c) La nécessité d'une trajectoire croissante et prévisible et la question de l'articulation avec le prix de marché du CO2
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, l'atteinte des objectifs de la France en matière de réduction des émissions implique une tarification croissante de la tonne de CO 2 . La trajectoire définie par la commission Quinet, qui s'inscrit dans le cadre d'une approche « coûts / efficacité » ( cf . encadré précédent), repose sur les déterminants suivants :
1) de 2010 à 2030 , le scénario retenu part de la valeur « Boiteux » pour rejoindre une valeur pivot de 100 euros par tonne de CO 2 . Il suppose que « la transition vers un prix du carbone élevé doit être progressive pour exploiter en priorité les gisements d'abattement à faibles coûts aujourd'hui disponibles et ne pas peser sur la croissance en facilitant la gestion des transitions économiques, sociales et professionnelles » 57 ( * ) ;
2) la valeur de 100 euros à l'horizon 2030 « reflète essentiellement le caractère ambitieux des objectifs européens de réduction des gaz à effet de serre et la difficulté de réussir le déploiement des technologies peu émettrices sur un horizon aussi court » ;
3) après 2030 , la valeur de 100 euros croît à un taux annuel de 4 % , pour atteindre 200 euros en 2050. Cette règle de progression garantit que le prix actualisé d'une ressource limitée reste constant au cours du temps.
Si la taxe a vocation à contribuer aux objectifs de réduction des émissions françaises, son tarif devra donc croître progressivement . Par ailleurs, la plupart des interlocuteurs du groupe de travail ont souligné la nécessité de rendre cette augmentation la plus prévisible possible pour les agents économiques, de sorte que ces derniers ajustent progressivement leurs comportements et investissements en fonction de la trajectoire annoncée. Le groupe de travail souscrit pleinement à cette recommandation, qui exclut de procéder occasionnellement à des ajustements brutaux et imprévus . Les dispositions législatives créant la contribution climat-énergie pourront, à cet égard, s'inspirer des choix retenus pour la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes opérée par la loi de finances pour 2009, prévoyant un relèvement progressif et programmé des tarifs pesant sur l'assiette « déchets ménagers ».
Deux questions restent en suspens, relatives aux modalités de la programmation initiale et à l'articulation du tarif de la taxe avec le prix du CO 2 résultant des échanges sur les marchés de permis.
A l'échelle d'un temps politique national scandé par des mandats et législatures de 5 ou 6 ans, l'horizon 2050 apparaît extrêmement lointain. Il l'est également à l'échelle du temps économique, dont la période récente a démontré qu'il pouvait être rythmé par des aléas brutaux. D'une manière générale, plusieurs facteurs inégalement maîtrisables peuvent contribuer à éloigner la France de la trajectoire de réduction des émissions qu'elle s'est fixé et impliquent que soient mis en place des mécanismes d'ajustement .
Le Livre blanc précité indique qu' « il conviendra de veiller à la cohérence entre les prix du CO 2 liés à des quotas ou une taxe » . A cet égard, le Danemark a mis en place un dispositif permettant d'articuler le montant de taxe carbone intérieure dû par les entreprises à la valeur du CO 2 sur le marché européen d'échange de quotas. Ce système consiste à octroyer une ristourne fiscale aux entreprises fortement consommatrices d'énergie, sur le fondement de leur consommation historique (2003-2007), et ce afin de refléter la distribution de quotas gratuits dans le système ETS. ( cf . encadré).
Le mécanisme des ristournes fiscales permettant
aux entreprises « non ETS »
Ce mécanisme a été mis au point par le fisc danois afin que les entreprises « non ETS » bénéficient d'un avantage censé refléter celui que représentent les quotas gratuits pour les entreprises ETS. Une entreprise « non ETS » a contribué à la production de 1.000.000 mètres cubes de CO 2 sur la période 2003-2007. Avant le 1 er janvier 2010, elle était taxée au taux de 0,055 couronne par mètre cube de CO 2 . Après cette date, le taux passe à 0,339 couronne. Hypothèse n°1 : l'entreprise continue d'émettre la même quantité de CO 2 . Elle paiera la taxe suivante : Taxe de base : 1 000 000 x 0,339 = 339 000 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 339 000 - 284 000 = 55 000 couronnes Hypothèse n°2 : l'entreprise double ses émissions de CO 2 . La taxe devient : Taxe de base : 2 000 000 x 0,339 = 678 000 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 678 000 - 284 000 = 394 000 couronnes Hypothèse n°3 : l'entreprise divise ses émissions par deux. Le calcul donne : Taxe de base : 500 000 x 0,339 = 164 500 couronnes Ristourne : 1 000 000 x (0,339 - 0,055) = 284 000 couronnes Taxe totale 164 000 - 284 000 = - 114 000 couronnes. L'entreprise devrait donc bénéficier en théorie d'un crédit de taxes ; dans ce cas, toutefois il semble qu'elle doive payer le seuil minimum qui est de 0,049 couronnes, soit 0,049 x 500 000 = 24 500 couronnes. Source : mission économique de l'ambassade de France au Danemark. |
La question de l'articulation du tarif de la taxe et du prix des quotas est susceptible de recouvrir des enjeux importants dans l'hypothèse où certains agents économiques auraient la capacité d'opter entre le paiement de la taxe et l'inscription dans le cadre du système communautaire d'échange de quotas, ou encore si ces deux mécanismes avaient vocation à se cumuler , ce que ne recommande pas votre groupe de travail ( cf. infra ). Elle mérite néanmoins d'être approfondie, afin d'identifier les risques qu'une divergence trop sensible entre les tarifications du carbone résultant des deux instruments ferait peser sur le signal-prix qu'ils envoient.
* 57 Centre d'analyse stratégique, Note de veille n° 101 - juin 2008.