CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
I. CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE
Le groupe socialiste a manifesté très tôt son inquiétude au sujet de la vigilance de l'État actionnaire quant aux retards de production et de livraisons d'Airbus. Une première résolution aboutissant à une commission d'enquête sénatoriale lui a été refusée au début de décembre 2006. Toutefois une mission d'information menée par la commission des affaires économiques a adopté un rapport cosigné par Jean-François Legrand et Roland Ries le 27 juin 2007. Entretemps les retards s'étaient transformés en difficultés industrielles majeures. A ce mauvais feuilleton s'ajoutait l'épisode du 3 octobre 2007 où la presse faisait état de la transmission au parquet de Paris d'un rapport préliminaire d'enquête de l'Autorité des marchés financiers, tendant à établir des soupçons de délits d'initiés de la part de dirigeants et actionnaires d'EADS. Pour la deuxième fois le groupe socialiste demandait alors la constitution d'une commission d'enquête. Elle lui fut à nouveau refusée.
Ce rappel n'est pas que de procédure. Si nous avons salué la réactivité du président de la commission des finances à engager une série d'auditions deux jours seulement après la révélation des faits au grand public, nous constatons finalement qu'elle a permis à Madame la ministre de l'économie et des finances d'organiser sa propre enquête et de déclarer devant les sénateurs dès le 11 octobre 2007 « les services de mon ministère se sont acquittés de l'exercice de leur mission de la façon la plus professionnelle et la plus irréprochable que l'on puisse attendre des services de l'État » !
Or, la série d'auditions n'aura pas permis de lever les doutes et les interrogations quant à l'attitude de l'État. Une commission d'enquête y serait-elle parvenue ? Peut-être pas. Mais au moins aurait-elle permis au Sénat de mener une investigation complète, de confronter les points de vue, de déplacer majorité et opposition au même niveau d'information et d'éviter ainsi les démarches solitaires. Sans doute faudrait-il trouver une formule qui réponde à trois critères : souplesse, rapidité et pluralisme. Il est souhaitable que le Sénat s'y emploie sans tarder.
On comprendra dès lors que nos interrogations et nos doutes perdurent sur quatre sujets.
1) Le rôle de l'État actionnaire
Aux dires des acteurs auditionnés, l'État actionnaire :
- ne pouvait rien faire d'autre que de vérifier par le biais de la Sogeade que les conditions du pacte d'actionnaires étaient respectées ;
- ne savait rien puisqu'on ne lui disait rien et que le « management lui-même ne savait rien » des difficultés industrielles du programme A380 ;
- était empêché d'agir au sein d'EADS par le pacte le pacte d'actionnaires de 1999 remanié en 2000 bien que l'État y fut indirectement certes, mais réellement représenté par le biais de la SOGEADE et que le pacte confère à l'État le rôle « de seul partenaire susceptible de soutenir le projet sur la durée »
Nous devons donc comprendre que les administrateurs ne se parlaient pas et que l'information était rigoureusement cloisonnée.
Quant aux retards, on nous a expliqué qu'ils étaient normaux dans de tels programmes, ce qui est avéré, mais que leur nature et l'ampleur des difficultés industrielles n'étaient pas parvenues au sein du conseil d'administration. Nous devions donc en conclure que l'on s'y préoccupe davantage du cours de l'action que d'un projet pourtant hautement stratégique pour l'industrie nationale et le commerce extérieur de la France.
2) La circulation de l'information au sein de l'appareil d'État
Nous ne souscrivons pas à la formule de « muraille de Chine » employée à de multiples reprises par nombre d'intervenants. On nous l'a répété à l'envi : l'État ne savait rien et quand il savait, la confidentialité était impérative. Nous considérons que les représentants de l'État n'ont pas été curieux et que leur silence peut dès lors être interprété.
Nous nous étonnons que le Premier ministre considère ne pas avoir à s'occuper des contingences d'un programme qu'il déclare pourtant « hautement stratégique ».
Son ministre des transports qui réactualise à la baisse le calendrier des livraisons tenu par le biais de la DGAC, s'inquiète t-il ? Fait-il part à Matignon de cette inquiétude ? Nous ne le saurons pas.
L'Agence des participations de l'État, si elle mentionne de manière manuscrite dans sa note du 20 janvier 2006 « les bruits », ses responsables nous déclarent qu'il s'agit des bruits de marché et certainement pas des difficultés industrielles.
Si elle tient le rôle entre autres d'analyste pour le compte de l'État, ne doit-elle pas s'enquérir de la bonne marche du projet ? Si elle veille à l'intérêt patrimonial de l'État ne doit-elle pas s'y intéresser quand elle ne peut ignorer que l'État a consenti des avances remboursables à Airbus gagées sur les livraisons d'avions ?
Nous partageons l'appréciation formulée sur l'Agence par la Cour des comptes dans son rapport public 2008. S'appuyant sur la recommandation formulée dans la note du 20 janvier 2006, la Cour écrit : « en l'espèce, l'Agence s'en est tenue à une approche strictement patrimoniale donc résolument partielle au regard des intérêts stratégiques de l'État actionnaire. Si la proposition [de vendre] de l'Agence n'a pas été ensuite suivie, c'est dans le cadre d'un processus d'arbitrage ministériel et interministériel de traitement du dossier EADS dont la traçabilité s'est révélée particulièrement défectueuse ».
A ce stade et au suivant, c'est-à-dire celui de l'option levée par la Caisse des dépôts et consignations sur les actions cédées par l'actionnaire privé Lagardère, le circuit de l'information au sein des cabinets ministériels et de l'Elysée ne sera pas élucidé. Cette opacité cachée derrière la confidentialité ne nous rassure pas sur les fonctions d'arbitrage de l'État, les lieux où se prennent les décisions et les facteurs qui les motivent.
Ajoutons enfin que dans cette affaire l'endogamie des acteurs amplifie notre trouble et nos doutes.
3) L'optimisation fiscale de l'opération menée par l'actionnaire privé français
Grâce aux auditions, au moins aura-t-on pénétré la complexité des ORAPA, mécanisme qui s'inscrit dans la longue liste des exonérations de plus-values.
Certes, il ne s'agissait que d'une « cerise sur le gâteau », mais quelle belle cerise et quel gros gâteau !
Lors de son audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, Monsieur Arnaud Lagardère a bien précisé que cette optimisation fiscale n'était pas le but, mais qu'elle était toutefois « bienvenue ». On le comprend.
Il y a également déclaré avoir eu des discussions avec le ministre de l'économie et des finances à la fin de l'année 2004 pour s'entretenir de l'avenir industriel d'EADS. Concomitamment c'est la loi de finances rectificative pour 2004 qui en son article 39 introduit l'exonération progressive des plus values à long terme et conduit à l'exonération progressive des plus values à compter de 2007. Est-ce une simple concordance des temps ?
Au moins attirons-nous l'attention de nos collègues de la majorité sur le fait de voter des dispositions « techniques » dont ils ne peuvent mesurer la portée et qui permettent à la directrice de la législation fiscale de dire lors de l'entretien qu'elle a eu avec le rapporteur général qu' « il n'y a pas d'abus de droit » de l'intéressé. La loi permet une telle exonération, il suffit de l'appliquer !
4) Le rôle de la Caisse des dépôts et des consignations
La dénégation constante des acteurs de l'État audités quand à leur non connaissance de ce que la Caisse des dépôts et des consignations était contrepartie à l'opération de cessions des titres - saluons la presse qui l'apprend au ministre de l'économie et des finances ! - nous inquiéterait sur le vecteur et le niveau d'information dont ils disposent si nous ne savions pas comme eux qu'elle figure parmi les investisseurs institutionnels français. Qui plus est nous ne saurions faire grief à la Caisse d'être présente s'agissant d'une entreprise stratégique pour les intérêts français.
Pour ce qui est de l'issue financière de l'opération, on y verra plus clair en 2009 et encore après s'agissant d'investissement de long terme.
Quant à la gouvernance de la Caisse, il est souhaitable de créer en son sein un comité des investissements et de lui donner une base légale, mais on ne saurait mettre en cause son statut. A ce titre nous ne partageons pas des préconisations qui n'auraient pas fait l'objet de débats au sein de la commission des finances. Au moment où il pourrait être question d'enlever à la Caisse des dépôts la centralisation de la collecte du livret A, nous mettons en garde contre le risque de déstabilisation d'une institution placée sous le contrôle du Parlement et qui doit le rester, quitte à clarifier l'exercice de ce contrôle.
En conclusion, que nous ont dit les acteurs publics ayant à connaître d'EADS ? Ils n'ont rien entendu puisqu'on ne leur disait rien, ils n'ont rien vu car leur droit de regard était empêché. On peut en conclure que l'État était absent dans cette période alors que nous savons qu'il s'est intéressé de très près et au plus haut niveau à la bataille qui faisait rage entre deux prétendants au management d'EADS. Est-ce la raison de son indifférence aux difficultés industrielles et à leurs conséquences sur le projet porté par EADS ? Nous ne le saurons pas formellement mais nous sommes autorisés à en émettre l'hypothèse.