Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV) - 21 mars
Mme Reine-Claude Mader, présidente
M. Bruno Sido, président - Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant Reine-Claude Mader, la présidente de l'association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). Madame, nous avons souhaité vous entendre sur les questions de sécurité d'approvisionnement de la France en électricité. Notre mission a été créée suite à l'incident du 4 novembre 2006, au cours duquel plusieurs millions de consommateurs européens ont été délestés pendant plus d'une heure. Nous allons dans un premier temps écouter votre exposé sur le sujet avant de vous poser quelques questions.
Mme Reine-Claude Mader, présidente de l'association CLCV - En tant que consommateurs, nous avons pour habitude d'aborder les questions de manière terre-à-terre et directe. La question de la sécurité d'approvisionnement de la France est en fait très ambitieuse. Nous avons suivi, dans la presse, le débat qui a suivi l'incident du 4 novembre et qui nous a amené à réfléchir sur ce thème que nous n'avions pas l'habitude d'aborder sous cet angle. En matière d'électricité, nous nous dirigeons plus naturellement vers les questions de tarifs et de fourniture aux particuliers et non vers celles, bien plus larges, que pose cet incident. Nous avons cependant voulu nous impliquer plus avant dans ce domaine, car il traite d'un problème de fond.
L'énergie ne se résume pas à la seule électricité. Pour autant, nous avons pleinement conscience de l'importance que revêt la question de la fourniture électrique de la France. Ne disposant pas de réserves énergétiques considérables, la France doit maintenir sa production. Notre organisation n'a jamais pris position contre le nucléaire. Néanmoins, nous jugeons important de développer les autres types d'énergies et, plus particulièrement, les énergies renouvelables. Aujourd'hui, la France maîtrise les coûts de l'énergie. Cet aspect nous semble fondamental, mais nous ajoutons à notre réflexion des préoccupations d'ordre environnemental.
Nous constatons que la production d'origine nucléaire produit moins de gaz à effet de serre que la production à partir du charbon. Pour autant, il serait imprudent de négliger les inconvénients du nucléaire, notamment le traitement des déchets. Les débats récents ont illustré la sensibilité des Français à ce niveau. Ce sujet doit en outre être examiné sous l'angle des coûts : le traitement des déchets reste coûteux. Par ailleurs, si la question du démantèlement des centrales semble avoir été intégrée, comment savoir si les réserves prévues à cet effet seront à la hauteur des coûts réels ? Enfin, notre indépendance énergétique reste relative : en effet, nous ne disposons pas, en France, de ressources importantes en uranium.
La population continue donc de s'interroger sur les risques potentiels du nucléaire, même s'ils semblent correctement maîtrisés. Mais nous estimons insuffisante l'information sur ce sujet : en ce qui concerne le nucléaire, nous ne saurions nous contenter d'une vision à court terme car les conséquences à long terme sont considérables. Elles sont évidentes dans le domaine du stockage des déchets, mais restent peut-être moins évidentes en matière de sécurité d'approvisionnement. En effet, cette dernière dépend notamment de la modernisation du parc nucléaire. Plusieurs centrales nucléaires arrivent en fin de vie, même si leur durée de vie a été prolongée. Certaines atteignent aujourd'hui le seuil des 40 ans. De même, le parc thermique est obsolescent et devra être rénové à moyen terme.
Les exigences environnementales ont amené le Conseil européen à fixer des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les Etats membres se sont engagés à réduire de 20 % leurs émissions à l'horizon 2020. La France a obtenu que la production d'origine nucléaire soit intégrée dans la prise en compte des progrès en matière d'énergies renouvelables. Ce point nous paraît positif. Les questions de coût doivent par ailleurs être examinées, puisque le renouvellement des moyens de production risque de peser de manière non négligeable sur les tarifs de l'électricité.
L'incident du 4 novembre pose la question de la gestion des réseaux de transport. La régulation du système de transport de l'électricité doit être examinée au niveau européen. Nous estimons souhaitable l'émergence d'une autorité européenne en charge de cette tâche. Nous savons qu'à l'heure actuelle, la gestion des coupures et la répartition des délestages est assurée pour l'essentiel par des automates. Or, certains sites semblent plus sensibles que d'autres. Sur ce sujet, nous ne disposons que de peu d'information. Je me fais en cela l'écho des consommateurs. Bien entendu, nous avons effectué des recherches sur ce thème. Nous avons ainsi eu accès à des documents qui nous donnent une vue d'ensemble du système. Toutefois, le consommateur lambda ne dispose pas de ces éléments. Il faut y remédier.
Réseau de transport d'électricité (RTE) et Electricité de France (EDF) sont aujourd'hui liés. Ce système sera-t-il maintenu à l'avenir ? Nous pouvons en douter. L'exemple de Réseau ferré de France (RFF), qui gère le réseau ferré, et de la Société nationale des chemins de fer (SNCF), qui l'exploite, introduit quelque peu le doute dans nos esprits. Le choix qui sera fait en la matière conditionnera l'approvisionnement des consommateurs.
L'émergence de nouveaux acteurs, par le biais de la libéralisation, est également pour nous source d'inquiétude. Nous avons eu l'occasion d'en débattre à maintes reprises, notamment dans le cadre de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Les réponses qui nous ont été apportées nous laissent toujours assez perplexes. Demain, qui détiendra les clés de la distribution et de la production ? De nombreux opérateurs, pour certains étrangers, voire non européens, vont prendre pied sur le marché français. Quelles conséquences ce mouvement pourra-t-il avoir ?
Dans ce cadre, l'association CLCV ne saurait admettre que l'Etat ne conserve pas un rôle de tout premier ordre sur les questions de l'énergie, de l'électricité et, tout particulièrement, de la production d'origine nucléaire. Nous ne pouvons laisser ces enjeux aux mains d'opérateurs étrangers, qui feront peut être un jour primer les considérations capitalistiques sur les exigences d'approvisionnement et de sécurité. Aujourd'hui, RTE reste filiale d'EDF. Cette situation peut-elle perdurer ? Pour l'instant, nous n'en savons rien.
Nous intégrons bien entendu les questions de prix à notre réflexion. En matière de fourniture d'électricité, des débats ont eu lieu récemment sur la question des tarifs réglementés et des tarifs libres. L'orientation officielle a légèrement varié en la matière. Il reste aujourd'hui possible de conserver les tarifs réglementés. Cependant, une fois sorti de ce système, il est impossible de faire machine arrière. De même, après un déménagement, il est impossible pour un particulier de conserver le système des tarifs réglementés. Ce débat, qui reste suspendu aux remarques de la Commission européenne, inquiète les consommateurs.
Nous demandons que l'approvisionnement soit garanti pour tous les résidents en France, aux meilleures conditions sur le plan des prix et de la qualité. L'indépendance énergétique de la France nous semble vitale. Parallèlement, nous souhaitons que les prix de l'énergie restent compétitifs. Nous restons en outre attentifs à la préservation de l'environnement lors des opérations de production, de transport, de consommation et de stockage. Nous demeurons par ailleurs vigilants sur la question de la cohésion sociale et territoriale. Il serait inadmissible que certains secteurs voient leur approvisionnement menacé.
Certaines de nos demandes sont plutôt axées sur les questions de consommation dans la perspective de la libéralisation. Les offres des nouveaux acteurs doivent être lisibles et aisément comparables, afin que le consommateur puisse effectuer un choix éclairé. Nous craignons en effet une ruée sur des offres attractives sur le court terme et fort peu intéressantes à moyen terme.
L'effort de promotion des énergies renouvelables doit se poursuivre. La question de la production de l'électricité et de son transport reste primordiale. Néanmoins, nous ne pouvons en rester là. Même si les énergies renouvelables ne semblent pas en mesure d'assurer l'intégralité de la production française à court terme, il n'en reste pas moins essentiel de développer leur usage. Dans cette optique, il apparaît important de permettre aux consommateurs de s'équiper à titre individuel en énergie solaire ou éolienne. Une telle incitation doit s'effectuer par le biais de mesures fiscales incitatives ou de prêts à taux préférentiel.
M. Bruno Sido, président - Je vous remercie. Ma première question portera sur un thème que vous avez déjà abordé : la libéralisation du marché. Après les gros consommateurs, puis les commerces et industries, le marché particulier de l'électricité s'ouvre à la concurrence le 1 er juillet 2007. Comment votre association se positionne-t-elle face à cette mutation annoncée ? L'estimez-vous bénéfique, en termes de droits comme en termes financiers, pour le consommateur, ainsi que cela l'a été dans le cas de la téléphonie mobile ?
Mme Reine-Claude Mader - L'ouverture du marché de la téléphonie mobile a donné lieu à une baisse sensible des tarifs. Si les dépenses des consommateurs en la matière ont augmenté de manière considérable, c'est tout simplement parce qu'ils téléphonent beaucoup plus qu'ils ne le faisaient avant. La comparaison avec l'énergie peut être intéressante, mais s'avère au final assez limitée, dans la mesure où il est impossible de se passer d'énergie. Chacun peut téléphoner moins pour préserver son budget, mais il n'est pas possible de vivre sans énergie. La marge de manoeuvre du consommateur s'avère donc réduite, même s'il reste possible d'effectuer des économies d'énergie.
L'ouverture du marché résulte d'une décision assez ancienne. Nous l'acceptons comme un fait accompli et nous ne nous prononçons pas contre la libéralisation du secteur. Plutôt que de se battre contre cette ouverture programmée et de dénoncer les décisions passées, l'association CLCV milite pour un choix éclairé : les consommateurs doivent pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Pour cela, ils ont besoin d'une information claire et accessible à tous égards. Les contrats et les clauses doivent être clairement rédigés. Par ailleurs, nous redoutons un phénomène identique à celui que nous avons constaté sur le marché de la téléphonie. Nous avons remarqué que certains nouveaux opérateurs proposent dans un premier temps des offres très attractives, afin de rafler une confortable part du marché, avant de modifier sensiblement leurs conditions tarifaires dans les mois qui suivent. Les contrats doivent être rédigés de manière claire et les conditions de résiliation doivent en outre être satisfaisantes.
Il nous faut ensuite revenir sur la question des tarifs réglementés. La CLCV a participé aux travaux de la CRE sur cette question. Compte tenu des informations à notre disposition, nous conseillons aujourd'hui aux consommateurs de conserver pour l'heure les tarifs réglementés. Nous considérons que les opérateurs ne nous ont pas fourni de garanties suffisantes sur les tarifs. Il ne s'agit pas d'une position de principe, mais d'un jugement pragmatique, sur la base des informations qui nous ont été transmises.
M. Bruno Sido, président - A ce propos, vous allez plus loin encore en demandant que les consommateurs qui optent pour le marché ouvert puissent revenir à tout moment aux tarifs régulés. Ce système a l'avantage pour le consommateur de le mettre en position gagnante dans tous les cas. Pouvez vous nous détailler votre position sur ce point ?
Mme Reine-Claude Mader - Comment les tarifs vont-ils évoluer au cours des prochaines années ? Nous réalisons que nous nous trouvons face à la boîte de Pandore. Personne n'est aujourd'hui capable de dire ce qui adviendra sur le plan tarifaire. Allons-nous assister à une baisse des prix ou risquent-ils au contraire de s'envoler ? Sur le marché des entreprises, nous avons pu constater que, dans certains cas, les prix avaient doublé en l'espace de quelques mois. J'ai eu connaissance de plusieurs exemples de ce type. Dès lors, nous estimons que les particuliers doivent pouvoir conserver le choix entre tarifs régulés et tarifs déréglementés. Aujourd'hui, il semble acquis que les particuliers pourront conserver aussi longtemps qu'ils le souhaitent le tarif régulé. Néanmoins, nous demandons, pour ceux qui ont fait le choix des tarifs déréglementés, sur la base d'une information qui se doit d'être claire, une possibilité de retourner aux tarifs régulés en cas d'explosion des tarifs. C'est un système de ce type qui a été mis au point récemment pour les moyennes entreprises.
M. Bruno Sido, président - Cette question a suscité de vifs débats.
Mme Reine-Claude Mader - Il n'est pas concevable de traiter moins bien les consommateurs que les entreprises.
M. Bruno Sido, président - En réalité, il n'y a pas de véritable retour possible aux tarifs régulés pour les entreprises.
Mme Reine-Claude Mader - C'est exact. Ils bénéficient tout de même d'une réduction importante. Nous ne remettons pas en cause la liberté de fixation des prix. Néanmoins, il nous apparaît souhaitable de fixer une fourchette raisonnable dans laquelle les prix doivent évoluer. Nous savons d'ores et déjà que, de par son statut, EDF pourra fixer des prix plus bas que ses nouveaux concurrents, qui ne seront en réalité que des courtiers en électricité.
En fait, à l'origine, nous n'étions pas opposés par principe à la libéralisation. Cette perspective nous semblait intéressante pour les consommateurs, même si nous craignions qu'ils ne soient quelque peu perdus dans un premier temps. En effet, des décennies de monopole ne sauraient être effacées en quelques mois. Les consommateurs avaient acquis la conviction qu'un tarif ne se négociait pas. De plus, ils étaient dans leur grande majorité satisfaits du système et d'EDF. Toutefois, l'exemple des moyennes entreprises nous a rendus plus méfiants. Les pouvoirs publics demandent aujourd'hui au consommateur de changer de système, mais quel intérêt a-t-il à basculer dans le nouveau dispositif ? Pour l'heure, le consommateur bénéficie d'une énergie fiable. Certains acteurs font valoir qu'ailleurs les tarifs ont baissé. Pourtant, nous avons relevé une certaine grogne chez les voisins européens qui ont déjà libéralisé le secteur. Dans ces pays, les consommateurs sont loin d'être satisfaits des changements. Que faire face à cette situation ?
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Je ne peux m'empêcher d'intervenir sur ce thème. Aujourd'hui deux principes s'affrontent. Le tarif régulé s'oppose aux principes du marché. Les tarifs régulés assurent une certaine solidarité ainsi que la mise en oeuvre des principes de mutualisation et de péréquation. Le marché libre ressemble quelque peu au poker : les risques de gagner existent, mais les risques de perdre sont tout aussi réels. En tant que représentante des consommateurs, pour quel modèle plaidez-vous ? Pouvez-vous être plus précise quant à vos positions sur ce thème ?
Mme Reine-Claude Mader - A l'origine, nous n'avons pas pris position contre la libéralisation du secteur. Nous avons simplement acté cette décision, prise à Bruxelles, avec l'accord des Etats-membres. Je suis cependant choquée par certaines obligations qui accompagnent la libéralisation. Ainsi, si je déménage après le 1er juillet, je me trouverai contrainte de quitter les tarifs réglementés. Il faut laisser la liberté à ceux qui veulent s'aventurer sur le marché et laisser aux autres la liberté de conserver les tarifs régulés.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Il faut également laisser la possibilité aux personnes qui ont accepté les tarifs dérégulés de revenir par la suite aux tarifs régulés.
Mme Reine-Claude Mader - Le cas échéant. Je m'aperçois que mes propos peuvent vous paraître incohérents. Cette position qui place le consommateur en situation de gagnant systématique peut sembler choquante. N'oublions pas cependant que ces mutations ne résultent en rien d'une demande des consommateurs. Ils y ont été contraints. Confrontés à ce changement, il est bien logique qu'ils tentent de tirer leur épingle d'un jeu dont ils n'ont pas fixé les règles.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous plaidez pour le droit à l'énergie et plus particulièrement pour le maintien de l'énergie chez les particuliers. Il s'agit là d'une démarche noble. Dans de tels cas, qui doit payer pour le maintien de l'énergie ?
Mme Reine-Claude Mader - Un fonds doit être créé et abondé régulièrement par tous les opérateurs. Nous sommes sortis du marché régulé. Néanmoins, le principe de solidarité nationale n'a pas disparu. Il continue à s'appliquer pour les personnes en difficulté.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous faites référence aux opérateurs. Ce terme doit-il être compris dans une acception large ou restreinte aux seuls acteurs de la distribution de l'énergie ou encore de sa production ? Qui, selon vous, doit finalement abonder ce fonds ?
Mme Reine-Claude Mader - Tous ceux qui occupent une position sur le marché de l'énergie, producteurs ou distributeurs, doivent abonder ce fonds. Ceux qui achètent l'énergie sur un marché libre avant de la redistribuer ne sauraient en être exempts.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous envisagez donc tous les acteurs du secteur de l'énergie ?
Mme Reine-Claude Mader - Exactement. Ce fonds doit être mis en place et il faut qu'il soit abondé par tous ceux qui font commerce de l'énergie à un stade ou à un autre.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Comment votre structure se positionne-t-elle sur le terrain des économies d'énergie ?
Mme Reine-Claude Mader - Nous avons une longue tradition dans ce domaine. Nous nous sommes toujours prononcés en faveur du développement du solaire et de l'éolien. Nous venons à ce sujet de créer une coopérative, nommée « Energi'c », pour permettre aux particuliers qui le souhaitent de s'équiper en panneaux solaires à des tarifs attractifs. Nous mettons ensuite ces personnes en contact avec les installateurs agréés, car nous avons remarqué une pénurie dans ce domaine. Il est aujourd'hui difficile de trouver à proximité de chez soi un installateur agréé. Ce constat explique d'ailleurs certainement la relative stagnation de l'énergie solaire en France. Après des débuts encourageants, le marché semble s'être quelque peu tassé. Parallèlement, nous agissons auprès des compagnies d'assurance, afin qu'elles couvrent les risques dénoncés par EDF au sujet de la revente par les particuliers de leurs éventuels surplus d'énergie. Les conditions d'assurance négociées par EDF étaient jusqu'à présent tellement exorbitantes qu'il était virtuellement impossible de revendre ce surplus de production.
De plus, nous avons récemment créé, avec le concours d'une association environnementale, un site sur les économies d'énergie, nommé « Top en ». Les consommateurs peuvent y retrouver les dix modèles les moins énergétivores pour chaque type d'équipement et d'appareil ménager. Ces deux outils sont récents, mais notre engagement en faveur des énergies renouvelables est nettement plus ancien.
M. Bruno Sido, président - Je voudrais revenir sur la production d'énergie en France. Quel est, selon vous, le bouquet énergétique idéal ?
Mme Reine-Claude Mader - S'il est primordial de conserver un certain équilibre, il m'est difficile d'avancer des chiffres précis. Nous devons à l'évidence développer le solaire et l'éolien, réduits pour l'heure à la portion congrue. Nous sommes cependant conscients du fait que le nucléaire et le thermique continueront à contribuer de façon majoritaire à la production d'électricité dans les années à venir. Parallèlement, les réserves de charbon semblent aujourd'hui encore très importantes. Pour autant, nous ne saurions négliger le fait que cette énergie s'avère très polluante. L'arbitrage sur ce plan n'est pas évident.
Il m'est impossible de chiffrer la part souhaitable de chaque type d'énergie dans notre bouquet futur. Le nucléaire est voué à conserver une place prédominante dans un futur proche, même si nous parvenions à nous doter d'un parc éolien très développé. En ce qui concerne le gaz plus particulièrement, il nous faut garder à l'esprit que la France n'est pas productrice et qu'elle reste dépendante des marchés internationaux. Les réserves actuelles doivent pouvoir couvrir les besoins pour les trente prochaines années. Il nous faut tenir compte de tous ces éléments pour définir un nouvel équilibre. Pour autant, je doute que quiconque soit en mesure d'arrêter la part exacte de chaque énergie.
M. Bruno Sido, président - Je souhaite pour ma part vous poser une dernière question. Vous avez l'occasion de travailler régulièrement avec d'autres organisations de consommateurs européennes. Selon vous, les consommateurs européens ont-ils pleinement pris conscience des enjeux de sécurité d'approvisionnement en énergie et de ses conséquences sur l'organisation, la concurrence et l'interconnexion ?
Mme Reine-Claude Mader - L'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie a été très largement débattue au sein de toutes les associations de consommateurs. J'appartiens pour ma part au Bureau européen des associations de consommateurs et au Groupe d'études des associations de consommateurs auprès de la Commission européenne. J'ai pu constater que ce thème constitue une préoccupation majeure dans de nombreux pays. Sur cette question, les pays qui viennent d'entrer dans l'Union européenne semblent avoir une approche différente. A ma connaissance, aucune association issue d'un pays membre de longue date de l'Union n'a milité en son temps pour l'ouverture des marchés énergétiques. Toutes estiment en fait que l'Etat doit jouer un rôle prédominant dans ce secteur particulier. La fonction de régulateur reste à leur sens prépondérante. Elles s'interrogent en outre sur l'évolution des prix de l'énergie et craignent que la libéralisation n'aboutisse à une augmentation des coûts. Cette crainte est d'autant plus prégnante que la part du budget des ménages consacrée à l'énergie est déjà lourde.
En revanche, les questions de sécurité d'approvisionnement n'ont pas encore véritablement retenu l'attention des associations de consommateurs. Ce constat devrait d'ailleurs nous faire réfléchir. Nous vivons aujourd'hui dans une société qui considère que l'énergie est un droit et que l'approvisionnement ne peut être réellement menacé. Personne n'imagine que nos pays puissent être confrontés à une pénurie d'énergie. Il va de soi pour nous que tous pourront bénéficier demain d'électricité sans aucune restriction. Dès lors, sur ce sujet, d'autres préoccupations priment, qui relèvent de l'aspect environnemental, de la répartition, de la provenance et plus encore des prix, mais chacun semble se détourner de la question de l'approvisionnement.
A Bruxelles, nous débattons beaucoup de la libéralisation des services d'intérêt général. Nous constatons d'importantes réticences dans certains cas. L'énergie en fait partie. Les directives sur la question sont assez anciennes. Nous avons eu l'occasion de le rappeler à ceux qui l'avaient oublié. Notre association a étudié ces textes en détail. En quelque sorte, nous avions quelque peu remisé cette préoccupation, tant les textes tardaient à entrer en vigueur. Aujourd'hui, les particuliers et les consommateurs se réveillent. Ils doivent aujourd'hui reprendre des dossiers qu'ils avaient quelque peu délaissés. Le choc a été réel lorsque la CRE a ouvert les travaux sur la libéralisation des services aux particuliers. Il en a d'ailleurs été de même dans d'autres pays au moment de l'ouverture du dossier.
Mme Nicole Bricq - Vous jugez le bon approvisionnement de notre pays comme un fait acquis.
Mme Reine-Claude Mader - C'est ainsi en général dans l'esprit du public.
Mme Nicole Bricq - Les associations de consommateurs font aussi partie du public. Une telle position m'interpelle. Nous entrons aujourd'hui dans un monde où l'approvisionnement risque de devenir de plus en plus aléatoire, notamment pour l'Europe. Dans la mesure où vos associations jouent un rôle pédagogique certain auprès des consommateurs, ne pensez-vous pas que vous pourriez participer à la prise de conscience du public sur ce sujet ? C'est certainement ainsi qu'émergeront de nouvelles attitudes sur les économies d'énergie et les modèles de consommation dominants.
Mme Reine-Claude Mader - Nous constatons aujourd'hui chez les consommateurs un véritable mouvement en faveur de l'éco-consommation. Cette notion recouvre de nombreux domaines, tels que l'électricité ou le traitement des déchets.
Mme Nicole Bricq - Cette mutation du comportement des consommateurs s'accompagne en parallèle d'une mutation chez les industriels.
Mme Reine-Claude Mader - Nous considérons que l'éco-consommation va de pair avec l'éco-conception. Les industriels doivent faire un effort de leur côté. Dans le domaine de l'habitat, ces derniers se doivent de développer des solutions économes en énergie. Les économies d'énergie résulteront, d'une part, d'un effort des particuliers et, d'autre part, d'un effort des industriels. J'estime que notre association, lorsqu'elle crée des comparateurs ou lorsqu'elle prend des initiatives en faveur du solaire, assume son rôle pédagogique auprès du consommateur.
Ce sont les débats sur le nucléaire qui nous ont amené à agir en la matière. Sans être opposés par principe à cette énergie, nous estimons qu'il est actuellement souhaitable de réduire sa part. Nous avons donc réfléchi aux possibilités de substitution. Cette prise de position est bien antérieure aux discussions sur le réchauffement climatique. Il nous faut aujourd'hui intégrer les émissions de dioxyde de carbone dans notre réflexion. En cela, le nucléaire apparaît avantageux, mais la question des déchets ne saurait être évacuée pour autant. Au-delà, le poids des lobbies reste important. En tant qu'association de consommateurs, nous essayons d'éduquer le public. Reste à savoir ce que nous pouvons faire en tant que consommateurs et association de consommateurs pour contrer les lobbies qui tentent de freiner la progression de nouvelles énergies.
Si le solaire ne s'est pas développé autant qu'il aurait pu le faire en France, c'est parce que les chercheurs n'ont montré aucun engouement pour ce thème. Leur engagement demeure en effet une condition sine qua non du développement des énergies renouvelables. C'est ainsi que se développeront de nouvelles constructions moins énergétivores.
Il faut arrêter de culpabiliser en permanence le consommateur et de le rendre responsable de tous les maux. En fait, les consommateurs se bornent à faire des choix parmi un panel d'offres. Ils ne peuvent acheter que ce qu'ils trouvent sur le marché. Les associations de consommateurs peuvent, de leur côté, les sensibiliser, afin qu'ils optent pour les solutions les moins polluantes. Au-delà, nous ne sommes pas responsables de l'éco-conception, même si nous rencontrons régulièrement les industriels.
Je suis choquée par cette tendance qui vise à mettre systématiquement le consommateur en position d'accusé. Les reproches pleuvent. En ce qui concerne par exemple les machines à laver, les modèles haut de gamme et, par conséquent, les modèles les plus chers sont les moins énergétivores. Les modèles bas de gamme consomment nettement plus d'énergie. Les consommateurs vont bien souvent préférer les seconds, dont le prix tourne autour de 400 euros. Comment faire en sorte que ces modèles énergétivores disparaissent du marché et soient remplacés par des modèles plus respectueux de l'environnement et aussi accessibles ? Il en va de même pour les bâtiments. Les solutions d'éco-conception restent inabordables pour la majeure partie des consommateurs. Comme beaucoup, j'aurais envie d'une maison moins consommatrice en énergie. Cependant, je ne peux me le permettre. Comment peut-on rendre ces solutions plus accessibles ?
Seule une mobilisation d'ampleur pourrait permettre de contourner ces difficultés. Ce n'est que récemment que les pouvoirs publics se sont mobilisés sur cette question. Le Conseil économique et social, auquel j'appartiens, s'est penché dernièrement sur ce sujet. Nous avons eu l'occasion d'entendre des responsables d'EDF, qui nous ont avoué à demi-mot ne s'intéresser véritablement à l'éolien que depuis quelques années.
M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous vous prononcez tout naturellement en faveur du développement des énergies renouvelables. Dans mon département, neuf projets éoliens ont été montés au cours des dix-huit derniers mois. J'ai été amené à participer à trois réunions dans les communes sur lesquelles devraient être implantées les éoliennes. J'ai pu constater qu'une association très virulente et très active contre ces projets a vu le jour récemment. Elle s'invite depuis à toutes les réunions sur le sujet. Les maires qui prennent position pour ces implantations se retrouvent chahutés par ces personnes, alors qu'ils doivent déjà faire face à la tiédeur de leur conseil municipal.
Face à cela, je n'ai jamais rencontré dans ces réunions d'associations de consommateurs venues défendre ce type de projet. Alors que les neuf dossiers se trouvent aujourd'hui à un stade avancé, je crois que seuls deux pourront voir le jour, en raison de la virulence de l'opposition. Nous avons besoin d'un réflexe citoyen. Nous devons réfléchir à une organisation rassemblant tous ceux qui sont favorables au développement de l'éolien. Je crois que, dans cette optique, vos associations ont un rôle important à jouer. Sans une telle mobilisation, les maires vont rapidement renoncer. Ils doivent faire face à une coalition impressionnante contre eux. Leurs mairies sont parfois taguées. Des villages de quelques centaines d'habitants voient s'organiser chez eux une manifestation, alors qu'ils n'en avaient pas connue depuis plusieurs décennies. Nous pouvons aisément comprendre que cela les refroidisse. Bien entendu, la venue d'un sénateur n'arrange rien à cela.
Mme Reine-Claude Mader - A ma connaissance, aucun membre de mon association ne s'est déplacé sur le terrain pour défendre ces projets. Néanmoins, nous n'avons jamais reçu de demande dans ce sens. J'habite en Picardie, dans une région en pointe sur l'éolien. Un long travail d'explication au niveau local est souvent nécessaire avant d'obtenir l'accord des populations locales. En tant que citoyenne et non en tant que responsable d'association, j'ai participé à plusieurs réunions de concertation sur ces sujets. J'ai pu constater qu'il n'était pas simple de s'élever contre ceux qui contestent de tels projets. Les propos de ces personnes à l'égard des défenseurs de l'éolien sont souvent très virulents. Au-delà, je crois que le travail d'explication des enjeux n'est bien souvent pas correctement effectué. Il faut faire comprendre aux citoyens qu'il s'agit là d'une question primordiale pour notre avenir. Si l'on ne recourt pas à de telles solutions, nous mettons en péril notre approvisionnement énergétique.
Cependant, j'ai pu voir fleurir autour de moi des initiatives qui démontrent un changement de mentalité. Ainsi, dans certaines villes, l'éclairage public est désormais alimenté par l'énergie solaire. Ces projets ont été acceptés sans difficulté car ils permettent de réaliser rapidement des économies. Les éoliennes suscitent en revanche plus de réticences. Néanmoins, dans certains cas, en déplaçant leur implantation, les maires obtiennent l'accord de la population.
Il serait bon de réfléchir à la manière d'associer les citoyens à la prise de décision. Quelques progrès ont été réalisés sur ce plan au cours des dernières années. Les réunions de concertation permettent de sensibiliser la population et de tenir compte d'éventuelles réticences. Ce dialogue avec des administrés qui exposent leurs craintes permet d'aménager les décisions et de les rendre plus acceptables. L'exemple des convois de déchets nucléaires est à ce sujet éclairant. Il est important de nouer un dialogue et tenter de convaincre ces personnes inquiètes. Cependant, il n'est pas aisé d'organiser des réunions publiques, lorsque les opposants à un projet se font virulents. Certains groupes sont présents en force dans toutes les réunions et scandent à l'envi leur message. Face à eux, ceux qui soutiennent le projet n'ont d'autre choix que de se taire.
M. Bruno Sido, président - Je vous remercie pour vos réflexions, qui vont assurément enrichir notre rapport.
Mme Reine-Claude Mader - Je me permets de vous laisser un document de la CLCV sur le sujet, qui pourra certainement compléter les discussions que nous avons eues aujourd'hui.