définie sur la base de grandes « régions électriques » .

b) La situation spécifique des zones non interconnectées

Cet examen de la situation électrique régionale ne peut faire l'économie d'une analyse de la sécurité d'approvisionnement des zones non interconnectées (ZNI) au réseau de transport continental métropolitain (Corse, départements d'outre-mer 76 ( * ) et collectivité départementale de Mayotte 77 ( * ) ).

En raison des spécificités géographiques des ZNI, notamment leur faible taille, la production d'électricité y est plus coûteuse qu'en France métropolitaine continentale. Pour ce motif, l'article 5 de la loi du 10 février 2000 rend éligibles à la CSPE les surcoûts de production dans les ZNI qui ne sont pas couverts par les tarifs réglementés de vente d'électricité (le montant des surcoûts constatés par la CRE en 2005 est de 446,4 millions d'euros, en très forte hausse par rapport à l'année précédente du fait de l'augmentation du prix des combustibles fossiles et de la consommation finale). Depuis le vote de la loi POPE, le montant de cette compensation est calculé en utilisant un taux de rémunération du capital investi fixé à 11 % par l'arrêté du 23 mars 2006 78 ( * ) . Le précédent système laissait à la CRE le soin de déterminer ce taux de rémunération, qui s'avérait insuffisant (7,25 % au 1 er janvier 2006) pour permettre des investissements de production.

En ce qui concerne les DOM et la collectivité départementale de Mayotte, le rapport 2006 sur la PPI relève plusieurs défis électriques :

- la nécessité de mettre en oeuvre des programmes ambitieux de maîtrise de la demande d'énergie au regard des forts taux de croissance de la consommation d'électricité constatés dans ces zones 79 ( * ) ;

- le déclassement d'un nombre important des moyens de production thermiques dans un avenir proche du fait de l'entrée en vigueur de la directive « GIC », même si les grandes installations de combustion des DOM bénéficient de plafonds d'émissions adaptés à leur contexte.

De manière générale, la PPI met en évidence d'importants besoins en moyens de production dans ces territoires au cours des cinq prochaines années. La Réunion et Mayotte sont, à cet égard, les zones dans lesquelles les besoins y sont les plus urgents. Certes, la PPI identifie des gisements d'ENR qui pourraient contribuer à la sécurité d'approvisionnement 80 ( * ) . Il n'en reste pas moins que l'extension de groupes thermiques existants ou la construction de nouvelles centrales seront nécessaires pour assurer la base et la pointe 81 ( * ) . Dans ces conditions, l'arrêté sur la PPI de juillet 2006 prévoit la mise en service de moyens importants, à l'horizon 2010 comme à l'horizon 2015.

S'agissant de la Corse, l'île a été confrontée à une très grave crise électrique au cours de l'hiver 2005 , liée à l'insuffisance des moyens de production et à la vétusté des unités existantes. Ceci a conduit le ministère de l'industrie à demander une mission d'enquête au conseil général des mines et l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale à adopter, le 24 novembre 2005, un second plan énergétique pour la Corse couvrant la période 2005-2020 82 ( * ) . Comme le souligne ce document, « en dehors des équipements micro hydrauliques et éoliens, la Corse n'a pas connu de décisions depuis 1987 et pas d'investissements depuis 1996 ». Or, l'île est elle aussi pleinement concernée par les contraintes résultant de la directive « GIC », qui vont conduire à de nombreux déclassements d'unités existantes, et confrontée à une croissance dynamique de la consommation d'électricité.

Contrairement aux autres ZNI, la Corse peut néanmoins compter, pour son alimentation électrique, sur les interconnexions. Ainsi, l'interconnexion Sardaigne-Corse-Italie 83 ( * ) offre une puissance de 50 MW, tandis que l'interconnexion Sardaigne-Corse 84 ( * ) , mise en service en 2006, apporte une puissance équivalente, qui devrait passer à 80 MW à l'automne 2007. Dans ces conditions, la PPI préconise la mise en service sur l'île de 220 MW en 2010 et de 380 MW en 2015. A la suite de la crise hivernale de 2005, EDF 85 ( * ) a d'ailleurs annoncé des investissements d'un montant de 450 millions d'euros d'ici 2012 pour répondre aux besoins électriques de l'île : sont ainsi prévus la construction d'un nouvel ouvrage hydraulique de 54 MW sur le Rizzanese ainsi que le remplacement de deux centrales thermiques situées à Lucciana et au Vazzio. Dans le domaine des ENR, il semblerait enfin que la Corse dispose d'un potentiel hydroélectrique qui gagnerait à être mieux exploité afin de renforcer les moyens de production insulaires 86 ( * ) .

Au total, votre mission d'information constate que les besoins d'investissements dans les ZNI sont massifs . Elle juge fondamental de respecter les orientations de la PPI pour assurer leur sécurité d'approvisionnement et indispensable de tirer profit des atouts dont elles disposent pour la valorisation des ENR.

4. Bilan provisoire et perspectives

En conclusion, votre mission d'information note que les mécanismes définis par le législateur au cours des dernières années permettent la mise en oeuvre effective d'une politique énergétique . L'élaboration depuis 2000 par RTE du bilan pluriannuel et l'édiction par le gouvernement de la PPI, deux outils qui relèvent pleinement de la maîtrise publique du secteur électrique, trouvent d'ailleurs une nouvelle justification dans un contexte d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. La possibilité offerte à la puissance publique de procéder à des appels d'offres si les objectifs de la PPI ne sont pas atteints, l'existence d'un opérateur public doté des moyens de relancer le programme électronucléaire et de procéder à des investissements considérables ainsi que la présence d'autres opérateurs ayant de nombreux projets de développement de leurs capacités permettront de répondre aux besoins en électricité dans les années à venir. Cette conjugaison conduit votre mission d'information à estimer que la sécurité d'approvisionnement est assurée pour la base au moins jusqu'en 2020. S'agissant de la pointe, les inquiétudes exprimées au cours des auditions, qui s'appuyaient sur des analyses datant de plusieurs mois, semblent pouvoir être apaisées, au moins jusqu'à 2010, par les récentes décisions d'investissements dans de nouvelles capacités annoncées par plusieurs électriciens , même s'il convient de continuer à exercer un suivi attentif de cette question au cours des années à venir.

Afin toutefois de perfectionner cet édifice juridico-économique, votre mission d'information considère que plusieurs améliorations pourraient être apportées à ces dispositions.

D'une part, l'articulation entre le bilan pluriannuel et la PPI pourrait être améliorée : il n'apparaîtrait pas illogique que la PPI, dont la régularité n'est pas précisée dans la loi, fasse obligatoirement l'objet d'une mise à jour et d'ajustements en fonction des conclusions du bilan offre/demande le plus récent.

D'autre part , comme vos rapporteurs le préciseront dans les développements consacrés aux énergies renouvelables (ENR), les dispositions de la loi POPE portant sur l'obligation pour le ministre d'évaluer le potentiel des ENR électriques, qui n'ont pas encore été mises en oeuvre deux ans après la promulgation de la loi, mériteraient d'être pleinement appliquées .

Tout en reconnaissant que la situation française apparaît globalement satisfaisante, votre mission d'information ne saurait faire preuve de la même sérénité au vu de l'évolution du système de production d'électricité en Europe. En effet, à l'issue de ses auditions et de ses déplacements dans six pays européens, les membres de la mission se déclarent plus circonspects quant à la capacité de l'UE à assurer, dans les conditions actuelles, sa sécurité d'approvisionnement en électricité .

B. LA SÉCURITÉ ÉLECTRIQUE EUROPÉENNE EN QUESTION

L'ancrage de la France, premier exportateur d'électricité en Europe, au sein de la plaque électrique continentale la rend fortement dépendante des capacités productives de ses partenaires. Or, une analyse à moyen terme de l'évolution des systèmes électriques de ces pays laisse entrevoir des déficits qui pourraient avoir des conséquences non négligeables au niveau national.

1. Une production insuffisante en Europe ?

a) Des besoins d'investissements considérables

L'Europe est confrontée à un défi électrique majeur. En effet, les grandes décisions de politique énergétique, notamment celles qui ont trait à l'organisation du secteur 87 ( * ) ou au bouquet énergétique, restent très largement prises au niveau de chaque Etat. Or, force est de constater que la seule politique communautaire de l'énergie mise en oeuvre au cours des dix dernières années a eu pour objectif de développer un marché libéralisé, ce qui entre en opposition avec la garantie de la sécurité d'approvisionnement. En effet, ce choix, qui a considérablement bouleversé les conditions d'exercice du métier d'électricien et remis en cause des logiques d'organisation parfois vieilles de cinquante années 88 ( * ) , n'a pas été assorti d'une véritable réflexion sur la spécificité du système électrique et sur la notion de sécurité d'approvisionnement.

L'existence d'un réseau électrique européen interconnecté fonctionnant de manière synchrone 89 ( * ) oblige à poser la question de cette sécurité à l'échelle, non seulement de l'Union européenne, mais même du réseau interconnecté de l'UCTE 90 ( * ) . Or, l'appareil statistique communautaire dans le domaine de l'énergie présente de très grandes lacunes 91 ( * ) , même si cette situation devrait s'améliorer avec la création d'un groupe formel des GRT auprès de la Commission européenne et d'un Observatoire de l'énergie.

Les GRT de l'Europe continentale, regroupés au sein de l'UCTE, publient régulièrement des analyses des données du système électrique interconnecté. En 2006, la zone UCTE a produit près de 2 585 TWh grâce à un parc d'une puissance de 623,2 GW, afin de répondre à une consommation totale de 2 530 TWh. Les statistiques de l'UCTE mettent en évidence, au sein de cet ensemble, la place éminente de la France, qui consomme 18 % de l'électricité de la zone UCTE mais en produit 21 % et dispose de 18,6 % des capacités productives installées. Les exportations françaises d'électricité représentent, quant à elle, 2,5 % de la consommation des membres de l'UCTE.

Dans son dernier rapport sur l'équilibre offre/demande portant sur la période 2007-2020 92 ( * ) , l'UCTE estime que, compte tenu des investissements déjà décidés par les électriciens, l'équilibre entre production et consommation semble assuré d'ici 2010. Toutefois, elle met également en exergue le fait qu'au regard des décisions d'investissements connues par l'association au mois d'octobre 2006, la sécurité d'approvisionnement de la plaque UCTE deviendrait insuffisante à l'horizon 2014-2015.

A l'instar des travaux de RTE, les prévisions réalisées par l'UCTE s'appuient sur des scénarios différents :

- un scénario A (« conservative scenario ») dans lequel sont uniquement intégrées les décisions d'investissements dont la réalisation est certaine. Ce scénario est utilisé pour identifier les besoins attendus en terme de capacités nouvelles ;

- un scénario B (« best estimate ») intégrant également les décisions d'investissements dont les transporteurs estiment la réalisation probable. Ce scénario est utilisé pour donner la meilleure image de l'évolution possible de l'équilibre offre/demande si ces investissements se concrétisent.

Dans le scénario A, même si la sécurité d'approvisionnement est garantie jusqu'en 2010 avec la mise en service de 45 GW supplémentaires à l'échelle de la zone UCTE, la situation apparaît beaucoup plus tendue entre 2010 et 2015, les investissements étant alors insuffisants pour compenser l'arrêt des centrales les plus anciennes et les plus polluantes en raison des contraintes de la directive « GIC ». Surtout, l'UCTE explique qu'en 2015, l'équilibre du système n'est plus assuré si d'autres investissements que ceux actuellement connus et décidés ne sont pas réalisés . Sur la période 2015-2020, la situation devient d'autant plus tendue que de fortes incertitudes pèsent sur le déploiement des ENR électriques, la mise à l'arrêt des centrales thermiques et l'avenir du nucléaire. Au total, le parc de production dans l'UCTE devrait présenter une puissance supérieure de 50 GW pour assurer la sécurité d'approvisionnement électrique en 2020 .

Les besoins de remplacement des centrales existantes ainsi que l'accroissement des capacités installées pour faire face à la hausse de la consommation d'électricité sont donc gigantesques. Eurelectric 93 ( * ) , dont votre mission d'information a rencontré l'un des représentants lors de son déplacement à Bruxelles, a récemment chiffré à 1 000 milliards d'euros les montants à investir en Europe pour répondre aux besoins en électricité d'ici 2035, et estimé nécessaire de mettre en service , avant cette date, entre 700 et 1 000 GW , soit l'équivalent de sept à dix fois le parc électrique français. Cette prévision est notamment fondée sur l'anticipation par Eurelectric d'une croissance de la consommation d'électricité de plus de 44 % entre 2005 et 2030 dans l'Union européenne à 25. Dans le scénario de référence de son dernier rapport 94 ( * ) , l'association juge nécessaire de mettre en service 825 GW dans les vingt-cinq pays de l'UE d'ici 2030. Cette estimation suppose que plus de l'équivalent du parc européen actuel soit mis en service d'ici 30 ans . La Commission européenne fait d'ailleurs totalement sienne cette analyse puisque, dans son « paquet énergie », elle considère indispensable d'investir environ 900 milliards d'euros dans la production d'électricité dans les 25 prochaines années, y compris en mettant en oeuvre une politique efficace d'amélioration des rendements énergétiques.

Ces constats sont au demeurant totalement intégrés par notre opérateur historique. Son PDG, M. Pierre Gadonneix, a ainsi souligné 95 ( * ) que la consommation d'électricité en Europe avait augmenté de 30 % au cours des quinze dernières années, alors même que les capacités de production avaient seulement progressé de 9 %, supprimant une grande partie des surcapacités dont bénéficiaient les pays européens et rendant nécessaires des investissements massifs dans un avenir proche.

Or, compte tenu des délais de construction de nouvelles capacités de production, de l'impossibilité - à supposer qu'une telle option soit souhaitable - de procéder à des échanges massifs d'électricité d'un point à un autre de l'Europe, et de l'absence de coordination entre les Etats membres s'agissant du développement des moyens de production, votre mission d'information doute que les décisions prises par l'UE soient de nature à assurer la sécurité d'approvisionnement .

b) Les pays visités par la mission

Dans le cadre de ses travaux, votre mission d'information a effectué un tour d'Europe 96 ( * ) qui lui a permis de rencontrer les responsables du secteur de l'électricité de plusieurs pays (ministères chargés de l'énergie, parlementaires, autorités de régulation, transporteurs, entreprises chargées de la production et de la fourniture...) et de se forger une opinion sur l'état d'avancement de « l'Europe de l'énergie ».

Elle tire plusieurs enseignements de ce tour d'horizon 97 ( * ) . Tout d'abord, en l'absence de systèmes comparables à celui de la PPI, elle constate un manque de vision prospective en matière de développement des capacités de production et d'outils de planification permettant d'assurer la satisfaction à moyen terme des besoins en électricité. La plupart de ces pays s'en remettent quasi-exclusivement au marché pour orienter les décisions d'investissements dans les nouvelles capacités (à l'exception des systèmes de promotion des ENR). Selon l'analyse de votre mission d'information, cet élément est de nature à faire planer des doutes sur la sécurité d'approvisionnement de ces pays, mais aussi de leurs voisins européens et en particulier de la France puisque, du fait des interconnexions, les choix opérés par les pays européens ont des conséquences sur l'équilibre offre/demande à l'échelle européenne.

La mission a également pris la mesure d'un réel engouement des pays visités, à l'exception notable de la Suisse, en faveur du développement d'un parc de centrales à gaz 98 ( * ) . Elle en comprend les raisons : cette technologie présente de véritables avantages économiques, puisque les unités peuvent être rapidement mises en service 99 ( * ) , et environnementaux, en termes d'émissions de dioxyde de carbone (CO 2 ) par rapport au charbon. Toutefois, elle tient à souligner que le déploiement massif d'un parc électrique fonctionnant au gaz a pour conséquence de reporter la question de la sécurité d'approvisionnement électrique vers celles de la sécurité d'approvisionnement gazière , de la diversification des fournisseurs , mais aussi de l' extension des capacités de stockage de gaz naturel . Surtout, elle constate qu' en conférant aux pays producteurs de gaz, au premier rang desquels la Russie, un poids politique considérable, ce choix a des conséquences assez inquiétantes sur l'indépendance énergétique de l'UE .

En outre, le recours à l'électricité nucléaire , bien que son importance et sa contribution notable à la réduction des GES aient, sur demande insistante des autorités françaises, été pleinement reconnues dans le « paquet énergie », reste une question très controversée en Europe . La plupart des pays visités excluent de fait toute relance d'un programme électronucléaire, à l'exception du Royaume-Uni.

Enfin, le déplacement de la délégation en Pologne a permis de mettre en évidence la situation très spécifique des nouveaux entrants dans l'Union européenne. La Pologne est aujourd'hui confrontée à un défi électrique sans précédent puisqu'elle dispose d'un parc polluant et vieillissant. L'ampleur des besoins d'investissements est d'autant plus considérable que sa consommation d'électricité croît à un rythme largement supérieur (+ 4,5 % en 2006) à celui de la moyenne européenne. Les taux de croissance enregistrés dans les autres pays d'Europe de l'Est ayant récemment adhéré à l'UE sont d'ailleurs similaires 100 ( * ) .

2. Les lacunes des outils communautaires

Votre mission d'information déplore cette faiblesse des outils de prévision et de programmation des investissements dans les pays qu'elle a visités. Elle considère que cette lacune trouve en grande partie son origine dans les insuffisances de la législation communautaire.

Tout d'abord, elle tient à saluer la qualité du travail prospectif effectué par l'UCTE qui est très complet et porte sur une période relativement longue (2007-2020 pour le dernier bilan 101 ( * ) ). Les études de l'UCTE constituent ainsi des documents de référence pour les autorités bruxelloises. Cependant, la politique de l'énergie faisant l'objet d'une réglementation communautaire, il apparaît d'autant plus nécessaire d'en étoffer le cadre juridique afin que les principes régissant l'organisation du secteur électrique dans l'UE ne s'appuient pas exclusivement sur la promotion de la concurrence et l'unification des marchés.

Certes, la directive 2003/54, au-delà de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, prévoit, en son article 4, que les Etats membres sont tenus d'assurer la surveillance de la sécurité d'approvisionnement.

Cet article dispose que « la surveillance couvre notamment l'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché national, le niveau de la demande prévue, les capacités supplémentaires envisagées en projet ou en construction, ainsi que la qualité et le niveau d'entretien des réseaux, ainsi que les mesures requises pour couvrir les crêtes de demande et faire

face aux déficits d'approvisionnement d'un ou plusieurs fournisseurs. Les autorités compétentes publient tous les deux ans, au plus tard le 31 juillet, un rapport dans lequel elles présentent les résultats de leurs travaux sur ces questions, ainsi que toute mesure prise ou envisagée à ce sujet et communiquent immédiatement ce rapport à la Commission ».

Au surplus, son article 28 dispose qu'un rapport annuel de la Commission européenne doit comporter, parmi d'autres éléments, « une analyse des aspects liés à la capacité des réseaux et à la sécurité de l'approvisionnement en électricité dans la Communauté, et notamment la situation existante et les prévisions en matière d'équilibre entre l'offre et la demande, en tenant compte de la capacité physique d'échanges entre zones ». Sur ce fondement, la Commission a rendu public un rapport sur l'état d'avancement de la création du marché intérieur du gaz et de l'électricité le 15 novembre 2005. Puis, dans le cadre du « paquet énergie », elle a présenté début 2007 un rapport portant sur les perspectives du marché intérieur du gaz et de l'électricité.

A la lecture de ces documents, il apparaît clairement à vos rapporteurs que l'évolution de l'équilibre offre/demande et la programmation des investissements nécessaires ne sont pas au coeur de ces analyses , compte tenu des très courts développements dont ces questions font l'objet 102 ( * ) . En revanche, la Commission européenne consacre de plus amples parties de ses rapports aux problématiques liées à l'évolution du marché intérieur, au degré de concurrence entre opérateurs, à la nécessité de procéder à la séparation patrimoniale entre producteurs et transports ou à la suppression des tarifs administrés. Les analyses consacrées à la sécurité d'approvisionnement sont d'ailleurs révélatrices de la foi absolue de la Commission dans le marché puisque son rapport indique que le « marché intérieur contribue nettement aux objectifs de la sécurité d'approvisionnement » sans étayer pour autant une telle affirmation. Votre mission d'information est loin de partager une vision aussi idyllique .

Ce n'est du reste qu'en janvier 2006 qu'a été adoptée une directive 103 ( * ) relative à la sécurité d'approvisionnement en électricité .

Son article 7 élargit le champ du rapport biannuel prévu par la directive 2003/54 afin que ce dernier rende compte de l'équilibre escompté entre l'offre et la demande pendant les cinq années suivantes et les perspectives en matière de sécurité d'approvisionnement pendant la période des cinq à quinze années suivant la date du rapport 104 ( * ) .

Au demeurant, c'est essentiellement au prisme du marché que ce texte trouve sa justification puisque l'un de ses considérants souligne que « la garantie d'un niveau élevé de sécurité d'approvisionnement en électricité est une condition essentielle pour le bon fonctionnement du marché ». D'un côté, il est vrai que cette directive indique que les Etats membres ont la possibilité de déterminer des obligations de service public , notamment en matière de sécurité d'approvisionnement . Toutefois, passé ce rappel opportun, la directive limite le champ de ces obligations de service public en précisant qu'elles ne doivent pas aboutir à la création d'une capacité de production qui excède ce qui est nécessaire pour prévenir les interruptions excessives de la distribution d'électricité aux clients finals . Votre mission d'information se déclare réservée sur cette formulation qui laisse entendre que les obligations de service public ne peuvent aboutir à la constitution de surcapacités, alors que celles-ci sont pourtant un élément fondamental de sécurité du système et un facteur de baisse des prix de l'électricité .

C. PLAIDOYER POUR UNE REFONTE DE LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE COMMUNAUTAIRE

La promotion du marché et de la concurrence ainsi que la séparation patrimoniale l'emportent dans l'Union européenne sur la question fondamentale de la sécurité d'approvisionnement. En effet, même si les mécanismes communautaires décrits ci-dessus présentent l'indéniable avantage d'exister, leur application paraît peu satisfaisante . Surtout, ils ne permettent d'analyser et d'anticiper que de manière très sommaire les situations de déséquilibre et, en aucun cas, ne peuvent servir de support à la création d'instruments de maîtrise publique du secteur de l'électricité puisque, selon la Commission européenne, les investissements doivent être le fruit d'un jeu concurrentiel non faussé, analyse qui laisse perplexe votre mission d'information.

La Commission aurait-elle pris conscience de ces lacunes avec la présentation, au début de l'année 2007, du « paquet énergie » ? Elle propose la création d'un Observatoire de l'énergie , chargé de collecter des données concernant les besoins d'investissements futurs dans les infrastructures et les installations de production d'électricité, ainsi que celle d'un groupe de travail qui aura pour tâche de « contrôler les investissements nécessaires dans la production d'électricité et d'examiner le cadre d'investissement afin d'assurer la mise en place de capacités suffisantes ». Ces avancées doivent être relevées. Elles apparaissent cependant en décalage avec la nécessité de renforcer la régulation du secteur électrique .

Votre mission d'information estime donc indispensable de franchir, à l'occasion du prochain paquet législatif sur l'énergie, une nouvelle étape , qui devrait s'appuyer sur la création d' outils permettant de coordonner les initiatives des Etats membres en matière de développement de leurs capacités de production . Dans le cadre d'un réseau interconnecté, toute insuffisance de capacités de production dans un pays fragilise l'équilibre offre/demande de ses voisins : l'organisation du système de production d'électricité doit, en conséquence, être repensée dans le cadre d'un « Pôle européen de l'énergie », au sein duquel prévaudrait une réelle solidarité énergétique entre Etats .

1. Anticiper les besoins

La mission souhaite tout d'abord que les dispositions de la directive de 2006 soient appliquées rigoureusement et strictement : plus que jamais, il est indispensable que la Commission européenne élabore périodiquement un bilan prévisionnel pluriannuel de l'équilibre offre/demande à l'échelle de l'Union européenne . Ce document devra également prendre en compte la situation des pays appartenant à l'UCTE qui, bien que non membres de l'UE, sont reliés au réseau synchrone européen. L'horizon temporel de ce bilan pourrait être élargi à une période de quinze années dans la mesure où la rédaction actuelle de la directive ne prévoit l'analyse de l'équilibre offre/demande que sur une période de cinq ans, seule une « analyse prospective » de la sécurité d'approvisionnement étant demandée pour la période 5-15 ans.

Ce n'est qu'au prix d'un suivi rigoureux, continu et attentif de ces évolutions que l'Union sera à même d'anticiper les risques de déséquilibres entre l'offre et la demande d'électricité pouvant menacer la sécurité d'approvisionnement . Pour prévenir tout risque de black-out généralisé résultant d'un manque de capacités, il est impératif que l'UE soit en mesure de vérifier que, dans les scénarios extrêmes, l'offre d'électricité en Europe est suffisante pour répondre à la demande en période de pointe.

RTE reconnaît lui-même dans son bilan prévisionnel de novembre 2005 que l'existence d'un réseau interconnecté européen justifie que les bilans réalisés par les GRT soient confrontés dans un cadre européen puisque les prévisions nationales doivent tenir compte des capacités d'échanges avec les pays voisins, qui dépendent elles-mêmes des opportunités de nouvelles capacités de production décidées dans ces pays.

2. Prévenir les déséquilibres

Par ailleurs, votre mission d'information préconise de rendre obligatoire l'élaboration dans chaque Etat membre de l'UE d'un document prospectif indiquant comment est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans, bâti sur le modèle de la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique . La Commission européenne, qui serait chargée par le Conseil européen de faire la synthèse de ces documents pour s'assurer de leur cohérence globale , disposerait ainsi d'une vision objective et documentée de la sécurité d'approvisionnement à l'échelle de l'Union 105 ( * ) .

Certes, la mission ne sous-estime pas les difficultés qui surgiront pour faire adopter ce principe par une majorité d'Etats, un grand nombre d'entre eux semblant opposés à un tel mécanisme qu'ils considèrent comme le dernier avatar du dirigisme étatique. Elle répond clairement à cette objection en soulignant que la PPI :

- indique le montant des puissances supplémentaires à mettre en service pour assurer la sécurité d'approvisionnement, sans que l'Etat ne se substitue aux décisions des opérateurs ;

- ne s'oppose pas à ce que les investissements effectivement réalisés dépassent ses objectifs.

Surtout, votre mission d'information considère que l'édiction d'une PPI est un acte politique fort qui met les autorités publiques face à leurs responsabilités . Avec cette obligation, l'Etat qui déciderait d'assurer la satisfaction de ses besoins en électricité grâce aux investissements de ses voisins et aux importations serait tenu d'assumer ce choix en toute transparence.

La mise en oeuvre de cette orientation mettrait à la disposition de l'Union européenne un outil directement opérationnel lui permettant de prévenir toute situation de déficit d'électricité.

Cette proposition est au demeurant conforme à l'esprit des conclusions du Conseil de l'Union européenne des ministres chargés de l'énergie du 15 mars 2007 qui a appelé la Commission européenne à réaliser, en collaboration avec les Etats membres, des projections à moyen et à long terme concernant l'offre et la demande de gaz et d'électricité, et à déterminer les investissements supplémentaires nécessaires pour répondre aux besoins stratégiques de l'Union.

3. Imposer des normes minimales de production

En complément des deux précédentes propositions, votre mission d'information souhaite enfin que le prochain paquet législatif énergétique instaure des normes minimales de production d'électricité dans chaque Etat membre .

Il ne lui appartient pas de se prononcer sur la proportion exacte de consommation nationale qui devrait être couverte par la production nationale dans chaque Etat membre. La détermination de ce niveau dépasse de loin le champ d'étude de ce rapport. Pour autant, elle juge indispensable qu'un tel principe fasse l'objet d'un accord politique afin qu'aucun Etat ne puisse assurer la satisfaction à long terme de ses besoins en recourant à la production électrique de ses voisins.

Cette proposition repose sur une conviction profonde de votre mission d'information : la France n'a pas vocation à devenir le « poumon nucléaire » de l'Union européenne . En effet, sans qu'une telle évolution soit explicitement souhaitée par les partenaires de la France, tel est le visage qu'est en train de prendre l'Europe de l'électricité. La tentation peut être forte, pour certains pays dont les opinions publiques sont opposées au nucléaire, de privilégier le développement des interconnexions avec les producteurs nucléaires pour s'approvisionner en électricité à bas prix. Une telle option serait inacceptable pour notre pays, qui serait alors le seul à subir et à devoir gérer les inconvénients environnementaux liés aux déchets.

Au-delà de la question du nucléaire, l'examen des statistiques de production et de consommation nationales des membres de l'UCTE pour l'année 2006 démontre, comme en témoigne le tableau suivant, que ce risque n'est pas purement théorique , si l'on se réfère au nombre d'Etats 106 ( * ) qui, cette année, ont consommé des volumes d'électricité supérieurs à leur production nationale.

Production et consommation d'électricité en 2006
de certains membres de l'UCTE (en TWh)

Pays

Production
nationale

Consommation nationale

Solde

Allemagne

587,8

559,1

28,7

Autriche

62,9

66,5

-3,6

Belgique

81,4

89,9

-8,5

Bosnie Herzégovine

13,3

11,1

2,2

Bulgarie

43,9

35,7

8,2

Croatie

11,3

16,8

-5,5

Espagne

268,1

259,6

8,5

France

549

478,4

70,6

Grèce

50,3

54

-3,7

Hongrie

33,4

40,6

-7,2

Italie

301,5

337,8

-36,3

Luxembourg

4,2

6,6

-2,4

Pays Bas

94,6

116,1

-21,5

Pologne

148,8

136,5

12,3

Portugal

45,9

50,7

-4,8

République tchèque

77,9

64,3

13,6

Roumanie

57,4

53

4,4

Slovénie

13,1

13,3

-0,2

Slovaquie

29

27,2

1,8

Suisse

62,1

63,2

-1,1

Source : UCTE

Bien entendu, cette proposition n'est pas synonyme d'obligation pour chaque pays d'être en mesure de produire le dernier kilowattheure demandé au niveau national, ce qui serait contraire à toute rationalité économique. La diversité des situations géographiques et climatiques , ainsi que les spécificités des systèmes électriques des différents Etats membres , les soumettent à des aléas différents 107 ( * ) . En conséquence, les échanges d'électricité présentent de réels avantages économiques car il est intéressant pour les pays de mutualiser leurs réserves de production afin de répondre à leurs besoins en pointe , en raison de la relative déconnexion de leurs périodes de pointe de consommation .

En définitive, compte tenu du haut degré d'interdépendance entre les Etats de l'UE, votre mission d'information considère que la politique européenne de l'énergie doit être réorganisée en prenant en compte les problématiques liées à la production et sur la base d'une réelle solidarité entre eux, notamment pour la mise en oeuvre des obligations environnementales résultant du protocole de Kyoto 108 ( * ) . Un tel partenariat, qui doit déboucher sur la création d'une véritable régulation de ce secteur dans le cadre du « Pôle européen de l'énergie » que la mission appelle de ses voeux et permettre la définition de nouvelles règles n'ayant pas pour objectif unique la promotion de la concurrence, a vocation à prendre en compte les spécificités de chaque Etat au regard de sa conception du bouquet énergétique. Votre mission d'information est convaincue que la structuration d'une politique de l'énergie à l'échelle européenne, fondée sur de telles bases, permettra d'assurer la sécurité d'approvisionnement sur le long terme et de respecter les engagements environnementaux de l'Union européenne .

II. DIVERSIFIER LE BOUQUET ÉLECTRIQUE DE LA FRANCE

Comme cela vient d'être démontré, assurer la sécurité d'approvisionnement suppose de disposer des moyens de production adéquats. Mais, au-delà de cette évidence, l'électricité étant une énergie dérivée produite à partir d'autres sources, notamment fossiles ou minérales, cette sécurité repose aussi sur la sûreté et la diversité d'approvisionnement des énergies primaires indisponibles sur le territoire . En outre, elle suppose de disposer d'un bouquet électrique diversifié afin de répondre aux différents types de demandes en électricité, qu'il s'agisse de la base ou de la pointe.

A. LE NUCLÉAIRE FRANÇAIS : ENJEUX DE SOCIÉTÉ ET SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT

Le nucléaire occupe une place éminente au sein du bouquet électrique français puisqu'il produit 78 % de l'électricité nationale . Même s'il apparaît hautement souhaitable de diversifier les origines de la production électrique afin que cette part puisse diminuer progressivement, la mission se déclare favorable au maintien de cette option énergétique , condition de notre indépendance et de notre sécurité d'approvisionnement. En effet, le nucléaire permet la production d'une électricité abondante et compétitive, de surcroît adaptée aux enjeux tenant à la limitation des émissions de CO 2 , et enfin moins sensible que l'électricité thermique aux aléas de la fourniture en combustibles. Ce constat posé, vos rapporteurs ne minorent pas pour autant les grands enjeux tenant à la maîtrise et à la gestion durable de cette énergie : ils gardent pleinement à l'esprit les interrogations profondes que cette option suscite au sein de la société française, en termes d'acceptabilité sociale, de risques pour la santé humaine et pour l'environnement, de sûreté, ainsi que de gestion tant du démantèlement des centrales que des déchets .

1. Un combustible primaire abondant

Si l'électricité d'origine nucléaire apporte sécurité d'approvisionnement et indépendance énergétique, c'est tout d'abord en raison d'une bonne disponibilité du combustible primaire utilisé dans les centrales, l'uranium, en ce qui concerne tant le niveau des ressources mondiales que les filières d'approvisionnement françaises.

Le minerai d'uranium présente l'avantage d'être bien réparti sur la planète et disponible en quantité dans des pays présentant une bonne stabilité politique, l'Australie détenant par exemple près du quart des réserves mondiales 109 ( * ) . Ainsi que l'a souligné lors de son audition M. Bertrand Barré 110 ( * ) , conseiller scientifique auprès de la présidente du directoire d'Areva, cette entreprise, bien que n'ayant pu racheter la mine australienne d'Olympic Dam 111 ( * ) , est le troisième producteur mondial d'uranium 112 ( * ) et exploite 20 % des réserves mondiales . Elle exploite cette ressource minière, ou envisage de le faire, dans la plupart des pays disposant de réserves importantes (Canada, Niger, Kazakhstan, Ouzbékistan, Mongolie...), et procède désormais à d'intenses activités d'exploration, en réponse à l'augmentation du prix de marché de l'uranium.

Les raisons de la hausse des prix de l'uranium

Selon les explications fournies par M. Bertrand Barré, le prix de la livre d'oxyde d'uranium s'est maintenu, en dollars courants, à un niveau de 10 dollars entre 1984 et 2004. Ce faible coût trouvait d'abord ses raisons dans le déclin des projections de développement du parc nucléaire au niveau mondial, lié au contre-choc pétrolier et à l'accident de Tchernobyl. Dans ces conditions, les électriciens, qui avaient constitué des stocks d'uranium sur la base de projections plus optimistes, les ont réintroduits sur le marché au fur et à mesure des annulations des projets de nouvelles centrales nucléaires. Par ailleurs, la fin de la guerre froide a réduit les besoins d'uranium à usage militaire, les Etats-Unis et l'ex-URSS mettant alors eux aussi sur le marché une partie de leurs stocks. La combinaison de ces deux facteurs a entraîné à la baisse les prix de l'uranium, la moitié de la consommation d'uranium des réacteurs civils provenant, jusqu'à la fin des années 1990, de ces sources secondaires. Les bas prix de l'uranium, qui ne couvraient plus les coûts d'extraction, ont conduit à la fermeture d'un grand nombre de mines et mis un coup d'arrêt aux activités de prospection. Avec la relance actuelle des programmes électronucléaires dans le monde et l'épuisement des sources secondaires, les prix ont augmenté au début du XXI ème siècle. Ainsi, en 2004, ils sont passés de 10 à 30 dollars par livre d'oxyde d'uranium, ce qui a favorisé une reprise des activités d'exploration. Toutefois, les délais de mise en service (entre 10 et 15 années) d'une mine ne permettant pas répondre immédiatement à la demande, les prix « spot » de l'uranium s'établissent aujourd'hui à plus de 100 dollars.

Reste que l'uranium acquis par les électriciens sur la base des prix « spot » ne correspond qu'à une fraction assez faible de leurs approvisionnements. La plupart des livraisons d'uranium s'effectue sur la base de contrats à long terme , dont les prix ne sont pas indexés sur l'évolution des cours de marché, comme l'a confirmé à la mission d'information l'un des responsables d'EDF 113 ( * ) . Par ailleurs, la France possède, sur son territoire, l'équivalent en uranium appauvri de deux à trois années de production.

Au-delà de ces variations du prix du minerai, largement liées à des facteurs conjoncturels, la question stratégique reste celle des réserves mondiales d'uranium 114 ( * ) . Dans ce domaine, la situation ne semble pas tendue 115 ( * ) puisque les ressources « assurées », dont les gisements sont clairement identifiés, et les ressources « déduites », rattachées aux précédentes, représentent 4,8 millions de tonnes (MT) d'uranium , chiffre à comparer aux 40 000 tonnes produites et aux 67 000 tonnes consommées pour l'année 2005 116 ( * ) . Si l'on ajoute à ces chiffres les réserves « spéculatives » 117 ( * ) , les réserves « ultimes » sont comprises entre 15 et 22 MT, ce qui autorise deux siècles de consommation à un niveau de 70 000 tonnes d'uranium par an (sans même évoquer les 22 MT d'uranium dont la présence dans les phosphates est avérée).

Au surplus, le passage à la quatrième génération (G IV) de réacteurs nucléaires diminuera considérablement les besoins en uranium si, comme cela est théoriquement possible, ces réacteurs se révèlent aptes à fonctionner en cycle fermé, voire à réutiliser les déchets nucléaires produits par ceux des générations précédentes 118 ( * ) .

Ainsi, en raison de l'état des réserves mondiales d'uranium et des perspectives offertes par le passage à la G IV, votre mission d'information se déclare convaincue par l' absence de tensions de long terme de nature à fragiliser la disponibilité du combustible nucléaire , y compris dans le cas de figure où le parc mondial de réacteurs observerait une croissance importante dans les prochaines années.

2. Atouts et inconvénients du nucléaire

Toutes ces réponses techniques et scientifiques n'enlèvent néanmoins pas à vos rapporteurs une part de doute et d'interrogation sur la place du nucléaire, qui doit faire l'objet d'une analyse équilibrée entre les avantages que cette énergie procure à notre pays et les craintes qu'elle suscite.

a) Une énergie compétitive et performante au regard de la lutte contre le réchauffement climatique

L'existence de ressources abondantes en uranium est loin de constituer le seul atout du nucléaire.

Tout d'abord, l'utilisation de cette technologie permet à notre pays de bénéficier d'une électricité à des prix compétitifs . Certes, la construction d'une centrale nucléaire exige la mobilisation d'un volume important de capitaux, entre deux et trois milliards d'euros pour un réacteur comme l'EPR. Toutefois, avec EDF, premier électricien en Europe 119 ( * ) , notre pays bénéficie de l'expertise d'un des leaders mondiaux de l'énergie nucléaire qui, ayant renoué avec une dynamique de croissance, dispose des moyens financiers pour réaliser de tels investissements 120 ( * ) .

Malgré des investissements de départ très importants, le prix de l'électricité d'origine nucléaire 121 ( * ) est, pour un fonctionnement en base (plus de 5 000 heures de fonctionnement par an), le plus faible de toutes les techniques actuellement disponibles, ainsi qu'en témoigne l'étude réalisée en 2003 par le ministère chargé de l'énergie sur les coûts de référence de la production électrique 122 ( * ) . Par rapport aux technologies concurrentes pour assurer la fourniture d'électricité en base (gaz et charbon), les coûts de production du nucléaire sont largement indépendants des variations du prix du combustible primaire. Ainsi, alors que le prix de l'électricité nucléaire sera peu affecté par un renchérissement, même important, de l'uranium, une centrale à gaz, pour laquelle l'achat du combustible représente 70 % des coûts de production, verra sa rentabilité fortement affectée par une croissance, même modeste, des cours des hydrocarbures 123 ( * ) . A titre d'illustration, le ministère de l'industrie souligne que l'électricité d'origine nucléaire fait réaliser à notre pays une économie annuelle de 10 milliards d'euros 124 ( * ) .

Enfin, au regard de la nécessité de réduire les émissions de CO 2 , le choix du nucléaire se justifie. A l'heure actuelle, la France est, en Europe et parmi les pays de l'OCDE, le pays qui émet le moins de CO 2 par habitant et, comme le montre le tableau ci-après, cette situation résulte exclusivement de son option électrique puisque, s'agissant des autres sources d'émissions, le pays est très comparable à ses voisins.

Grâce à l'énergie nucléaire 125 ( * ) , c'est donc l'émission dans l'atmosphère de 41 millions de tonnes de carbone , soit 151 millions de tonnes de CO 2 126 ( * ) , qui est évitée chaque année . Une étude commandée par la Commission européenne, qui lui a été remise en juillet 1999 127 ( * ) , démontrait déjà que le respect des engagements de Kyoto serait quasiment impossible à obtenir dans le cas où la part du nucléaire dans le bouquet énergétique européen ne serait pas au moins maintenue à l'horizon 2025.

Emissions de CO 2 /Habitant
(Années 2000-2001)

Tonnes CO 2 / habitant

Tonnes CO 2 /habitant liées
à la production électrique

Solde

France

6,5

0,44

6,06

Allemagne

10,3

3,67

6,63

Royaume-Uni

9,1

2,79

6,31

Italie

7,7

2,28

5,42

UE à 25

8,5

-

-

USA

20,4

7,94

12,46

Source : Ministère de l'environnement et
Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA)

b) Les craintes et les défis du nucléaire

Tous ces arguments économiques et environnementaux militant en faveur du maintien de l'option nucléaire ne conduisent cependant pas vos rapporteurs à sous-estimer les défis auxquels cette énergie est confrontée .

Une première objection a trait aux inquiétudes qu'elle peut susciter au sein de la population, qui s'estime mal informée sur le fonctionnement de cette filière et sur les risques réels qu'elle présente. Conscient de cette difficulté, le législateur a adopté l'an dernier une loi 128 ( * ) dont l'objet a été de renforcer la transparence du secteur . Toute personne peut désormais avoir accès aux informations détenus par les exploitants nucléaires qui concernent les risques d'exposition aux radiations nucléaires et les mesures de sûreté et de radioprotection prises pour les prévenir ou les réduire. Malgré cette évolution, vos rapporteurs constatent qu'eu égard à la complexité et à la technicité des débats suscités par le nucléaire, une partie de la population demeure interrogative sur cette énergie. Il n'en reste pas moins que des enquêtes d'opinion régulières montrent qu'une majorité de Français est favorable à cette option énergétique.

La seconde objection, majeure elle aussi, est liée à la gestion de l'aval du cycle nucléaire et à l'avenir des déchets nucléaires dont, dans l'état actuel de la connaissance scientifique, une partie présente un taux de radioactivité très élevé pendant plusieurs centaines de milliers d'années. La question des déchets nucléaires est un enjeu majeur puisqu'elle met en lumière la responsabilité des générations actuelles vis-à-vis des générations futures .

Certes, ce problème est pleinement identifié et a fait l'objet de deux lois 129 ( * ) fixant trois pistes de recherche 130 ( * ) pour apporter une solution durable au problème des déchets nucléaires.

Après utilisation, le combustible nucléaire usé contient toujours 96 % d'uranium et de plutonium qui peuvent être valorisés pour fournir encore de l'énergie. Les déchets ultimes contenus dans ce combustible usé sont triés et conditionnés selon leur nature. Pour environ 90 % de ces déchets, il existe d'ores et déjà des solutions pérennes de gestion qui sont mises en oeuvre. Les autres déchets sont conditionnés et entreposés dans des installations sûres dans l'attente d'une solution de gestion à long terme. Ces déchets pourraient, si la faisabilité scientifique en est démontrée, faire l'objet d'un stockage réversible en couche géologique profonde. Comme l'a par ailleurs souligné M. Alain Bugat 131 ( * ) , administrateur général du CEA, la démonstration a été apportée qu'il était possible, au plan scientifique, de retirer tous les produits radioactifs des déchets et de les brûler. Les travaux scientifiques doivent désormais démontrer la faisabilité industrielle de ces opérations. En tout état de cause, les déchets existants ne feront pas l'objet de ces procédés. De même, y compris en développant des technologies performantes de retraitement, la fission atomique sera toujours productrice de déchets ultimes, même si leur volume pourra être largement réduit et la durée de haute activité radioactive considérablement raccourcie, de 300 000 ans à 300 ans.

Malgré des progrès scientifiques évidents, vos rapporteurs sont néanmoins contraints de constater que le problème des déchets est encore loin de trouver une réponse pleinement satisfaisante.

Par ailleurs, le nucléaire, compte tenu des risques qu'il présente pour la santé et l'environnement et au vu des conséquences majeures d'un accident, aussi faible que soit sa probabilité de survenance, doit faire l'objet d'un contrôle aussi rigoureux que régulier. Il est vrai que le système français de contrôle de la sûreté nucléaire a apporté les preuves de son efficacité dans la mesure où aucun incident majeur 132 ( * ) n'est survenu sur le territoire français depuis les débuts de l'exploitation du parc nucléaire. Ce système de contrôle a d'ailleurs vu son indépendance renforcé avec l'adoption de la loi TSN qui a conféré à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le statut d'autorité administrative indépendante. Enfin, le suivi de la sûreté des centrales nucléaires est extrêmement rigoureux. Même si elles sont conçues pour fonctionner pendant quarante ans, les autorisations ne sont accordées que par période décennale. Au-delà de contrôles réguliers et inopinés, l'Autorité effectue, à l'issue de chaque période décennale et pour tout réacteur, une revue générale de sûreté. Dans ce cadre, l'ASN renouvelle les autorisations au regard des dernières exigences de sûreté, pratique qui, à titre d'exemple, diffère considérablement aux Etats-Unis où l'autorité de sûreté 133 ( * ) délivre une autorisation de 40 années, renouvelable pour une période de 20 ans et qui ne fait pas évoluer ses standards de sûreté au cours de la période. Reste que l'existence d'un système de contrôle, aussi performant soit-il, ne saurait conduire à négliger les objections tenant à l'acceptabilité sociale d'une technologie qui, bien que maîtrisée, présente un certain nombre de risques.

Un élément, d'importance, est cependant de nature à, si ce n'est atténuer, à tout le moins tempérer ces craintes : le système français de gestion du nucléaire confie à un acteur public unique, EDF, le soin de gérer et d'exploiter la totalité des centrales, ce qui est un gage de maîtrise publique de cette filière et permet, de surcroît, une exploitation performante. A cet égard, votre mission d'information tient à réaffirmer avec force son attachement à cette organisation. Pour cette raison, elle considère qu'EDF n'est pas une entreprise comme une autre, ce qui justifie pleinement le fait que l'Etat détienne une très large majorité de son capital social.

3. Assurer la pérennité de l'option nucléaire

Les développements précédents conduisent votre mission d'information à préconiser, conformément aux orientations retenues par la loi POPE du 13 juillet 2005, le maintien de l'option nucléaire ouverte, gage de sécurité d'approvisionnement.

Une telle affirmation suppose une réflexion prospective sur les technologies nucléaires qui seront amenées à être utilisées dans un avenir proche. Bien que relativement jeune par rapport à la moyenne mondiale (21 ans en moyenne contre 23 années et 10 mois 134 ( * ) ), le parc nucléaire français 135 ( * ) se distingue par le fait que ses réacteurs ont massivement été mis en service dans des délais très resserrés : sur les 63,3 GW de puissance installés, 44 GW l'ont été entre 1980 et 1990.

Sur la base d'une durée de vie de quarante années, notre pays est confronté dès aujourd'hui à la question du renouvellement de son parc nucléaire 136 ( * ) puisque, dans ce cas de figure, treize réacteurs seraient arrêtés avant 2020, puis vingt-quatre réacteurs supplémentaires avant 2025.

Les scénarios de renouvellement dépendent de la puissance nucléaire dont la France souhaite disposer à un horizon de 40 ans. Le rapport de nos collègues députés Claude Birraux et Christian Bataille rappelait ainsi qu'EDF avait étudié trois hypothèses : 60 GW, 50 GW et 40 GW, ce qui représente respectivement 80 %, 66 % et 55 % de la consommation de base en 2020.

En s'appuyant sur l'hypothèse « 50 GW en 2050 », l'étude arrivait à la conclusion qu'il était nécessaire de commencer à renouveler le parc à partir de 2020 à hauteur de 2 000 MW en moyenne par an, et d'installer 25 GW de réacteurs EPR d'ici à 2035 puis, entre 2035 et 2050, 25 autres GW de réacteurs de quatrième génération, si cette technologie est opérationnelle à cette date. Ce scénario conduit à porter la durée moyenne de vie des réacteurs actuels à 48 ans (49 ans dans le scénario à 60 GW). Si le renouvellement commence en 2025, l'étude met en évidence la nécessité d'installer 15 GW d'EPR entre 2025 et 2035, pour une durée de vie moyenne du parc actuel de 52 ans (54 ans dans le scénario à 60 GW).

Les hypothèses de renouvellement du parc reposent donc sur deux paramètres : la puissance nucléaire souhaitée à un horizon donné et la durée de vie des centrales actuelles.

Sur la base de ces scénarios, le rapport de l'OPECST concluait à la nécessité de mettre en service industriel des nouveaux réacteurs en 2020. Or, pour respecter ce calendrier, ses auteurs estimaient indispensable de disposer, en 2015, d'un retour d'expérience d'une durée de cinq ans sur un modèle démonstrateur afin que « les inévitables défauts de mise au point ou les défauts de jeunesse aient été corrigés ». En conséquence, ils se prononçaient en faveur de la mise en service, dans les délais les plus proches possibles, d'un réacteur démonstrateur EPR.

Votre mission d'information reste convaincue par cette analyse pour plusieurs raisons. Pour assurer le renouvellement du parc nucléaire en temps utile, il est tout d'abord nécessaire que des équipements de remplacement fiables soient disponibles au moment opportun . Or, attendre 2035 pour débuter le renouvellement du parc repose sur un double pari 137 ( * ) qu'elle juge risqué au regard de la sécurité d'approvisionnement.

D'une part, cette stratégie suppose que l'ASN autorisera les réacteurs à fonctionner au-delà d'une durée de quarante années , ce qui, sans être impossible, n'est pas garanti 138 ( * ) . Même si le rapport de l'OPECST démontre que, sous certaines conditions, la prolongation de la durée de vie au-delà des quarante ans est envisageable, il n'en reste pas moins que la décision définitive appartiendra à l'ASN, qui rendra ses décisions au cas par cas, au regard de la situation de chaque installation nucléaire.

Or, les troisièmes visites décennales interviendront à partir de la fin de l'année 2009 pour les réacteurs les plus anciens 139 ( * ) . Au total, entre la fin 2009 et fin 2011, ce sont 8 975 MW de puissance, soit environ 15 % du parc électronucléaire d'EDF, qui subiront leur troisième visite décennale, à l'issue de laquelle la prolongation de leur exploitation pour dix années

supplémentaires sera ou non autorisée. Par ailleurs, s'agissant de la prolongation de la durée de vie de 40 à 50 ans, le processus de décision de l'ASN comprend deux étapes, la première étant une décision de principe pour l'ensemble des réacteurs d'un palier et la seconde étant liée aux visites décennales. Dans ces conditions, l'ASN prendra une décision de principe sur la prolongation au-delà de 40 ans à partir de l'année 2010 sur la base des enseignements des troisièmes visites décennales.

Le second pari a trait à la certitude ou non de disposer en 2035 de réacteurs de quatrième génération opérationnels capables, au plan industriel, de produire de l'électricité de manière compétitive. Or, comme l'a souligné M. Alain Bugat, le calendrier 140 ( * ) de développement de la G IV est déjà tendu . Contrairement aux réacteurs à neutrons rapides qui ont été développés en France dans les années 1980 141 ( * ) , le développement industriel de véritables réacteurs de quatrième génération est conditionné à plusieurs innovations dont la faisabilité reste à démontrer sur le plan scientifique. En effet, l'objectif de la génération IV n'est pas de rééditer des concepts antérieurs mais de déboucher sur des réacteurs du futur plus sûrs, plus économes en combustible et moins producteurs de déchets, et de limiter les risques de prolifération.

Comme l'a rappelé M. Alain Bugat, la première de ces innovations porte sur la possibilité de réaliser des inspections en service. Or, s'agissant des concepts de réacteurs G IV fonctionnant au sodium, une difficulté majeure doit être levée puisque l'opacité du sodium empêche la réalisation de ces inspections en service. La seconde innovation concerne l'élimination des risques liés à un possible contact entre le sodium et l'eau, qui serait explosif. La solution consisterait à ne plus utiliser d'eau pour le refroidissement et à faire fonctionner le système avec du sodium et du gaz. Or, les progrès sur ces deux sujets réclament encore plusieurs années de recherche. Au-delà de ces deux éléments, il convient également de développer le combustible adapté à ce type de réacteurs. Au total, le CEA estime que le caractère très innovant de ces réacteurs amène à prévoir, au minimum, une durée de développement d'une trentaine d'années et qu'il convient de pas sous-estimer les difficultés rencontrées dans la mise au point des différentes innovations, y compris sur une filière de réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium.

Ces deux incertitudes conduisent donc votre mission d'information à s'opposer vivement à toute décision qui tendrait à fonder exclusivement l'avenir du nucléaire français sur la quatrième génération de réacteurs. Dans ces conditions, la construction d'un réacteur EPR semble justifiée pour assurer la relève des centrales actuelles, dans l'attente de la mise en service des réacteurs G IV . Même si le réacteur EPR ne présente pas des caractéristiques aussi innovantes que celles attendues pour la quatrième génération, il apporte néanmoins des améliorations notables par rapport aux réacteurs actuels.

L'EPR présente tout d'abord un rendement énergétique supérieur (36 % contre 34 %) grâce à un meilleur de taux de combustion, ce qui diminue le volume des déchets. Il permet ainsi d'économiser 7 % de combustibles. Selon M. Alain Bugat, le chargement d'un réacteur EPR

pourra être entièrement composé de « mixed oxyde » (MOX), ce qui est fondamental en terme d'utilisation des matières valorisables, de réutilisation du plutonium et de non-prolifération. Au surplus, la teneur des combustibles usés en actinides est diminuée de 15 % par MWh produit, ce qui réduit sensiblement les déchets à haute activité radioactive à vie longue. Au plan économique, le réacteur EPR est plus puissant (1 600 MW) et plus compétitif que ses prédécesseurs car il a un coefficient de disponibilité 142 ( * ) de 91 % (à comparer avec un coefficient de 83,6 % pour le parc français en 2006) et une durée de vie de conception de 60 ans, même si, comme tout réacteur, il reste soumis à l'obligation de la visite décennale. Il présente enfin des améliorations notables en termes de sûreté (meilleure résistance aux risques de séismes et prévention renforcée des risques de fusion du coeur).

En définitive, votre mission d'information fait volontiers siennes les conclusions du rapport de l'OPECST. Tout d'abord, il lui paraît important de ne pas suivre la même stratégie que dans les années 1980, qui a vu la construction d'un grand nombre de réacteurs sur une courte période, avec le grave inconvénient qu'ils arrivent en fin de vie dans des temps très resserrés 143 ( * ) . Or, ce risque ne serait pas à exclure si le renouvellement du parc était repoussé à 2035. Surtout, un remplacement lissé permet de diversifier les équipements de rechange , au fur et à mesure de l'apparition de nouvelles solutions techniques, en combinant l'innovation et des concepts éprouvés, ce qui est un gage de diversité et donc de sécurité d'approvisionnement.

B. L'ÉLECTRICITÉ THERMIQUE FACE AU DÉFI DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Malgré les impératifs tenant à la réduction des émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre, l'utilisation des énergies fossiles reste indispensable pour assurer la satisfaction des besoins en électricité, tant en base qu'en pointe . Selon le bilan énergétique effectué par l'AIE pour l'année 2004, le charbon a permis de produire 40 % de l'électricité mondiale , le gaz 19,5 % et le pétrole 6,7 % . D'ailleurs, l'AIE prévoit que les énergies fossiles seront toujours prédominantes d'ici 2030, aussi bien dans la consommation totale d'énergies primaires que pour la production d'électricité (plus de 40 %), y compris en cas d'augmentation des capacités nucléaires.

L'Europe n'échappe pas à cette tendance. Or, à l'exception du charbon, les pays de l'UE ne disposent, sur leur territoire, que de faibles réserves d'énergies primaires permettant de produire de l'électricité à partir de moyens thermiques, à plus forte raison avec l'épuisement des ressources gazières de la mer du Nord. Dans ces conditions, la sécurité d'approvisionnement en électricité est liée à la disponibilité du gaz.

1. Sécurité d'approvisionnement électrique, sécurité d'approvisionnement gazier

a) Une énergie indispensable pour la production d'électricité en France

Le gaz présente de véritables atouts pour la production d'électricité de semi-base et de pointe. En effet, malgré une relative souplesse dans le fonctionnement du parc nucléaire qui, depuis 1983, est exploité par EDF de manière à s'adapter aux fluctuations de la demande, les centrales à gaz disposent d'une plus grande capacité de flexibilité pour répondre aux besoins en électricité dans les périodes tendues. Plus rentables que les centrales nucléaires pour une durée de fonctionnement inférieure à 5 000 heures par an, les cycles combinés à gaz (CCG) ont au surplus un rendement énergétique plus élevé que les unités de production nucléaires 144 ( * ) . Au-delà de la satisfaction des besoins de semi-base et de pointe, les centrales à gaz sont également aptes à fournir de l'électricité en base. Sur le plan environnemental, bien que plus émetteur qu'une centrale nucléaire, un CCG émet 0,4 tonne de CO 2 par MWh électrique contre 0,9 tonne pour une centrale à charbon ou à fioul.

Le secteur énergétique a absorbé environ 8 % 145 ( * ) des 540 TWh de gaz naturel consommés en France en 2005. Toutefois, cette part est appelée à augmenter entre 2006 et 2015, comme le souligne le plan indicatif pluriannuel (PIP) des investissements dans le secteur du gaz 146 ( * ) . D'un côté le taux de croissance annuel moyen de la demande de gaz naturel pourrait passer de 3,4 % à 2,1 % par rapport à la décennie précédente 147 ( * ) , en raison du tassement de la demande des secteurs résidentiels et tertiaires. D'un autre côté, la croissance de la production d'électricité à partir de gaz naturel représente un besoin supplémentaire de cet hydrocarbure de 28,3 TWh d'ici 2015, avec l'implantation de six nouveaux CCG entre 2009 et 2015 prévus par la PPI.

Or, comme vos rapporteurs l'ont précédemment souligné, le nombre de projets de CCG qui vont être implantés en France dépasse assez largement les prévisions de la PPI puisque la puissance supplémentaire est estimée entre 4 900 et 5 400 MW, ce qui devrait logiquement doubler les besoins en gaz évalués dans le cadre du plan indicatif pluriannuel .

La France est, pour la satisfaction de ses besoins en gaz naturel, en situation de dépendance quasi-totale puisque, avec une production déclinante, elle importe environ 97 % de ce combustible. Ses approvisionnements reposent cependant pour une très large part sur des contrats à long terme de plus de sept ans avec les producteurs .

Les quatre fournisseurs principaux de la France (chiffres pour 2004) sont la Norvège (23,1 %), la Russie (19,5 %), les Pays-Bas (16,2 %) et l'Algérie (16 %). L'Egypte a fourni en 2005 ses premières cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL). Selon le PIP, plusieurs phénomènes seront de nature à influencer les approvisionnements français à l'horizon 2015 :

- le maintien, voire l'augmentation, des importations venues de Russie et de Norvège ;

- l'augmentation des capacités d'importation de gaz d'Algérie par gazoduc ;

- enfin, le rôle grandissant joué par le GNL en provenance d'Egypte, du Nigeria, du Qatar, voire de l'Iran.

Par ailleurs, selon le bilan des déclarations des fournisseurs réalisées en 2005, la part des contrats à long terme dans l'approvisionnement français rapportée aux volumes importés, actuellement supérieure à 95 %, devrait baisser tout en restant supérieure à 90 % en 2009.

b) Un engouement évident en Europe

Il existe aujourd'hui un véritable engouement en Europe en faveur de la production d'électricité à partir du gaz naturel. Comme le précisait M. Olivier Lecointe 148 ( * ) , directeur Electricité de GDF, la technologie des cycles combinés à gaz a pris « une place prédominante dans le développement des nouvelles capacités de production en Europe et dans le monde ces quinze dernières années ».

Cette évolution n'est pas sans susciter l'inquiétude au regard de ses enjeux géopolitiques et de son impact sur la sécurité d'approvisionnement en électricité. En effet, la Russie et le Moyen-Orient concentrent l'essentiel des réserves gazières prouvées, avec respectivement un tiers et un cinquième des réserves mondiales. Dans le même temps, les réserves gazières européennes ne représentent plus que 3,4 % du total mondial, leur diminution étant en outre régulière. Compte tenu des perspectives de hausse de la demande de gaz en Europe, le taux de dépendance aux importations gazières de l'UE devrait ainsi passer de 57 % actuellement à 84 % en 2030, ce qui fragilise l'indépendance politique des pays européens.

Selon le PIP, la croissance annuelle européenne 149 ( * ) de la demande de gaz est estimée en moyenne à 2,6 % sur la période 2005-2015 et devrait essentiellement être tirée par la production électrique dans la plupart des pays européens. Alors que la croissance de la consommation du secteur résidentiel ne devrait être que de 1,2 % par an, celle du secteur électrique s'élèverait à 4,6 %. Au total, la consommation de gaz naturel en Europe pourrait donc s'établir à 7 260 TWh en 2015 150 ( * ) , contre 5 610 TWh en 2005.

Dans ces conditions, votre mission d'information estime qu'il est vital pour la sécurité d'approvisionnement de l'Union de veiller à une réelle diversité des sources de livraisons gazières. Bien que la plupart des gaziers européens soient liées aux principaux producteurs 151 ( * ) par des contrats à long terme, les crises qu'ont vécues l'Ukraine et la Biélorussie, qui ont touché un grand nombre de pays européens, doit inciter l'UE à rechercher d'autres fournisseurs, même si la Russie restera un partenaire incontournable au vu de l'ampleur de ses réserves. Deux pistes sont aujourd'hui à approfondir. Tout d'abord, il est envisagé le développement d'infrastructures gazières avec des fournisseurs autres que la Russie. Dans le cadre du « paquet énergie », la Commission européenne a ainsi présenté un plan d'interconnexions prioritaires 152 ( * ) au sein duquel sont identifiés dix gazoducs d'intérêt européen.

La Commission européenne souligne que la majorité de ces dix projets avance de manière satisfaisante et n'a pas connu de retard important. Sept d'entre eux devraient entrer en service d'ici à 2010-2013 : l'un est déjà achevé (« Green-stream » entre la Lybie et l'Italie par la Sicile), deux sont en construction (Transmed II entre l'Algérie-Tunisie et l'Italie par la Sicile et le Balgzand-Bacton entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni) et deux autres sont partiellement en construction (gazoduc d'Europe du Nord et gazoduc Turquie-Grèce-Italie). Par ailleurs, deux projets intéressent plus particulièrement notre pays : le gazoduc reliant l'Algérie, l'Espagne et la France (baptisé Medgaz pour sa partie off-shore entre l'Algérie et l'Espagne), qui devrait entrer en service en 2009, et le gazoduc Galsi reliant l'Algérie à l'Italie via la Sardaigne avec une branche vers la France via la Corse, en phase d'études, qui pourrait entrer en service entre 2012 et 2013. Ces infrastructures représenteront une capacité d'importation supplémentaire pour l'UE d'environ 80 à 90 milliards de m, soit entre 16 et 17 % de ses besoins estimatifs en gaz à l'horizon 2010.

L'un de ces projets se voit reconnaître un caractère prioritaire : il s'agit du gazoduc Nabucco, long de 3 300 kilomètres, qui vise à approvisionner l'Europe occidentale en gaz d'Asie centrale, de la Caspienne et du Moyen-Orient en contournant la Russie. La réalisation de ce projet permettrait de constituer la quatrième source d'approvisionnement de l'Union européenne (30 milliards de m, soit 7 % de la demande de gaz en 2010). Compte tenu de l'intérêt stratégique de cette infrastructure, la Commission a décidé de nommer un coordonnateur chargé d'en faciliter la réalisation.

Par ailleurs, la multiplication des sources d'approvisionnement en GNL constitue un enjeu majeur en matière de sécurité d'approvisionnement, comme le démontre le nombre important de projets de terminaux méthaniers en Europe (quinze projets actuellement, dont six en construction 153 ( * ) ). Le marché du GNL est en plein essor, se développant en moyenne à hauteur de 6 % par an au niveau international 154 ( * ) grâce à une forte augmentation de sa compétitivité par rapport à l'acheminement du gaz naturel par gazoduc.

La France ne fait pas exception à cette évolution. Actuellement doté de deux terminaux méthaniers, notre pays va voir l'entrée en service d'un nouveau terminal à Fos Cavaou (partenariat GDF/Total) en 2008. En outre, cinq projets sont aujourd'hui à l'étude : le doublement des capacités du terminal de Montoir-de-Bretagne (GDF) et la construction de quatre nouveaux terminaux : au Verdon, près de Bordeaux (4Gas), au Havre (partenariat Poweo/Compagnie industrielle et maritime/E.ON), à Dunkerque (EDF) et à Fos (Shell).

Enfin, la sécurité d'approvisionnement en gaz d'un pays non producteur passe par le développement de ses capacités de stockages de gaz 155 ( * ) . A titre d'exemple, l'Autriche, la France, l'Allemagne et l'Italie détiennent plus de 22 % de leur demande annuelle sous forme de stocks.

La France dispose de douze sites de stockages en nappes aquifères et trois en cavités salines. Ces quinze sites permettent de conserver sur le territoire national plus de 25,8 milliards de m 3 , soit 292 TWh. Compte tenu de l'impossibilité physique d'utiliser la totalité du gaz stocké, le volume utile est en réalité de 11,7 milliards de m 3 , soit 132 TWh, ce qui représente 26 % de la consommation annuelle française. En période de pointe, ces sites peuvent fournir jusqu'à 200 millions de m 3 par jour, soit 2,3 TWh/jour. Six projets d'augmentation de ces capacités de stockage sont en cours d'étude : cinq créations et une extension d'un site existant.

Votre mission d'information note que l'utilisation du gaz pour assurer la satisfaction des besoins en électricité en semi-base renforce les besoins de stockage puisque le gaz est alors appelé à être consommé de manière plus irrégulière. Il semble que les développements des capacités de stockage envisagés pour le moment en France répondent à cette exigence.

2. A la recherche du charbon propre

Le charbon est, pour la production d'électricité, une source d'énergie primaire qui a cru très fortement depuis 1973 (+ 79 %) et qui conservera une place importante à l'avenir. Du reste, l'augmentation continue de la consommation de charbon résulte exclusivement de la hausse de la demande du secteur électrique et thermique : ainsi, à l'horizon 2030, 79 % des fournitures de charbon devraient être absorbées par les centrales électriques, contre 69 % en 2002. Déjà, la puissance installée fonctionnant au charbon s'élève, dans le monde, à 1 000 GW et produit près de 40 % de l'électricité. Cette proportion monte même à 50 % en l'Allemagne et jusqu'à 96 % en Pologne. La France, pour sa part, se singularise dans cet ensemble puisqu'au contraire, elle produit moins de 4 % de son électricité à partir du charbon .

Cette ressource occupe une place unique pour la production d'électricité puisque, contrairement au pétrole et au gaz, les réserves exploitables de façon économique sont immenses et ont même augmenté de plus de 50 % au cours des vingt-deux dernières années. Comme le souligne un rapport sur le charbon propre réalisé par un groupe de travail mis en place par le délégué interministériel au développement durable 156 ( * ) , malgré une consommation accrue, seulement un quart des réserves de charbon connues devrait être épuisé au cours des trente prochaines années, contre 84 et 64 % pour le pétrole et de gaz. Au surplus, l'augmentation du rendement des centrales électriques à charbon devrait entraîner une économie de 35 % du combustible. En matière de sécurité d'approvisionnement de la ressource minérale, le charbon présente, outre cette abondance, un second atout incontestable : ses réserves sont réparties dans le monde entier .

Les plus grands producteurs sont ceux qui disposent des réserves les plus importantes : Etats-Unis (27 %), Russie (17 %), Chine (13 %), Inde (10 %), Australie (9 %), Europe (6 %, dont l'essentiel provient de Pologne et d'Allemagne) et Afrique du sud (5 %).

Dès lors, l' inconvénient majeur du charbon pour la production d'électricité vient du fait qu' il est l'une des énergies les plus polluantes . Selon une étude récemment publiée par le WWF 157 ( * ) , vingt-sept des trente centrales électriques les plus polluantes en Europe fonctionnent au charbon ou au lignite, neuf étant situées en Allemagne, cinq en Pologne, quatre en Espagne et autant au Royaume-Uni et en Italie, tous pays qui refusent aujourd'hui l'énergie nucléaire. Selon l'une des conclusions de cette étude, ces trente centrales ont rejeté 393 millions de tonnes de CO 2 en 2006, soit 10 % du total des émissions de l'Union européenne .

La France, qui ne figure pas dans ce classement, dispose seulement d'une puissance de 8,7 GW de centrales à charbon, détenues en totalité par EDF et la SNET (Endesa). Une grande partie de ces installations est néanmoins appelée à fermer prochainement en raison des contraintes de la directive « GIC » 158 ( * ) , qui fixe des valeurs limites d'émission pour le dioxyde de soufre (SO 2 ), le monoxyde et le dioxyde d'azote (les NOx) et les poussières.

Cette directive s'appliquera dès le 1 er janvier 2008 à toutes les installations d'une puissance supérieure à 50 MW. Pour les installations antérieures au 1 er juillet 1987, trois mesures particulières sont prévues : des dérogations aux valeurs limites d'émissions pour les installations dont la durée de fonctionnement sera inférieure à 20 000 heures à partir du 1 er janvier 2008 et qui fermeront avant la fin 2015, des valeurs limites moins strictes pour les installations à faible durée de fonctionnement utilisant des combustibles solides, comme le charbon, et la mise en place d'un schéma national de réduction des émissions (SNR).

La directive offre ainsi trois possibilités d'évolution pour le parc « charbon » français : le fonctionnement au-delà de 2015 dans le cas du respect de valeurs limites d'émission à partir de 2008 ; le fonctionnement en dérogation jusqu'à la fin 2015 sous réserve d'un fonctionnement d'une durée inférieure à 20 000 heures ; la fermeture avant 2008.

La première solution s'appliquera à deux installations de la SNET qui respectent dès aujourd'hui les valeurs limites d'émission. Comme le souligne le rapport sur la PPI 2006, le recours à cette solution pour d'autres unités suppose l'installation de moyens de dépollution fortement capitalistiques (dénitrification et désulfuration), ces équipements étant installés au regard des paramètres économiques de chaque centrale (durée de vie résiduelle et puissance). Ceci conduit au choix de la première solution pour les cinq unités les plus récentes qui seront pérennisées au-delà de 2015. Les autres centrales, principalement des unités de 250 MW représentant une puissance totale de 3,8 GW, sont trop anciennes pour que des investissements de dépollution soient consentis. Elles fonctionneront donc en dérogation à partir de 2008, et pourront fonctionner 2 500 heures en moyenne pendant huit ans. Mais si la durée de fonctionnement annuelle s'avérait plus longue (en raison d'hivers plus rigoureux), la fermeture pourrait intervenir avant 2015, ce qui fait peser une incertitude sur le calendrier exact de leur déclassement.

Au total, près de la moitié du parc à charbon français est appelée à fermer avant 2015, ce qui pose la question de son remplacement, compte tenu notamment du fait que le charbon est principalement utilisé pour répondre aux besoins de semi-base et de pointe. Comme cela a été rappelé auparavant, ces évolutions sont néanmoins prises en compte par RTE et la puissance manquante devrait être compensée par la construction de CCG .

En raison du caractère incontournable de cette ressource pour produire l'électricité dont l'Europe a besoin, il est indispensable de favoriser les progrès en matière de « charbon propre ». Comme le précise le rapport précité, l'amélioration du rendement énergétique des centrales à charbon constitue, à court terme, le meilleur moyen de réduire leurs émissions de GES puisque les techniques de captage et de stockage du CO 2 ne seront pas immédiatement viables d'un point de vue commercial. Reste qu'à plus long terme, les progrès dans le domaine de la lutte contre le changement climatique impliquent nécessairement le développement de technologies performantes de captage et de stockage géologique du CO 2 , qui doit donc constituer une des priorités de la recherche dans le domaine énergétique 159 ( * ) .

A cet égard, votre mission d'information approuve les propositions en la matière du « paquet énergie » 160 ( * ) de la Commission européenne. Celle-ci souhaite soutenir la conception, la construction et l'exploitation d'ici 2015 de douze installations de démonstration à grande échelle de technologies permettant une utilisation durable des combustibles fossiles pour la production commerciale d'électricité. Par ailleurs, elle entend définir des perspectives claires sur les dates à partir desquelles les centrales à charbon, comme celles au gaz, devront être équipées de dispositifs de captage et de stockage de CO 2 . Pour ce qui concerne les centrales à charbon, la Commission estime que toutes les nouvelles unités devraient être équipées de tels dispositifs à compter de 2020, les anciennes installations pouvant être équipées progressivement.

C. DÉVELOPPER L'ÉLECTRICITÉ VERTE

La diversification des sources d'approvisionnement énergétiques et les objectifs de réductions des émissions atmosphériques militent en faveur du développement des énergies renouvelables électriques. Par définition, les ENR contribuent à la sécurité d'approvisionnement puisque, présentes sur le territoire d'un Etat, celui-ci ne dépend pas d'un pays tiers pour leur fourniture. Par ailleurs, il s'agit d'énergies qui n'émettent pas ou très peu de CO 2 .

En vertu de la directive 2001/77, la France s'est engagée à porter à 21 % d'ici 2010 la part de l'électricité d'origine renouvelable dans la consommation intérieure brute d'électricité . Même si des efforts substantiels ont été réalisés ces dernières années pour respecter nos engagements européens, il apparaît aujourd'hui difficile d'atteindre cet objectif, la part des ENR électriques ayant seulement atteint 12,1 % 161 ( * ) de la consommation en 2006 (contre 11 % en 2005). Cette statistique ne doit cependant pas faire perdre de vue le fait qu'en valeur absolue, la France est le premier producteur d'électricité renouvelable en Europe 162 ( * ) .

En 2006, la France a produit 62 TWh d'électricité d'origine renouvelable 163 ( * ) : 91 % l'ont été à partir de centrales hydrauliques, 3,5 % d'éolien, 2,5 % de déchets urbains renouvelables, 2,3 % du « bois énergie » et 0,8 % du biogaz et du solaire photovoltaïque.

1. Conforter l'atout hydraulique

a) Une contribution majeure en matière de sécurité d'approvisionnement

L'essentiel de l'électricité renouvelable provient en France de ses centrales hydrauliques, ce qui rend cette production très dépendante de la pluviosité de l'année. Pour autant, avec une puissance installée de 25,5 GW 164 ( * ) , l'hydroélectricité constitue un des principaux atouts du système électrique français, singulièrement pour répondre aux pointes de consommation en hiver ou à un appel imprévisible de puissance en cas d'incident, comme le soir du 4 novembre 2006 165 ( * ) . Ainsi que le souligne le rapport sur la PPI, près de la moitié de la puissance hydraulique en France contribue à l'équilibre offre/demande en période de pointe , ce qui est un gage indéniable de sécurité d'approvisionnement . D'après les estimations réalisées par RTE, la capacité de production hydroélectrique contribue à fournir entre 60 et 70 % des variations quotidiennes de la demande d'électricité, la part « modulable » de production électrique à partir des centrales hydroélectriques représentant environ 25 TWh chaque année 166 ( * ) . C'est donc cette capacité de modulation du parc hydroélectrique qui est, pour le système électrique français, le principal facteur de sécurité, tant d'équilibre que d'approvisionnement, et qui constitue l'atout principal de cette énergie. Par ailleurs, cette technique de production présente des avantages environnementaux majeurs car elle se substitue à de la production thermique classique émettrice de CO 2 .

b) Quelles perspectives de développement ?

L'hydroélectricité se situe, dans notre pays, dans une phase de stagnation, aucun développement significatif n'ayant été réalisé depuis 2002 167 ( * ) . Le rapport sur la PPI 2006 estime que cette situation est liée au fait que les ouvrages les plus rentables ont déjà été installés. Votre mission d'information a constaté cependant que cette opinion n'est pas entièrement partagée par de nombreux acteurs du secteur de l'électricité 168 ( * ) . M. Gérard Mestrallet 169 ( * ) , PDG de Suez, lui a ainsi précisé que des développements de 10 % de la capacité hydraulique française étaient envisageables. L'UFE estime quant à elle que 2,3 GW d'ouvrages de pointe, dont 2 GW de STEP, ainsi que 1,6 GW de petite hydroélectricité pourraient être mis en service d'ici 2015. Surtout, un rapport récent du haut fonctionnaire de développement durable du ministère des finances 170 ( * ) évalue à 28,4 TWh l'électricité supplémentaire qui pourrait être produite chaque année avec des développements complémentaires de l'hydroélectricité en France, estimation ramenée à 13,4 TWh si l'on tient compte des contraintes liées à l'application de la réglementation environnementale 171 ( * ) .

c) Le poids des contraintes environnementales

Le Sénat s'était fortement mobilisé, au moment de la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, pour que son adoption ne se traduise pas par un affaiblissement trop conséquent du potentiel hydroélectrique français, souhaitant notamment qu'un équilibre soit trouvé entre la légitime protection de la qualité des eaux et des milieux aquatiques et la nécessaire préservation d'une source d'énergie qui joue un rôle majeur en matière de lutte contre le réchauffement climatique . Au terme de cette discussion, le compromis auquel le législateur était parvenu semblait respecter cette exigence d'équilibre. Toutefois, il semblerait que ce compromis soit en passe d'être fragilisé par les modalités d'application de certaines des dispositions de cette loi, selon des informations communiquées à votre mission d'information par Mme Anne Penalba 172 ( * ) , présidente du Groupement des producteurs autonomes d'énergie hydroélectrique (GPAE).

Dans un souci de protection de la qualité des eaux et de la vie aquatique, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a modifié les dispositions donnant à l'autorité administrative la possibilité de dresser une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. Sur ces cours d'eau, le renouvellement des concessions ou autorisations des ouvrages existants est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir l'état écologique des eaux ou d'assurer la protection de la vie aquatique. Peuvent faire l'objet d'un classement par l'autorité administrative les cours d'eau en très bon état écologique , ceux dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs est nécessaire ou ceux identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant. Selon Mme Anne Penalba, le décret d'application de cette disposition irait au-delà de l'intention du législateur puisqu'il donnerait à la notion de réservoir biologique une définition extensive conduisant à geler tout développement hydroélectrique sur de vastes zones , en particulier sur les cours d'eau qualifiés par les hydrauliciens de « petit chevelu » (cours d'eau qui se situent en amont du réservoir biologique). Afin de maintenir la continuité écologique entre ces cours d'eau amont et le réservoir biologique, le décret empêcherait ainsi tout nouvel équipement hydroélectrique sur la totalité du cours d'eau, ce qui pourrait conduire à des classements extrêmement larges.

Par ailleurs, la loi sur l'eau a modifié les règles relatives au « débit réservé » (débit minimal que tout ouvrage hydraulique doit laisser écouler en aval afin de garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces). Ces dispositions, extrêmement complexes, prévoient néanmoins des dérogations aux règles générales, notamment sur les cours d'eau atypiques. A titre d'illustration, cette disposition vise le cas des cours d'eau très pentus, dans lesquels la vie aquatique ne peut se développer quel que soit le niveau du débit minimal, ou des cours d'eau sur lesquels sont installés des ouvrages enchaînés, c'est-à-dire qui présentent une succession de barrages pour lesquels le pied du barrage amont est au bord de la retenue du barrage aval. Or, le décret réserverait, pour le cas des retenues enchaînées, le bénéfice de cette dérogation aux centrales de plus de 20 MW, ce qui, aux yeux du GPAE, apparaît « peu légitime et peu cohérent » et qui, d'après l'analyse de votre mission d'information, n'apparaît conforme ni à l'intention du législateur, ni à la lettre de la loi .

Comme tout texte réglementaire concernant le secteur énergétique, ce projet de décret a fait l'objet d'un examen par le Conseil supérieur de l'énergie qui, d'après les informations recueillies par vos rapporteurs, a émis un avis extrêmement réservé sur ses dispositions. Ces réserves n'ont cependant pas été prises en compte dans le projet de texte définitivement transmis au Conseil d'Etat, qui devrait donc être prochainement promulgué. Votre mission d'information ne peut que déplorer l'interprétation qui a été faite par le pouvoir réglementaire de ces dispositions pour lesquelles le législateur avait souhaité une application raisonnable .

A brève échéance devrait être élaboré un autre projet de décret d'application d'un article de la loi sur l'eau introduit par le Sénat lors de son examen en première lecture. Or, il présente de très fortes implications pour la sécurité d'approvisionnement puisqu'il vise à arrêter la liste des ouvrages hydroélectriques qui, de par leur capacité de modulation, contribuent à la production d'électricité en période de pointe de consommation et bénéficient, pour cette raison, de contraintes allégées en matière de « débit réservé ». Votre mission d'information sera particulièrement vigilante sur les modalités d'application de cette disposition, au regard des volumes d'électricité d'origine hydraulique 173 ( * ) qui pourraient être « menacés » dans le cas où ce texte retiendrait une liste restreinte d'ouvrages.

Elle rappelle que tout affaiblissement du productible électrique de ces ouvrages a pour contrepartie immédiate un affaiblissement des réserves de sûreté du système électrique ainsi qu'un accroissement des émissions de CO 2 liées à l'obligation de compenser par des moyens thermiques toute électricité qui ne pourra plus être produite par ces barrages.

d) Relancer la construction de STEP ?

La France dispose de 4 GW de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) . De l'avis général, ces ouvrages de production d'électricité présentent un grand nombre d'avantages 174 ( * ) en matière de sécurité d'approvisionnement et sont particulièrement adaptées à un pays comme le nôtre, qui bénéficie ainsi d'un appareil de production d'électricité en base bien développé.

Une station de transfert d'énergie par pompage est un ouvrage hydraulique qui se compose d'une retenue en altitude reliée à un bassin inférieur situé au niveau de l'usine hydroélectrique. L'eau stockée dans le bassin supérieur est turbinée pendant les heures de forte consommation et fait l'objet d'une récupération dans le bassin inférieur. Aux heures de moindre consommation, pendant la nuit, cette eau est pompée vers le bassin supérieur en utilisant l'électricité des centrales nucléaires.

Bien que la PPI prévoie l'installation de 500 MW supplémentaires de STEP d'ici 2010 (2 000 MW d'ici 2015 175 ( * ) ), il existe des obstacles importants limitant les possibilités de développement des nouveaux ouvrages, soulignés tant par EDF que par Suez, et que votre mission d'information juge indispensable de lever.

Selon EDF, tout développement complémentaire d'un ouvrage STEP est conditionné aux hypothèses faites en matière de disponibilité et de prix de l'énergie de pompage à un horizon de dix ans (délai entre la décision de construction et la mise en service effective), ainsi qu'à l'évolution des prix de l'électricité en période de pointe. Les études économiques actuellement réalisées par EDF démontreraient de faibles niveaux de rentabilité, qui pourraient néanmoins s'améliorer en raison de la hausse du prix des combustibles fossiles. EDF comme Suez font cependant valoir deux obstacles majeurs obérant tout développement dans les conditions actuelles.

D'une part, la mise en place du tarif d'utilisation du réseau de transport (TURP) en 2002 a provoqué une forte augmentation des charges annuelles supportées par les STEP. Etant considérés comme des consommateurs finals d'énergie, ces ouvrages sont à ce titre redevables du TURP, qui s'élève à 11 euros/kWh/an, renchérissant le coût d'investissement de 20 % et représentant environ 40 % des charges d'exploitation. Or, comme le souligne le rapport Dambrine, les STEP sont des consommateurs finals particuliers puisqu'ils ne sollicitent le réseau qu'au moment des heures creuses. D'autre part, le second obstacle a trait aux difficultés de réalisation d'ouvrages de raccordement (lignes à haute tension) au réseau de transport.

Enfin, EDF soulève, pour sa part, un dernier argument tenant à l'évolution du contexte réglementaire relatif à l'attribution ou au renouvellement des concessions hydroélectriques, désormais soumis à la concurrence. Dans la mesure où les STEP sont souvent conçues en « suréquipement » d'un aménagement existant, dont elles utilisent le réservoir, EDF fait valoir qu'elles nécessitent l'obtention d'un avenant à la concession correspondante.

Votre mission d'information, jugeant décisive la contribution de ces ouvrages à la sécurité d'approvisionnement et pertinents les développements envisagés par la PPI, se déclare en conséquence favorable, d'une part, à la réduction conséquente du montant du TURP acquitté par les STEP et, d'autre part, à des incitations supplémentaires pour enfouir les lignes de raccordement de ces ouvrages au réseau de transport d'électricité .

e) Préparer le renouvellement des concessions hydrauliques

Le droit relatif aux conditions d'exploitation de l'hydroélectricité 176 ( * ) prévoit deux régimes juridiques distincts, dont l'application dépend de la puissance de l'ouvrage hydraulique concerné.

Les ouvrages d'une puissance supérieure à 4,5 MW sont soumis à une procédure de concession. L'installation d'une concession hydraulique, qui nécessite l'occupation définitive de propriétés privées, requiert la constitution d'un domaine publique hydroélectrique par déclaration d'utilité publique. Au terme de la concession (d'une durée maximale de 75 ans) et en l'absence

de renouvellement, la propriété des installations revient à l'autorité concédante, c'est-à-dire à l'Etat. Les installations hydrauliques d'une puissance inférieure à 4,5 MW sont, quant à elles, soumises à une simple procédure d'autorisation.

En ce qui concerne les ouvrages concédés, qui sont les plus puissants et qui présentent le plus grand intérêt en matière de sécurité d'approvisionnement, la loi du 16 octobre 1919 prévoyait, à l'origine, un droit de préférence du concessionnaire en place au moment du renouvellement de la concession. Toutefois, le droit communautaire ayant ouvert à la concurrence les activités de production électrique, la Commission européenne a demandé aux autorités françaises la suppression de ces dispositions qu'elle jugeait contraires aux directives. Le droit de préférence a ainsi été abrogé avec l'adoption de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques 177 ( * ) et tout renouvellement de concession hydraulique est désormais soumis à une mise en concurrence au moyen d'une procédure d'appel d'offres. A titre d'exemple, 34 concessions hydrauliques d'EDF vont arriver à échéance entre 2020 et 2025 et entreront en phase de renouvellement entre 2008 et 2013, certaines représentant des enjeux électriques importants.

Votre mission d'information note que la question de la mise en concurrence des installations hydroélectriques nécessitant une gestion coordonnée va se poser . En effet, des centrales, comme celles installées le long de la Durance, ne sauraient être exploitées indépendamment les unes des autres dans la mesure où le productible des ouvrages situés en aval de la chaîne est directement conditionné au débit hydraulique libéré par ceux situés en amont. Or, chaque ouvrage ayant été concédé à une date différente et pas nécessairement pour la même durée, le renouvellement de leur titre et leur mise en concurrence pourraient intervenir à des échéances différentes. En l'état actuel du droit, rien n'interdirait que ces ouvrages soient concédés à des opérateurs différents, sur le fondement des résultats des appels d'offre.

Votre mission d'information juge indispensable de prévenir cette difficulté qui pourrait fortement nuire à une bonne gestion de certains ouvrages, dont la contribution à la sécurité du système électrique français, et même européen, est pourtant déterminante, comme l'a démontré l'incident du 4 novembre 2006 178 ( * ) .

En conséquence, elle préconise l'instauration d'une procédure de « concession de vallées » pour les ouvrages hydroélectriques nécessitant une gestion coordonnée et pour lesquels les installations situées en aval sont totalement dépendantes de celles placées en amont. La création de ce type de concession amènerait soit à prolonger la durée d'une concession en cours pour que son échéance soit synchronisée avec celle des concessions les plus récentes, soit à mettre fin, par anticipation, aux concessions les plus récentes.

Ces deux solutions présentent chacune des difficultés juridiques différentes. Dans le premier cas de figure, la Commission européenne pourrait considérer que la prolongation est contraire au droit de la concurrence. Dans le second, l'anticipation des concessions obligerait l'Etat, en application d'une jurisprudence bien établie, à indemniser le concessionnaire. Votre mission d'information estime toutefois que ces contraintes juridiques, pour réelles et importantes qu'elles soient, ne doivent pas empêcher d'engager dès à présent la réflexion pour les surmonter et parvenir à instituer des concessions de vallées.

2. Quelle place pour l'éolien en 2015 ?

La question de la place de l'éolien dans le bouquet énergétique français est, parmi les nombreux débats énergétiques, certainement l'un des plus controversés. Selon ses partisans, l'éolien constitue la seule solution qui permettra à la France de respecter ses engagements de promotion des ENR. Selon ses détracteurs, il s'agit d'une impasse énergétique qui déstabilise l'équilibre et la sûreté du réseau énergétique et défigure les paysages. Au-delà de ces prises de positions, souvent passionnées, votre mission d'information a souhaité, dans le cadre de ce rapport consacré à la sécurité d'approvisionnement, étudier avec rigueur et impartialité les conséquences du développement de l'énergie éolienne à l'aune de cette préoccupation.

Deux constats préliminaires s'imposent . D'une part, l'énergie éolienne ne vise absolument pas à répondre aux besoins en période de pointe de la France, qui sont seuls satisfaits par les moyens thermiques (gaz notamment du fait de sa souplesse) et par l'hydraulique. D'autre part, l'éolien est, au sein des ENR électriques, celle qui s'est le plus développée au cours des dernières années et qui présente le potentiel d'expansion le plus important à brève échéance.

Entre 2005 et 2006, la production d'électricité d'origine éolienne a cru de 123 %, passant de 1 à 2,1 TWh. Selon la dernière enquête du ministère de l'industrie, publiée le 31 mars 2006, la France comptait 150 parcs éoliens (1 049 aérogénérateurs) pour une puissance électrique cumulée de 918 MW. Entre le 1 er février 2005 et le 1 er février 2006, ont été délivrés 202 permis de construire, représentant une puissance de 1 230 MW. Sur la même période, 58 permis de construire, pour une puissance de 346 MW, ont été refusés. D'après les dernières estimations, la puissance installée au 1 er janvier 2007 s'élèverait à 1,3 GW et, selon le Syndicat des énergies renouvelables, elle aurait même atteint 2 GW au 1 er juin 2007.

La part de l'éolien terrestre dans le mix électrique français a cru grâce au régime de l'obligation d'achat dont bénéficient les parcs d'une puissance inférieure à 12 MW, à un tarif de rachat de l'électricité intéressant (82 euros le MWh en moyenne). Mais, ces règles ont été profondément révisées par la loi POPE avec la création des zones de développement de l'éolien (ZDE) qui, à compter du 14 juillet 2007, pourront seules bénéficier de l'obligation d'achat pour les éoliennes qu'elles accueillent .

En application de l'article 10-1 de la loi du 10 février 2000, les ZDE sont définies par le préfet en fonction de leur potentiel éolien, des possibilités de raccordement aux réseaux électriques et de la protection des paysages, des monuments historiques et des sites remarquables et protégés. Le périmètre de ces zones est établi sur proposition des communes et EPCI à fiscalité propre dont tout ou partie du territoire est compris dans le périmètre proposé. Avec l'adoption de la loi POPE, le seuil des 12 MW a, par ailleurs, été supprimé, les communes et EPCI devant, dans le cadre de leurs propositions de ZDE, définir la puissance installée minimale et maximale des installations éoliennes pouvant bénéficier de l'obligation d'achat. En outre, la loi a confié au préfet la mission de veiller à la cohérence départementale des ZDE et au regroupement des installations afin de protéger les paysages.

Par ailleurs, la loi POPE a précisé que le niveau du tarif d'achat de l'électricité éolienne ne pouvait conduire à ce que « la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d'achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d'écouler l'intégralité de leur production à un tarif déterminé » 179 ( * ) .

Deuxième vecteur de renforcement de la puissance éolienne dans notre pays, un appel d'offres a été organisé en 2005 sur le fondement des objectifs définis par la PPI 2003.

A l'issue de l'appel d'offres, le ministère de l'industrie annonçait, le 8 décembre 2005, la sélection de sept projets éoliens représentant une puissance cumulée de 278,35 MW, pour un prix de rachat moyen de 75 euros/MWh. Chaque projet retenu comporte entre 11 et 33 éoliennes et présente une puissance comprise entre 16 et 90 MW. Les parcs seront construits dans de nombreuses régions françaises : Bourgogne, Centre, Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Picardie.

La PPI 2006 prévoit d'accélérer ce mouvement puisqu'elle programme l'installation de 13 500 MW en 2010, dont 1 000 MW d'éolien off-shore , et 17 000 MW en 2015, dont 4 000 MW off-shore . Le rapport sur la PPI 2006 évoque quant à lui le chiffre de 20 000 MW de gisement éolien en France, tout en précisant que cette estimation est avancée sans prendre en compte les considérations socio-économiques et les réalités géographiques.

Les estimations portant sur les perspectives en 2010 présentées à votre mission d'information sont contrastées. Le rapport sur la PPI 2006, qui évoque une fourchette comprise entre 5 et 10 GW à cet horizon, estime que les objectifs seront difficilement réalisables, y compris en cas d'accélération du rythme de croissance des nouvelles autorisations et installations 180 ( * ) . Dès lors, le rapport juge probable la mise en service de 6 GW seulement en 2010 .

Les professionnels du secteur, bien qu'un peu plus optimistes, ne tiennent d'ailleurs pas un autre discours.

Lors de son audition M. Jean-Yves Grandidier 181 ( * ) , vice-président du syndicat des énergies renouvelables (SER), déclarait : « En tant que professionnels de l'éolien, il nous apparaît impossible d'atteindre l'objectif pour 2010, la barre étant beaucoup trop haute. Toute la bonne volonté des acteurs et de l'administration, dans l'octroi des permis de construire notamment, n'y suffirait pas. En revanche, l'objectif 2015 semble tout à fait réalisable ». Il se déclarait cependant plus optimiste que les prévisions du rapport sur la PPI en estimant que la puissance fin 2010 pourrait atteindre 8,4 GW.

Sans évoquer les problèmes posés par l'accroissement de la puissance éolienne en matière de gestion du réseau et de l'équilibre offre/demande, qui seront traités dans la deuxième partie du rapport, vos rapporteurs souhaiteraient mettre en exergue plusieurs enjeux ayant trait au développement de cette énergie.

Il est tout d'abord indubitable que l'éolien présente aujourd'hui le plus grand potentiel de développement pour respecter l'objectif des 21 % en 2010. D'une part, il s'agit de la filière qui bénéficie des plus grandes opportunités en termes de baisse de coûts de production, ce que démontre la récente décision des autorités espagnoles de diminuer le montant des aides accordées à l'éolien 182 ( * ) . D'autre part, la France étant un pays exposé à de nombreux régimes de vent, plus spécialement intenses pendant les périodes hivernales où la demande d'électricité est la plus forte, l'éolien y trouve un terreau naturellement fertile.

Certes, toute électricité produite à partir de l'éolien se substitue à des moyens plus polluants, soit émetteurs de gaz à effet de serre, soit producteurs de déchets, ce qui présente, dans l'absolu, des avantages environnementaux. Il n'en reste pas moins que le caractère intermittent et difficilement prévisible des productions éoliennes nécessite de disposer de moyens de production de substitution en l'absence de vent. Or, ces moyens ne peuvent être que des centrales thermiques puisque, par définition, elles n'ont vocation à fonctionner que de manière irrégulière et uniquement en période de pointe, quand l'énergie des centrales nucléaires n'est pas disponible. Ainsi, la contribution de l'éolien au mix électrique national n'est pas sans comporter une certaine part d'émissions de CO 2 .

Par ailleurs, vos rapporteurs ne négligent pas les problèmes d'acceptation locale que posent les éoliennes, accusées de défigurer les paysages, même si le développement éolien devrait être mieux encadré et mieux maîtrisé avec l'entrée en vigueur du mécanisme des ZDE à partir de la mi-2007. Une autre amélioration de la situation pourrait être obtenue avec le développement d'aérogénérateurs plus puissants, et donc plus hauts. Votre mission d'information a d'ailleurs pu constater, lors de la visite de la ferme éolienne expérimentale de Mardyck exploitée par Total, que, passée une certaine hauteur, la « nuisance » visuelle d'une éolienne n'est pas proportionnelle à sa hauteur.

A plus long terme, les éoliennes off-shore pourraient également contribuer à renforcer la production d'électricité verte en France. Certes, dans ce domaine également, il existe des difficultés liées aux conflits d'usage de la mer, qui peuvent cependant être levées par des concertations approfondies menées au niveau local 183 ( * ) . Mais l'éolien off-shore est une technologie qui est encore loin d'être rentable. Les coûts de développement, d'installation et de maintenance sont sensiblement plus élevés que sur terre, et les résultats économiques et énergétiques escomptés plus aléatoires. Toutefois, elle n'est pas sans présenter un certain nombre d'autres avantages : ainsi, quand une zone côtière se prête à l'installation d'un parc off-shore , elle est souvent vaste et autorise la mise en service de nombreuses machines ; par ailleurs, les vents en mer sont plus réguliers et permettent des durées de fonctionnement annuelles comprises entre 3 500 et 4 000 heures. En définitive, comme le souligne le rapport sur la PPI 2006, l'éolien off-shore ne constitue pas, dans les conditions actuelles, une alternative à l'éolien terrestre mais un complément.

Le 14 septembre 2005, à l'issue d'une procédure d'appel d'offres, le ministère de l'industrie annonçait qu'un projet d'éolien off-shore situé sur la Côte d'Albâtre était retenu pour une puissance de 105 MW. Situé à environ 7 km au large de Veulettes-sur-Mer (Seine-Maritime), ce parc sera composé de vingt-et-une éoliennes ancrées par 23 mètres de profondeur. Sa construction nécessitera un permis de construire soumis à enquête publique. L'électricité produite par ces machines bénéficiera d'un tarif de rachat fixé aux alentours de 100 euros/MWh.

Surtout, tout développement ultérieur de l'éolien off-shore requiert une identification des zones se prêtant à l'installation de parc, évaluation en cours de réalisation par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

3. Les autres sources d'énergies renouvelables

D'autres ENR électriques peuvent améliorer la diversification du bouquet énergétique français, même si leur contribution au respect de nos engagements communautaires s'avérera moins déterminante dans le proche avenir.

a) La biomasse

Selon le rapport sur la PPI 2006, la biomasse 184 ( * ) est, après l'éolien, la source d'ENR présentant le plus fort potentiel de développement en France, notre pays disposant d'abondantes ressources non exploitées. Le « bois énergie » pourrait notamment faire l'objet d'une meilleure utilisation, le potentiel pour produire de l'électricité étant évalué à 0,8 GW. Le recours à la biomasse pour la production d'électricité a été essentiellement soutenu grâce aux appels d'offre lancés sur le fondement de l'article 8 de la loi du 10 février 2000.

Pour contribuer aux objectifs de la France en matière de promotion des ENR, le ministre délégué à l'industrie a, au cours de l'année 2004, lancé un appel d'offres pour la réalisation, avant le 1 er janvier 2007, de centrales de production d'électricité de plus de 12 MW à partir de biomasse ou de biogaz. A l'issue de l'instruction, le ministre a fait, le 11 janvier 2005, le choix de quatorze projets biomasse (216 MW) et d'un projet biogaz (16 MW), pour un prix de rachat moyen de l'électricité de 86 euros/MWh. Les projets retenus sont répartis dans toute la France (Champagne-Ardenne, Lorraine, Haute-Normandie, Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Ile-de-France). La plupart d'entre eux sont situés sur des sites industriels : cinq projets dans des papeteries, quatre dans des distilleries, deux dans des scieries et un dans un centre de stockage de déchets (biogaz). Par ailleurs, six projets utilisant une technique de gazéification de biomasse à haut rendement électrique ont été choisis. Au total, ces projets devraient permettre d'identifier et de valoriser une ressource variée en biomasse et en biogaz (270 000 T/an de boues papetières, plus d'un million de T/an de liqueur noire, 600 000 T/an de plaquettes forestières, environ 800 000 T/an d'écorces, sciures et résidus bois divers ainsi que 60 millions de Nm 3 /an 185 ( * ) de biogaz), la production totale d'électricité étant estimée à 1,8 TWh par an.

Compte tenu du succès de cet appel d'offres et pour conforter cette dynamique, le ministère de l'industrie a pris la décision de relancer un nouvel appel d'offres en décembre 2006.

Cette nouvelle procédure a pour ambition de permettre l'installation d'une puissance supplémentaire de 300 MW d'ici au 1 er janvier 2010. Les objectifs seraient répartis en deux tranches : une de 220 MW pour des installations de valorisation énergétique de la biomasse d'une puissance supérieure à 9 MW et une de 80 MW pour celles d'une puissance comprise entre 5 et 9 MW. La date limite de dépôt des dossiers ayant été fixée au 9 août 2007, les résultats de cette procédure seront donc connus fin 2007-début 2008. Ce nouvel appel d'offres devrait être de nature à accroître l'utilisation du bois énergie.

b) La géothermie

La géothermie a, selon le rapport sur la PPI 2006, un potentiel de développement limité à court-moyen terme en France métropolitaine. A l'exception de deux unités de production situées à Bouillante (Guadeloupe), d'une puissance totale de 15 MW, qui assurent environ 10 % des besoins en électricité de l'île, la seule avancée notable attendue dans ce domaine est la mise en service, en 2010, de l'installation expérimentale de Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), pour une puissance de 10 MW. Toutefois, à partir de 2015, le rapport sur la PPI anticipe des productions électriques issues de techniques de géothermie plus importantes, en raison de progrès technologiques 186 ( * ) - permis par le retour d'expérience du site de Soultz - qui autoriseront l'exploitation de ressources aquifères relativement peu chaude.

A plus court terme, la géothermie a davantage vocation à constituer une solution de remplacement pour le chauffage des bâtiments avec le déploiement de systèmes de pompes à chaleur performantes.

c) Le solaire

Selon les estimations avancées par le ministère de l'industrie, la puissance solaire photovoltaïque installée en France était évaluée en 2004 à 9 MW, dont 4,7 MW en métropole et 4,2 MW dans les départements d'outre-mer (DOM), pour une production totale de 0,01 TWh. Comme le souligne le rapport sur la PPI 2006, la production solaire photovoltaïque ne contribuera pas significativement à l'équilibre offre/demande de la France continentale avant 2015, y compris dans l'hypothèse d'une croissance moyenne annuelle de 50 % 187 ( * ) . Au surplus, le coût de l'électricité issue de cette filière est encore très élevé 188 ( * ) en raison de l'importance des montants d'investissements à consentir.

C'est, du reste, dans les DOM que les perspectives de développement sont les plus ambitieuses, compte tenu tant des conditions d'ensoleillement que d'un coût de production de l'électricité issue de moyens de production « classiques » de ces zones supérieur à ceux qui résultent de moyens identiques en métropole 189 ( * ) . Au total, la PPI 190 ( * ) vise un objectif de 120 MW installés en 2010 et de 490 MW en 2015. Comme pour la géothermie, cette technologie a vocation à se développer plus massivement au niveau de l'habitat individuel que pour la production en grande quantité d'électricité.

Par ailleurs, le recours au solaire thermique est une piste, qui existe notamment aux Etats-Unis et en Espagne, pour produire industriellement de l'électricité. En France, une entreprise envisage de construire, dès 2008, un pilote de 1 MW dans le cadre du pôle de compétitivité Cap Energie situé à Sophia-Antipolis, et éventuellement des centrales de 20 MW, escomptant le maintien du dispositif de l'obligation d'achat pour assurer leur rentabilité.

d) La cogénération

Bien que non considérée comme une énergie renouvelable en tant que telle 191 ( * ) , la cogénération 192 ( * ) constitue une technique qui contribue pour une proportion non négligeable à la production d'électricité en France. Le parc d'unités de cogénération produisant de l'électricité est évalué à 5 000 MW de puissance installée, la plupart de ces installations ayant été mises en service entre 1997 et 2000. La PPI 2006 prend comme hypothèse le maintien, à l'horizon 2015, des capacités actuellement installées.

Votre mission d'information rappelle que l'électricité produite à partir d'unités de cogénération bénéficie d'un tarif de rachat intéressant compris entre 60 et 90 euros/MWh. Surtout, le soutien annuel de cette électricité dans le cadre de la CSPE est évalué, pour 2005, à 642 millions d'euros, soit près de a moitié du montant total de 1,36 milliard d'euros. Comme le souligne un rapport récent de l'inspection général des finances et du conseil général des mines sur la cogénération 193 ( * ) , une centrale nucléaire fonctionnant en semi-base produit une électricité plus compétitive qu'une installation de cogénération, trois années de soutien à la cogénération étant équivalentes au coût d'investissement d'un réacteur EPR. Ce rapport préconise en conséquence de revoir en profondeur les principes de soutien à la filière.

*

A l'issue de cette revue de détail du potentiel de développement des différentes ENR électriques, il apparaît, en se fondant sur les prévisions de consommation élaborées par RTE en 2005 dans le cadre du bilan offre/demande, que le respect de l'objectif des 21 % impliquerait une production d'électricité d'origine renouvelable comprise entre 110 TWh . Or, il est probable qu'à cet horizon, celle-ci ne soit comprise qu'entre 85 TWh et 105 TWh 194 ( * ) selon la vigueur avec laquelle ces techniques se développeront. La France ne respectera donc qu'avec de très grandes difficultés les objectifs que lui assigne la directive 2001/77 195 ( * ) , sauf si 13,5 GW d'éolien étaient installés en 2010, ce qui apparaît hautement improbable.

Reste que votre mission d'information est très attachée à la promotion des ENR électriques en France . A cet égard, elle souhaite avec insistance l'application des dispositions de la loi POPE disposant que le ministre rend publique une évaluation, par zone géographique, du potentiel de développement des filières de production d'électricité à partir de sources renouvelables . En effet, ce bilan n'a pas encore été réalisé, même si des études plus ponctuelles devraient être publiées prochainement 196 ( * ) . Or, il apparaît indispensable de disposer d'une vision d'ensemble des potentialités de chaque filière renouvelable afin d'apprécier avec rigueur et précision la contribution de ces énergies au mix énergétique national, dans la mesure où elles sont appelées à jouer un rôle croissant.

*

Au total, cet examen de chaque filière de production d'électricité ne fait pas perdre de vue à vos rapporteurs la question de fond tenant à la sécurité d'approvisionnement de la France dans son contexte européen et au mix énergétique optimal qui permettra de l'assurer sur le long terme, ce qui les conduit à s'interroger sur l'évolution de la contribution de chacune de ces énergies primaires dans le futur. Ils restent à cet égard persuadés que la diversification des sources de production constitue un impératif de sécurité d'approvisionnement . Cette conviction les conduit en conséquence à plaider en faveur d'une diminution de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français, qui ne signifie pas pour autant une réduction de la puissance installée actuellement. En revanche, ils estiment qu'avec la progression naturelle de la consommation d'électricité dans notre pays, il appartiendra à la puissance publique d'organiser le développement de nouvelles sources de production d'électricité afin de répondre à ce souci de diversification. Ces nouveaux outils devront d'ailleurs tenir pleinement compte de la nature de cette demande supplémentaire dans la mesure où consommation de base et consommation de pointe n'appellent pas les mêmes réponses. A cet égard, les énergies thermiques, bien qu'émettrices de CO 2 , resteront incontournables pour répondre à la demande en période de pointe.

Il conviendra, dans ce cadre, de parvenir à de nouveaux et subtils équilibres. Les énergies thermiques devront être développées mais avec modération pour le gaz au regard des questions stratégiques et géopolitiques que cette énergie pose et dans le respect de l'environnement pour le charbon, ce qui suppose de faire des efforts importants pour parvenir à des techniques de combustion propre de cette ressource.

Les énergies renouvelables devront être fortement encouragées, même si de nombreux éléments entourent d'incertitudes diverses le développement de chaque filière : contraintes écologiques pour l'hydraulique, acceptation sociale et intermittence pour les éoliennes.

Enfin, votre mission d'information souhaite réaffirmer sa conviction selon laquelle la politique de l'énergie ne peut désormais plus être menée dans un cadre strictement national, même si une véritable Europe de l'énergie, organisée sur des bases politiques et animées par des valeurs de solidarité, reste encore très largement à construire. Il s'agit néanmoins de la seule option durable à ses yeux. A cet égard, l'affaiblissement des marges de sécurité du parc européen de production ne peut que susciter l'inquiétude au regard des fortes interdépendances existant entre pays européens. La solidarité européenne ne peut néanmoins être à sens unique et la France ne saurait être le fournisseur d'électricité en base de l'Europe sans obtenir, en contrepartie, l'assurance que ses partenaires répondront présents à l'appel le jour où elle se trouvera dans une solution délicate.

III. UNE ÉLECTRICITÉ DURABLEMENT PLUS CHÈRE ?

Ces développements consacrés à la production de l'électricité seraient incomplets si étaient omises les problématiques liées à son prix de vente, partie intégrante de la sécurité d'approvisionnement. La compétitivité des prix de l'électricité constitue en effet l'un des trois grands objectifs de la politique communautaire de l'énergie et doit donc être conciliée avec ses deux autres piliers. Surtout, la mise à disposition aux consommateurs de l'électricité dont ils ont besoin, à tout instant et en tout point du territoire, ne peut faire l'économie d'une analyse portant sur le niveau du prix qu'il leur est demandé de payer.

Au sein de l'Union européenne, la France jouit d'un avantage incontestable résultant de choix structurants opérés par le passé . D'une part, le parc nucléaire national, fruit d'investissements massifs réalisés dans les années 1970 et 1980, offre aux consommateurs une électricité à des coûts raisonnables, bien moins élevés que dans d'autres pays européens. D'autre part, la France dispose d'un système spécifique - les tarifs réglementés - donnant à la puissance publique le pouvoir de fixer le niveau du prix de vente de ce bien stratégique, en application de règles déterminées par la loi. Or, l'existence de ce mécanisme n'est pas le fruit du hasard mais procède bel et bien d'un choix politique délibéré de la puissance publique qui a considéré que la détermination du prix de l'électricité, partie intégrante du service public de l'électricité, ne devait pas être laissée aux seules forces du marché .

Ces deux éléments d'équilibre ont permis à la fois de développer et d'entretenir un parc de production bien dimensionné aux besoins des consommateurs français, de garantir aux ménages une électricité à un prix stable et déconnecté des fluctuations des cours des hydrocarbures et d'assurer le maintien et l'expansion sur notre territoire d'industries fortement consommatrices d'énergie.

Avec la libéralisation du secteur de l'électricité et l'unification progressive des différents marchés européens, le système tarifaire français voit cependant ses fondements remis en cause par la Commission européenne. Celle-ci estime que l'existence de tels systèmes administrés dans différents pays de l'UE constitue un frein au développement de la concurrence et maintient des prix artificiellement bas par rapport à ceux fixés sur les marchés, qui résultent d'une stricte confrontation de l'offre et de la demande. Elle considère par ailleurs que les tarifs ne permettent pas aux prix de jouer leur rôle de signal d'investissements et d'inciter les opérateurs à développer de nouvelles capacités de production.

Ces considérations ont donc conduit la Commission européenne à ouvrir deux enquêtes à l'encontre de la France : l'une sur le fondement des règles relatives aux aides d'Etat portant sur les tarifs dont bénéficient les clients professionnels ainsi que sur le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) 197 ( * ) ; l'autre sur le fondement d'une procédure en manquement pour mauvaise transposition des directives électricité et gaz par laquelle la Commission critique la non-conformité à ces dernières du système tarifaire dans son ensemble.

Votre mission d'information juge qu'il y a incontestablement un lien direct entre le niveau des prix de vente de l'électricité et la sécurité d'approvisionnement : un système qui ne permettrait de rémunérer un parc qu'à son coût d'exploitation, faisant bénéficier les générations présentes d'investissements effectués par les générations passées au détriment des générations futures, ne garantirait pas cette sécurité sur le long terme . Pour autant, faut-il que la fixation des prix de l'électricité échappe à tout contrôle public et que son niveau soit déterminé, comme pour tout autre bien, exclusivement par une confrontation entre l'offre et la demande ?

La réponse à cette question nécessite d'abord d'analyser les caractéristiques intrinsèques de ce bien particulier qu'est l'électricité et de se demander s'il se prête à une unification de son prix dans le cadre d'un marché unique européen. Puis, elle suppose d'étudier le fonctionnement des marchés de l'électricité en Europe et d'examiner si le prix qu'ils fixent reflète la réalité des coûts. Enfin, l'électricité étant pour beaucoup un bien de première nécessité, vos rapporteurs se demandent si la nécessaire protection des consommateurs, notamment particuliers, ne commande pas de les protéger des vicissitudes des marchés.

A. FAUT-IL UN PRIX UNIQUE DE L'ÉLECTRICITÉ EN EUROPE ?

1. Les positions initiales de la Commission européenne

La Commission européenne, confortée par les conclusions des Conseils européens et des conseils de l'Union européenne 198 ( * ) , souligne régulièrement dans tous ses documents que la libéralisation du marché de l'électricité constitue la meilleure voie pour construire un secteur de l'énergie compétitif fonctionnant dans l'intérêt des consommateurs. Dans le prolongement de l'Acte unique européen de 1987, elle a ainsi engagé la constitution d'un marché unique de l'électricité ne se résumant pas à la juxtaposition des différents marchés intérieurs. Convaincue que les seules vertus du marché seront suffisantes pour faire aboutir ce projet, elle en conclut logiquement que les prix de l'électricité ont vocation à converger au fur et à mesure des progrès réalisés par l'unification du marché intérieur européen .

Dès son premier rapport sur l'état d'avancement du marché intérieur de l'électricité et du gaz de novembre 2005, la Commission européenne, tout en relevant que les prix de l'électricité étaient plus bas que dix ans auparavant, déplorait leur absence de convergence au sein de l'UE, voyant même une corrélation entre le manque d'interconnexions et les différences de prix. Considérant l'absence de convergence comme la marque d'une intégration trop faible des marchés, elle estimait que l'introduction de la concurrence serait de nature à faire baisser les prix de l'électricité en Europe.

Dans ce même document, la Commission soulignait que « lorsque les échanges sont faciles dans un marché intégré, la concurrence tend à uniformiser les prix dans toute l'UE, ou au moins entre Etats membres ou régions adjacents. Tel n'est pas le cas pour l'électricité ou le gaz. Les différences de prix de l'électricité pour les clients industriels dans l'UE, par exemple, peuvent dépasser 100 % ». Elle notait cependant que « les prix de gros ont commencé à converger dans certains pays voisins ».

Au regard des évolutions du marché de l'électricité en Europe depuis dix-huit mois, il semblerait néanmoins que ces prévisions de la Commission européenne aient été trop optimistes.

2. Des évolutions qui contredisent les effets supposés positifs de la concurrence

Quelles ont été les conséquences de ces décisions communautaires sur les prix dans un pays comme la France ? Dans un premier temps, il est clair que les consommateurs qui se sont vu reconnaître le droit de « sortir » des tarifs pour négocier librement les conditions de leur approvisionnement en électricité avec le fournisseur de leur choix (EDF dans la plupart des cas, mais aussi avec de nouveaux opérateurs) ont tiré un bénéfice certain de ce mouvement de libéralisation .

Conformément aux directives, notre pays a procédé, par étapes, à l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, par les lois du 10 février 2000, du 9 août 2004 199 ( * ) et du 7 décembre 2006 200 ( * ) :

- en mai 2000, 30 % du marché étaient ouverts (pour les clients dont la consommation était supérieure à 16 GWh par an) ;

- en février 2003, 37 % du marché étaient ouverts (pour une consommation supérieure à 7 GWh par an) ;

- au 1 er juillet 2004, 70 % du marché étaient ouverts (pour tous les consommateurs non domestiques) ;

Enfin, la totalité du marché (près de 450 TWh) est ouverte à la concurrence depuis le 1 er juillet 2007.

Nombreuses sont les entreprises 201 ( * ) qui, dans ce contexte, ont alors bénéficié de conditions de prix attractives, les fournisseurs leur proposant des contrats sur la base de prix inférieurs au niveau du tarif réglementé.

Dans un deuxième temps cependant, cette évolution favorable pour les entreprises ayant exercé leur éligibilité s'est retournée, parfois dans des proportions spectaculaires. Certains consommateurs ont fait valoir, notamment lors de leur audition par la mission commune d'information, que leur facture d'électricité avait grimpé de plus de 60 % depuis 2002.

Selon le rapport de notre collègue Ladislas Poniatowski sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie 202 ( * ) , un industriel 203 ( * ) resté au tarif réglementé s'approvisionne en électricité pour un prix compris entre 32,4 et 39,9 euros par MWh. Sur le marché libre, ce même industriel, s'il avait exercé son éligibilité, s'approvisionnerait à un coût de 70 euros le MWh.

Au demeurant, de tels constats ne se cantonnent pas à la France puisque les délégations de votre mission d'information s'étant rendues à l'étranger ont entendu les mêmes observations quand elles ont rencontré des représentants des consommateurs industriels 204 ( * ) .

Dès lors, compte tenu de l'ouverture à la concurrence du marché pour les particuliers depuis le 1 er juillet 2007, votre mission commune d'information est fondée à se demander si ceux d'entre eux qui seraient tentés de sortir des tarifs sont appelés à vivre la même « mésaventure » que les consommateurs professionnels.

3. L'inflexibilité des analyses communautaires

Bien que désormais vieilles de plusieurs années, ces dérives de la libéralisation ne semblent pourtant pas avoir conduit la Commission européenne à infléchir, ni même à nuancer, ses positions traditionnelles. Certes, dans son rapport de janvier 2007 sur les perspectives du marché intérieur du gaz et de l'électricité, elle observe que les prix de l'électricité sont revenus, en euros constants, à leurs niveaux de 1997, reconnaissant même que cette hausse a effacé les bénéfices que certains consommateurs avaient tirés de l'ouverture à la concurrence . Toutefois, ce constat posé, elle explique immédiatement que cette évolution est liée à la hausse du prix des combustibles primaires, aux besoins d'investissements continus, à l'extension des obligations environnementales avec la mise en place d'un marché des droits d'émissions de CO 2 et aux coûts de développement des énergies renouvelables électriques 205 ( * ) .

Aussi, elle continue à se déclarer « convaincue qu'il n'y a pas de solution de rechange à la libéralisation » 206 ( * ) . Elle relève que de grands progrès ont été réalisés en matière de libéralisation et estime que « ce sont toujours les consommateurs des marchés où la libéralisation a été menée avec succès qui bénéficient du meilleur éventail de fournisseurs et de services » 207 ( * ) . Elle note enfin que ces consommateurs paient « des prix reflétant, en moyenne, mieux les coûts que dans les autres Etats membres ».

La Commission européenne considère en définitive que trois problèmes majeurs empêchent le marché de l'électricité européen de fonctionner dans des conditions satisfaisantes :

- la persistance de tarifs réglementés ;

- l'intégration verticale des producteurs et des transporteurs ;

- l'existence de situations dominantes de certains opérateurs historiques sur leurs marchés nationaux respectifs.

Selon la Commission, de nombreux États membres continuent à contrôler étroitement les prix demandés aux utilisateurs finaux pour le gaz et l'électricité, ce comportement limitant la concurrence. Elle estime que ces plafonds de prix généralisés empêchent le fonctionnement du marché intérieur de l'énergie : « Ils masquent les signaux économiques qui signalent, par les prix, où se trouvent les besoins de nouvelles capacités, de sorte qu'en décourageant les investissements, ils nuisent à la sécurité de l'approvisionnement et entraîneront de futures crises de l'approvisionnement ».

S'agissant de l'intégration verticale, elle constate que les « entreprises verticalement intégrées bénéficient d'un avantage considérable pour ce qui est des informations qu'elles peuvent utiliser pour formuler leur stratégie commerciale », ce qui, entre autres, conduit les sociétés d'électricité en place à conserver largement leur position dominante sur leur marché.

Enfin, elle considère que la « concentration du marché constitue une source de préoccupation majeure pour le succès du processus de libéralisation », le pouvoir de marché des monopoles existant avant la libéralisation n'étant pas encore érodé.

Toutes ces analyses laissent les membres de votre mission d'information perplexes puisque la Commission européenne semble prôner une dérégulation totale des systèmes existants pour des bénéfices qui, en définitive, apparaissent largement hypothétiques . Pour vos rapporteurs, force est de constater qu'il y a aujourd'hui concomitance en Europe entre ce mouvement d'ouverture à la concurrence et la hausse des prix de l'électricité sur les marchés.

Au-delà de ce constat, il convient d'analyser si le modèle de marché unique, avec un prix unique, est adapté pour un bien comme l'électricité.

4. L'électricité ne se prête pas à une unification des prix

Votre mission d'information relève que l'électricité est un bien spécifique présentant des caractéristiques physiques qui empêchent de lui appliquer des règles classiques de marché et qui s'opposent, dans les conditions actuelles, à tout mouvement de convergence des prix.

En premier lieu, l'électricité ne se stocke pas en grande quantité, ne se transporte pas sur de longues distances dans des conditions économiquement viables et doit faire l'objet d'un équilibrage permanent entre l'offre et la demande .

En deuxième lieu, le prix de l'électricité dépend fondamentalement des techniques utilisées pour la produire , lesquelles présentent toutes des différences substantielles de coûts et de volatilité 208 ( * ) . De surcroît, la mise en place d'un marché des permis d'émissions de CO 2 joue désormais un rôle dans les processus de formation des prix 209 ( * ) . Or, les technologies de production d'électricité sont plus ou moins émettrices de CO 2 . Dans ces conditions, et même pour cette unique raison, il n'y aurait aucune raison que le MWh nucléaire ou hydraulique se voit appliquer le même prix que le MWh issu d'une centrale à charbon ou à gaz.

En dernier lieu, la demande d'électricité est polymorphe et obéit à des besoins différents . En effet, l'électricité peut être appelée pour répondre soit à des besoins de base, stables et à long terme, comme les besoins industriels, soit à des besoins de pointe, liés aux évolutions du climat, soit encore à des besoins de réserve rapide, pour l'ajustement 210 ( * ) . Or, les moyens de production utilisés pour répondre à ces différents types de consommation ne sont pas les mêmes : fonctionnant chacun pendant des durées différentes, ils ne présentent pas les mêmes coûts de production, ni la même rentabilité.

Pour ces raisons, votre mission d'information estime qu'il est inenvisageable d'imposer tout mouvement de convergence des prix de l'électricité en Europe . Du reste, les mouvements de convergence observés sur les marchés de l'électricité ne répondent à aucune réalité économique.

5. La mise en place d'un marché des permis d'émissions de CO2

Au sein des facteurs influençant le prix de l'électricité, une attention particulière doit être apportée à la mise en place, en 2005, d'un marché des émissions de gaz à effet de serre.

En application du protocole de Kyoto, l'UE s'est engagée à réduire globalement d'ici 2008-2012 ses émissions de GES de 8 % par rapport à leur niveau de 1990. En vertu d'un « accord de partage de la charge », les Etats membres (à l'exception des nouveaux entrants) se sont réparti cette obligation globale en fonction de leurs différences socio-économiques. Ainsi, par exemple, l'Allemagne doit diminuer ses émissions de 21 % tandis que l'Espagne est autorisée à les augmenter de 15 %. La France, elle, doit veiller à les stabiliser. Parmi les outils mis en place pour favoriser le respect de ces engagements figure le marché des quotas de CO 2 créé par la directive 2003/87 211 ( * ) (transposée en droit français aux articles L. 229-5 à L. 229-24 du code de l'environnement).

Ce marché communautaire d'échanges, qui ne couvre que les émissions de CO 2 pour le moment, concerne plus de 12 000 installations émettrices situées dans les Etats membres. Chaque Etat a l'obligation, au début de chaque période 212 ( * ) , d'allouer à chaque secteur couvert par la directive un quota d'émissions (dans le cadre d'un plan national d'allocation des quotas).

Au début de chaque année suivante, les installations doivent déclarer la quantité de GES émis durant l'année écoulée et rendre aux pouvoirs publics, au plus tard le 30 avril, un nombre de quotas correspondant. Les entreprises qui ramènent leurs émissions en deçà de leur dotation initiale peuvent revendre leurs quotas excédentaires à d'autres ou les conserver pour un usage ultérieur. À l'inverse, les entreprises qui dépassent leurs quotas doivent acheter sur le marché le supplément de quotas nécessaire, puis éventuellement investir dans des technologies de réduction des émissions.

Sont notamment concernées par ces obligations les installations de production d'électricité d'une puissance supérieure à 20 MW.

Il semblerait que les modalités de fonctionnement de ce marché aient eu des conséquences importantes sur les prix de marché de l'électricité. Si la production française d'électricité est peu émettrice de CO 2 , une proportion non négligeable de la production électrique européenne est, pour sa part, issue de moyens thermiques. Or, les normes communautaires conduisent à allouer gratuitement 90 % des quotas aux électriciens 213 ( * ) alors que, dans le même temps, ces derniers intègrent très largement le coût de la tonne de CO 2 dans les prix de marché de l'électricité. Dans ces conditions, comme l'ont souligné de nombreux intervenants auditionnés par la mission, ce système ne crée aucune incitation en faveur des technologies les moins émettrices et confère aux producteurs d'électricité des rentes qui n'apparaissent pas justifiées, en particulier pour ceux disposant de mix énergétiques peu émetteurs .

Votre mission d'information considère que ce point devra faire l'objet d'une attention particulière lors des discussions sur le futur paquet législatif énergétique afin que le système d'émissions pénalise plus fortement les techniques émettrices de CO 2 .

6. Les dysfonctionnements du marché

La libéralisation du marché de l'électricité s'est traduite par la création de bourses de l'électricité sur lesquelles s'effectuent des transactions, représentant des volumes plus ou moins importants selon les Etats de l'UE. Or, les processus de formation des prix de l'électricité sur ces places d'échange semblent ne tenir aucun compte des réalités physiques et économiques de l'électricité telles que décrites ci-dessus. Ainsi, la confrontation de la courbe d'offre , qui agrége une électricité issue de moyens de production présentant chacun leur coût d'exploitation, avec la courbe de demande , relativement inélastique au prix, conduit le prix de l'électricité à s'aligner sur le coût marginal d'exploitation de la dernière unité nécessaire pour satisfaire la demande, soit le moyen le plus coûteux (charbon, gaz ou pétrole).

Lors du déplacement d'une délégation de la mission à Londres, M. Benjamin Amsallem, vice-président de Morgan Stanley, a estimé qu'un tel fonctionnement était le seul possible dans un marché concurrentiel, tout autre calcul (en particulier celui du coût moyen pondéré) ne pouvant, faute de rentabilité garantie, inciter les opérateurs à investir dans des infrastructures qui, bien qu'elles ne fonctionnent que quelques heures par an, assurent la sécurité d'approvisionnement électrique.

Une telle vision n'est, de loin, pas partagée par les consommateurs. Lors de son audition 214 ( * ) , M. Franck Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité (CLEEE), déclarait que : « le mécanisme de formation des prix (...) est assis sur le coût marginal de production : il s'agit là d'une situation quelque peu ubuesque ! Si nous la transposions dans un secteur comme l'automobile, comment pourrions-nous justifier auprès du consommateur le prix de vente du véhicule au coût marginal du prototype ? ».

M. Jean-Philippe Benard, président de la commission électricité de l'UNIDEN 215 ( * ) estimait, pour sa part, que : « l'évolution du "marché de gros" a suivi un alignement sur le coût de production d'une nouvelle centrale au charbon ou au gaz naturel. En effet, ce type de centrale constitue la référence de l'indice européen du prix de l'électricité à terme. Par conséquent, les producteurs historiques, qui ont des outils plus compétitifs que ces outils de référence, bénéficient d'une rente de situation exceptionnelle ». Il dénonçait également la logique présidant à l'unification des marchés de l'énergie, qui se traduit par une convergence des prix, dans ces termes : « En effet, le prix de l'énergie en France, composée de 80 % de nucléaire et de 10 % d'hydraulique, doit être identique à celui de la centrale de référence, basée sur l'énergie fossile, afin de permettre l'entrée de nouveaux acteurs ! Cette logique est absurde : pour créer une pseudo-concurrence à la production avec les outils les moins compétitifs, il est demandé à chacun de payer ces outils ».

Ce fonctionnement apparaît relativement aberrant aux yeux de votre mission d'information puisqu'il conduit aussi bien à nier les lois de la physique que l'existence de moyens de production plus rentables que d'autres . En effet, ce modèle de marché conduit les prix à suivre des évolutions sans rapport avec les techniques utilisées par les producteurs d'électricité, comme le soulignait M. Laurent Chabannes, président de l'UNIDEN 216 ( * ) .

Le graphique figurant page suivante met en évidence un passage du prix du MWh de 22 ou 23 euros en 2002 à 50 euros en 2007, soit une hausse de 117 %. Dans les trois pays pris en exemple dans ce schéma, les prix sur les marchés de gros ont convergé, alors même que les mix énergétiques de ces trois Etats sont fondamentalement différents.

Au vu de ces éléments, votre mission d'information se déclare donc réservée, si ce n'est opposée, sur le schéma défendu par la Commission européenne, dont le fonctionnement s'appuie sur une logique économique en décalage avec les réalités industrielles de la production d'électricité. Du reste, elle constate que, jusqu'à présent, le fonctionnement du marché électrique a eu des effets préjudiciables aux intérêts des consommateurs et pénalisants pour des industries soumises à une pression concurrentielle internationale 217 ( * ) .

Source : UNIDEN

En définitive, votre mission estime que le marché ne peut en aucun cas servir de modèle unique de fixation des prix de l'électricité . En théorie, ce ne pourrait être qu'à l'issue d'un mouvement général de convergence des mix énergétiques des Etats membres de l'Union européenne, accompagné par un fort développement des interconnexions, qu'une unicité du prix européen de l'électricité pourrait se concevoir et se justifier. Or, comme cela a été démontré, cette harmonisation est encore loin d'être en marche, compte tenu notamment des réticences de la plupart des pays européens à installer des centrales nucléaires. Dans ces conditions, la mission juge qu'il ne peut être question, pour la France, de ne plus faire bénéficier les consommateurs de l'avantage compétitif lié au nucléaire pour des motifs tenant à une harmonisation communautaire des prix qui ne repose sur aucune logique solidement établie . De même, elle ne saurait accepter une suppression du système tarifaire risquant de pénaliser lourdement les ménages.

B. UN DISPOSITIF TARIFAIRE CONFORME AUX DIRECTIVES

1. Un mécanisme complexe

Le mécanisme de fixation des prix de l'électricité en France fait l'objet de règles relativement compliquées dont les principes sont définis par l'article 4 de la loi du 10 février 2000, aux termes duquel les tarifs réglementés de vente d'électricité intègrent plusieurs composantes.

Schématiquement, ils intègrent une part « fourniture ou énergie » (correspondant aux coûts de production et de commercialisation) ainsi qu'une part « acheminement » (correspondant au transport et à la distribution), auxquelles s'ajoutent le montant de la compensation des charges de service public de l'électricité (CSPE) et les taxes.

Selon cet article 4, les tarifs réglementés de vente d'électricité , fixés « en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures », couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par EDF et par les DNN , en y intégrant notamment les dépenses de développement du service public pour ces usagers.

En application de ces principes, les ministres de l'économie et de l'énergie arrêtent le niveau des tarifs, ainsi que leurs évolutions, sur avis simple de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

S'agissant de la composante « acheminement », l'article 4 précise que « les tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution applicables aux utilisateurs sont calculés de manière non discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux, y compris les coûts résultant de l'exécution des missions et des contrats de service public ».

Depuis l'entrée en vigueur de la loi POPE de 2005, le mode de fixation de ces tarifs d'utilisation des réseaux publics (TURP) a évolué pour laisser une plus grande marge de manoeuvre à la CRE. Ainsi, celle-ci transmet désormais aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie ses propositions motivées de TURP. La décision ministérielle est réputée acquise, sauf opposition de l'un des ministres dans un délai de deux mois suivant la réception des propositions de la commission. Les tarifs sont alors publiés au Journal officiel par les ministres.

Votre mission d'information estime pertinent ce dispositif car il présente le double avantage de garantir aux consommateurs une facturation de l'énergie consommée conforme à la réalité des coûts de production et de prévenir toute évolution erratique des prix qui serait due à des facteurs non directement liés aux caractéristiques intrinsèques de l'électricité.

Ce système, qui existe de longue date dans notre pays, a ainsi permis de financer le développement du parc français et d'autoriser, avec son amortissement progressif, une réduction continue de la facture électrique des consommateurs.

2. La contestation communautaire

Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont aujourd'hui remis en cause par la Commission européenne 218 ( * ) , qui considère que le système tarifaire s'oppose à la libéralisation du secteur et empêche l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Elle estime qu'un tel système, en maintenant les prix de l'électricité à des niveaux jugés artificiellement bas, empêche les marchés concurrentiels de produire les signaux nécessaires pour l'investissement.

Sur la base de ces arguments, la Commission européenne a, dans le cadre d'une procédure en manquement , adressé une mise en demeure à la France en avril 2006 sur les tarifs 219 ( * ) , reprochant à ceux-ci d'être trop bas par rapport au prix de marché. Certes, la Commission admet que les directives autorisent les mécanismes tarifaires, à condition toutefois qu'ils soient justifiés en tant qu' obligations de service public , dans les conditions définies à l'article 3 de la directive 2003/54. Toutefois, elle estime que tel n'est pas le cas s'agissant des tarifs français. La Commission européenne relève ainsi qu'un « mode de fixation étatique des prix ayant un tel caractère de généralité, de permanence et de rigidité, dénué de transparence dans son mode d'attribution, et s'adressant aux utilisateurs non résidentiels, ne peut être présumé indispensable dans un système où le libre jeu de la concurrence entraîne en principe la fixation de prix compétitifs » 220 ( * ) .

Suite à cette initiative communautaire, le gouvernement français a transmis aux autorités bruxelloises une réponse faisant valoir que le niveau des tarifs couvrait les coûts et qu'à ce titre, ils ne s'inscrivaient pas dans le cadre des obligations de service public définies à l'article 3 de la directive 2003/54. Puis, le 15 décembre 2006, la Commission a adressé à la France un avis motivé, toujours sur le même sujet 221 ( * ) , auquel le gouvernement a répondu le 15 mars 2007.

Enfin, dernière étape de ce feuilleton, le 13 juin 2007, la Commission européenne a annoncé qu'elle ouvrait une procédure d'enquête formelle, cette fois au titre du contrôle des aides d'Etat , « au sujet d'aides présumées en faveur de grandes et moyennes entreprises en France, sous forme de tarifs industriels d'électricité réglementés à un niveau artificiellement bas, financés directement ou indirectement par l'Etat ».

La Commission se déclare à cet égard « préoccupée par la distorsion de concurrence que pourraient engendrer (...) les tarifs les plus bas appliqués aux grandes et moyennes entreprises, et qui concernerait essentiellement les marchés de produits des entreprises grosses consommatrices d'énergie ». Elle souligne aussi que l'enquête ne couvre pas les « tarifs (...) applicables (...) aux consommateurs résidentiels et aux petites entreprises dans la mesures où ils ne semblent pas conférer un avantage économique aux entités concernées ».

C'est donc sur le fondement de deux procédures communautaires que le système tarifaire français est aujourd'hui remis en cause. Si la procédure au titre des aides d'Etat ne concerne pas les particuliers, en revanche, la procédure en manquement pourrait, si elle se traduisait par une remise en cause des tarifs, affecter gravement les 26 millions de consommateurs particuliers d'électricité.

3. Pourquoi maintenir le tarif ?

Votre mission d'information soutient totalement la position constante et argumentée des autorités françaises, qui rappelle notamment que les directives ne s'opposent pas à l'existence de tarifs dès lors qu'ils couvrent les coût s. Votre mission en veut d'ailleurs pour preuve que si tel n'était pas le cas, EDF, qui assure l'essentiel de ses fournitures d'électricité sur la base des tarifs et non de prix de marché, ne dégagerait pas de bénéfices.

S'agissant de la mise en cause communautaire au titre des aides d'Etat, votre mission d'information ne peut que faire part de son incompréhension : par quels mécanismes la puissance publique aurait-elle été amenée à subventionner l'activité d'entreprises bénéficiant de tarifs couvrant les coûts du producteur ? Elle se déclare également perplexe quant à l'affirmation selon laquelle les tarifs provoquent des distorsions de concurrence puisque la référence prise à l'appui de ce raisonnement est celle de prix de marchés déconnectés des réalités économiques. Enfin, elle s'interroge sur la nature des conséquences qui pèseraient sur les entreprises si l'enquête de la Commission devait aboutir à une suppression de ces tarifs : dans quelles conditions seraient-elles amenées à se fournir en électricité ? Devraient-elles rembourser les sommes considérées par Bruxelles comme des aides d'Etat ? Dans cette hypothèse, sur quelle période de référence devrait porter un tel remboursement ?

Heureusement, des éléments d'information très précis devraient être prochainement disponibles pour appuyer le raisonnement des autorités françaises puisque, conformément aux dispositions de l'article 25 de la loi du 10 février 2000 222 ( * ) , EDF et les DNN sont désormais tenus d'établir une comptabilité interne permettant de distinguer la fourniture aux consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés de vente de celle aux consommateurs finals n'en bénéficiant pas .

Par ailleurs, votre mission d'information souligne que, si les tarifs ne couvraient pas les coûts, il y aurait lieu de s'interroger sur la rationalité économique d'une entreprise comme Poweo 223 ( * ) , qui, depuis le 1 er juillet 2007, propose aux consommateurs domestiques des offres commerciales inférieures au niveau des tarifs réglementés (de l'ordre de 10 %). A l'évidence, le fait même d'envisager ce type de stratégie économique démontre qu'il est possible pour une entreprise autre qu'EDF d'exercer des activités de fournisseur d'électricité et dément les affirmations de la Commission européenne sur les barrières à la concurrence que constitueraient les tarifs.

Plus largement, c'est la logique d'ensemble de la Commission européenne que conteste votre mission d'information. Comme le souligne très opportunément le rapport d'orientation du Conseil d'analyse stratégique sur l'énergie 224 ( * ) , « il n'est pas acquis que les signaux des marchés reflètent une concurrence parfaite ». Il relève, tout aussi justement, que « pour la plupart des grands producteurs européens en place, au premier rang desquels EDF, les prix de revient moyens du MWh seront sans doute sensiblement inférieurs à des prix de marché reflétant le coût de développement, CO 2 compris, d'une unité de production moderne brûlant du charbon. Si les prix de vente étaient calés sur les prix de marché de gros, il en résulterait des profits substantiels sans réelle justification économique pour les producteurs en place et des hausses importantes de prix au niveau du consommateur final, pénalisantes pour les entreprises soumises à la concurrence internationale et difficilement acceptables socialement pour les consommateurs domestiques ».

En définitive, votre mission d'information ne voit aucune justification à un processus devant, par principe, conduire à caler les prix français de l'électricité sur un prix de marché dénué de fondement économique. En revanche, elle admet que la sécurité d'approvisionnement et la préparation de l'avenir commandent l'intégration dans le système tarifaire des éléments économiques tenant au renouvellement du parc de production. Il est légitime que les tarifs évoluent afin de permettre le financement de nouvelles capacités de production, aussi bien pour l'entreprise bénéficiant aujourd'hui du monopole de fourniture d'électricité au tarif que pour les autres producteurs qui ne peuvent, dans un marché concurrentiel, que se caler sur ce niveau de prix.

4. Des fondements juridiques nationaux fragilisés

Une difficulté supplémentaire a émergé sur la question des tarifs avec la récente décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie 225 ( * ) . Saisi par les auteurs du recours sur un tout autre sujet abordé par cette loi, la juridiction suprême a examiné d'office les modifications apportées par le législateur au système des tarifs, en vertu d'une jurisprudence récente par laquelle le Conseil vérifie que les dispositions d'une loi ayant pour objet de transposer une directive ne sont manifestement pas incompatibles avec cette dernière.

La version du texte retenue par le Parlement (article 17) distinguait la situation des consommateurs professionnels et des consommateurs domestiques. Un consommateur professionnel se voyait reconnaître, sur un site de consommation, le droit à bénéficier d'un tarif réglementé à condition qu'il n'ait pas fait le choix de la concurrence sur ce site, et qu'une personne précédemment établie sur ce site ne l'ait pas fait non plus. En revanche, un consommateur particulier se voyait reconnaître ce droit à la seule condition de ne pas avoir fait lui-même le choix de la concurrence sur ce site. En outre, la loi reconnaissait le bénéfice des tarifs pour les consommateurs particuliers et les clients professionnels pour les nouveaux sites de consommation (constitués par tout bâtiment neuf).

S'appuyant sur le fait que le projet de loi relatif au secteur de l'énergie avait partiellement pour objet de transposer les directives relatives à la libéralisation des marchés énergétiques 226 ( * ) , le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait lieu de vérifier la conformité à ces directives des nouvelles dispositions législatives. Or, il a estimé qu'en imposant aux opérateurs historiques des obligations tarifaires « générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », ces dispositions avait méconnu « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz ».

De ce fait, il a partiellement censuré les dispositions en cause, ce qui entraîne deux conséquences .

D'abord, les consommateurs particuliers se voient appliquer les dispositions prévalant pour les consommateurs professionnels : il en résulte que tout consommateur particulier qui déménagerait dans un logement ancien ne pourrait bénéficier des tarifs qu'à la condition que l'occupant précédent n'ait pas fait le choix de sortir des tarifs pour ce logement .

Ensuite, de cette censure résultait, sans que cela ait été explicitement précisé, le fait que tout nouveau site de consommation (tout logement ou commerce neuf) ne pourrait bénéficier du tarif réglementé .

Par cette décision, le Conseil a clairement considéré que le système tarifaire français est incompatible avec les objectifs de la directive et que tout consommateur d'électricité (mais aussi de gaz) a vocation, à terme, à s'alimenter exclusivement par le biais du marché libre 227 ( * ) .

Pour lever l'ambiguïté résultant de cette censure, l'Assemblée nationale a, à l'occasion de l'examen du projet de loi instituant le droit au logement opposable, inséré une disposition clarifiant les conditions d'application du tarif aux nouveaux sites de consommation 228 ( * ) . En application de ce dispositif, tout nouveau site peut bénéficier des tarifs jusqu'au 1 er juillet 2010 .

Même si vos rapporteurs s'interrogent sur le choix de cette date, qui laisse entendre que s'ouvrirait une période transitoire au terme de laquelle il conviendrait de réexaminer la pertinence du système tarifaire, cette initiative a au moins le mérite de clarifier une ambiguïté qui aurait été dommageable pour le consommateur. Ils ne doutent pas que, compte tenu des procédures communautaires en cours, ce délai permettra de clarifier l'interprétation des directives, qu'il appartient à la seule Cour de justice européenne de préciser et, en particulier, de savoir dans quelle mesure des tarifs réglementés sont compatibles avec elles.

Il n'en reste pas moins que les dispositions résultant de la censure du Conseil vont poser un certain nombre de problèmes pour les particuliers qui, à partir du 1 er juillet 2007, emménageront dans un logement ancien pour lequel l'occupant précédent a exercé son éligibilité et qui ne pourront plus bénéficier des tarifs. Cette situation apparaît tout d'abord injuste puisque ces ménages seront liés par un choix qu'ils n'auront pas eux-mêmes effectué 229 ( * ) . Elle les expose ensuite à devoir se fournir sur la base de contrats d'approvisionnement beaucoup moins protecteurs et, à terme, à des prix plus élevés. Enfin, elle risque de conduire, progressivement, à la création de deux marchés de l'immobilier parallèles, celui des logements dans lesquels le tarif sera applicable et celui des logements dans lesquels il ne le sera pas. Dans ces conditions, votre mission d'information, dans un souci de protection du consommateur, estime qu'il serait hautement souhaitable que les acquéreurs de biens immobiliers puissent être pleinement informés de la situation du logement au regard de l'applicabilité des tarifs 230 ( * ) .

En outre, elle souhaite soulever une seconde difficulté, résultant de cet état du droit, qui a trait aux logements locatifs. En effet, tout propriétaire d'un tel logement sera désormais exposé au risque que son locataire fasse le choix de la concurrence pour sa fourniture d'électricité . Dans cette situation, le logement ne pourra plus jamais bénéficier du tarif, alors même que le propriétaire n'aura pas été consulté sur ce choix . Aussi conviendrait-il d'examiner la question de l'association ou non du bailleur à la décision de son locataire, ce qui nécessiterait une modification de la loi de 1989 231 ( * ) . Or, conditionner le droit du locataire à changer de fournisseur d'électricité à un accord formel du propriétaire serait vraisemblablement contraire à la directive puisqu'une telle disposition s'opposerait à la liberté de l'exercice de l'éligibilité. Mais l'autre solution, qui consisterait à donner à ces logements locatifs un droit de retour au tarif, serait quant à elle contraire à l'interprétation que le Conseil constitutionnel a faite de la directive.

En définitive, la contestation communautaire des tarifs tient exclusivement au fait que la Commission européenne estime qu'ils sont artificiellement bas, sous-entendant qu'ils ne couvriraient pas les coûts. Dans ces conditions, elle ne pourrait être amenée à accepter un système tarifaire que pour autant qu'il s'inscrive dans le cadre des dispositions sur les obligations de service public de l'article 3 de la directive 2003/54. Le Conseil constitutionnel, en application de sa jurisprudence sur le contrôle de « l'erreur manifeste de transposition », n'a d'ailleurs pu que constater que les règles du système tarifaire français répondaient à la condition de couverture des coûts mais pas aux critères définis par la directive pour les obligations de service public. Dès lors, afin d'assurer la pérennité du système tarifaire, ce que votre mission juge nécessaire pour l'ensemble des raisons énoncées dans cette partie, il apparaît indispensable d'adapter la lettre de la directive afin que celle-ci autorise explicitement le maintien des tarifs réglementés en tant qu'ils respectent le principe de couverture des coûts.

C. RÉPONDRE AUX BESOINS SPÉCIFIQUES DES PROFESSIONNELS

La sécurité d'approvisionnement sur le long terme des consommateurs professionnels suppose de bâtir des solutions adaptées à leur situation spécifique, en particulier ceux pour lesquels l'électricité représente une proportion importante des coûts de production et qui sont soumis à la concurrence internationale.

S'agissant des industries dites électro-intensives, une solution pourrait s'appuyer sur la possibilité de contracter directement avec les producteurs les conditions d'un approvisionnement sur longue période . Toutefois, la Commission européenne semble, là encore, être réservée sur ce type de dispositifs. Elle est très critique sur les contrats d'approvisionnement à long terme puisqu'elle juge que leur prédominance obère toute possibilité d'extension du marché libre et de la concurrence. La plupart des acteurs du système électrique, au premier rang desquels les grands consommateurs d'électricité, estiment au contraire qu'il s'agit d'un mécanisme indispensable pour couvrir certains besoins spécifiques et bien identifiés.

M. Laurent Chabannes, président de l'UNIDEN 232 ( * ) , tenait sensiblement ce discours à votre mission d'information en relevant que « l'argumentation de Bruxelles repose sur l'idée que l'existence de contrats à long terme, ou leur surnombre, pourrait geler le marché de gros. Cette idée constitue pour nous un paradoxe puisque nous considérons que les conditions de fonctionnement actuelles du marché de gros sont telles qu'elles favorisent une forme de collusion tacite ». Par ailleurs, il estimait qu'avec la libéralisation, les consommateurs s'attendaient à pouvoir négocier librement avec les producteurs, dans le cadre d'appels d'offres, et comptaient « se baser sur des profils de consommation, stables et prévisibles, et les outils de production correspondants, donnant aux acteurs transparence et visibilité à long terme sur le parc et les

prix ». Il faisait néanmoins valoir que, passée la période de mise en concurrence des producteurs, dont il reconnaissait les effets bénéfiques pour les industries, « la réalité du marché de gros » avait rattrapé les consommateurs. Il soulignait que, sur ces marchés, le prix est « dicté par le cours de bourse qui interdit toute négociation » et que « plus le consommateur est important, plus il est pénalisé, car les transactions de ce marché se réalisent sur des petites quantités. De fait, la concurrence porte uniquement sur l'optimisation du négoce de la fourniture (0,5 % à 1 % du prix de l'énergie) et il n'existe aucune concurrence à la production ».

Votre mission d'information considère qu'il s'agit là d'un enjeu majeur pour l'économie française, pour la compétitivité des industries concernées et pour l'utilisation des capacités électriques nationales . En effet, pour certains consommateurs électro-intensifs, un renchérissement trop important de l'électricité constituerait à l'évidence un facteur contribuant à des fermetures d'usines et à des délocalisations.

Une telle problématique n'est d'ailleurs pas propre à la France. Ainsi, les représentants des consommateurs industriels allemands ont fait valoir aux membres de la délégation que la consommation annuelle des entreprises électro-intensives avait atteint 120 TWh, justifiant leur intérêt pour des contrats d'approvisionnement à long terme susceptibles de leur permettre d'obtenir des prix plus compétitifs. De même, les industriels électro-intensifs espagnols ont souligné que l'explosion des prix de l'électricité en Espagne était, en raison de la dégradation de compétitivité en résultant, de nature à inciter certains industriels à délocaliser leurs activités.

M. Laurent Chabannes rappelait ainsi que l'usine d'aluminium de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) avait récemment fermé et qu'à l'horizon 2012, une dizaine de TWh de consommation étaient « sous la menace de la fin des contrats existants ». Dans ces conditions, il estimait qu'en l'absence de solutions, « ces usines [seraient] amenées à fermer ».

Votre mission juge qu'il serait gravement préjudiciable pour l'économie française, et notamment pour l'emploi, que ces industries ne puissent plus bénéficier de l'avantage compétitif national conféré par l'existence de capacités de production nucléaires. Il paraît donc essentiel de permettre à ces consommateurs, au regard de leur profil spécifique de consommation, de pouvoir contracter sur le long terme. Producteurs comme consommateurs y trouvent un intérêt mutuel et la mise en oeuvre de ce type de stratégie constitue d'autant plus un gage de sécurité d'approvisionnement qu'elle permet aux acteurs du système électrique de bénéficier d'une prévisibilité, du point de vue des niveaux tant de consommation que de production.

A cet effet, la mission d'information soutient une initiative comme celle d'Exeltium.

Comme l'a expliqué M. Laurent Chabannes, Exeltium, dont la création a été autorisée par la loi de finances rectificative (LFR) pour 2005, s'est constitué en mai 2006 et a été fondé par sept groupes fortement électro-intensifs (Air Liquide, Arkema, Solvay, Alcan, Rhodia, Arcelor et UPM). Afin d'assurer l'alimentation électrique de ces consommateurs, Exeltium a lancé un appel d'offres auprès de dix-sept producteurs européens sur la base des besoins de ces sept groupes, mais également de tous ceux qui sont éligibles au dispositif au terme de la LFR pour 2005. Dans un premier temps, cinq producteurs européens ont répondu à cette procédure, puis « les cinq réponses obtenues se sont ensuite réduites à deux ». En définitive, Exeltium a signé un protocole d'accord avec EDF le 15 janvier 2007 et finalise actuellement les conditions contractuelles de cet approvisionnement.

Le cadre de cet accord vise à permettre à ces industriels de participer au financement de capacités de production nucléaires moyennant un prix de fourniture basé sur un prix compatible avec leurs contraintes économiques . Il obligera les groupes participant à cette initiative à lever plusieurs milliards d'euros. M. Philippe Huet, directeur de l'optimisation amont-aval et du trading à EDF 233 ( * ) , indiquait ainsi que « moyennant un partage de risques raisonnable, nous avons pu trouver un mécanisme de contractualisation qui satisfait tous les acteurs. Concrètement, ces engagements portent sur des durées allant de 15 à 24 ans et des volumes atteignant un maximum, à l'horizon de 2012, de 18 TWh, ce qui est considérable ».

Votre mission d'information note toutefois que l'entrée en vigueur de ce mécanisme reste conditionnée à l'accord des autorités bruxelloises.

Elle rappelle par ailleurs que les consommateurs électro-intensifs ne sont pas les seuls à avoir subi des désagréments économiques liés à l'envolée des prix de marché de l'électricité. M. Franck Roubanovitch, président du CLEEE 234 ( * ) , a souligné que son organisation 235 ( * ) , qui représente les intérêts d'entreprises ayant fait le choix de la concurrence et pour lesquelles l'électricité représente une part significative de leurs dépenses, avait été créée dans l'urgence en mai 2006 par regroupement spontané de plusieurs entreprises « se trouvant démunies face aux hausses spectaculaires du marché de l'électricité ». L'objectif, a-t-il ajouté, était d'assurer à ces entreprises « des conditions d'approvisionnement compatibles avec la pérennité de leur activité » en disposant d'offres de fourniture fondées sur des prix « en rapport avec le coût de production » et présentant une certaine prévisibilité.

Il a précisé au surplus que certaines entreprises avaient tenté, avant de faire appel aux pouvoirs publics, de trouver des solutions fondées sur le marché, qui s'étaient néanmoins soldées par un échec. Son témoignage est, à cet égard, éloquent : « Chez Accor, dont je fais partie, nous avons donc cherché à réagir face à cette situation. Nous avons organisé une consultation très large de l'ensemble des fournisseurs et plusieurs constats se sont imposés. Tout d'abord, un alignement quasi-total des prix sur celui de Powernext 236 ( * ) : quel que soit votre volume, vous connaissez quasiment les prix sans même interroger les fournisseurs puisque tout le monde donne un prix presque identique. Ensuite, il est impossible de bénéficier d'une offre à long terme : le maximum est de deux à trois ans, à moins d'avoir des conditions de sortie très pénalisantes ou des courbes de consommation absolument plates. Seuls certains grands industriels sont parvenus à obtenir des offres sur le long terme, mais aucune entreprise du tertiaire car leurs courbes de consommation dépendent de facteurs climatiques. Nous avons été plus loin : nombre d'entreprises du CLEEE étant présentes dans différents pays européens, certaines d'entre elles ont lancé des appels d'offres internationaux, pensant que, grâce à l'Europe, elles pourraient

bénéficier d'un effet de volume et d'une certaine uniformisation des process . Malheureusement, cela n'a pas été le cas, les rares fournisseurs qui acceptaient de répondre à l'échelle européenne n'ayant fait qu'une juxtaposition d'offres nationales qui, finalement, n'étaient guère plus intéressantes qu'à l'échelle nationale ».

Afin de répondre à ces préoccupations - d'autant plus légitimes qu'il en va de la survie de certaines entreprises, comme les équipementiers 237 ( * ) automobiles qui, exerçant leurs activités dans un cadre très concurrentiel, ne peuvent répercuter ces surcoûts sur les prix - le législateur a, dans le cadre de la loi relative au secteur de l'énergie, offert à ces consommateurs une possibilité de retour provisoire aux tarifs avec le dispositif du tarif transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM).

Le bénéfice du TaRTAM est ouvert à tout consommateur final d'électricité ayant exercé son éligibilité qui en fait la demande à son fournisseur avant le 1 er juillet 2007. Ce tarif s'applique de plein droit aux contrats en cours à compter de la date à laquelle la demande est formulée. Il s'applique également aux contrats conclus postérieurement à cette demande écrite, y compris avec un autre fournisseur. Dans tous les cas, la durée de fourniture au niveau du TaRTAM est limitée à deux ans à compter de la date de la première demande d'accès à ce tarif.

La loi ayant précisé que le niveau du TaRTAM ne pouvait excéder de 25 % le niveau du tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, l'arrêté du 3 janvier 2007 fixe les taux de majoration dans une fourchette allant de 10 à 23 % par rapport aux « tarifs classiques ». Il en résulte un prix de vente de l'électricité se situant à mi-chemin entre les tarifs réglementés et les prix de marché.

Pour l'application de ce mécanisme, les fournisseurs qui alimentent leurs clients au niveau du TaRTAM et qui établissent qu'ils ne peuvent produire ou acquérir les quantités d'électricité correspondantes à un prix inférieur à la part correspondant à la fourniture de ces tarifs bénéficient d'une compensation couvrant la différence entre le coût de revient de leur production ou le prix auquel ils se fournissent et les recettes correspondant à la fourniture de ces tarifs. Cette compensation est financée par :

- une contribution (qui ne peut excéder 1,3 euros par MWh) prélevée sur les producteurs d'électricité exploitant des installations d'une puissance installée totale de plus de 2 000 MW et assise sur le volume de leur production d'électricité d'origine nucléaire et hydraulique au cours de l'année précédente 238 ( * ) ;

- la CSPE.

A l'initiative du Sénat, la loi prévoit que le Gouvernement est tenu de présenter au Parlement, avant le 31 décembre 2008, un rapport sur la formation des prix sur le marché de l'électricité et dressant le bilan d'application du TaRTAM. Ce rapport doit analyser les effets de ce dispositif et envisager, s'il y a lieu, sa prolongation.

Même si ces dispositions sont de nature à apporter une solution immédiate à ces problèmes, elles n'en restent pas moins transitoires. Dès lors, il convient de réfléchir, dès aujourd'hui, à la gestion de « l'après-TaRTAM » et de trouver une solution pérenne pour les entreprises concernées. Cette question se pose d'ailleurs avec une acuité particulière du fait de la décision de la Commission européenne d'enquêter également sur ce dispositif au regard des règles sur les aides d'Etat 239 ( * ) . Sans préjudice de ces développements, il appartiendra donc au Parlement, sur la base du rapport d'évaluation prévu par la loi, de prendre les décisions au cours de l'année 2009.

Enfin, une dernière piste de réflexion a été évoquée tant par l'UNIDEN que par le CLEEE, lors de leur audition, avec le système de tarif patrimonial québécois.

Il s'agit d'un dispositif complexe permettant aux gros consommateurs d'électricité de bénéficier d'une électricité à bas prix produite à partir des moyens de production hydrauliques amortis d'Hydro-Québec. Les conditions d'accès à ce tarif ont récemment été revues : en contrepartie du bénéfice de ce mécanisme, les entreprises les plus consommatrices d'électricité doivent présenter des projets qui sont créateurs d'emplois.

Après analyse, et selon notamment des renseignements qui ont été fournis par Suez à vos rapporteurs, il semble que la transposition en France d'un tel dispositif soit difficile. D'une part, le niveau de ce tarif patrimonial apparaît insuffisant (4 à 5 centimes de dollar canadien/kWh 240 ( * ) ) pour permettre le financement de nouvelles capacités de production. D'autre part, une telle proposition, déjà formulée 241 ( * ) au cours des table-rondes organisées en 2005 sur la situation des électro-intensifs 242 ( * ) , avait été écartée en raison de sa non-conformité avec le droit communautaire.

Dès lors, votre mission d'information considère que la piste la plus crédible et la plus sérieuse pour assurer aux consommateurs électro-intensifs une sécurité d'approvisionnement en électricité à des coûts compatibles avec leurs contraintes économiques repose sur la possibilité pour ces industriels de passer des contrats à long terme avec des producteurs afin, moyennant une participation financières aux investissements dans de nouvelles capacités de production , d' acheter l'électricité à des prix tenant compte des coûts réels de production .

S'agissant des consommateurs moins électro-intensifs mais pour lesquels le prix de l'électricité constitue une donnée essentielle de leur rentabilité, la mission estime que le droit à passer des contrats de long terme doit également leur être reconnu, même si pour ces derniers une participation aux investissements apparaît moins pertinente.

Enfin, en vue de répondre aux exigences de mise en concurrence liées à l'application des directives, il pourrait être opportun d'envisager des partenariats industriels entre EDF et d'autres électriciens européens lors de la construction de nouveaux moyens de production nucléaires . Sans remettre en cause la maîtrise et l'exploitation des centrales par EDF, ses partenaires pourraient participer au financement de nouvelles unités nucléaires en France, notamment au moment du renouvellement du parc, en contrepartie de droits de tirage sur l'électricité produite afin d'alimenter, entre autres, des clients industriels.

D. QUELLE PLACE POUR LES BOURSES DE L'ÉLECTRICITÉ ?

Votre mission d'information est convaincue que les marchés de l'électricité ne peuvent constituer, à eux seuls, l'unique vecteur par lequel s'effectuerait l'ensemble des transactions électriques européennes. Pour autant, cette analyse ne la conduit pas à rejeter en bloc leur existence puisqu'ils présentent une réelle utilité pour assurer la satisfaction de divers besoins spécifiques, notamment pour fluidifier certains ajustements. Les représentants des consommateurs, précédemment cités, reconnaissent d'ailleurs que le marché de gros, pour autant qu'il fonctionne correctement, est adapté à la problématique de l'ajustement, c'est-à-dire de l'équilibre à court terme.

1. L'émergence de marchés de gros de l'électricité

Avec la libéralisation du secteur de l'électricité, des places d'échanges se sont constituées en Europe, permettant de réaliser des transactions immédiates ou à terme, de manière bilatérale ou dans le cadre de marchés organisés portant sur des livraisons physiques ou accueillant des opérations strictement financières.

Comme l'a souligné M. Jean-François Conil-Lacoste, directeur général de Powernext 243 ( * ) , la bourse française de l'énergie et du CO 2 « a été créée en juillet 2001, en étroite coordination avec RTE, pour assurer la cohérence des règles du marché électrique avec les contraintes de gestion du réseau. Elle a pour actionnaires Euronext et les gestionnaires de réseau français, belge et hollandais qui assurent une neutralité à l'ensemble, des producteurs européens et des acteurs financiers du monde de l'énergie. Sa fonction économique première est de fournir des références de prix ». Dans ce cadre, les acteurs du marché de gros sont essentiellement les producteurs, les fournisseurs et les traders .

Le rapport annuel de la CRE pour l'année 2006 relève qu'en France, le marché de gros de l'électricité englobe les transactions s'effectuant via la bourse de l'électricité Powernext et celles s'effectuant au travers d'échanges bilatéraux (OTC 244 ( * ) ). Il comprend ainsi des échanges purement financiers et des transactions débouchant sur une livraison physique d'électricité sur le réseau français. En 2006, sur les 582 TWh injectés sur les réseaux français, 225 TWh ont fait l'objet d'une transaction sur ces marchés de gros, la plupart cependant par le biais d'échanges bilatéraux.

La CRE note que les données de volumes concernant les transactions bilatérales n'étant pas publiques, seul le volume des échanges de blocs (transactions donnant lieu à livraison) est connu. Elle estime ainsi le volume des transactions purement financières à environ deux fois le volume livré.

En 2005, les transactions de gré à gré ont atteint un volume total de 200 TWh, en hausse de 27 % par rapport à 2004 (157 TWh). Après avoir affiché une forte progression au dernier trimestre 2005, les volumes traités ont été en léger recul au 1 er trimestre 2006, au cours duquel ils ont atteint 19,4 TWh en moyenne mensuelle (contre 16,4 TWh au 1 er trimestre 2005).

En ce qui concerne le marché organisé qu'est Powernext, M. Jean-François Conil-Lacoste a souligné qu'il existait trois types de place de marché :

- depuis novembre 2001, un marché pour livraison d'électricité sur chacune des 24 heures du lendemain, dit Powernext Day-Ahead , qui permet de gérer les risques d'équilibrage ou de volume sur le réseau français. Ce marché compte cinquante-six membres parmi lesquels les principaux producteurs d'électricité européens, des fournisseurs d'électricité, des institutions financières et des sociétés de négoce. 30 TWh y ont été traités en 2006, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2005. Tout en relevant que ces flux ne représentent que 7 % de la consommation nationale globale, il a précisé qu'au regard du marché réellement ouvert, ils constituent une part supérieure à 23 % de la consommation libre ;

- depuis juin 2004, un marché de moyen terme a été lancé, Powernext Futures , permettant de gérer le risque de fluctuation du prix de l'électricité d'un mois à trois ans : « les produits échangés s'adressent à des acteurs économiques qui veulent disposer d'un outil de gestion dynamique de leur risque électrique dans un horizon de court à moyen terme. Ils apportent de la fluidité, de la flexibilité dans la gestion des risques ». Notant que cette place de marché était la deuxième en Europe après l'Allemagne, M. Jean-François Conil-Lacoste a indiqué que 83 TWh avaient été échangés en 2006, soit une progression de 33 % par rapport à 2005. Il a souligné que seulement 14 % des volumes échangés sur les 83 TWh avaient cependant été effectivement livrés et observé que ces échanges avaient subi « un coup d'arrêt très significatif depuis l'été 2006 » à la suite de la mise en place du TaRTAM. Contrairement aux apparences, ce marché ne vise pas à répondre à des besoins à long terme mais à proposer aux acteurs des produits de couverture du risque, ce qui explique le faible pourcentage d'électricité livrée par rapport au volume total des transactions ;

- enfin, en juin 2005 a été créée, dans le cadre du protocole de Kyoto et en collaboration avec la Caisse des Dépôts et Consignations, une référence de prix au comptant des quotas d'émission de CO 2 , Powernext Carbon . M. Jean-François Conil-Lacoste a précisé que « ce marché a connu une expansion spectaculaire, avec près de 32 millions de tonnes échangées en 2006, dont un record de 5,8 tonnes pour le seul mois de décembre. Cette bourse française offrant un produit européen représente 75 % de part de marché parmi les bourses qui traitent de ce type de produit, notamment nos concurrents allemands et scandinaves ».

La CRE indique par ailleurs dans son rapport annuel que la bourse allemande de l'électricité (European Energy eXchange - EEX) propose depuis le 29 août 2005 des produits de livraison physique à terme en base et en pointe en France. Ainsi, du 29 août au 31 décembre 2005, EEX France, qui regroupe 17 membres, a traité un volume de 1,6 TWh.

2. Un mouvement de regroupement des bourses en Europe

La bourse française de l'électricité s'inscrit dans un mouvement progressif d'intégration avec ses homologues européens. Ainsi que l'a souligné M. Jean-François Conil-Lacoste, « le 21 novembre 2006, le couplage des trois marchés français, belge et hollandais a constitué une première inédite en Europe ». Cette initiative, due au travail mené conjointement par les responsables des trois bourses concernées - APX (Pays-Bas), Belpex (Belgique) et Powernext Day-Ahead (France) - en collaboration avec les trois GRT nationaux - TenneT, Elia et RTE -, vise à optimiser les flux d'électricité aux frontières ainsi que la gestion des capacités des réseaux existants.

Plus récemment encore, le Pentalateral Energy Forum , qui regroupe depuis 2005 la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, a décidé de coupler, au plus tard le 1 er janvier 2009, les marchés de l'électricité des cinq pays. L'accord signé par les cinq ministres chargés de l'énergie et le Commissaire européen à l'énergie précise que le modèle retenu de couplage devrait renforcer la sûreté du système et en accroître l'efficacité économique.

3. Des places de marchés qui ne peuvent répondre à tous les besoins

Compte tenu de leur fonctionnement, de l'absence de référence de prix fiable, de la nécessité d'assurer à certains consommateurs des livraisons d'électricité sur des horizons temporels supérieurs à ceux proposés sur les bourses et de protéger les consommateurs particuliers des variations erratiques des cours de l'électricité, votre mission d'information considère indispensable d'encadrer le champ d'intervention des bourses de l'électricité, qui devrait être limité aux transactions d'ajustement, telles que l'ajustement journalier ou infra-journalier des GRT, ou à la satisfaction des besoins spécifiques de consommateurs souhaitant optimiser leurs profils de consommation.