C. À LA RECHERCHE DU MEILLEUR PRÉLÈVEMENT SOCIAL
Depuis des années, le débat est lancé sur la nature des prélèvements sociaux, l'efficacité de leur rendement et leur impact économique. Aujourd'hui, la demande prioritaire adressée à notre mode de financement de la protection sociale, jugé trop axé sur l'emploi et les salaires, semble être avant tout de permettre d'améliorer la compétitivité de l'économie et de limiter les risques de délocalisations.
Cette exigence est évidemment parfaitement justifiée. Mais il s'agit aussi de mesurer ce qu'elle signifie en termes de recettes pour la sécurité sociale.
Dans son rapport de juillet 2007, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a fourni un éclairage utile sur l'évolution des dépenses de santé depuis plus de cinquante ans, sur leurs perspectives d'évolution ainsi que sur les besoins financiers considérables qu'elles vont nécessiter à long terme.
Ainsi, avec un taux de progression des dépenses supérieur d'au moins un point à la croissance du Pib d'ici à 2025, il conviendra de trouver un supplément de recettes pour l'assurance maladie de l'ordre de quatre points de Pib cette même échéance. Les causes en sont bien connues : croissance de la population, vieillissement, dépendance et soins de plus en plus onéreux.
Pour y faire face, des gains de productivité et des mesures d'économie seront nécessaires mais insuffisants et des recettes nouvelles devront aussi être rapidement trouvées .
Il faut d'ailleurs observer que le très fort attachement des Français au système actuel de protection sociale rend leur consentement à de nouveaux efforts collectifs probable dès lors que ces efforts ne seront pas gaspillés et seront équitablement prélevés.
Plusieurs possibilités existent. Au-delà des mécanismes de franchises et de restes à charge actuellement étudiées, les débats en cours concernent essentiellement la mise en place d'une TVA sociale et, parfois aussi, la création de nouvelles taxes.
1. La TVA sociale
Le principe de la TVA sociale est de substituer une fraction de TVA à des cotisations sociales payées par les entreprises, c'est-à-dire d'augmenter son taux en contrepartie d'une réduction de celles-ci.
a) Les avantages habituellement attendus de la TVA sociale
Pour ses partisans, elle présente essentiellement deux avantages :
• un rendement
élevé
La TVA est aujourd'hui la première recette fiscale de l'Etat, avec un rendement net de 127,4 milliards d'euros en 2006. Un point de TVA au taux normal représente 5,73 milliards d'euros selon les données du ministère de l'économie et des finances.
Cela signifie qu'une hausse de quelques points de la TVA peut valablement contribuer au financement d'une baisse non cosmétique des cotisations patronales de sécurité sociale.
• un moyen d'améliorer la
compétitivité des entreprises
La TVA sociale entraîne en effet une baisse du coût du travail grâce à la diminution des cotisations patronales, ce qui permet de diminuer les écarts de coûts dans les prix de revient constatés dans les comparaisons avec les entreprises d'autres pays.
Elle a surtout pour conséquence de taxer à un niveau plus élevé les produits importés et, à l'inverse, de détaxer davantage les produits exportés.
Au total, la TVA sociale permet d'améliorer la compétitivité des entreprises, de rendre moins attractifs les produits importés, de faciliter les exportations et surtout, elle constitue un moyen de lutter contre les délocalisations et de favoriser l'emploi grâce à un coût du travail réduit.
b) De réelles interrogations
Malgré ses avantages, la TVA sociale n'en suscite pas moins de réelles interrogations, tant sur un plan économique que du point de vue de sa mise en oeuvre pratique.
• des effets économiques
incertains
De nombreux travaux, études, modélisations ont été menés par des économistes et des experts au cours des derniers mois. Ils conduisent généralement à remettre en cause l'avantage comparatif attendu de la TVA sociale mais aussi et surtout à pointer un réel risque inflationniste.
- Quel avantage comparatif ?
L'instauration de la TVA sociale ne revient-elle pas en fait à mettre en place une forme de dévaluation déguisée ? Et dans ce cas, comme pour toutes les dévaluations, elle ne présenterait qu'un avantage à court terme , les problèmes de compétitivité de l'économie demeurant dès cette première période passée.
Il faut bien voir en effet que la TVA ne peut constituer une réponse de fond au problème de la compétitivité de la France qui dépend bien plus de sa capacité à innover et à améliorer sa productivité.
En outre, si nos voisins européens nous imitent, les gains de compétitivité obtenus disparaîtront. Douze pays de l'Union européenne ont déjà un taux normal de TVA supérieur au nôtre. La marge de la France est d'ailleurs relativement étroite, 5,4 points au plus, car le taux normal maximum de TVA admis par les normes européennes est de 25 %. La mesure qui pourrait être prise serait dès lors une sorte de « mesure à un coup ».
Pour ce qui est des pays émergents, le décalage de compétitivité est tel aujourd'hui que cette mesure ne changera que peu de choses par rapport à leur avantage actuel. Leur concurrence sera-t-elle vraiment contrariée avec une TVA à 25 % alors que les écarts de coûts et de prix de revient peuvent varier de 1 à 20 ?
Peut-on d'ailleurs être assuré d'un changement de comportement des consommateurs à l'égard des produits importés du seul fait qu'ils deviendraient plus onéreux ?
- Un risque inflationniste avéré
L'effet inflationniste est d'abord certain pour les produits importés.
En outre, si les entreprises ne répercutent pas les baisses de charges dans leurs prix, surtout lorsqu'elles voudront profiter de cette opportunité pour reconstituer leurs marges, les prix TTC s'accroîtront.
Comment garantir le civisme des entreprises sur les prix ? L'économiste Thomas Piketty considère qu'en France, faute de discipline sur les prix, « la hausse des prix jouerait à 60 % du différentiel de baisse des charges selon les secteurs ». Les entreprises cherchent en effet toujours, d'une manière ou d'une autre, à accroître leurs bénéfices.
On a d'ailleurs calculé que si les baisses de charges ne sont pas du tout répercutées, une augmentation de cinq points du taux normal de TVA se traduirait par une hausse de quatre points de l'inflation française.
Enfin, les effets de la TVA sociale seront limités en cas de hausse des salaires. Or, celle-ci pourrait apparaître rapidement, soit du fait de la baisse des charges et d'un transfert au moins en partie de celle-ci vers les salaires, soit en raison du surcroît d'inflation lié à la hausse du taux de TVA. Dans ce cas, le coût du travail ne se réduira pas et les effets en termes de baisse des prix et de hausse de l'emploi ne se produiront pas.
Il convient également de souligner qu'en France, très nombreux sont les revenus, prestations ou autres avantages indexés sur la hausse des prix, ce qui ne pourra, là encore, que contribuer à limiter l'impact positif sur l'emploi attendu de la TVA sociale.
Une étude récente tente de chiffrer les effets économiques de l'instauration d'une TVA sociale de cinq points. Sur un plan négatif, l'augmentation des prix au bout d'un an pourrait atteindre 1,7 % ce qui est loin d'être négligeable et qui signifierait donc regain d'inflation et perte de pouvoir d'achat. D'un point de vue positif, en augmentant les prix des biens étrangers par rapport aux biens français, elle est efficace pour redonner de la compétitivité aux entreprises. Elle produit un effet expansionniste à court terme sur les exportations, la production et l'emploi, évalué à un point de croissance et presque 200 000 emplois. Mais, tant la perte de pouvoir d'achat que le gain de croissance et d'emploi s'estompent rapidement, car les salaires s'ajustent sur l'augmentation des prix. A long terme, l'effet est même légèrement négatif, en partie car la TVA n'est pas seulement payée par les consommateurs mais également par les entreprises, pour environ 15 % du produit de la taxe, grevant ainsi leur investissement.
Source : Documents de travail de la DGTPE - Maylis
Coupet et Jean-Paul Renne,
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• des expériences
étrangères en nombre limité
Les expériences étrangères ne sont, à cet égard non plus, pas entièrement probantes. Le Japon a pratiqué des hausses de TVA en 1997 qui se sont révélées désastreuses. Au Danemark et en Allemagne, le bilan de l'instauration d'une TVA sociale doit être examiné au regard des caractéristiques propres de chacune de ces deux économies, assez différentes de la nôtre. En outre, les décisions sont intervenues à chaque fois dans un contexte conjoncturel particulier.
A la fin des années quatre-vingt, le Danemark connaît une grave crise économique, avec une dette extérieure proche de 40 % du Pib et une forte inflation. Le pays doit faire face à un problème crucial de compétitivité. Il s'agit avant tout de protéger le secteur des exportations, l'économie danoise étant très ancrée dans le commerce international. Pour endiguer la récession, il est donc décidé, entre 1987 et 1989, de mettre en oeuvre une vaste réforme fiscale incluant notamment l'augmentation de la TVA de 22 % à 25 % pour compenser la baisse de 3 % et, de fait, la quasi-disparition des charges patronales. Le choix s'est porté sur la TVA car son accroissement avait moins d'impact sur la main-d'oeuvre, son coût étant supporté par tout le monde et non par les seuls salariés. Il était également interdit aux entreprises d'augmenter leurs prix. Le bilan de cette mesure est complexe car la bonne tenue de l'économie danoise qui s'en est suivie (baisse du chômage, excédent budgétaire, etc.) n'est probablement pas uniquement liée à la TVA sociale. Certes, l'impact inflationniste y a été relativement limité. Mais, de l'avis même d'économistes danois, un tel dispositif, à caractère protectionniste, ne fonctionne en fait qu'à court terme car, après un temps, le coût du travail recommence à augmenter.
La TVA sociale en Allemagne
Au 1 er janvier 2007, l'Allemagne a augmenté son taux normal de TVA, alors l'un des plus bas de l'Union européenne, de 16 à 19 % (1) . Il ne s'agit toutefois pas à proprement parler d'une TVA sociale, car, sur les trois points de hausse, deux points doivent permettre de réduire la dette de l'Etat, le dernier point seul ayant permis de ramener les cotisations chômage de 6,5 à 4,5 %. Il est encore un peu tôt pour établir un bilan de cette mesure. Toutefois, malgré la volonté, en partie réalisée, de baisse des marges des entreprises (dont il faut souligner qu'elles étaient confortables au moment où la mesure a été décidée) et de modération salariale, les économistes semblent déjà percevoir un léger impact inflationniste. En matière de compétitivité des entreprises, on manque encore de recul mais les entreprises allemandes sont déjà très compétitives.
(1)
Cf. rapport d'information
n° 439 (2005-2006) d'Alain Vasselle
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• des obstacles pratiques majeurs
Le premier de ces obstacles tient au niveau de fraude à la TVA , déjà élevé en France, et incontestablement supérieur à celui qui touche les cotisations sociales. Par ailleurs, on observe actuellement un fort développement de ce phénomène de fraude sur tout le territoire de l'Union européenne.
Un taux de TVA à 25 % ne pourrait donc que favoriser le développement d'une économie grise.
Au-delà de cette considération, c'est essentiellement la mise en place pratique de la TVA sociale et donc du transfert de points de cotisations patronales vers des points de TVA qui se heurterait à de réelles difficultés.
En effet, si le taux de cotisation maladie des employeurs est actuellement de 12,8 %, il n'est plus que de 2 % au niveau du Smic et même, depuis le 1 er juillet dernier, de zéro à ce même niveau pour les entreprises de moins de vingt salariés.
De la même façon, le taux de cotisation employeur au titre de la famille est de 5,4 % dans le barème global mais de zéro au niveau du Smic.
Barème actuel des cotisations sociales employeurs |
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Taux |
|||
Barème global |
Au niveau du Smic |
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Taux sous le plafond |
au-dessus du plafond |
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Maladie |
12,8 |
12,8 |
2,0 (1) |
AT-MP |
2,2 |
2,2 |
2,2 |
Retraite |
9,8 |
1,6 |
0,0 |
Famille |
5,4 |
5,4 |
0,0 |
Régimes complémentaires |
5,7 |
13,3 |
5,7 |
Chômage |
4,0 |
4,0 |
4,0 |
Autres |
1,2 |
1,5 |
1,2 |
TOTAL |
41,1 |
40,8 |
15,1 |
dont sécurité sociale |
30,2 |
22,0 |
4,2 |
(1) L'article 41 de la loi de finances pour 2007 a supprimé totalement ces deux derniers points de cotisations pour les entreprises de moins de vingt salariés. |
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Source : Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - DGTPE - 21.12.2005 |
Comment peut-on dès lors transférer des points de cotisations patronales vers des points de TVA sociale au niveau du Smic, la question continuant à se poser presque jusqu'au seuil d'application des allégements généraux de cotisations sociales, soit 1,6 Smic ?
Faudra-t-il créer une sorte de crédit d'impôt, une prime pour les entreprises qui ne pourront bénéficier d'une baisse supplémentaire de leurs charges ? Quel en sera le coût ?
Comment ces entreprises pourront-elles répercuter une baisse purement virtuelle de charges dans leurs prix ?
Pour ces entreprises en tout cas, l'effet attendu en matière d'emploi ou de non délocalisation devrait être nul.
Votre commission estime que toutes ces questions devront trouver une réponse avant une éventuelle décision, y compris d'expérimentation, de mise en place, dans notre pays, d'une TVA sociale.
2. Une taxe nutritionnelle ?
En vigueur au Canada et dans dix-huit Etats américains, la taxe nutritionnelle s'applique à des aliments jugés non satisfaisants sur le plan diététique, comme les boissons sucrées, les sodas, les chips, etc.
Le principe d'une telle taxe a d'ailleurs été évoqué par Jean-François Chadelat dans son rapport consacré aux problèmes de financement du Ffipsa comme l'une des pistes qui pourraient permettre de combler le déficit abyssal de ce fonds.
Selon les critères retenus et le champ d'application qui serait adopté pour cette taxe, le rendement de celle-ci pourrait être compris entre 200 millions et un milliard d'euros.
Outre son rendement, une telle taxe satisferait un objectif sanitaire important au moment où l'obésité progresse de façon extrêmement rapide dans notre pays.