D. LA PRISE DE CONSCIENCE D'UNE NÉCESSAIRE COORDINATION

1. Un avertissement : l'exemple anglais

Toujours cité comme étant le pays le plus en pointe en matière de vidéosurveillance, en raison principalement de l'étendue de son réseau et du nombre de caméras installées, le Royaume-Uni est un laboratoire privilégié.

Les évaluations les plus avancées sur l'efficacité de la vidéosurveillance aux fins de prévenir la délinquance y ont été réalisées.

L'étude de référence fréquemment citée est celle menée pendant trois ans par M. Martin Gill et Mme Angela Spriggs au nom du Home Office Research, Development and Statistics Directorate 16 ( * ) .

Forte du constat que dans de nombreux cas la vidéosurveillance n'a pratiquement aucun effet sur l'évolution de la délinquance, cette étude conclut néanmoins que la question n'est pas tant de savoir si la vidéosurveillance marche ou non mais dans quelles conditions elle peut être efficace : « le recours à la vidéosurveillance doit reposer sur une stratégie définissant des objectifs et les moyens pour les atteindre. Cette démarche doit prendre en compte les problématiques de la délinquance locale et les mesures de prévention existantes ».

Le rapport précité de l'INHES résume ainsi les enseignements des différentes études menées sur la vidéosurveillance : « pour être efficace, la vidéosurveillance doit être appliquée à certains problèmes qu'elle peut contribuer à traiter et doit être insérée dans une organisation qui permette de tirer parti de ses atouts ».

Plus récemment encore, en mai dernier, une polémique consécutive aux déclarations de M. Mick Neville, responsable de l'exploitation de la vidéosurveillance à des fins judiciaires à la Metropolitan Police de Londres, a souligné les lacunes de la vidéosurveillance à Londres dont le développement quantitatif - 90.000 caméras contrôlées par les autorités locales- est contrebalancé par un manque de cohérence d'ensemble et des moyens insuffisants pour l'exploitation des images.

N'hésitant pas à parler de fiasco, M. Mick Neville, que vos co-rapporteurs ont rencontré, a indiqué que le Royaume-Uni aurait dépensé au fil des années, plusieurs milliards de Livres Sterling pour mettre en place par strates successives et sans plan d'ensemble, un réseau de vidéosurveillance extrêmement dense afin de prévenir les crimes et délits. Or, outre que l'effet préventif s'estomperait dans le temps, il a jugé le bilan dérisoire en matière judiciaire, l'exploitation des images et leur utilisation comme moyen de preuve au procès pénal n'ayant jamais été sérieusement pris en compte.

La vidéosurveillance comme moyen de preuve au procès pénal

En droit pénal français, les deux règles principales d'admissibilité de la preuve sont la garantie d'un procès équitable et la liberté de la preuve (art.427 du code de procédure pénale.

Le principe étant celui de la liberté, la preuve par la vidéosurveillance est donc recevable. En droit civil, la vidéosurveillance a déjà été admise à titre de preuve en matière de droit du travail dans une affaire de licenciement pour faute grave.

Toutefois, l'admissibilité de la preuve est subordonnée à sa licéité, c'est-à-dire à la manière dont elle a été obtenue. Une image recueillie par un système de vidéosurveillance non autorisé ne pourrait être admise comme preuve.

Enfin, il appartient au juge d'apprécier la fiabilité de la preuve. La qualité de l'image est à cet égard déterminante. Mais même une image ne permettant pas d'identifier un individu peut servir de preuve, par exemple pour déterminer précisément l'heure à laquelle une infraction a été commise.

Toutefois, le fait qu'un enregistrement ne puisse être utilisé comme preuve ne lui retire pas tout intérêt. Il reste un moyen d'investigation important pour orienter l'enquête, par exemple pour connaître les circonstances d'une agression ou la tenue vestimentaire d'un suspect. A défaut de constituer une preuve judiciaire, la vidéosurveillance peut contribuer à la recherche de telles preuves.

Selon son étude, en 2006, seulement 5 % des vols dans les bus auraient été élucidés grâce à la vidéosurveillance alors que chacun est équipé de douze caméras. Or, l'effet préventif ou dissuasif de la vidéosurveillance ne dure pas si elle ne permet pas d'interpeller les délinquants.

M. Mick Neville pointe plusieurs erreurs stratégiques :

- la faible qualité des images ;

- l'absence de formation des policiers à l'utilisation de ces images ;

- la concentration des investissements sur la production des images et non sur leur exploitation par la police à des fins d'investigation et par l'autorité judiciaire comme preuve au procès pénal .

Il a expliqué à vos co-rapporteurs que dans les quartiers où ces erreurs avaient été corrigées, le taux d'élucidation des vols avec violence sur la voie publique avait progressé de 15 à 20 %. Il a ajouté qu'à terme, la vidéosurveillance deviendrait un outil d'investigation plus efficace que les empreintes génétiques et digitales réunies. D'ores et déjà, selon une étude comparative entre deux quartiers, l'un sans vidéosurveillance et l'autre avec, si 16 % des crimes seraient élucidés grâce aux empreintes génétiques et digitales pour chacun, 20 % le seraient grâce à la vidéosurveillance pour le second.

2. Le nouvel engagement de l'État en faveur de la vidéoprotection

Il y a encore trois ans environ, l'Etat se tenait en retrait vis-à-vis de la vidéosurveillance 17 ( * ) .

En effet, l'Etat s'est longtemps contenté de fixer le cadre juridique, laissant aux collectivités territoriales, aux transporteurs et aux personnes privées le soin de déterminer leur propre besoin en matière de vidéosurveillance. Aucun dispositif financier, juridique ou politique ne les y incitait. Les renvois d'image vers les commissariats étaient rares et souvent financés par la collectivité elle-même, les services de police ne percevant pas toujours très bien l'intérêt de ces dispositifs. La seule exception concerne la préfecture de police de Paris qui, en raison de ses compétences particulières en matière de police, dispose d'un système de vidéosurveillance de la voie publique. Toutefois, jusqu'à récemment, ce système était assez rudimentaire et dédié à la régulation du trafic routier (voir ci-après).

On évoquera seulement le décret n° 97-46 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux qui dispose que l'obligation de surveillance de certains de ces locaux 18 ( * ) peut être assurée par un système de vidéosurveillance (articles 3 et 4). Le décret n° 97-47 du 15 janvier 1997 prévoit des dispositions similaires pour la surveillance des garages ou des parcs de stationnement.

Comme le résume le rapport de l'INHES précité, « l'Etat, à travers la police et la gendarmerie nationales, se positionne ainsi pour la vidéosurveillance de l'espace public comme exploitant secondaire d'images constituées en dehors de lui ».

Toutefois, cette attitude a changé depuis l'adoption de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme.

Ce texte marque la première étape de l'implication nouvelle de l'Etat en matière de vidéosurveillance dans les espaces publics .

L'article 1 er de la loi du 23 janvier 2006 impose désormais que les systèmes de vidéosurveillance soient conformes à des normes techniques nationales minimales. De l'avis général, les critères retenus par l'arrêté du 26 septembre 2006, complété par l'arrêté du 3 août 2007, sont exigeants. Cette normalisation doit améliorer la qualité des systèmes et faciliter leur interopérabilité . La mise à niveau des systèmes existants oblige d'ailleurs les opérateurs à des investissements importants.

Cet article 1 er a également prévu la possibilité d'un accès direct et permanent des services de police et de gendarmerie aux images des systèmes de vidéosurveillance exploités par des tiers. L'Etat se dote ainsi des moyens d'être destinataire d'images exploitables par ses services.

En outre, l'article 2 de la loi du 23 janvier 2006 a donné au préfet le pouvoir de prescrire la mise en oeuvre de systèmes de vidéosurveillance aux fins de prévention d'actes de terrorisme.

Cette première étape fut complétée par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance 19 ( * ) .

Elle prévoit notamment que lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale exerce la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance, il peut décider, sous réserve de l'accord de la commune d'implantation, d'acquérir, installer et entretenir des dispositifs de vidéosurveillance. Il peut mettre à disposition de la ou des communes intéressées du personnel pour visionner les images. Cette disposition doit encourager la mise en place de systèmes de vidéosurveillance intercommunaux correspondant à des bassins de délinquance. Elle doit également limiter les effets de report de la délinquance sur les communes voisines. Enfin, elle permet de baisser les coûts en les mutualisant. L'expérience de la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency est exemplaire à cet égard 20 ( * ) .

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a créé un Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD). Ce fonds finance en particulier le raccordement des systèmes de vidéosurveillance aux services de police et de gendarmerie.

Ces ajustements législatifs, qui n'ont toutefois pas modifié le cadre légal général de la vidéosurveillance dans les espaces publics, ont été suivis d'un engagement financier et politique de l'Etat en faveur de cette technologie.

A l'été 2007, le gouvernement sous l'impulsion de Mme Michèle Alliot-Marie a lancé un plan national de développement de la vidéoprotection, l'effort devant porter principalement sur la voie publique et les transports. L'objectif affiché est de tripler en deux ans le nombre de caméras sur la voie publique : 60.000 contre 20.000.

Ce plan s'organise autour de trois axes :

- aider les communes à financer de nouveaux systèmes ;

- raccorder les centres de supervision urbains gérés par les communes aux services de police et de gendarmerie ;

- développer les moyens propres de l'Etat, notamment à Paris avec le plan « 1.000 caméras ».

Un premier bilan peut déjà être fait.

A la fin du premier semestre 2008, le ministère de l'intérieur constatait une hausse des équipements et des demandes d'équipement. En 2007, l'Etat a ainsi contribué au financement de 315 projets, pour un montant total de subvention de 13,4 millions d'euros. 10.000 caméras ont été soumises aux autorisations des préfets en 2007, contre 4.000 en 2006 21 ( * ) .

Toutefois, même si aucune donnée statistique fiable n'est encore disponible, il est probable qu'en 2008 la hausse sera moins importante, les communes ayant procédé aux principaux investissements en 2007 avant les élections municipales.

S'agissant des raccordements entre les centres de supervision et les services de police et de gendarmerie, alors que seulement 61 centres étaient raccordés au 1 er juillet 2007, 43 centres supplémentaires l'étaient en juin 2008. 40 raccordements supplémentaires sont attendus pour la fin 2008 et 98 en 2009. Ces investissements sont pris en charge par le FIPD.

S'agissant des moyens propres de l'Etat, outre les caméras embarquées déjà évoquées et les dispositifs mobiles dont la gendarmerie devrait disposer cette année pour réduire le format de certaines gardes statiques, le plan « 1.000 caméras » à Paris est entré dans sa phase de déploiement. En réalité, 1.200 caméras seront installées en surface 22 ( * ) . L'opération sera pour l'essentiel financée par un partenariat public-privé 23 ( * ) .

3. Une volonté de pilotage et de cohérence : le comité de pilotage stratégique et la commission nationale de la vidéosurveillance

Cette hausse des moyens consacrés à la vidéosurveillance s'accompagne d'un effort de pilotage inédit.

En premier lieu, à l'initiative du ministre de l'intérieur, une commission nationale de la vidéosurveillance a été créée par le décret n° 2007-916 du 15 mai 2007. Installée le 9 novembre 2007, cette commission administrative non prévue par la loi est un organisme consultatif chargé de donner son avis au ministre de l'intérieur sur les évolutions techniques et les principes d'emploi des systèmes de vidéosurveillance. Présidée par M. Alain Bauer, elle se compose de vingt membres désignés pour cinq ans et répartis comme suit :

- sept représentants du ministère de l'intérieur ;

- un représentant du ministère de l'équipement ;

- un représentant du ministère de l'industrie ;

- deux députés et deux sénateurs 24 ( * ) ;

- le directeur de l'INHES ;

- un représentant de l'Association des maires de France ;

- un représentant de l'Association des maires des grandes villes de France ;

- un représentant des transporteurs publics ;

-un représentant du Conseil national des barreaux ;

- un représentant de l'union des sociétés de protection ;

- un représentant de l'assemblée générale des chambres de commerce et d'industrie.

La composition appelle deux remarques de vos rapporteurs : la surreprésentation de l'Etat (9 membres sur 20 en ne comptabilisant que les représentants des ministères) et la quasi-absence de personnalités qualifiées ou professionnellement sensibles au respect des libertés et de la vie privée.

A côté de cette commission, le ministre de l'intérieur a souhaité se doter d'un Comité de pilotage stratégique, présidé par M. Philippe Melchior.

Composé d'experts, ce comité est chargé de concevoir et d'impulser de nouvelles propositions auprès du ministre de l'intérieur.

Enfin, le Comité interministériel de prévention de la délinquance reste également compétent, notamment pour assurer la cohérence d'ensemble de la politique de prévention de la délinquance dont la vidéosurveillance est un des éléments. Le comité interministériel est également attributaire des crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. A ce titre, il assure une partie importante de l'ingénierie administrative et financière du plan de développement de la vidéosurveillance.

Ce triple attelage peut se résumer de la façon suivante :

- conception et proposition par le Comité de Pilotage Stratégique ;

- mise en oeuvre par le Comité interministériel de prévention de la délinquance ;

- avis et contrôle par la Commission nationale de la vidéosurveillance.

Les raisons de cette implication de l'Etat sont diverses.

En premier lieu, l'exemple anglais montre les erreurs à ne pas reproduire.

En deuxième lieu, la coproduction de sécurité entre les communes et l'Etat semble avoir atteint un nouvel équilibre, de vrais partenariats se nouant. Les maires tentés par la mise en oeuvre d'une politique de sécurité concurrente de celle de l'Etat sont de plus en plus rares. Comme l'a déclaré M. Luc Strehaiano, le choix de la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency a été d'offrir à la police nationale un outil de vidéosurveillance performant et adapté à ses besoins, plutôt que de multiplier par deux les effectifs de la police municipale.

En troisième lieu, l'implication de l'Etat témoigne de la prise de conscience que la vidéosurveillance est peu efficace si elle n'est pas organisée pour permettre la répression des infractions. L'effet préventif est en effet très marginal sans répression. Or, la répression relève quasi-exclusivement de la compétence de l'Etat.

Enfin, comme l'a confié M. Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, le risque est que la multiplication des caméras sans plan d'ensemble et sans que les services de police et de gendarmerie ne soient en capacité de les exploiter utilement n'aboutisse à une mise en cause de la responsabilité de l'Etat par l'opinion publique. Il a expliqué que ce problème se posait déjà avec l'ADN lorsque des faits divers ont montré que si des prélèvements ou des traces avaient été traités en temps utile, des crimes auraient pu être évités. La résorption de ces goulets d'étranglement est un souci constant pour éviter les reproches du type « vous aviez l'image et vous n'avez rien fait ».

* 16 « Assessing the impact of CCTV », Home office research study 292, février 2005.

* 17 A l'exception de la vidéosurveillance des bâtiments et installations de l'Etat.

* 18 Les bijouteries et les banques notamment.

* 19 On citera également la loi n° 2006-7848 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives qui impose, lorsqu'un système de vidéosurveillance est installé dans une enceinte où une manifestation sportive se déroule, de s'assurer, préalablement au déroulement de ladite manifestation, du bon fonctionnement du système de vidéosurveillance.

* 20 On relèvera que cette expérience a été lancée avant la loi du 5 mars 2007.

* 21 En zone gendarmerie, près de 200 communes auraient des projets d'équipements, 21 développant des systèmes existants. Sur les 325 communes déjà équipées, seules 11 disposeraient d'un report d'image vers la gendarmerie.

* 22 La préfecture de police a déjà accès aux caméras de la RATP et de la SNCF, soit plus de 9.000 caméras.

* 23 La ville de Paris participe également au projet, principalement en prenant en charge les travaux de terrassement.

* 24 Pour le Sénat, seul notre collègue Christian Cambon a été désigné à ce jour.

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