II. LA DÉRIVE VIOLENTE DES SUPPORTERS

A. MYTHES ET RÉALITÉS DE LA VIOLENCE DES SUPPORTERS

Si la violence dans les enceintes sportives est une réalité, elle prend différentes formes que vos rapporteurs ont souhaité analyser, afin d'apporter les réponses les plus pertinentes à ces débordements.

1. Le hooliganisme n'est pas né au XXe siècle

La thèse selon laquelle les stades sont de plus en plus violents est une idée reçue , en tout cas dans le long terme. En effet, à Constantinople aux V e et VI e siècles, les spectateurs de courses de chars ont déclenché des manifestations de violence si impressionnantes qu'en comparaison, selon Allen Guttman, les émeutes contemporaines paraissent pacifiques 30 ( * ) . Ils ont ainsi brûlé l'hippodrome de la ville en 491, 507 et 532. L'armée était également régulièrement appelée à la rescousse afin de mettre fin aux désordres liés à la violence des supporters, et son intervention aurait sauvé de justesse le règne de Justinien en 532.

Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la violence sportive semble avoir globalement diminué . Norbert Elias et Eric Dunning ont ainsi démontré que les règles contemporaines du jeu sportif s'étaient constituées dans le cadre d'un mouvement tendanciel de pacification de la violence dans les sociétés occidentales 31 ( * ) , phénomène qu'ils qualifient de « processus civilisateur ». La parlementarisation du conflit politique en Angleterre s'accompagne ainsi du développement du sport comme passe-temps, la violence rituelle remplaçant les guerres menées auparavant. Parallèlement, de même que les pratiques politiques sont pacifiées, les loisirs des aristocrates sont davantage encadrés et organisés, notamment sous la forme d'associations connues sous le nom de « clubs ».

Georges Vigarello 32 ( * ) , remarque ainsi qu'il n'y a « aucune comparaison possible entre la soule et le rugby, ou entre le hurling et le football. Dans un cas, des coups quasi licites, un plaisir presque avoué au déferlement brutal, dans l'autre, une multiplication d'interdits, quelquefois bafoués bien sûr, mais toujours contrôlés ».

Le paradoxe est donc que la ritualisation des pratiques sportives n'a pas forcément entraîné une diminution des affrontements dans les espaces réservés au public, voire les a renforcés .

2. Radiographie de la violence dans les stades

a) Violence des ultras et des hooligans

Dans la plupart des rencontres sportives, le soutien à l'équipe et la disqualification éventuelle de l'adversaire s'expriment à travers des formes rigoureusement codifiées et ritualisées (voir supra I. B).

95 % des matchs ont ainsi lieu sans qu'aucun incident ne se produise 33 ( * ) . Ce n'est qu'occasionnellement que les comportements de supporters dégénèrent en actes violents. La plupart du temps, notamment lorsqu'il s'agit de violences commises par des supporters traditionnels ou ultras, ces dérapages sont liés au contexte spécifique de la partie.

Toutefois, à ces turbulences partisanes sporadiques des ultras, s'oppose la recherche systématique de l'affrontement brutal dans l'enceinte ou la périphérie des stades, par ceux que l'on nomme les hooligans, et pour lesquels la rencontre sportive n'est qu'un prétexte secondaire.

Ainsi doit-on distinguer la violence des jeunes supporters classiques, militants de la cause de leur club et celle des hooligans notamment étrangers, à l'affût de bagarres, y compris lors de matchs auxquels ne participe pas leur équipe favorite.

Ces formes de violence gratuite, qui ne s'inscrivent plus qu'accessoirement dans la logique partisane de la confrontation sportive, se sont fortement développées dans les années 1980 dans les foyers de supportérisme dur de l'Europe du nord mais, aussi, à un moindre niveau, en France. Cette apparition du hooliganisme marque le passage d'une violence ritualisée et dionysiaque, relative à la logique du lieu, à une violence d'une nature différente exercée de manière préméditée et organisée. Du fait de l'amélioration du contrôle dans les stades, liée notamment à l'utilisation de la vidéosurveillance, les batailles rangées entre hooligans rivaux ont davantage lieu hors des enceintes sportives. Ils répondent ainsi à des provocations échangées par SMS ou par Internet dans la semaine précédant le match et se donnent rendez-vous sur « terrain neutre ».

Il reste que le phénomène du hooliganisme se caractérise au départ par un moment de crise bien délimité dans le temps, le match de football , qui se déroule de façon répétitive et prévisible , d'autre part un lieu de crise permanent et localisé dans l'espace urbain , le stade, qui s'étend à d'autres zones urbaines : la gare, les itinéraires empruntés par les supporters, les quartiers commerciaux et le centre-ville. Ce constat appelle des solutions bien précises au problème de la violence des supporters (voir infra II. C.).

* 30 Allen Guttmann , Sports spectator , Columbia University Press, 1986.

* 31 Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et violence, la violence maîtrisée , Fayard, 1994.

* 32 Georges Vigarello, « Les deux violences sportives », Esprit, n° 104-105, août/septembre 1985.

* 33 La Ligue professionnelle de football impose que les directeurs de la sécurité des clubs professionnels lui transmettent, dans les 72 heures suivant la rencontre, des rapports d'après matchs rapportant tous les incidents qui ont eu lieu à l'intérieur et à l'extérieur des stades.

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