2. Les grilles de lecture en France
De nombreux travaux ont été menés en France pour la construction d'indicateurs de pauvreté et d'exclusion. Il existe ainsi plusieurs grilles de lecture , avec de nombreux indicateurs communs , mais des objectifs différents .
a) Les indicateurs généraux
L'Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion sociale (ONPES) a réalisé un tableau de bord d'indicateurs dits « centraux », à l'usage des acteurs politiques et sociaux. Par ailleurs, le CNIS a récemment proposé de compléter les données disponibles et de les insérer au sein d'un véritable système d'information sur les inégalités.
Un socle de 11 indicateurs de pauvreté a été défini par l'ONPES.
Il met l'accent sur les indicateurs monétaires de pauvreté, complétés par un indicateur de difficultés d'existence et par des données relatives aux minima sociaux et à l'accès aux ressources fondamentales.
Les onze indicateurs « centraux » retenus par l'ONPES
Tous les indicateurs sont exprimés en pourcentage. Ils ne concernent que la France métropolitaine
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
|
Pauvreté |
||||||||||||
Taux de pauvreté : part des individus dans la population globale vivant dans un ménage au revenu inférieur à 60% de la médiane |
13,5 |
13,4 |
12,8 |
12,3 |
12,7 |
12,4 |
12,2 /12,0* |
12,0 |
11,7 |
12,1 |
||
dont : part des individus dans la population globale vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 50% de la médiane |
7,2 |
6,9 |
6,7 |
6,4 |
6,5 |
6,1 |
6,0 /5,9* |
6,3 |
6,2 |
6,3 |
||
Intensité de la pauvreté (écart entre le revenu médian des ménages pauvres et le seuil de pauvreté à 60% de la médiane) |
18,3 |
17,3 |
17,2 |
17,2 |
17,1 |
16,5 |
16,2 /16,3* |
17,7 |
18 |
18,2 |
||
Taux de pauvreté de la population en emploi : part des individus en emploi vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 60% de la médiane |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
8 |
5,3* |
6,1 |
6,4 |
|||
Taux de difficultés de conditions de vie |
13,1 |
12,0 |
11,9 |
12,1 |
11,6 |
11,9 |
11,4 |
10,6 / 14,7* |
13,3 |
12,7 |
||
Minima sociaux |
||||||||||||
Évolution du nombre d'allocataires de minima sociaux d'âge actif (RMI, AAH, API, ASS+AER à partir de 2002) |
5,2 |
1,9 |
2,6 |
1,8 |
-3,4 |
-1,6 |
0,7 |
3,2 |
4,9 |
4,6 |
0,5 |
|
Persistance des allocataires dans le RMI (supérieure à 3 ans) |
35,4 |
37,5 |
39,4 |
40,7 |
43,2 |
47,2 |
48,9 |
48,7 |
47,0 |
44,9 |
44,5 |
46,1 |
Non accès aux droits fondamentaux |
||||||||||||
Taux de renoncement aux soins pour raisons financières |
17,0 |
14,0 |
14,0 |
15,7 |
11,2 |
13 |
||||||
Taux de sortants du système scolaire à faible niveau d'études |
15,4 |
15,2 |
14,1 |
14,9 |
14,7 |
13,3 |
13,5 |
13,4 |
12,7 |
13,4 |
12,6 |
13,1 |
Taux de demandeurs d'emploi non indemnisés (RAC et ASS) |
43,4 |
44,7 |
46,4 |
46,24 |
46,2 |
44,3 |
39,9 |
36,5 |
36,1 |
37,7 |
40,5 |
40,3 |
Part des demandes de logement social non satisfaites après un an |
35,3 |
33,6 |
45,8** |
|||||||||
Inégalités de revenu |
||||||||||||
Rapport inter-déciles des revenus |
3,35 |
3,34 |
3,26 |
3,23 |
3,27 |
3,23 |
3,2 |
3,17 |
3,14 |
3,15 |
*Nouvelle valeur (en raison d'une rupture de série,
explications p. suivante) ** Rupture de série en 2006 :
données non comparables à 2002 (modification du
questionnaire).
Source : ONPES
Dans son rapport précité, le groupe de travail du CNIS sur les niveaux de vie et les inégalités sociales demande la mise en place d'une publication centrale annuelle sur les inégalités, qualifiée de véritable « système d'information ».
Ce système d'information comporterait notamment une cinquantaine d'indicateurs de base, définis par le CNIS, concernant les revenus, le patrimoine, les salaires, l'emploi, l'éducation, le logement, la santé. D'autres indicateurs sont suggérés concernant notamment la culture, la justice... ou encore la participation des femmes à la vie politique, pour laquelle le groupe de travail suggère comme indicateur unique le ratio « nombre d'hommes au Sénat / nombre de femmes »...
L'analyse de la pauvreté ne constitue qu'un aspect de ce travail qui porte, plus généralement, sur la mise en évidence d'inégalités de toutes sortes.
b) Les indicateurs d'efficacité des politiques
Les plans triennaux d'action , présentés dans le cadre de la méthode ouverte de coordination européenne (cf. supra ) donnent lieu à la présentation par le gouvernement de nombreux indicateurs de pauvreté et d'exclusion.
Par ailleurs, le projet de loi de finances est l'occasion de rendre compte annuellement de l'efficacité et de l'efficience des politiques menées, c'est-à-dire d'évaluer les résultats obtenus non seulement par rapport aux objectifs fixés mais également au regard des moyens engagés.
Dans le cadre du plan national d'action pour l'inclusion sociale (PNAI) , la France s'est engagée pour trois ans (2006-2008) sur des objectifs prioritaires :
- l'accès et le retour à l'emploi ;
- l'insertion sociale et professionnelle des jeunes ;
- le développement de l'offre de logement.
Ce plan est accompagné d'une annexe statistique qui comporte notamment les indicateurs généraux de résultat définis par le sous-groupe « indicateurs » du Comité de protection sociale 51 ( * ) . Ces indicateurs sont complétés d'une part par le tableau de bord de 11 indicateurs centraux retenus par l'ONPES (voir ci-après), et d'autre part, par des indicateurs relatifs aux priorités nationales précitées.
Dans le cadre du projet de loi de finances présenté chaque année, un document de politique transversale 52 ( * ) (DPT) retrace l'ensemble des objectifs et indicateurs des programmes du budget de l'État, concourant aux politiques de lutte contre l'exclusion. Ce DPT reprend les trois axes précités du PNAI, et y ajoute un quatrième axe relatif à l'amélioration de la gouvernance, de la transparence et de la participation des parties intéressées à la conception et à l'exécution des politiques.
Pour chaque axe, les thématiques privilégiées sont :
- la réduction de la pauvreté, dont celle des enfants ;
- l'insertion des jeunes ;
- la lutte contre l'illettrisme ;
- l'éradication de l'habitat insalubre ;
- l'amélioration de l'accès à la santé et aux soins.
Les indicateurs du DPT doivent rendre compte de l'impact des politiques d'inclusion sociale . Ils sont donc conçus comme des indicateurs de résultat. S'agissant plus précisément de l'évaluation de la pauvreté, les indicateurs retenus sont par exemple :
- l'intensité de la pauvreté ;
- le pourcentage des allocataires de minima sociaux (RMI, API, ASS) retournant à l'emploi ;
- le pourcentage d'enfants vivant en situation de précarité ;
- le pourcentage de jeunes insérés dans un emploi durable (CDI) à 25 ans révolus ;
- le nombre de logements sortis de l'indignité ;
- la part des personnes sortant des CHRS bénéficiant d'une insertion en matière de logement ou d'emploi.
Les indicateurs du PNAI et du DPT ont vocation à être complétés ou modifiés lorsque seront achevés les travaux actuellement en cours dans le cadre de l' « engagement national » conduit par M. Martin Hirsch, Haut-Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, visant à « réduire d'un tiers la pauvreté en France en cinq ans ».
L'indicateur central adopté ici est, comme il a été indiqué plus haut, celui de pauvreté ancrée dans le temps , qui constitue un compromis entre approches relatives et absolues. Il faut en effet conserver à l'esprit :
- d'une part que la baisse de cet indicateur est une tendance historique lourde ;
- et d'autre part que le suivi de ce seul indicateur pourrait dissimuler d'autres évolutions , s'agissant notamment des inégalités au sein de la population pauvre et de la situation des plus démunis, qui est mal reflétée par les indicateurs existants.
Plutôt que de communiquer sur un seul indicateur, il semble plus logique de se référer à une grille de lecture plus étendue . Le projet d'engagement national pour réduire d'un tiers la pauvreté prévoit d'ailleurs que plusieurs indicateurs soient associés à l'indicateur central en sorte d'éviter de n'avoir les yeux rivés que sur un objectif, ce qui pourrait avoir des « effets pervers » sur d'autres signaux. Il est donc prévu de mettre aussi l'accent sur l'intensité de la pauvreté , afin de vérifier que la diminution de la pauvreté ne s'accompagnera pas d'une dégradation de la situation de ceux qui ont les ressources les plus faibles. Il est également prévu de rendre compte du caractère multidimensionnel de la pauvreté, grâce à des indicateurs relatifs à l'emploi, à l'éducation, à la santé et au logement.
*
* *
Le choix d'indicateurs adéquats pour la mesure de la pauvreté et de l'exclusion sociale n'est pas une simple question technique ; en effet, ce choix est le reflet des objectifs prioritaires assignés à une politique. Il induit par ailleurs des stratégies et une allocation des moyens susceptibles de faire évoluer le « thermomètre » choisi dans le sens souhaité.
Aux plans européen et français, l'accent a été mis, de façon jugée trop prononcée par certains, sur les aspects monétaires de la pauvreté, dans une perspective relative, c'est-à-dire par la mesure des inégalités. Pour intéressante qu'elle soit, cette analyse est nécessairement incomplète.
D'un point de vue statistique, l'approche par les revenus fiscaux comporte certains défauts de mesure, notamment une prise en compte lacunaire des revenus du patrimoine. Des rapprochements entre bases de données fiscales et sociales sont par ailleurs nécessaires, afin d'améliorer l'exactitude d'une enquête dont beaucoup d'éléments sont encore fondés sur des imputations, c'est-à-dire déduits de barèmes ou d'équations économétriques. Ce rapprochement, parallèlement à une augmentation de la taille de l'échantillon ERF, pourra permettre de mieux analyser les inégalités :
- d'une part, en donnant une meilleure idée de leurs causes , ou du moins des phénomènes directement corrélés (emploi, logement, éducation, accès à la culture, etc.), permettant de passer du constat à l'action de la façon la plus appropriée ;
- d'autre part, de mener ce type d'analyse y compris au plan local . La place des collectivités, notamment du département, dans les politiques sociales justifierait l'existence d'indicateurs locaux de niveaux de vie ; or ceux-ci seraient, en l'état actuel de l'échantillon ERF, insuffisamment fiables.
Dans cette double perspective, le suivi longitudinal, mis en place depuis 2004 dans le cadre européen SILC, doit permettre d'améliorer la connaissance des trajectoires des individus, afin d'identifier le plus précisément possible le processus de cumul de difficultés, qui conduit à une mise à l'écart sur un plan social. Dans ce cadre, il faudrait s'attacher à mettre en évidence les stades auxquels il serait le plus approprié d'agir .
Au-delà de cette amélioration de la connaissance des inégalités et de leur processus de formation, il est également nécessaire de renforcer l'approche qualitative de la pauvreté, notamment en ce qui concerne les conditions de vie . Des comparaisons européennes pourraient être utiles, mais elles se heurtent à l'hétérogénéité des méthodes, cet aspect demeurant marginal dans la grille de lecture européenne. A l'échelle nationale, l'attention est focalisée sur le taux de pauvreté monétaire relatif ou « ancré dans le temps ». Faisant l'objet de peu de communication, le taux de pauvreté par les conditions de vie semble négligé. Or un recoupement plus systématique entre indicateurs monétaires et indicateurs de conditions de vie serait susceptible de fournir des informations intéressantes, malgré les lacunes inhérentes à chacune de ces mesures.
Enfin, et paradoxalement, la très grande pauvreté est mal connue, alors même qu'elle en constitue l'aspect le plus aigu et celui qui vient sans doute le plus communément à l'esprit à l'évocation de ces questions de pauvreté et d'exclusion. La très grande pauvreté demeure un indéfini sur le plan statistique . Cette situation peut être améliorée, d'autant que l'évolution du taux de pauvreté monétaire nous dit peu de chose concernant cette dimension particulière. S'agissant de la prise en compte des sans-domicile, le récent rapport de l'IGAS a suggéré des pistes relatives notamment à une meilleure articulation des sources statistiques existantes. Il serait très utile à la connaissance du sujet, qu'en partenariat avec les associations, il soit possible de définir un certain nombre d'indicateurs d'alerte, plus qualitatifs que les indicateurs existants et susceptibles d'être mesurés et publiés dans des délais plus brefs.
La mesure de la pauvreté et de
l'exclusion :
- Continuer le travail d'enrichissement de l'enquête revenus fiscaux afin que tous les revenus monétaires y soient pris en compte, notamment en rapprochant les bases de données fiscales et sociales actuellement disjointes ; - Élargir l'échantillon de cette enquête afin que soient connues de façon plus fiable les conditions de vie au plan local, et pour établir précisément les corrélations existant entre pauvreté, emploi, logement, éducation, etc. ; - Mieux connaître l'impact des politiques sociales locales sur les niveaux de vie ; - Améliorer la connaissance des trajectoires qui mènent à la pauvreté et à la persistance dans la pauvreté (suivi longitudinal) ; - Encourager une meilleure prise en compte, au plan européen, des dimensions qualitatives de la pauvreté, s'agissant notamment des difficultés en termes de conditions de vie ; - Encourager aussi, au plan européen, le calcul de variantes afin que l'ensemble des aspects des politiques fiscales et de redistribution puissent être pris en compte dans le calcul des niveaux de vie (notamment l'impact des services publics collectifs individualisables et des aides locales) ; - Améliorer la connaissance de la très grande pauvreté, en suivant notamment les préconisations de l'IGAS sur la coordination de l'observation statistique des personnes sans abri ; - Définir des indicateurs d'alerte publiables rapidement, afin de pouvoir infléchir les politiques conduites sur le fondement de remontées d'expériences des acteurs de terrain ; - Communiquer, non pas sur un indicateur central unique (la pauvreté ancrée dans le temps) mais de préférence sur un ensemble réduit d'indicateurs ; - Ne pas multiplier les grilles de lecture. |
* 51 Le Comité de protection sociale (CPS) est un groupe de hauts fonctionnaires créé en 2000 pour former une plate-forme d'échange et de coopération entre la Commission européenne et les États membres en ce qui concerne la modernisation et l'amélioration des systèmes de protection sociale. Le travail de ce comité depuis sa création a été largement déterminé par le volet social de la stratégie de Lisbonne, dont le principal instrument est la méthode ouverte de coordination sur la protection sociale et l'inclusion sociale.
* 52 Cette annexe au projet de loi de finances est prévue par l'article 128 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005, complété par l'article 169 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006.