C. LE CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE DE PAMANTZI

1- L'organisation du centre

Une note de service de septembre 2007, portant réorganisation de la direction de la PAF, prévoit la création d'une division éloignement qui comprend trois unités : le centre de rétention administrative (35 personnes), le service du Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (deux personnes), la cellule éloignement (trois personnes).

Le chef du centre est nommé par arrêté du préfet sur proposition du directeur de la police aux frontières (DPAF). Il est rattaché hiérarchiquement au DPAF et fonctionnellement au préfet.

Sous l'autorité d'un policier du corps d'encadrement et d'application, le CRA est composé de six brigades de roulement (trois de jours à sept personnels et trois de nuits à sept personnels).

2- Une régularisation juridique du LRA puis du CRA très tardive

Alors qu'il existait depuis au moins 1996, le local de rétention administrative temporaire situé route nationale à Pamantzi a été officiellement créé par arrêté préfectoral du 19 novembre 2002.

Alors que l'article 55 du décret du 17 juillet 2001 prévoyait la création d'un CRA à Mayotte par arrêté conjoint des ministres de la justice, de l'intérieur, de la défense et des affaires sociales, il a fallu attendre l'arrêté ministériel du 19 janvier 2004 pour que le LRA devienne officiellement un centre de rétention administrative, qu'un règlement intérieur soit édicté et qu'un registre de rétention soit mis en place.

Toutefois, comme il le sera montré infra, les conditions de vie et l'exercice des droits se rapprochent - dans la réalité - du fonctionnement d'un LRA et non d'un CRA.

Les articles 62 et 63 du décret susmentionné de 2001 prévoient que « lorsque les circonstances de temps ou de lieu font obstacle au placement immédiat d'un étranger qui est l'objet d'une mesure dans l'un des centres, l'intéressé peut être placé en rétention dans d'autres locaux qui peuvent être ouverts de manière temporaire lorsque les besoins n'exigent pas leur ouverture permanente ».

Or, la décision de créer un LRA en 2002 contrevenait à ce texte puisque d'une part un CRA aurait pu être créé mais aurait nécessité un arrêté ministériel, des conditions de vie et la garantie de droits plus importantes et d'autre part, le caractère permanent de son fonctionnement n'était pas à démontrer compte tenu du nombre élevé d'étrangers en situation irrégulière placés.

3- Les actions d'information, de soutien moral et l'exercice des droits des retenus ne sont pas dispensés

Les dispositions de l'article 58 du décret n°2001-635 du 17 juillet 2001 pris pour l'application de l'ordonnance du 26 avril 2000 prévoient que « les étrangers maintenus dans un centre de rétention bénéficient d'actions d'accueil, d'information, de soutien moral et psychologique et, le cas échéant, d'aide pour préparer les conditions matérielles de leu départ. L'association à caractère national avec laquelle une convention a été passée peut concourir aux actions et à l'aide définies à l'alinéa précédent. En outre, le représentant du gouvernement peut passer une même convention avec une association locale ayant pour objet la défense des droits des étrangers ».

Les dispositions du décret spécifique à Mayotte ne prévoient donc qu'une simple possibilité pour l'Anaem et la Cimade d'être représentées à Mayotte, contrairement à la réglementation applicable dans les CRA de métropole et dans les DOM. Cette possibilité n'a pas été retenue puisque ni l'Anaem, ni la Cimade sont présentes en permanence au CRA. Celui-ci ne fait pas d'ailleurs partie du marché d'accompagnement juridique dans les lieux de rétention.

En application du dernier alinéa de l'article 58 du décret n°2001-635 du 17 juillet 2001, le représentant de l'Etat a habilité l'association locale « Tama » depuis le mois de mai 2008 à intervenir au CRA. Or cette association agit seulement en matière de regroupement familial des mineurs abandonnés et non de défense des droits des retenus.

La Cimade est intervenue plusieurs fois dans le CRA sur demande de familles dans le cadre de visites aux retenus et non d'une présence officielle dans le cadre d'une habilitation.

En février 2008, la Cimade a demandé au ministre de l'immigration et au préfet de Mayotte l'habilitation de quatorze bénévoles. La réponse, qui n'est parvenue que mi janvier 2009, autorise cinq bénévoles à intervenir au CRA compte tenu « de sa taille et de son activité ». Or justement, le nombre de retenus transitant par le centre et l'activité en flux tendu impliquerait un nombre plus élevé de représentants de la Cimade qui de plus ne disposent pas de local spécifique pour recevoir les personnes retenues.

4- Le règlement intérieur du CRA n'est pas appliqué pleinement

Le règlement intérieur mentionné à l'article 2 de l'arrêté du 19 janvier 2004 précisant les conditions d'application des articles 55, 59, 61 du décret n°2001-635 n'est pas appliqué pleinement.

Le registre de rétention prévu à l'article 3 comprend bien les mentions suivantes imprimées à l'aide d'un tampon en langue française et shimaore: "je reconnais avoir été informé que je peux bénéficier d'un interprète, d'un médecin, d'un conseil, que je peux communiquer avec mon consulat et une personne de mon choix et que j'ai reçu communication du règlement intérieur" mais :

- certaines notifications ne font pas apparaître la signature des personnes placées en rétention (par exemple 19 retenus le 15 janvier 2009). La présence de simples croix ou doubles traits  est logique lorsque le retenu ne sait pas écrire, mais mériterait une annotation particulière de la part de l'autorité chargée de tenir le registre ;

- la mention « refus de signer sur le registre de rétention » prévue n'est pas systématique ;

- il n'est pas mentionné que les retenus sont susceptibles de déposer une demande d'asile dans les cinq jours après l'arrivée au CRA (cette possibilité leur a été précisé au moment de la notification de l'APRF) ;

- enfin, l'heure de notification de l'APRF ne figure pas sur le registre de rétention. Cette omission est une grave anomalie procédurale qui constituerait une nullité de procédure en cas de saisine du JLD. Des directives ont été données par le directeur de la PAF pour y remédier. Ainsi, il est prévu que les services interpellateurs remettent une photocopie du PV de notification de l'APRF au CRA lors de l'arrivée du retenu.

Le dépôt de sommes d'argent, objets de valeur au service d'accueil du CRA prévu à l'article 6 est mentionné sur le registre de fouille qui fait l'objet d'un émargement contradictoire lors du dépôt mais pas systématiquement lors de la réintégration des valeurs.

Les nécessaires de couchage et de toilette (un savon) prévus à l'article 8 sont sommaires et pas toujours distribués (nattes en nombre insuffisant en cas d'affluence).

Les cabines téléphoniques mentionnées à l'article 14 n'ont été mises en place qu'en 2008 et encore, un seul appareil a été installé.

L'action des personnels de l'Anaem en matière de récupération de bagages ou de clôture des comptes prévue à l'article 17 n'est pas assurée.

Le local prévu pour les visites (familles, avocats, consuls) à l'article 18 vient d'être créé. Les visites se déroulent au poste d'arrivée des retenus, sans aucune confidentialité.

Les possibilités offertes aux retenus de bénéficier de conseils ou de soutien prévues à l'article 20 ne sont pas enfin ouvertes pour les raisons développées supra, l'absence au CRA de représentants de l'Anaem et de la Cimade.

5- Des conditions matérielles dégradantes qui n'ont jamais fait l'objet d'un arrêté ministériel pourtant prévu

Selon l'article 69 du décret susvisé n°2001-635, les conditions matérielles de rétention et la liste des équipements nécessaires à l'hébergement des retenus au CRA de Mayotte doivent faire l'objet d'un arrêté conjoint des ministres chargés des affaires sociales, de l'intérieur et de la défense et, selon l'article 70, le CRA doit être mis en conformité avec les dispositions de l'article précité dans un délai de 3 ans suivant la publication de ce décret.

Or, l'absence de cet arrêté et le non respect - ipso facto - de normes à l'échéance du 11 juillet 2004 conduit à une situation matérielle préoccupante :

- le CRA est composé de trois pièces : l'une d'environ 60 m² est réservée aux femmes, une autre est allouée aux hommes et mesure environ 50 m², une troisième pièce vide sert aux "regroupements" avant les départs ;

- il n'y a pas de lits, les personnes retenues dorment soit à même le sol, soit sur des nattes parfois lavées au karcher en même temps que le sol. Ces équipements étaient lors de la visite de la Cour en nombre trop réduit par rapport à l'effectif. Selon la préfecture, des nattes en nombre suffisant ont été récemment commandées ;

- il n'y avait pas, lors de la visite de la Cour, d'espace pour les enfants (pas de table à langer, pas de lit pour bébé, pas de jeux) en dépit du nombre élevé d'enfants retenus, y compris en bas-âge. Selon la préfecture, un espace de jeu a été créé récemment, mais détruit en moins de 15 jours ;

- aucune lumière naturelle ne pénètre dans les pièces ;

- les repas sont pris à même le sol, dans un plat commun, sans couverts. Ils sont constitués de riz et d'un peu de viande, ne comprennent ni entrée, ni dessert, pour un prix élevé pour la région (4,50 €/repas/retenu). Ce même constat a été fait par les services de la direction des affaires sanitaires et sociales. Selon le DGPN, la création depuis la visite de la Cour d'un réfectoire et d'une cuisine permet que les repas soient dorénavant pris à table, avec des assiettes et des couverts ;

- le nettoyage des pièces théoriquement assuré deux fois par jour laisse à désirer ;

- il n'y a pas de système anti- moustique ;

- il n'y a pas de cour de promenade ;

- les toilettes et les douches sont communes aux hommes, femmes et enfants. Les mauvaises odeurs circulent dans le CRA car les sanitaires ne sont pas isolés. Selon le DGPN, et depuis le passage de la Cour, la séparation entre les hommes et les femmes a été effectuée pour les douches ;

- aucun exercice de sécurité incendie n'a été réalisé depuis 2006. En cas d'incendie au milieu du CRA qui condamnerait l'entrée et les sorties, les deux salles « hommes » et « familles » qui ne disposent pas de sorties extérieures, ni de fenêtres constitueraient des zones closes.

Certes, ces derniers mois, des travaux ont été réalisés en vue d'améliorer les conditions de rétention : la création d'une infirmerie en avril 2008 (162 000 € pris en charge par la DASS), des sanitaires et des douches pour les femmes et enfants, un réfectoire, mais la capacité du CRA n'a pas évolué.

Saisie en décembre 2007 par deux parlementaires suite au naufrage d'un kwassa- kwassa provoqué par sa collision avec une vedette de la PAF au large de Mayotte, dans la nuit du 3 au 4 décembre, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a rendu un rapport le 15 avril 2008.

Dans son rapport, la CNDS, qui avait visité le CRA lors de son enquête estime que « le centre de rétention administrative de Mayotte est indigne de la République, sa capacité théorique doit être respectée comme c'est le cas dans les centres de rétention administrative en métropole. La construction d'un nouveau centre annoncée depuis près de dix ans s'impose dans les plus brefs délais. Les conditions de vie au centre de rétention administrative de Mayotte portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus." De plus, la commission demande que les mineurs "ne soient plus placés en rétention dans l'actuel centre", conformément à la réglementation française et internationale en vigueur.

6- Un taux d'occupation irrégulier mais souvent en très net dépassement

Les chiffres présentés infra montrent que le CRA est très nettement sous-dimensionné eu égard au nombre parfois très importants de retenus (jusqu'à plus de 200).

Tableau n° 19 :   Occupation du CRA de Mayotte en 2008

Janv

Févr

Mars

avril

mai

juin

Juil.

aout

sept

oct

Nov

déc

Nombre de retenus

2103

2010

2414

394

2864

1873

2007

1506

2126

2697

3000

1786

Taux moyen journalier

68

69

78

13

92

62

67

49

71

87

100

58

Source : Cour des comptes à partir des données transmises par la DPAF

Ce tableau montre que le taux moyen journalier mensuel fluctue beaucoup et dépasse huit mois sur douze la capacité prévue de 60 places. Ce taux moyen comprend de très grandes amplitudes d'occupations journalières: ainsi, au cours de l'année, le CRA a dépassé le nombre de 100 retenus pendant 80 jours dont 26 au-delà de 140 retenus. Ce constat, malheureusement bien connu et depuis plusieurs années, a conduit le préfet et le DPAF à mettre en oeuvre deux actions :

- d'une part, réaliser une fluidité maximale des reconduites en gérant le mieux possible les différents vecteurs aérien et maritime afin que les retenus ne restent pas plus de 36 heures au CRA. Ainsi, la société de gestion de transport maritime (SGTM) assure une liaison quotidienne à bord du Marie Galante et la compagnie aérienne Comores Aviation assure trois liaisons hebdomadaires. Ces moyens sont parfois suppléés ponctuellement par un autre bateau et par un avion de la compagnie « Inter Îles » ;

- d'autre part, effectuer des travaux d'amélioration des conditions de vie et d'hygiène en attendant la création d'un centre de 140 places. Ainsi, prés de 155 000 € ont été mis en place par la DAPN en 2008.

7- Des projets immobiliers d'extension ou de création plusieurs fois annoncés

La surpopulation du CRA est un phénomène récurrent depuis prés de dix ans mais qui s'est nettement accéléré depuis la mise en oeuvre d'une politique de lutte contre l'immigration irrégulière plus ferme. Sur la base d'un durée moyenne de rétention de 2,5 jours, le nombre moyen de retenus est de 116 par jour sauf circonstances particulières avec des pointes à plus de 200.

Lors de leurs visites à Mayotte, les différents ministres de l'intérieur et secrétaires d'état à l'outre-mer ont annoncé des mesures afin d'améliorer les conditions de vie des retenus. Force est de constater que les travaux immobiliers nécessaires ont certes fait l'objet d'études techniques, de schéma directeur mais que les financements n'ont pas été prévus.

En 2008, confronté à diverses pressions et à la nécessaire mise aux normes d'un service de l'Etat maintes fois jugé « indigne de la République », un premier financement a été débloqué par la DAPN afin de réaliser des travaux d'urgence à partir de l'emprise actuelle.

Concernant le futur CRA, son implantation est maintenue sur Petite Terre où se trouvent déjà les locaux de la direction de la PAF (dont l'actuel CRA), le port et l'aéroport. Sa capacité in fine serait de 140 places. Il est prévu de construire d'abord 60 places qui constitueraient une première tranche. Les 60 places actuelles seraient alors maintenues avec des aménagements légers en attendant la seconde tranche de 80 places qui serait ensuite réalisée en 2010-2011. Ces constructions seront combinées à celles des locaux de la direction de la PAF et d'une zone d'attente de dix places.

Les arbitrages de la réunion interministérielle du 3 octobre 2008 sur la construction du CRA de Mayotte ont conduit aux conclusions suivantes : en 2008, 2 M€ (acquisition du terrain), en 2009, 3 M€ dont 2 M prévus - la différence sera financée par le MIOMCT ; en 2010 : 6 M€ dont 4 M prévus - la différence sera cofinancée par le MIIINDS et le MIOMCT ; en 2011 : 9 M€ dont le cofinancement est à prévoir par les deux ministères.

La construction d'un CRA de 140 places devrait améliorer nettement la situation matérielle des retenus mais ne réglera pas le problème du dépassement de 140 retenus, situation qui s'est produite 26 jours en 2008. Pour répondre à cette situation et puisque la capacité des vecteurs aériens et maritimes de reconduites aux Comores est aujourd'hui optimal, la préfecture devra libérer davantage d'étrangers en situation irrégulière ou émettre à leur encontre plus d'APRF sans maintien en rétention.

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