II. LA LENTE DÉMOCRATISATION DU BACCALAURÉAT

A. LE TEMPS DES « HUMANITÉS MODERNES »

Pour l'observateur, le baccalauréat de 1902 est la première des versions de cet examen qui soit réellement comparable avec ce qu'il est devenu aujourd'hui. La diversification des filières, qui permet la préservation du latin tout en ouvrant la possibilité à ceux qui s'y montraient réfractaires d'y échapper, ouvre en effet la voie à la constitution d'un baccalauréat réellement moderne. Par là, on peut entendre un baccalauréat qui n'est plus constitué par le seul noyau des études littéraires chargées de former tout à la fois le style, le caractère et la pensée.

Le schéma ci-après montre l'évolution que subit alors le baccalauréat : autour d'un coeur fait de français, de philosophie et de mathématiques, il se différencie en séries à l'aide d'un ensemble d'options disciplinaires dont la présence ne saurait nous surprendre.

LES CHIFFRES DU BACCALAURÉAT : LES ANNÉES 1930

L'entre-deux-guerres est marqué par une relative stabilité des effectifs du baccalauréat : entre 1926, où 11 372 candidats sont reçus, et 1936, où ils sont 12 299, le nombre de bacheliers diplômés chaque année connaît un pic en 1931, avec 15 007 admis.

La lente croissance du baccalauréat se poursuit donc ; par rapport à 1902, le nombre de bacheliers a en effet doublé en 1931, sans que cette accélération ne soit toutefois définitive.

Malgré tout, cette croissance doit être relativisée, le baccalauréat demeurant encore réservé à une petite élite : dans ces années, il ne concerne encore qu'environ 2,5 % d'une génération, contre 1 % environ en 1850 .

Du point de vue des disciplines enseignées dans les différentes filières, le baccalauréat de 1902 constitue en effet le socle à partir duquel se constitueront les différents baccalauréats que nous connaissons, au fil de la différenciation des filières. En 1902, il y a ainsi quatre filières de première partie ; en 1927, elles sont réduites à trois : A (français, latin, grec, sciences, langue étrangère), A' (français, latin, sciences, langue vivante) et B (français, sciences, deux langues vivantes), avant d'augmenter à nouveau en 1945.

Pour l'essentiel toutefois, le baccalauréat entre à partir de 1902 dans une phase de stabilisation. Bien que la nostalgie du baccalauréat classique demeure, le choix des humanités modernes réunit autour de lui un assez large consensus, ne serait-ce que parce qu'il s'accommode d'une diversification des cursus via le rôle des séries.

Source : Christine Vergnolle-Mainar, maître de conférences en géographie, François Grèzes-Rueff, maître de conférences en histoire, IUFM Midi-Pyrénées, « Le baccalauréat et la géographie des disciplines scolaires », communication lors du colloque précité, actes à paraître.

« La logique [du baccalauréat de 1902] est celle d'un point d'équilibre, très longuement recherché dans les multiples débats qui ont précédé la réforme, celle de l'adaptation des humanités au monde moderne. L'intégration des mathématiques est le moyen le plus aisé de le faire : par son approche abstraite, donc « désintéressée », c'est une discipline qui peut, au même titre que les langues anciennes dont elle prend plus ou moins la place, s'insérer dans une vision généraliste d'une culture définissant une élite intellectuelle et lui apportant un mode de pensée. » 6 ( * )

Cela est d'autant plus vrai que la dissociation des deux parties permet alors au baccalauréat d'assumer au mieux ses deux fonctions : la première partie, de loin la plus lourde, joue le rôle de certificat de fin d'études secondaires. La deuxième partie permet d'amorcer la spécialisation et conduit ainsi aux études supérieures. Nombreux sont donc alors ceux qui se contentent de la première partie, tel le jeune Jean Monnet.

LA BARRIÈRE ET LE NIVEAU

En 1925, le sociologue Edmond Goblot fait paraître La barrière et le niveau . L'ouvrage a toutefois été écrit avant la guerre : il analyse avec beaucoup de précision le double rôle social du baccalauréat, qui tout à la fois permet d'accéder à la bourgeoisie, mais limite cette accession puisqu'il la subordonne à l'obtention du précieux diplôme. Il est donc tout à la fois niveau et barrière. Aussi Goblot peut-il écrire : « Le baccalauréat, voilà la barrière sérieuse, la barrière officielle et garantie par l'État, qui défend contre l'invasion. On devient bourgeois, c'est vrai ; mais pour cela, il faut d'abord devenir bachelier. »

* 6 Christine Vergnolle-Mainar, François Grèzes-Rueff, communication précitée.

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