2. 1840 : la première réforme d'ampleur

Cette innovation sera conservée lors de la première grande réforme du baccalauréat, qui intervient dès 1840, soit 32 ans seulement après sa création. A l'issue d'une longue enquête, destinée à prendre la mesure de la diversité des pratiques des différents jurys, un nouveau règlement des épreuves est publié le 14 juillet 1840.

UN SYSTÈME DE NOTATION ORIGINAL

L'oral du baccalauréat ne fait pas l'objet d'une notation chiffrée. Les examinateurs évaluent la qualité des réponses du candidat à l'aide de boules matérialisant leur appréciation : rouge (favorable à l'obtention), blanche (abstention) et noire (défavorable). A mesure que le contenu de l'oral s'enrichit, chaque discipline examinée se voit attribuer un certain nombre de suffrages, ouvrant ainsi la voie à notre système des coefficients.

Ce dernier prévoit tout d'abord un ensemble de consignes de nature essentiellement administratives. Afin de lutter contre la fraude qui se développe alors, il est désormais prévu que les candidats se présentent à l'examen au chef-lieu de l'académie où ils ont accompli leurs études ou de celle correspondant à leur domicile légal. En effet, depuis plusieurs années, des candidats professionnels sillonnent la France et passent les épreuves du baccalauréat en lieu et place des candidats inscrits. Pour une somme déterminée par avance, ils peuvent ainsi obtenir le baccalauréat en se distinguant dans telle ou telle discipline, selon les désirs des familles.

Ce nouveau règlement comporte également de nombreuses prescriptions d'ordre pédagogique, en révisant en particulier la liste et les programmes des épreuves. Ainsi, le principe d'une épreuve écrite est définitivement acté : elle prendra la forme d'une version latine, dont la longueur et le niveau correspondront à celles des versions données en classe de rhétorique.

Cette nouvelle épreuve doit jouer un véritable rôle de filtre. Le règlement en définit ainsi le principe : « quand on n'a pas pu, en deux heures et avec un dictionnaire, traduire convenablement en français une page en latin, il est superflu d'être interrogé sur des textes de Cicéron, d'Horace, de Tacite et de Virgile. Il n'y aura donc qu'une seule épreuve écrite, mais cette épreuve sera décisive. »

LES CHIFFRES DU BACCALAURÉAT : LES ANNÉES 1840 2 ( * )

En 1840, le baccalauréat fut obtenu par 3 498 candidats , dont 3 410 nouveaux bacheliers ès lettres et 88 nouveaux bacheliers ès sciences. Parmi les premiers, on compte notamment Louis Pasteur , qui obtiendra son baccalauréat ès sciences deux ans après, malgré des résultats médiocres en chimie. Cette même année 1842, le taux de réussite au baccalauréat ès lettres s'élève à environ 56% .

Bien rares sont donc encore les bacheliers. Il faut dire que la France de la monarchie de Juillet ne compte que peu d'établissements secondaires publics : ils sont 38 en 1830 et 56 en 1848. Un nombre important de candidats étudie donc dans une institution privée ou avec un précepteur.

A ce premier frein s'ajoute celui du coût de l'examen, qui s'élève alors à plus de 80 francs. Le salaire moyen d'un ouvrier étant à l'époque de 2 francs par jour et les bourses plutôt rares, le baccalauréat reste donc réservé à une élite particulièrement choisie.

Quant à l'oral, il se voit subdivisé en deux exercices distincts, d'une part une explication de textes grecs, latins et français ; et d'autre part, des questions orales de philosophie, de littérature, d'histoire et de géographie, de mathématiques et de la physique.

Mais la principale innovation du règlement du 14 juillet 1840 est annexée à celui-ci, sous la forme d'un programme détaillé des épreuves comportant une liste des auteurs grecs, latins et français pour les explications de textes, au nombre de 150, et d'une deuxième liste récapitulant les 350 questions qui peuvent être posées par les jurys.

Dans cette dernière initiative, on perçoit à nouveau ce qui fait tout l'enjeu à cette époque d'une réforme du baccalauréat : la normalisation des épreuves, destinée à garantir qu'un niveau minimal identique a été atteint par tous les nouveaux bacheliers de France.

Cette normalisation a toutefois des conséquences imprévues : bientôt, des aide-mémoire de toute sorte paraissent et permettent aux candidats d'apprendre par coeur les réponses appelées par chacune des questions recensées par le programme de 1840. Certains de ces mémentos deviennent même des best-sellers pour l'époque, tels le Mémento des aspirants au baccalauréat ès lettres d'Émile Lefranc, tiré à plusieurs milliers d'exemplaires chaque année. Toute une littérature voit alors le jour, dont le principe fondamental est de réduire sous une forme aisée à mémoriser les réponses que doivent maîtriser les candidats d'alors, chacun rivalisant d'imagination dans l'invention de son propre système de mnémotechnique.

Dans le même temps, le nouveau règlement de 1840, qui s'efforce de normaliser le baccalauréat, tente également de reconnaître les hiérarchies existant entre les candidats : les mentions font alors leur apparition afin de sanctionner la valeur de l'examen.

* 2 Ces données sont pour une large part tirées de la communication de M. Jérôme Louis, docteur en histoire contemporaine, « Passer son baccalauréat à l'époque de la monarchie de juillet », Colloque de Lille, 14, 15 et 16 mai 2008, actes à paraître.

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