N° 549
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2008-2009
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2009 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) pour le débat sur les orientations des finances publiques ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur
Rapporteur général
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, Henri de Raincourt, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
INTRODUCTION
Avant qu'elle ne se propage de la sphère financière à l'économie réelle et ne se traduise par un recul de l'activité mesuré de façon douloureusement concrète en milliers de postes supprimés ou de chômeurs supplémentaires, la crise a d'abord été perçue comme une notion abstraite, simplement comptabilisée de façon presqu'irréelle en milliers de milliards de dollars ou d'euros.
L'explosion des déficits et plus encore le gonflement des passifs publics consécutifs au sauvetage du système financier mondial, ont profondément perturbé nos repères en matière de finances publiques . Les ordres de grandeur, qu'il s'agisse des destructions de valeur boursière et donc - en conclut-on sans doute un peu trop rapidement - de richesse ou de l'ampleur des plans anticrise, ont à ce point changé d'échelle que l'on se trouve comme en état d'apesanteur financière .
Les déficits s'accumulent, l'endettement des Etats enfle comme jamais en temps de paix et pourtant les charges qui en résultent, apparaissent comme mises entre parenthèses du fait des conditions de marché pour aboutir à une situation paradoxale caractérisée par « l'insoutenable légèreté des dettes publiques ».
A ce jour et pour une période dont la durée n'est pas prévisible, les Etats sont, en matière de taux d'intérêt, dans « l'oeil du cyclone » : l'Etat français se refinance à 0,76 % sur un an et à 2,7 % sur 5 ans. Des points bas historiques.
Mais il va bien falloir revenir sur terre. Jusqu'à présent, les Etats ont, pour ce qui concerne les plus grands d'entre eux, trouvé sans difficulté sur les marchés les ressources dont ils avaient besoin pour financer leurs opérations. A la fois à cause de l'abondance des liquidités accumulées ces dernières années et, surtout, des interventions massives des banques centrales.
Certes, il ne faut pas exclure à l'échelle mondiale, un scénario à la japonaise dans lequel le défaut d'assainissement du système bancaire étoufferait durablement la croissance. Cependant, même dans une perspective de reprise progressive, on ne peut écarter le risque d'une nouvelle forme d'interaction négative entre sphère réelle et financière.
Tôt ou tard, les marchés vont se poser à nouveau la question de la solvabilité des Etats pour établir une nouvelle hiérarchie des pays en fonction de la soutenabilité de leurs finances publiques et plus généralement de leur modèle économique : plus vite ils auront le sentiment d'une sorte de « retour à la normale », plus vite ils pourront délaisser les titres publics pour se reporter sur ceux émis par les entreprises, au risque de provoquer un resserrement du crédit, voire un krach obligataire . Celui-ci ne semble pas , selon les meilleurs experts, d'actualité : les finances des grands Etats paraissent encore solides, tandis que l'on ne perçoit aucun signe d'un changement de sens des politiques monétaires des instituts d'émission. Pourtant il faudra bien que les banques centrales reprennent les liquidités qu'elles ont injectées et réduisent des bilans démesurément gonflés par les interventions destinées à assurer la continuité du financement de l'économie. C'est sans doute le défi majeur qui attend les banquiers centraux auxquels il incombe d'organiser le reflux sans créer de perturbations de nature.
En outre, l'amélioration de la situation de l'économie mondiale - et même de simples anticipations en ce sens - pourrait bien , paradoxalement, avoir pour conséquence des tensions accrues pour les pays les plus fragiles comme pour le système dans son ensemble. Il a là des possibilités de chocs financiers supplémentaires, surtout si les craintes d'une résurgence de l'inflation amenaient les banques centrales à infléchir leurs politiques monétaires, de nature à accréditer des scénarios de reprise mondiale en « W ».
Alors même que l'on ne ressent plus guère de contraintes financières immédiates, tant nous paraissons, du fait de l'euro et de conditions de marché exceptionnelles, confortablement installés dans le monde étrange des « déficits sans pleurs » , des décisions difficiles doivent à l'évidence être prises. S'il a fallu, en 2008 et plus encore en 2009, prendre acte du fort recul des recettes, il convient de poursuivre les réformes structurelles comme une nouvelle forme d'« ardente obligation », en particulier en matière de finances sociales, sans prendre excuse de la crise pour les différer.
Il en va, indépendamment même des contraintes maastrichtiennes, de la soutenabilité du modèle économique français, désormais évalué pour ainsi dire « en continu » par les marchés . Tel est l'axe majeur des analyses réalisées en vue du présent débat d'orientation.
I. UNE ÉCONOMIE RELATIVEMENT PRÉSERVÉE EN DÉPIT DE LA DÉGRADATION DE SES COMPTES PUBLICS
La crise a un impact ambivalent sur les perspectives économiques de notre pays. D'un côté, elle fragilise encore plus des comptes publics déjà minés par 35 années de déficits ; de l'autre, elle tend à ébranler un certain nombre de situations apparemment acquises grâce à la mondialisation : la renaissance du Royaume-Uni comme grande puissance économique voire l'émergence de nouveaux « tigres » comme l'Irlande 1 ( * ) semblent aujourd'hui remises en cause.
Faut-il, pour autant, considérer que la France dont le modèle économique plus étatique apparaît aujourd'hui plus solide à nombre d'observateurs étrangers, va sortir relativement renforcée de la crise ? On peut en douter. Car les mêmes raisons qui ont permis à notre pays d'être moins affecté que les autres par la crise, vont sans doute aussi se traduire par un abaissement durable tant du niveau que du rythme de croissance potentielle de l'économie française, au moment même où il lui faudrait dégager des ressources pour assurer la charge d'une dette de plus en plus lourde.
A. QUAND LES DÉFICITS S'AJOUTENT AUX DÉFICITS
1. Vers une croissance légèrement positive en 2010 après la forte récession de 2009 ?
a) Une croissance de 0,4 % en 2008
Selon l'Insee, la croissance du PIB a été en 2008 de 0,4 % . La prévision de croissance a été constamment revue à la baisse depuis son estimation initiale, comme le montre le graphique ci-après.
Cette révision à la baisse provient largement de la faillite de Lehman Brothers, par nature imprévisible, le 16 septembre 2008.
La révision à la baisse en juin 2009 vient de la prise en compte des chiffres de l'Insee de mai 2009. En particulier, la croissance au dernier trimestre 2008 a été plus négative que prévu (- 1,5 % au lieu de - 1,2 %).
* 1 Après ses confrères Standard and Poor's et Fitch, l'agence Moody's a retiré à l'Irlande son prestigieux « triple A » en ramenant la note de sa dette souveraine à long terme à la cotation de Aa1. Au surplus, cette note est assortie d'une « perspective négative », ce qui veut dire qu'une nouvelle dégradation pourrait intervenir si la situation des finances publiques de ce pays n'est pas rapidement redressée. Les raisons de cette attitude négative des agences de notation tient tant à des facteurs réels (le déficit public irlandais devrait atteindre 10,8 % du PIB cette année, sous l'effet d'une contraction du PIB de 8 %) que financiers : selon Standard and Poor's « les coûts budgétaires que l'Etat irlandais aura à supporter pour soutenir ses banques seront beaucoup plus élevés que prévu ».