V. MARDI 30 OCTOBRE 2007 - AUDITION DE MM. DOMINIQUE DE VILLEPIN, ANCIEN PREMIER MINISTRE, PIERRE MONGIN, ANCIEN DIRECTEUR DE SON CABINET, ET ALAIN QUINET, ANCIEN DIRECTEUR ADJOINT

Présidence de M. Jean Arthuis, président
Audition ouverte à tous les sénateurs, à la presse et au public

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La séance est ouverte à 12 heures

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Présents : MM. ADNOT, ANGELS, ARTHUIS, AUBAN, BADRE, Mmes BEAUFILS, BRICQ, MM. CAZALET, COLLIN, DALLIER, DEMERLIAT, FRÉCON, GAILLARD, GAUDIN, GIROD, GOUTEYRON, GUENE, LONGUET, du LUART, MARC, MERCIER, MIQUEL, DE MONTESQUIOU, MOREIGNE, TRUCY.

Assistaient en outre à la séance : Mmes ANDRE, BORVO COHEN SEAT, KIARI, TASCA, MM. BOULAUD, COLLOMB, DOMINATI, FRIMAT, GAUTIER, LAGAUCHE, SIDO, SUEUR, SUTOUR, VALADE, VANTOMME.

COMPTE-RENDU

M. Jean Arthuis, président - Mes chers collègues, nous accueillons ce midi M. Dominique de Villepin en sa qualité d'ancien Premier ministre. Nous poursuivons ainsi la série d'auditions qui s'est ouverte le vendredi 5 octobre 2007 à propos des conditions dans lesquelles le groupe Lagardère a été amené à se dessaisir d'une partie des actions qu'il détenait dans le capital d'EADS. Chacun a à l'esprit les interrogations et l'émotion suscitées par la révélation dans la presse, le 3 octobre 2007, du contenu d'un pré-rapport de l'Autorité des marchés financiers sur les conditions de cette cession.

Monsieur le Premier ministre, nous n'avons pas vocation à nous substituer à l'Autorité des marchés financiers pas plus qu'à l'autorité judiciaire. Nous avons organisé une série d'auditions pour éclairer ce qu'a été la gouvernance publique pendant cette période, entre l'automne 2005 et l'été 2006. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez souhaité venir en étant accompagné de M. Mongin qui, à l'époque, était votre directeur de cabinet. Nous avons souhaité entendre également M. Alain Quinet qui était votre directeur adjoint de cabinet.

Vous allez relater ce que vous avez vécu dans cette période. Nous sommes conscients d'accueillir ce matin un Premier ministre qui a assumé le patriotisme économique et souhaité que l'Etat ait un rôle de stratège et définisse les grandes orientations économiques de notre pays. Vous n'avez pas hésité à dire que l'actionnariat français doit être conforté pour éviter la dispersion du capital qui fragilise certaines de nos entreprises. Tels ont été vos propos, rapportés par la presse à l'issue de votre deuxième conférence de presse, le 27 juillet 2005.

Certains propos vous ont été prêtés, notamment par le magazine Challenge, laissant à penser que vous n'avez pas été saisi du dossier, saisi pour arbitrage d'après ce que nous avons compris dans un premier temps. Car, le 14 octobre 2007, M. Arnaud Lagardère, dans le Journal du Dimanche, a indiqué vous avoir mis au courant de ses projets au travers d'une note remise à votre demande et détaillant le descriptif de l'opération ainsi qu'une liste d'investisseurs susceptibles d'être intéressés à long terme par l'achat des titres, dont la Caisse des dépôts et consignations.

Le soir même, interrogé par les journalistes rassemblés dans le Grand Jury RTL Le Monde, vous avez dit que M. Arnaud Lagardère, lui-même, est venu à Matignon rencontrer votre directeur de cabinet au sujet de cette opération de cession. Vous avez daté cette rencontre au début de l'année 2006 et ajouté à l'antenne que Matignon ne s'est jamais intéressé à l'instruction technique de ce dossier, tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de sa responsabilité. Vous avez poursuivi votre propos en confirmant la présence d'une note mémorandum du groupe Lagardère à Bercy, comme dans les services de Matignon, en début 2006, mais qu'il est abusif d'en conclure que Matignon a été informé de l'opération de la Caisse des dépôts et consignations.

J'espère que cette audition va vous permettre de nous éclairer et de dissiper tout malentendu sur ce qu'a été la gouvernance publique pendant la période qui nous préoccupe.

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d'être venu et vous laisse la parole.

M. Dominique de Villepin - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur général, Mesdames, Messieurs, vous me permettrez tout d'abord, en réponse à ce que vous avez indiqué, que je confirme, bien entendu, tous les propos que j'ai tenus sur ce sujet et que je n'ai pas attendu, avec mes collaborateurs, la réunion de votre commission pour établir la plus totale transparence sur ce dossier. En effet, sollicités par l'Autorité des marchés financiers, nous avons adressé l'ensemble des documents et donné toutes les informations à cette instance dès décembre 2006 et en particulier les documents remis par le groupe Lagardère dans le cadre de cette affaire. Aussi aucune information nouvelle n'a été apportée par tel ou tel responsable du groupe Lagardère par rapport à ce que nous avons, nous-mêmes, d'emblée, donné dès décembre 2006. J'aurai loisir de revenir sur l'ensemble de ces points.

Je remercie votre commission de me donner l'occasion de préciser quelles ont été la place et le rôle du Premier ministre et de Matignon dans la gouvernance publique liée au dossier EADS.

EADS est un des fleurons de la technologie européenne. Face aux difficultés récentes, l'entreprise a su relever les défis. Je veux, dans cette circonstance, saluer le courage et le professionnalisme de tous les salariés de l'entreprise.

Pour être le plus précis possible, je souhaite passer en revue l'ensemble des faits, tout en rappelant un fait important qu'il me semble utile de rappeler étant donné la confusion qui règne dans ce dossier en raison de multiples informations données : l'Etat est le seul des grands actionnaires à ne pas avoir cédé ses actions. Nous avons agi de cette manière sur la base de principes et de convictions que nous aurons sans doute l'occasion de préciser plus tard.

S'agissant en premier lieu de la gouvernance du pacte d'actionnaires dans EADS, comme vous le savez, ce pacte d'actionnaires, qui résulte d'un équilibre entre la France et l'Allemagne, a fortement limité le pouvoir de l'Etat dans la gouvernance de l'entreprise. L'Etat n'est pas actionnaire direct. Il n'a pas de représentant au conseil d'administration, ni a fortiori dans le management de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, à aucun moment, Matignon n'a été informé des difficultés d'Airbus jusqu'à ce qu'elles soient rendues publiques par l'entreprise elle-même en juin 2006.

Matignon n'a reçu aucune information de Bercy ni du ministère des transports sur les process industriels ou la situation dans les chaînes de production de l'A380, et donc sur la réalité des difficultés industrielles. On ne saurait leur en faire grief puisque eux-mêmes ne savaient pas. Je le dis donc très clairement et très solennellement devant vous : ni mes collaborateurs, ni moi-même, n'avons jamais été informés d'aucune difficulté industrielle subie par le programme A380.

Il y a eu des problèmes d'information et des difficultés dans la gouvernance au sein du groupe EADS, liées probablement au système de codécision. Ce défaut de gouvernance, les autorités françaises et allemandes ont eu à coeur de le surmonter dès qu'elles en ont eu connaissance, en accord avec l'Elysée et le groupe Lagardère qui est le partenaire industriel de l'Etat :

- une première étape a été franchie en juin 2006 avec la décision de nommer M. Louis Gallois comme co-président d'EADS, puis co-président d'Airbus en début octobre. Permettez-moi, devant votre commission, de saluer le courage et la détermination dont il a fait preuve au cours de ces 16 derniers mois ;

- une seconde étape a eu lieu avec la décision du Président Sarkozy et de la Chancelière Angela Merkel de mettre fin au dualisme systématique en mettant en place une chaîne hiérarchique plus cohérente, avec un seul président d'EADS - M. Gallois - et un seul président d'Airbus - M. Enders.

S'agissant en second lieu de la gouvernance au sein de l'Etat actionnaire, relèvent du Premier ministre, en accord avec le Président de la République et le ministre de l'économie, les choix stratégiques sur le niveau de l'actionnariat public dans les entreprises.

Le choix de maintenir la participation de l'Etat français dans EADS a été un choix stratégique de mon gouvernement.

Au-delà de ce choix stratégique, Matignon s'est abstenu de toute interférence dans la gouvernance de l'Etat actionnaire. En effet, les relations entre les entreprises et l'Etat actionnaire sont assurées par l'agence des participations de l'Etat, sous l'autorité du ministre en charge de l'économie. Matignon ne donne aucune instruction à l'Agence des participations de l'Etat, ni n'a d'ailleurs aucun lien direct avec celle-ci.

Ainsi, la note de l'Agence des participations de l'Etat du 20 janvier 2006, citée dans le rapport de l'inspection générale des finances commandée par Mme Lagarde et évoquant, dans une optique patrimoniale, une éventuelle cession d'une fraction de la participation de l'Etat, n'a pas été transmise à Matignon qui en ignorait l'existence. Cela est parfaitement normal car Matignon ne reçoit jamais directement de note des services de Bercy, toutes les informations passant par le cabinet du ministre.

Matignon n'a pas eu davantage de contact direct avec les sociétés SOGEPA et SOGEADE qui portent l'actionnariat français dans EADS sans contrôle opérationnel de l'activité d'EADS. Il n'y a donc pas de double instruction possible. Mes collaborateurs, en n'ayant de contact direct qu'avec le ministre de l'économie ou ses collaborateurs, se sont conformés à une règle de fonctionnement de l'Etat parfaitement ordonnée dans le domaine économique. La même règle s'est d'ailleurs appliquée avec l'ensemble des ministères.

Je souhaite maintenant, pour votre parfaite information, vous indiquer ce qui s'est passé à Matignon dans les mois qui ont précédé la crise qui a affecté le titre EADS en juin 2006

Au cours d'une première phase, en janvier et février 2006, le groupe Lagardère est venu nous informer de son projet de cessions en application du pacte d'actionnaires et demander à l'Etat de participer à cette opération de désengagement.

Le premier rendez-vous entre mon cabinet et un représentant du groupe Lagardère sur ce sujet a eu lieu le 17 janvier 2006. Ce rendez-vous avait un double objet :

- premier objet : informer l'Etat des intentions du groupe Lagardère en application du pacte d'actionnaires ;

- deuxième objet : demander à l'Etat de participer à cette opération en procédant également à la cession d'une partie de sa participation.

A la suite de cet entretien, mes collaborateurs ont aussitôt vérifié auprès de Bercy deux points : l'Etat pouvait-il s'opposer à la cession des titres par Lagardère ? L'Etat pouvait-il préempter les titres cédés par Lagardère ?

L'analyse préparée par Bercy et transmise à Matignon indiquait de la façon la plus claire que l'Etat ne pouvait pas s'opposer à la cession des titres. Il ne pouvait pas davantage préempter ces titres.

J'ajoute que l'information était transmise de manière immédiate dans mon cabinet, les conseillers rapportant chaque jour au directeur-adjoint et au directeur de cabinet. Mon directeur de cabinet me transmettait quotidiennement toutes les informations utiles pour recueillir mes décisions.

La demande du groupe Lagardère a été exprimée début février, lors d'un entretien d'Arnaud Lagardère avec mon directeur de cabinet. Il est normal en effet que le Premier ministre ou son premier collaborateur rencontrent les responsables des grandes entreprises françaises chaque fois qu'ils le souhaitent, a fortiori lorsque l'Etat est partenaire de cet industriel.

Bien que les intentions de M. Lagardère n'aient jamais été occultées en ce domaine, elles ont été exprimées pour la première fois à mon niveau lors de l'entretien de début février 2006 chez mon directeur de cabinet. A ce titre, deux précisions me paraissent devoir être apportées :

- la visite d'Arnaud Lagardère était placée sous le sceau de la totale confidentialité dans la mesure où l'intention de vendre, si elle avait été connue, aurait pu avoir un impact sur le marché. A cet égard, vous noterez avec moi que les services de l'Etat ont été d'une discrétion totale à tous les niveaux, à Matignon comme à Bercy, qu'aucune divulgation répréhensible n'a eu lieu en provenance de nos équipes ;

- il ressortait des informations fournies par Bercy à mes collaborateurs que l'Etat ne pouvait ni empêcher le groupe Lagardère de vendre, ni préempter les parts du groupe Lagardère. L'Etat pouvait seulement s'associer à cette vente en cédant lui-même ses parts, ce que lui a demandé Arnaud Lagardère et qu'il a refusé de faire. Il s'agit là d'une position constante de l'Etat.

Le 22 février, mon cabinet a ensuite reçu un représentant du groupe Lagardère. Celui-ci a précisé les intentions du groupe Lagardère qui prévoyait désormais une diminution de moitié de sa participation et nous a confirmé l'intention de DaimlerChrysler d'effectuer la même opération, dans une note qui a été transmise au cabinet du ministre de l'économie et des finances.

Le représentant du groupe Lagardère a surtout réitéré sa demande, consistant à ce que l'Etat libère la moitié des actions détenues au sein du pacte afin de faciliter l'opération envisagée par Lagardère et DaimlerChrysler.

La demande consistait en effet plus précisément à ce que l'Etat transforme la moitié de ses actions incluses dans le pacte en actions libres, en vue d'une cession ultérieure par l'Etat sans formalité particulière. C'est ce que l'on appelle les « excess shares », c ' est-à-dire des actions non comprises dans le pacte. Le groupe Lagardère nous a indiqué qu'une telle opération s'inscrirait dans la logique du pacte et a précisé qu'elle impliquerait de notre part « une position aussi claire que possible sur ses intentions dans les 12 mois suivant l'opération ».

L'Etat ne souhaitait pas s'inscrire dans une perspective de désengagement, même purement hypothétique. Cette volonté de l'Etat partagée entre l'Elysée, Matignon et Bercy était justifiée par l'importance stratégique de notre industrie aéronautique.

S'ouvre ensuite en mars 2006 une deuxième phase d'instruction et de mise en oeuvre de la cession effective de la participation du groupe Lagardère.

Matignon n'a pris aucune part et n'est intervenu d'aucune façon dans ce processus.

Le 24 mars s'est tenu, au niveau du directeur-adjoint, une dernière réunion d'information entre Matignon et un représentant du groupe Lagardère qui a confirmé la décision du groupe de céder sa participation - notifiée le 22 mars - et exposé le mécanisme de vente à terme de ses titres en 3 tranches, dont la première en juin 2007, sans aucune précision lors de cet entretien, ni dans le document remis, sur l'échéancier de la transaction à venir, ni sur l'identité des acheteurs pressentis.

S'agissant du point essentiel de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations, trois points me paraissent devoir être soulignés.

La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent, selon les termes mêmes du code monétaire et financier, « un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays ». Elle exerce ces missions dans un cadre spécifique qui la place, selon les termes de la loi fondatrice de 1816 « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative . »

Dans le cas de la mise sur le marché des titres par le groupe Lagardère, je vous réaffirme, de la façon la plus nette, qu'à aucun moment Matignon, c'est-à-dire mes collaborateurs comme moi-même, n'avons été informés de la décision prise par le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations de racheter des titres EADS. Je vous confirme également, de la manière la plus nette, que l'Etat n'avait pas à donner et n'a pas donné d'ordre à la Caisse des dépôts et consignations pour qu'elle se porte acquéreuse de titres EADS.

A aucun moment, la Caisse des dépôts et consignations ne nous a informés de ses intentions concernant une éventuelle acquisition de titres EADS ou ne nous a demandé un accord. La Caisse des dépôts et consignations agit sous sa propre responsabilité, sous le contrôle de la commission de surveillance.

Ce que je vous dit ici est parfaitement conforme aux propos tenus par le directeur financier de la Caisse des dépôts et consignations le 9 octobre à l'Assemblée nationale : « Pour ce qui concerne la Caisse, ni le directeur général, que je voyais durant cette période deux fois par jour à l'hôpital pour lui rendre compte de tout ce qui se passait, ni moi-même, n'avons reçu, d'un quelconque organe des pouvoirs publics, la moindre instruction ni la moindre orientation... Par ailleurs, pour des raisons qu'a indiquées le directeur général, nous n'avons pas souhaité informer l'Etat de cette opération. Dans quelle situation serions- nous aujourd'hui, l'Etat comme nous, si nous l'avions informé ?.... L'exigence de confidentialité était totale. Au sein de la Caisse, j'ai pris avec mes équipes le maximum de précautions...nous n'en avons parlé qu'au dernier moment au président de la commission de surveillance...Je réaffirme avec force que nous n'avons pas reçu d'instruction et que nous n'avons jamais informé l'Etat et je crois que c'était bien comme cela ».

Il est exact qu'un document remis à mes services par le groupe Lagardère, à l'appui de sa demande de fin février, et que nous avons transmis au ministère de l'économie et des finances, mentionnait l'intérêt potentiel d'un groupe d'investisseurs qui, je cite, « comprendrait différents établissements financiers institutionnels français qui gèrent des portefeuilles d'actif financier à long terme dont la Caisse des dépôts et consignations ».

Cette mention, qui présentait un caractère hypothétique et aléatoire n'était pas susceptible de retenir notre attention, pas plus que, comme l'a justement noté le rapport de M. Schneiter, celle des services de M. Breton. Il était en effet tout à fait normal que la Caisse des dépôts et consignations puisse figurer comme un investisseur institutionnel potentiel de long terme pouvant avoir un intérêt du point de vue du vendeur, compte tenu de sa présence dans le capital des grandes entreprises françaises cotées. C'est même le contraire qui aurait été étonnant.

Au total, je tiens également à dire que mon cabinet a fonctionné dans un parfait respect des règles de déontologie et avec professionnalisme quant à la gouvernance de l'Etat. J'ai transmis, dès décembre 2006, à l'Autorité des marchés financiers, les documents remis par le groupe Lagardère dans le cadre de ce dossier.

Je souhaite, pour conclure, rappeler à votre commission que le gouvernement français de l'époque a eu à coeur de se mobiliser dès qu'il a eu connaissance de difficultés industrielles et de menaces sur l'emploi dans la filière aéronautique. C'est la troisième phase de ce dossier concernant la gouvernance publique.

Je suis intervenu quand l'emploi a été menacé : en avril 2006, EADS a annoncé la fermeture du site de la SOGERMA à Mérignac. Alerté par les élus locaux, j'ai rencontré les dirigeants du groupe - Messieurs Lagardère et Forgeard - et je suis allé sur place rencontrer les salariés. Une solution industrielle a finalement pu être trouvée avec l'aide de l'Etat, permettant de préserver le site et de sauver près de 500 emplois.

Je suis également intervenu lorsque le plan de restructuration d'Airbus, annoncé en octobre, il y a donc un an, menaçait de déstabiliser la filière. Je suis allé à Toulouse en novembre pour réunir une table ronde avec les sous-traitants et demander à Airbus l'élaboration d'une charte de la sous-traitance. J'ai lancé un plan d'aide de 145 millions d'euros pour la filière : 50 millions d'euros pour les pôles de compétitivité aéronautiques que mon gouvernement avait mis en place, 10 millions d'euros pour le nouveau campus de recherche aéronautique de Toulouse et 80 millions d'euros pour les avances remboursables aux sous-traitants.

Je suis à nouveau intervenu au début de cette année 2007 pour soutenir notre industrie dans son défi technologique et pour accompagner le passage aux matériaux composites, condition nécessaire pour assurer l'avenir des sites d'Airbus, avec un déblocage de 100 millions d'euros pour la filière composite.

Comme vous le voyez, les faits parlent d'eux-mêmes.

Dans ce dossier complexe, la gouvernance publique s'est déroulée conformément aux règles en vigueur et dans le cadre des attributions et des responsabilités de chacun. Les contacts entre Matignon et le groupe Lagardère s'inscrivaient dans les relations normales de l'Etat avec ce partenaire industriel.

En revanche, il doit être clair :

- que Matignon n'avait pas à donner et n'a pas donné d'autorisation au groupe Lagardère ;

- que Matignon n'était pas informé, n'a donné aucune instruction et n'a reçu aucune demande de la Caisse des dépôts et consignations s'agissant du rachat de titres EADS.

J'assume pleinement la décision que j'ai prise, en plein accord avec l'Elysée et Bercy, de ne céder aucun titre de l'Etat.

Mon engagement et celui du gouvernement en faveur d'EADS et de la filière aéronautique ne se sont jamais démentis. Je souhaite que les turbulences qui ont affecté l'entreprise puissent être surmontées et je formule pour l'avenir des voeux de plein succès à EADS et à ses salariés.

M. Jean Arthuis, président - Merci monsieur le Premier ministre. Naturellement nous partageons les voeux que vous avez formulés à l'endroit du groupe EADS et de ses salariés et sous-traitants. Qui a reçu la note du 22 février à votre cabinet ? Pourrait-elle nous être communiquée ?

M. Dominique de Villepin - Cette note a été reçue par mon conseiller aux affaires industrielles. Je la tiens bien évidemment à votre disposition. Comme je l'ai indiqué, elle a été remise en décembre 2006 à l'Autorité des marchés financiers.

M. Jean Arthuis, président - Très bien. Vous allez maintenant être soumis aux questions que certains de mes collègues souhaitent vous poser, monsieur le Premier ministre. Avant cela, monsieur le directeur de cabinet, messieurs les conseillers, avez-vous des observations à faire ?... Non.

Je souhaite tout d'abord tenir un propos d'ordre général. Nous avons tendance à penser qu'il n'est pas choquant que, dans certaines circonstances, Matignon puisse demander à la Caisse des dépôts et consignations dans quelle mesure elle pourrait prendre part à la souscription d'une participation. C'est un peu sa vocation. Tout ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant de la part de personnalités que nous avons auditionnées accrédite l'idée de la présence d'une muraille de Chine entre l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit sans doute de la règle de base. Mais nous estimons qu'il ne serait pas choquant de voir Matignon inviter la Caisse des dépôts et consignations à effectuer une opération, à charge pour elle de répliquer ou d'expliquer que cette opération est impossible. Il n'y rien là qui nous semble anormal dans une gouvernance qui se veut stratégique.

M. Dominique de Villepin - De ce point de vue, le 1 er mars 2006, lors d'une conférence de presse mensuelle, j'ai demandé à la Caisse des dépôts et consignations d'augmenter ses placements en actions. Il s'agit d'une position de principe. Vous avez rappelé mon patriotisme économique que j'assume et défends.

Lors de cette conférence de presse à laquelle je fais allusion, j'ai déclaré très précisément les mots suivants : « Je demande à Thierry Breton, le ministère de l'économie et des finances, d'examiner avec la Caisse des dépôts et consignations, comment il est possible d'augmenter significativement les placements en actions de la Caisse tout en veillant aux intérêts de long terme dont elle a la charge . » Cette demande - et je tiens à le préciser - s'inscrivait dans le cadre de la mise en oeuvre d'une stratégie de développement de l'épargne en actions, avec la hausse de l'actionnariat salariés, l'engagement pris par les assureurs de développer l'investissement en actions et la mise en place de France Investissement. Il s'agit là d'une position constante de l'Etat français. Ainsi, dès juillet 2005, le Président de la République, Jacques Chirac, avait déclaré nécessaire de développer les capacités d'investissement de long terme de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse de la Caisse des dépôts et consignations, des banques et des assurances. De même, le Président Sarkozy a demandé en juin 2007, à la Caisse des dépôts et consignations, de réorienter son action en faveur du capital investissement pour les entreprises moyennes. Naturellement cette règle générale qui me semble toujours valable ne visait aucun cas particulier et certainement pas le cas d'EADS dont nous n'étions pas informés de la transaction avec la Caisse des dépôts et consignations.

M. Jean Arthuis, président - Merci. Je vais poser une première question si vous le voulez bien. Nous avons bien entendu tout ce que vous venez de déclarer. Néanmoins, je souhaite demander à vous, votre directeur de cabinet ou vos conseillers, ce que vous a inspiré le dispositif de cession employé, à savoir une vente à terme avec l'émission d'obligations remboursables en actions, dont vous avez eu connaissance le 24 mars à travers la note ; ce dispositif ne pouvant être placé que dans les mains de quelques acteurs institutionnels. C'est sans doute pour cela que la note évoque l'hypothétique implication de la Caisse des dépôts et consignations.

La vente à terme ne consiste pas à effectuer une vente immédiatement mais à l'étaler dans le temps, au 25 juin 2007, au 25 juin 2008 et au 25 juin 2009. Ce processus de vente ne vous paraît-il pas un peu compliqué ?

M. Dominique de Villepin - Je souhaite d'abord répondre sur le plan du principe, avant de laisser à mes collaborateurs de l'époque le soin de préciser les choses.

Comme je tiens à le répéter, nous ne sommes jamais rentrés dans une quelconque opération d'instruction. Il ne s'agit pas du rôle de Matignon. Par ailleurs, et il faut le rappeler, cette opération de marché se situe en dehors du cadre posé par le pacte d'actionnaires. Aussi, pour nous, l'essentiel résidait dans le respect des équilibres tels qu'ils avaient été définis. Or, l'opération préservait ces équilibres. C'est dans ce cadre-là que l'opération a été organisée.

L'essentiel pour nous consistait à respecter les principes fondamentaux.

M. Alain Quinet - Je souhaite apporter une ou deux précisions sur le contexte de cette réunion. Nous connaissions, dans la deuxième quinzaine de mars, les intentions du groupe Lagardère de vendre une partie de ses titres mais nous ne savions pas à quel horizon cette vente prendrait effet et deviendrait donc effective.

Une réunion s'est tenue le 20 mars à Bercy et au cours de celle-ci, le groupe Lagardère a présenté les modalités de son désengagement. Il revenait à Bercy, comme l'a indiqué monsieur le Premier ministre, d'instruire cette demande. Ce que je voulais savoir, après le compte rendu du conseiller économique, est la date à laquelle le désengagement partiel du groupe Lagardère prendrait effet. Comme le mécanisme de l'opération m'avait paru un peu compliqué, j'ai souhaité que le représentant du groupe Lagardère avec lequel nous étions en contact vienne nous préciser les choses et ce que j'ai retenu de ses propos est que le désengagement du groupe Lagardère serait progressif avec une première échéance en juin 2007 et deux autres échéances par la suite. Il s'agissait de l'information que je recherchais et que nous avons obtenue au cours de cette réunion.

Par ailleurs, l'instruction qui a eu lieu à Bercy montrait très clairement que les modalités de désengagement du groupe Lagardère étaient conformes au pacte d'actionnaires. Par conséquence, la procédure a pu suivre son cours.

M. Jean Arthuis, président - Merci. Mais vous avez choisi un dispositif un peu compliqué, d'autant qu'il y avait un accord sur le prix. Celui-ci ne pouvait être inférieur à celui constaté au mois d'avril.

M. Dominique de Villepin - Je précise à nouveau qu'il n'appartient pas à Matignon de rentrer dans cette appréciation. Nous sommes là pour défendre des principes, un cadre général et c'est dans ce contexte que nous sommes amenés à donner notre sentiment. A aucun moment, nous ne sommes rentrés dans la procédure technique qui est compliquée comme nous pouvons le constater a posteriori .

M. Jean Arthuis, président - Je vais maintenant donner la parole à mes collègues qui ont souhaité vous interroger et tout d'abord à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq - Monsieur le président, vous avez initié le travail de cette commission des finances élargie depuis presque un mois et durant toute cette période, pas une semaine ne s'est passée sans que nous ayons eu de nouvelles informations sur ce qu'il convient d'appeler « l'affaire EADS » ; la dernière information en date révélant l'élargissement du périmètre d'investigation de l'Autorité des marchés financiers à la communication fournie par EADS et notamment sa communication financière, ce qui limite encore le travail modeste mais sérieux et réactif que nous menons au sein de cette commission.

Je souhaite revenir sur ce que vous venez de dire. Vous avez déclaré que l'aéronautique revêt pour vous et l'Etat une importance stratégique. Aussi, compte tenu de cette affirmation, j'ai une vraie difficulté à accepter vos propos selon lesquels Matignon n'a été informé à aucun moment, ni par Bercy, ni par EADS, des difficultés industrielles de ce groupe. Franchement, nous avons du mal à admettre cela et, de fait, je m'interroge sur la vigilance de l'Etat. Est-il possible qu'à Matignon, votre conseiller industriel ou un conseiller budgétaire n'ait pas été mis au courant de la situation ? Je rappelle que, lors d'un protocole signé avec Airbus en 2002, l'Etat a consenti une avance remboursable sur 17 ans de 1,2 milliard d'euros, le remboursement de cette avance étant gagé sur la livraison des avions A380.

Selon le calendrier initial, le tableau d'actualisation du protocole a été régulièrement actualisé par les services de l'Etat et notamment la DGAC en charge du suivi du dossier. Par conséquent, si l'aéronautique et le programme A380 revêt une importance stratégique à vos yeux comme le manifeste l'avance remboursable consentie par l'Etat, nous avons du mal à comprendre que cette opération n'ait pas été suivie. Nous avons du mal à accepter ce que vous et l'ensemble des acteurs de ce dossier nous disent. Nous avons vraiment l'impression d'être en face d'une partie de bonneteau ou d'une recherche de bouc-émissaire qui est tantôt la Caisse des dépôts et consignations, tantôt Matignon, tantôt Bercy. Pour nous, parlementaires, il est assez difficile d'y voir clair.

Un autre sujet d'interrogation porte sur la connaissance du désengagement des partenaires privés. Le ministre de l'économie et des finances nous a déclaré le 5 octobre dernier qu'il a été informé le 28 novembre 2005 du désengagement du groupe Lagardère, lequel ne s'est jamais caché de sa volonté de restreindre sa participation dans le capital d'EADS. A moins que l'Etat ne fonctionne pas bien, nous avons du mal à comprendre qu'entre le mois de novembre 2005 et le début du mois de février 2006, il n'y ait eu, à aucun moment, des contacts entre les cabinets de Bercy et les cabinets de Matignon au sujet de ce dossier. Je n'arrive pas à croire cela.

Mon propos montre qu'au mieux, l'Etat manque de vigilance au sujet de ses intérêts.

M. Jean Arthuis, président - Surtout que cette note, établie par le directeur de l'Agence des participations de l'Etat et datée du 23 janvier 2006, fait état de rumeurs selon lesquelles le groupe Lagardère souhaite se désengager d'EADS. Votre ancien ministre Thierry Breton nous a dit, il y a 3 semaines, que M. Lagardère est venu le rencontrer pour lui faire part de ses projets.

M. Dominique de Villepin - Monsieur le président, Mme Bricq, quand on visite un dossier a posteriori , on se pose parfois de bonnes questions et parfois de moins bonnes questions et, pour certaines d'entre elles, il est important de se reporter aux données techniques du dossier.

Concernant l'interrogation que vous avez sur les dates d'information, il faut rappeler qu'il existe des fenêtres de tirs, des périodes réservées pour les cessions d'actions et quand une période est passée, il est nécessaire de se reporter à la période suivante.

S'agissant des responsabilités et de ce que vous appelez « le manque de vigilance de l'Etat », je tiens à préciser, de la façon la plus forte, qu'il ne me paraît pas possible de faire ce procès d'intention à l'Etat ou alors, il faut pouvoir l'étayer et l'argumenter. Rien aujourd'hui, dans ce dossier, ne permet de dire que l'Etat n'a pas été vigilant. Nous n'avons pas eu et ne devions pas avoir connaissance de la note à laquelle vous avez fait référence et qui appartient à l'Agence des participations de l'Etat. Sauf à considérer que l'Etat devait vendre ses titres, je ne vois pas quel reproche nous pouvons lui adresser. C'est pour des raisons de principes que l'Etat était engagé et qu'il n'avait nullement l'intention de se désengager d'EADS. Nous ne pouvons faire aujourd'hui le reproche à l'Etat de ne pas avoir saisi une aubaine, une bonne occasion de réaliser une plus-value. L'Etat a agi en fonction de raisons stratégiques et sérieuses. Pourquoi voulez-vous que l'Etat se comporte comme un gestionnaire quelconque saisissant l'occasion de faire une avance avantageuse ? Ce n'est pas dans cet esprit que l'Etat est engagé. Il est nécessaire de rappeler cette réalité et en la rappelant, de souligner qu'il n'est pas possible de mettre en défaut la vigilance de l'Etat, sauf si nous nous interrogeons sur le point suivant. L'Etat devait-il être informé de ce qui se passait dans telle ou telle usine et comment pouvait-il l'être ?

Or j'ai été suffisamment sur le terrain et je connais assez la vie économique et des entreprises pour affirmer que c'est faire un mauvais procès à l'Etat de dire qu'il aurait dû être courant de ce qui se passait dans les usines allemandes d'EADS alors que l'état-major de ce groupe les ignorait lui-même ou dit les ignorer. Il faut savoir raison gardée dans ce dossier et poser les faits très clairement tels qu'ils se sont produits. Il existe vraisemblablement des responsabilités. Mais je ne crois pas qu'il faille chercher des poux dans la tête de l'Etat parce qu'il n'y aucune raison d'en trouver.

Mme Nicole Bricq - Monsieur le Premier ministre, je ne fais pas procès d'intention. Je ne vous cherche pas des poux. D'abord vous avez une magnifique chevelure et je ne pense pas qu'elle soit chargée de ces lentes. Je me réfère simplement au rapport rédigé par nos collègues Jean-François Le Grand et Roland Ries à la demande de Bertrand Auban qui avait réclamé l'ouverture d'une commission d'enquête. J'ai parlé du protocole d'accord entre l'Etat et Airbus au sujet de l'avance remboursable, car le rapport mentionne un tableau très intéressant de la DGAC, lequel indique des reports dans la livraison des avions dès juin 2005. Or, à partir du moment où des reports de livraison sont annoncés, il me semblerait logique que l'Etat, prêteur, se renseigne sur la situation. Je sais que des membres des cabinets ministériels sont descendus sur les sites régulièrement.

Le calendrier auquel je fais allusion signale des difficultés. Evidemment vous pouvez me répondre que ces difficultés étaient sous contrôle.

M. Dominique de Villepin - Je ne vous réponds pas du tout cela, Mme Bricq. Je vous indique tout d'abord qu'aucun membre de mon cabinet ne s'est rendu sur les sites en question, que la seule annonce de report de livraison date de juin 2005 et qu'il s'agit du secteur de l'aéronautique. Or je ne connais pas de compagnies aériennes qui ne soient pas soumises à des reports, lesquels n'influent pas forcément sur le cours des actions. Nous pouvons parfaitement imaginer que les reports, s'ils ont lieu, ne remettent pas en cause le cours du titre. Il faut donc éviter de mélanger les différentes données qui peuvent donner le sentiment - nos compatriotes n'ont pas besoin de cela ou alors il est nécessaire d'argumenter ses dires - que l'Etat n'a pas fait son travail. L'Etat, en l'occurrence, a fait tout ce qu'il devait faire. Si, autour de cette table, une personne est susceptible de pointer du doigt une action que l'Etat aurait réalisée sans respecter les règles relatives à ses engagements et au pacte d'actionnaires, alors je serais très heureux d'en être informé et ce, au-delà de déclarations vagues et d'informations générales qui ne rendent pas compte de la réalité que je viens d'exposer.

Quand on porte de quelconques critiques sur le rôle de l'Etat, il est nécessaire d'être précis dans ses propos. Pendant deux ans, j'ai exercé mes responsabilités quotidiennes à Matignon de la façon la plus scrupuleuse possible. Je viens vous rendre compte avec beaucoup de plaisir de ce qui a été réalisé. J'entends un certain nombre de critiques qui sont émises. Mais à ce jour, aucune d'entre elles, en ce qui concerne l'Etat, ne me paraît fondée. Pour ce qui est des industriels, chacun d'entre eux a à assumer sa part de responsabilités.

M. Jean Arthuis, président - Merci Monsieur le Premier ministre. Nous allons maintenant entendre Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils - Monsieur le président, Monsieur le Premier ministre, nous sommes surpris que l'Etat n'ait pas eu à sa disposition les éléments qui lui auraient permis d'apprécier la situation d'EADS au moment où M. Lagardère a décidé de vendre ses actions. Je souhaite vous poser deux questions précises. Vous avez dit que l'Etat n'a aucun représentant au sein du conseil d'administration d'EADS où il est représenté par des entreprises privées. Aussi quel dispositif l'Etat avait-il mis en place pour permettre d'apprécier la façon dont la situation évoluait ? Y avait-il, au sein du ministère de l'économie ou au sein de votre cabinet, des personnes chargées d'un suivi plus rigoureux du dossier ? J'ai entendu ici M. Breton remettre en cause largement le pacte d'actionnaires. Or, à aucun moment, les gouvernements successifs n'ont contesté l'organisation en place, liée à ce pacte d'actionnaires. J'aimerais y voir un peu plus clair sur le sujet.

Par ailleurs, vous avez indiqué que, compte tenu de l'importance de l'aéronautique française et même européenne pour le cas qui nous concerne, il ne vous semble pas anormal, dans la réflexion de l'ensemble des investisseurs possibles, que le nom de la Caisse des dépôts et consignations soit évoqué comme repreneur éventuel des titres de M. Lagardère. Vous aviez souhaité, en effet, que la Caisse des dépôts et consignations intervienne davantage dans le domaine des investissements de long terme. De fait, puisque, selon vous, il existe une sorte de cloison étanche entre ce que fait la Caisse des dépôts et consignations et les actions du gouvernement, est-il possible pour Matignon de donner des orientations sans vérifier qu'elles soient mises en oeuvre ?

M. Dominique de Villepin - L'Etat, compte tenu de ce qu'est le pacte d'actionnaires, doit être consulté avant toute cession de titres. Mais il n'a pas d'autorisation à donner. Par conséquent, l'ensemble des informations qui doivent être données et sont susceptibles de permettre le contrôle de l'activité d'EADS transitent par l'Agence des participations de l'Etat. C'est ce qui a été prévu et le système tel qu'il doit fonctionner. Matignon ou un ministère n'a pas à s'immiscer dans les affaires de l'Agence des participations de l'Etat. Il faut bien sûr définir des modalités d'organisation. Mais lorsque celles-ci ont été fixées, il n'est plus possible de s'étonner qu'elles aient été respectées dans le cadre d'une opération. Cette Agence des participations de l'Etat a une fonction, cette responsabilité-là.

L'Etat aurait-il dû rentrer dans le cadre-même de l'opération de marché réalisée ?

Nous ne pouvons pas demander à l'Etat d'effectuer son travail et, en même temps, de se préoccuper de savoir quel est l'acheteur des titres. Sinon, nous aurions été placés nous-mêmes dans une situation impossible. Le responsable de la Caisse des dépôts et consignations dit très justement que « l'Etat aurait été alors dans une situation de délit d'initié ». Nous savons aujourd'hui que la Caisse des dépôts et consignations a racheté des titres d'EADS. Mais quels ont été les autres acheteurs ? Je l'ignore et nous n'avions aucune raison de le savoir dans le cadre d'une opération de marché de ce type. On ne peut pas souhaiter en permanence que l'Etat fasse tout et s'étonner régulièrement que les choses ne se passent pas conformément à ce que nous souhaitons. Des fonctions et des tâches ont été définies, des organismes ont été mis en place. Chacun d'entre eux a fonctionné. L'Etat n'avait pas à rentrer dans le déroulement technique de l'opération. Il ne s'agit pas de sa vocation d'après les règles qui ont été écrites.

Pour l'ensemble de ces raisons, je réaffirme que la gouvernance publique a fonctionné conformément aux règles qui ont été posées et à la définition des responsabilités telles qu'elles ont été établies. Si nous estimons que ces règles ne sont pas bonnes et que les choses doivent fonctionner différemment, alors il faut changer les modalités de la gouvernance publique. Nous pouvons parfaitement considérer que les choses doivent fonctionner autrement. Mais il n'est pas possible de faire le procès à l'Etat d'avoir agi comme il l'a fait, car il a parfaitement appliqué les règles qui ont été définies.

M. Jean Arthuis, président - Merci monsieur le Premier ministre. La parole est maintenant à Mme Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat - Je suis tentée de retirer ma question. Mais je vais quand même vous la poser, monsieur le Premier ministre. A vous écouter, il y a eu un dysfonctionnement très important de l'Etat, peut-être lié au fait que les règles ne sont pas bonnes. A quoi sert l'Agence des participations de l'Etat ? Nous, parlementaire, pouvons peut-être avoir une réflexion sur la façon dont fonctionne l'Etat pour intervenir sur ses propres participations industrielles.

M. Dominique de Villepin - Vous attirez l'attention sur un point spécifique. Mais je crois qu'il faut en permanence prendre en compte l'ensemble du problème. Si, à un moment donné, il a été pris la décision de cloisonner les activités de l'Etat et de celle de l'APE, c'est par souci d'éviter les immixtions de l'Etat, les interférences, et de permettre aux industriels d'assumer pleinement leurs responsabilités.

Il est possible a posteriori de considérer que les choses doivent fonctionner différemment. Mais nous devons néanmoins reconnaître au système une vertu : le respect d'un certain nombre de principes et d'une moralité de l'action publique. A aucun moment, l'Etat n'est juge et parti et n'interfère dans un dossier industriel alors qu'on pourrait lui faire le reproche d'avoir des informations et d'agir en fonction d'elles. Il n'est donc pas possible de faire le mauvais procès à l'Etat d'avoir eu des informations et de les avoir utilisées à défaut. Cet élément méritait d'être rappelé et je vais demander à Pierre Mongin de compléter mon propos sur les aspects techniques du dossier.

M. Jean Arthuis, président - Avant d'entendre Pierre Mongin, je souhaite vous dire qu'il y a plus de 10 ans, en lien avec Philippe Marini, nous avions exprimé le voeu, pour couper court aux ambiguïtés de l'Etat actionnaire, de rassembler les participations de l'Etat dans une agence. Notre but était alors, non pas d'établir une muraille de Chine, mais d'éviter les interférences qui donnent lieu parfois à des sinistres d'entreprises.

Nous avions appelé de nos voeux la création de cette Agence des participations de l'Etat.

M. Pierre Mongin - Monsieur le président, je souhaite d'abord répondre à la question de Mme Beaufils qui rejoint d'ailleurs celle de Mme Borvo Cohen-Seat et porte sur les relations entre l'Etat actionnaire et les entreprises et donc sur la gouvernance publique.

En tant que président d'une grande entreprise publique, je peux témoigner de la qualité de mes rapports avec l'Agence des participations de l'Etat dont je perçois, au regard de mes responsabilités actuelles, tout l'intérêt dans la garantie de la moralisation de la vie publique et des bonnes relations entre l'Etat et les entreprises. Cette Agence des participations de l'Etat offre une interface unique aux patrons des entreprises publiques et a pour fonction notamment de fournir des réponses à des questions précises quand il s'agit d'effectuer des investissements ou de prendre des décisions.

Ce système de gouvernance public s'est beaucoup amélioré par rapport au passé et se traduit par la présence d'une agence spécialisée qui publie d'ailleurs un rapport d'activité très précis sur la manière dont elle établit ses relations avec les entreprises publiques et effectue, de mon point de vue, un travail très professionnel auprès des entreprises.

Pour en revenir à la question de Mme Beaufils sur les relations entre l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations, je tiens à attirer votre attention sur un point. Il est clair que la Caisse des dépôts et consignations ne bénéficie pas du même système que celui de l'Etat. L'Agence des participations de l'Etat n'a en effet aucune compétence dans la relation entre l'Etat détenteur de la Caisse des dépôts et consignations et celle-ci. Cette réalité ne m'a pas échappé. J'ajoute que la relation entre l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations est une relation basée sur l'autonomie dont jouit la Caisse par tradition tout autant que sur des textes ; une tradition très établie et revendiquée par le management de la Caisse des dépôts et consignations depuis toujours.

Cette autonomie est quand même soumise au contrôle de la commission de surveillance et le lien institutionnel avec l'Etat se fait à travers cette commission et, dans le dossier qui nous intéresse, conformément à la loi semble-t-il, a posteriori . Il est nécessaire d'avoir cette situation à l'esprit quand il est question de la manière de contrôler après-coup ce qui s'est passé dans le cadre des investissements de la Caisse des dépôts et consignations.

Concernant les directives générales de l'Etat à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations, il y en a toujours eu. De très nombreux discours ont eu lieu sur le sujet, notamment un prononcé par l'ancien Président de la République à l'occasion d'un centenaire de la Caisse des dépôts et consignations et dans lequel le chef de l'Etat a rappelé les missions d'intérêt général de cet établissement. Ceci me paraît, en tant que citoyen, tout à fait normal.

La question de l'autonomie de la Caisse des dépôts et consignations renvoie à un autre problème, celui du mode de gestion de la Caisse par rapport à ses directives générales, de l'application ou non des orientations qui lui sont données, celle-ci jouissant d'une très grande liberté dans ses actions. L'interface avec l'Etat se fait au niveau de la représentation de l'Etat au sein de la commission de surveillance a posteriori .

Voilà le schéma organisationnel qu'il faut tout de même rappeler pour ne pas perdre de vue la réalité de ce dossier et d'autres d'ailleurs, lesquels posent la question de la gouvernance de l'Etat actionnaire.

En conclusion, je tiens à saluer le travail de l'Agence des participations de l'Etat qui a beaucoup professionnalisé ses relations avec les entreprises.

M. Jean Arthuis, président - Il est vrai qu'elle avait de vraies marges de progression. Je donne la parole à François Marc.

M. François Marc - Merci Monsieur le président. Monsieur le Premier ministre, j'ai une question très simple à vous poser. M. Lagardère a réalisé un bonus assez conséquent dans cette opération. Nous pouvons nous demander si les services de l'Etat, à un moment ou un autre, ont facilité la réalisation de ce bonus. Jusqu'à présent, à cette question posée, on m'a toujours répondu de manière négative. Pourtant, j'ai cru comprendre, dans les déclarations récentes de M. Lagardère, qu'il y a eu des conditions pour le bon aboutissement de l'opération. A ce propos, j'apprends ici, des propos qui ont été tenus par votre collaborateur, qu'à la suite de la réunion du 20 mars, il a été demandé à Bercy de finaliser les modalités du désengagement du groupe Lagardère, sans doute au travers d'une prestation de services, de conseil et d'ingénierie financière. Car je ne vois pas bien comment ce travail de Bercy pourrait prendre une autre forme. Aussi ma question est simple. En quoi précisément a consisté la contribution des services de l'Etat ? On a cru comprendre que des astuces fiscales ont été mises au point pour faciliter l'opération avec un étalement du paiement sur 3 ans. Y a-t-il eu d'autres contributions ? C'est une question que nous pouvons légitimement nous poser.

M. Jean Arthuis, président - Pour compléter la question, le parlement a voté, au printemps 2006, une réforme du régime d'imposition des plus-values au titre des participations. Subsiste en 2006 un taux d'imposition qui disparaîtra complètement en 2007. Le fait que la vente à terme ne comporte aucune cession et donc de constatation de plus-value 2006 a-t-il été un objet d'interrogation de la part de ceux ayant eu en charge la finalisation des modalités ?

M. Dominique de Villepin - Je me répète. Mais la responsabilité de Matignon se situe sur le plan de principes et le respect du pacte d'actionnaires. L'instruction technique est du ressort de Bercy en liaison avec les différents organismes que nous avons évoqués. Nous n'avons jamais interféré dans ce processus technique et, à aucun moment, envisagé ou souhaité encourager cette vente qui n'entrait pas du tout dans le cadre de la vision que nous avions de cette entreprise. Il se trouve que nous n'avons rien pu faire pour l'empêcher. A aucun instant, nous n'avons souhaité l'encourager et c'est pour cette raison que nous avons posé d'emblée la règle qui était la nôtre et qui consistait pour nous à ne pas participer, sous aucune forme que ce soit, à ce désengagement malgré les demandes réitérées du groupe Lagardère.

M. Alain Quinet - La seule chose que Bercy avait à vérifier à l'époque était de s'assurer que les modalités de désengagement du groupe Lagardère étaient conformes au pacte d'actionnaire. C'est à cette question que Bercy a répondu.

M. Jean Arthuis, président - Plus personne n'a souhaité vous interroger. Sur ce dernier point, au regard des finances publiques, il aurait été possible de se dire qu'une vente constatée en 2006 n'aurait pas été neutre pour l'état des finances publiques. La plus-value sur une cession de 2 milliards d'euros devait être de l'ordre de 1 milliard d'euros. Si faible eut été le taux d'imposition en 2006, il aurait permis néanmoins de participer au désendettement de l'Etat ou, en tout cas, d'atténuer le déficit public, monsieur le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin - Si j'avais été expert comptable, je n'aurais certainement pas manqué de me poser cette question.

Mme Nicole Bricq - Vous aviez des conseillers budgétaires.

M. Dominique de Villepin - Ce n'est pas à Matignon qu'on se pose ce genre de questions. Nous agissons sur la base d'un principe que nous faisons respecter pour mener une politique industrielle.

M. Jean Arthuis, président - Très bien. Monsieur le Premier ministre, vous avez appliqué la déontologie et les règles de gouvernance publique. Nous comprenons bien qu'un Premier ministre n'a pas beaucoup de temps pour souffler. Mais vous avez maintenant un peu de recul par rapport à l'exercice de cette charge écrasante. Si vous aviez à vous demander ce qui peut être amélioré dans la gouvernance publique, quelles préconisations pourriez-vous formuler en ce qui concerne la relation entre l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations et dans le processus de prises d'informations et de décisions ?

M. Dominique de Villepin - Si nous nous posons cette question aujourd'hui, la raison en est que nous sommes impressionnés par un certain nombre de faits révélés, par exemple la plus-value réalisée par le groupe Lagardère, et l'idée que l'Etat aurait pu lui aussi, s'il avait vendu une partie de sa participation, réaliser un gain. Toutefois, nous en oublions là les principes fondamentaux qui doivent gouverner la puissance publique. L'Etat, en l'occurrence, n'est pas un spéculateur et n'a pas vocation à se définir par rapport à telle ou telle opération. De ce qui s'est passé dans le cadre d'EADS, nous avons, avec beaucoup de sagesse, tiré les leçons qui s'imposaient en faisant en sorte que les décisions soient prises par une seule personne au sein de ce groupe, de manière à clarifier la chaîne de responsabilités. Il reste néanmoins à répondre à la question de la responsabilité industrielle. De ce point de vue, personne ne peut se substituer à un management. Quelles que soient la gouvernance publique et les améliorations qu'on puisse imaginer pour elle, si une information industrielle n'est pas transmise, rien ne pourra changer la situation. Je reconnais que ceci pose des questions, non pas à l'Etat, mais à ceux qui ont la responsabilité industrielle.

S'agissant de la relation entre l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations, toute remise en cause du schéma organisationnel, tel qu'il existe aujourd'hui, ferait peser sur l'Etat une sorte de suspicion qui serait, de mon avis, largement plus dommageable que la situation actuelle. En gros, cela reviendrait à considérer que l'Etat aurait dû être initié davantage à une opération de marché, ce que je ne pense pas souhaitable.

Il est très important, à mes yeux, de se caler sur les principes qu'on veut défendre et pour moi, les principes fondamentaux de l'action publique résident dans la définition d'une action stratégique et d'une action morale sur le plan des deniers publics. Dans le cadre d'EADS, la gouvernance publique, telle qu'elle a été appliquée, les a respectés.

En revanche, si on pense que l'Etat est là pour réaliser une bonne opération ponctuelle, en dehors d'une vision stratégique, alors effectivement il est possible de se poser la question d'un changement des règles de gouvernance publique. En ce qui me concerne, je ne le souhaite pas.

M. Jean Arthuis, président - Merci Monsieur le Premier ministre, Messieurs. Il nous reste à souhaiter que l'entreprise EADS connaisse la prospérité qu'elle mérite et alors la Caisse des dépôts et consignations pourra peut-être constater une appréciation de ses titres et sans doute une plus-value puisqu'elle a réalisé un placement à terme.

Au fond, le procès qui a pu être fait et le soupçon qui a pu peser sur la gouvernance publique sont liés à une sorte de délit de non-initié.

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