B. LES TRANSFERTS PUBLICS SOCIAUX, UNE REDISTRIBUTIVITÉ AU PROFIT DES PLUS DÉMUNIS
Les transferts publics sociaux en espèces représentent quand on inclut les prestations de retraite la masse des dépenses publiques la plus importante : autour de 40 % du total des dépenses publiques en France.
Ces dépenses publiques couvrent des événements qui se traduisent par des réductions plus ou moins drastiques des revenus : la maladie (ici pour la partie correspondant aux indemnités journalières), la vieillesse, le chômage, la constitution d'une famille...
Leur objectif est de compenser ces événements plus ou moins aléatoires dans le cadre de systèmes qui empruntent à l'assurance mais s'affranchissent de la logique des assurances individuelles pour rejoindre des principes plus mutualistes.
Les « risques » couverts ne sont pas également distribués dans la population et, de ce fait, une partie importante de la redistributivité de ces dépenses provient de l'inégalité horizontale entre malades et bien portants, entre actifs et inactifs, entre célibataires et chargés de famille... Les dépenses publiques exercent alors une redistributivité horizontale c'est-à-dire sans lien direct avec l'état de revenu des personnes concernées par le système. Il se trouve toutefois que la survenance des risques concernés entraîne presque systématiquement une rupture dans la situation financière des bénéficiaires et qu'alors la redistributivité horizontale s'accompagne d'une redistributivité verticale (soit une redistributivité entre personnes de revenus différents) quand on tient compte des effets des événements en cause sur le revenu.
Cependant, même au regard de la redistributivité verticale au sens strict (celle qui n'intervient qu'à raison de l'inégalité de la distribution des revenus hors l'impact sur celle-ci de l'inégalité de la distribution des risques couverts), les transferts publics sociaux ne sont pas sans exercer d'effets.
Des dispositions peuvent jouer dans le sens d'une conditionnalité des prestations à un plafond de revenu - en France, elles sont peu développées -, des arrangements institutionnels peuvent améliorer le retour des cotisants les moins bien dotés, surtout l'universalité des prestations réduit en soi les écarts entre moins et plus riches.
Au total, hors retraites , les prestations sociales réduisent en France le rapport entre les 20 % les plus riches et les 20 % les moins riches, de 6,3 à 4,4 soit une réduction des inégalités de près de 30 % . Mais, cette redistributivité s'affaiblit au-delà du premier quintile de revenus, de sorte que l'écart entre le revenu du quintile le plus aisé et du deuxième quintile n'est déjà plus que faiblement modifié par les prestations.
La considération des retraites , qui représentent autour de la moitié des dépenses publiques de transferts sociaux, conforte ce diagnostic d'une redistributivité très ciblée .
Au sein d'une génération donnée, les rendements des cotisations sont dégressifs mais seulement dans la zone des plus faibles revenus. Après le troisième décile de revenus, les rendements sont approximativement égaux. Cela revient à dire que leurs cotisations rapportent autant à des personnes de revenus très différenciés et que le système n'est pas redistributif sinon pour les personnes les moins dotées. Situation conforme à la logique d'un système où les dépenses correspondent à un étalement dans le temps de l'utilisation du revenu individuel.
Au total, la redistributivité des prestations sociales publiques est sans doute quantitativement assez faible et ressort comme très concentrée sur les personnes les plus démunies, à une fraction desquelles elle permet d'échapper à la pauvreté .
Sous ces angles, la redistributivité des dépenses publiques apparaît largement compensatrice de handicaps socio-économiques auxquels elle n'apporte qu'assez peu de solutions structurelles.
La concentration des effets redistributifs des dépenses publiques sociales semble assez mal appréhendée par une fraction de l'opinion publique : celle qui correspond d'un côté aux réactions de satisfaction face à un État-Providence pour tous et chacun et de l'autre, au contraire, aux réactions hostiles liées à l'impression de subir des « spoliations » injustes .
Ces perceptions ne correspondent, pour l'essentiel, à aucune des réalités que découvre l'examen de la redistributivité de ces dépenses, même si les rendements des prélèvements obligatoires varient certainement selon l'appartenance à telle ou telle catégorie de revenus .
Il est probable qu'au-delà des effets des discours jouent beaucoup dans les perceptions, d'une part dans un sens favorable, l'universalité des dépenses sociales qui entretient le sentiment que « l'État est social pour tous 121 ( * ) » et, d'autre part dans l'autre sens, hormis l'impact de la fiscalité progressive sur quelques-uns, le décalage dans le temps entre les prélèvements obligatoires subis et les prestations reçues.
Ce dernier phénomène doit d'autant plus intervenir qu'une fraction des prélèvements obligatoires est redistribuée aux ménages sous la forme de biens et services publics qui, sans être individualisés aussi nettement qu'une prestation en espèce, représentent autant d'avantages en nature et dont on va maintenant examiner les propriétés redistributives.
* 121 Sentiment qui correspond sans doute partiellement à une réalité, puisque l'Etat est un tuteur social pour tous, mais qu'on devrait plutôt formuler en disant que l'Etat est social à la place de chacun étant donné qu'une partie essentielle de son rôle est d'organiser et de gérer la répartition temporelle de l'utilisation de leur revenu par les individus.