2. Des motifs légitimant l'intervention publique
Les deux contestations radicales de l'intervention publique (et donc des dépenses publiques) contrastent avec les autres approches théoriques qui, toutes, fondent l'utilité économique des dépenses publiques.
Celles-ci se distinguent moins par leur nature, où le libéralisme des conceptions économiques prime, que par le degré de confiance accordée respectivement au marché et à l'intervention publique .
Les théoriciens libéraux historiques , de Locke à Adam Smith, qui ont pourtant consacré la primauté de l'individualisme et, donc du marché, préconisent que l'État intervienne, non seulement pour pallier les insuffisances du marché, mais aussi pour en corriger les excès .
Une fois justifiée l'intervention publique, il n'existe pas de véritable solution de continuité entre les différentes approches économiques, mais des nuances sur le degré des mérites de l'action de l'État .
a) Les insuffisances du marché sont la première et la plus célèbre des justifications apportées à l'intervention de l'État par les théoriciens libéraux
Ces insuffisances se révèlent face à trois grands types de situations :
- les biens collectifs (par opposition aux biens privés), qui ne peuvent être livrés correctement dans le cadre du marché. Leurs caractéristiques empêchent toute production par un agent privé, puisqu'il n'est pas possible de faire payer un prix pour leur consommation. En effet, avec ces biens sont associées deux propriétés qui ôtent au marché la faculté de les valoriser :
- la propriété de non-rivalité des consommateurs (ou d'indivisibilité) au terme de laquelle la quantité consommée par l'un ne diminue pas la quantité disponible pour les autres ;
- la propriété de non-exclusion des consommateurs selon laquelle on ne peut exclure un consommateur en lui réclamant un prix.
Le périmètre des biens collectifs n'est pas aisément déterminable et fait l'objet de controverses - v. infra -. La diplomatie en présente un exemple qui n'est guère contesté.
- l'existence d'externalités , c'est-à-dire d'effets positifs ou négatifs que le marché ne peut valoriser ou sanctionner. Dans le premier cas (celui des effets négatifs), il existe un risque de surproduction et la taxation est un instrument tutélaire qui permet d'ajouter aux coûts privés le coût des effets négatifs que le marché ne valorise pas spontanément (exemple de la pollution d'un bien libre de droits). Dans le second cas (celui des effets positifs), il existe au contraire un risque de sous-production puisque l'ensemble des bénéfices d'un bien ou d'un service n'est pas pris en compte par le marché. L' intervention publique est alors justifiée pour produire directement le bien en cause ou en subventionner la production (tel est le cas pour certains biens concourant à la santé publique, par exemple).
- l'existence de risques de marché qui ne sont pas à la portée d'un investisseur raisonnable.
Cette situation est décrite par Adam Smith dans les termes suivants : « Le troisième devoir du souverain consiste à ériger et maintenir des travaux publics qui, bien que du plus haut intérêt pour la société, sont d'une nature telle que le profit ne peut jamais couvrir la dépense d'un individu ou d'un petit nombre d'individus ; on ne doit donc pas s'attendre en conséquence à ce qu'ils les entreprennent ou les maintiennent. »
L'exemple cité, les travaux publics, et la référence à des investisseurs en petit nombre révèlent une réflexion marquée par son temps. Ils témoignent aussi d'un certain degré de contingence de cette troisième justification de l'intervention publique. Aujourd'hui, de nombreux travaux publics (les autoroutes, par exemple) peuvent être exécutés dans les conditions de marchés qui, par ailleurs, réunissent désormais autour de projets donnés des investisseurs en grand nombre, et donc capables de diviser leurs risques.
Toutefois, même si son contenu peut évoluer, il faut retenir l'idée que, dès l'origine, les économistes libéraux conçoivent que certaines productions, par les risques qu'elles comportent, ne se prêtent pas à des investissements privés de marché.
Dans ces conditions, il est nécessaire, si l'on juge souhaitable, qu'elles soient développées, qu'un investisseur échappant aux contraintes du marché se manifeste. Un tel investisseur ne peut être qu'un investisseur public agissant seul ou en concert avec des partenaires .
Les insuffisances du marché, ses lacunes, ne sont pas les seules justifications à l'intervention publique. Ses excès éventuels, qui relèvent de deux catégories distinctes, apportent à celle-ci une autre justification qu'on commente généralement moins, surtout la seconde .