EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a rappelé que l'exercice de prospective de l'économie française présenté dans le rapport connaissait un point de départ particulièrement sombre et incertain.

Si les politiques économiques ont limité l'ampleur de la récession, il n'est pas sûr que la reprise sera forte ni durable. Une fois finie la période de déstockage, la consommation pourrait pâtir de l'essoufflement des mesures de relance interne, de l'affaiblissement de la demande extérieure et de l'augmentation du chômage.

Ainsi, une reprise conjoncturelle forte et rapide qui, pourtant, limiterait les effets durables de la crise est loin d'être certaine et l'incertitude est renforcée par les déséquilibres structurels que la crise a projetés en plein jour.

Sur ce dernier point, la crise a d'abord montré les dangers des excès de liquidités, toujours d'actualité, après plusieurs mois de politiques monétaires accommodantes, aujourd'hui à la recherche de « stratégies de sortie ».

Par ailleurs, l'inadéquation entre régimes d'offre et de demande pourrait perdurer si une réflexion sur le partage de la valeur ajoutée et la dispersion croissante des salaires n'était pas engagée.

Enfin, les principaux déséquilibres internationaux demeurent. Il apparait notamment qu'au niveau mondial, le risque d'un ajustement violent des taux de change ne peut pas être écarté tandis qu'au niveau régional, la coexistence de modèles de croissance nationaux antagonistes crée des lignes de faille dont les conséquences continuent d'être sous-estimées. Ainsi, la coexistence d'une croissance française reposant sur la consommation des ménages et d'une croissance allemande dépendante de gains de compétitivité externe, stimulés par une politique salariale de désinflation compétitive, peut sembler gagnante pour l'Allemagne à court terme, mais, à long terme c'est une stratégie « perdants-perdants » pour la croissance européenne.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a indiqué qu'une des questions abordées dans le rapport était celle de savoir si la crise aurait un impact durable sur le rythme de croissance de l'économie. Le concept de croissance potentielle est au coeur de cette problématique. Or, le calcul de la croissance potentielle est particulièrement incertain, surtout dans le contexte d'un ralentissement brutal de l'activité.

Sur ce point, plusieurs études estiment que la crise actuelle aura un impact négatif durable sur la croissance potentielle dans la plupart des grands pays industrialisés en raison de la chute de l'investissement et d'une hausse du chômage structurel essentiellement liée à la perte d'employabilité qu'engendre une inoccupation prolongée. Ces études appellent l'attention sur les enjeux d'une sortie de crise rapide.

Mais, en l'absence de certitude sur leur validité, il serait dangereux d'adopter sur ce seul fondement des politiques économiques qui pourraient, par trop d'austérité, précipiter les enchaînements économiques redoutés et finalement retarder la sortie de crise. Ainsi, les leçons de telles études sont à la fois incertaines et contradictoires quant aux orientations de politique économique à privilégier.

En revanche, la croissance potentielle se prête à une scénarisation de la croissance de l'économie française à long terme.

Ainsi, dans les cinq scénarios à l'horizon de 2030, présentés dans le rapport, les trois premiers retiennent une hypothèse de croissance potentielle de 2 % l'an, et les deux derniers une baisse plus ou moins forte de celle-ci.

Les résultats macroéconomiques associés à ces scénarios sont nettement contrastés ; ils montrent qu'une augmentation de la croissance potentielle est un enjeu majeur. Elle est seule de nature à permettre des gains de pouvoir d'achat par ménage, une amélioration du niveau de vie et de limiter les tensions liées à la répartition des revenus notamment entre actifs et retraités qui devraient augmenter à l'avenir.

Dans ces conditions, il n'y a pas vraiment d'autre alternative que d'améliorer l'efficacité économique en recherchant à maximiser les gains de productivité, ce qui passe par des politiques de croissance privilégiant la formation, la recherche et l'innovation.

M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a alors exposé les principales conclusions que l'exercice de prospective permet de tirer quant aux finances publiques.

Les différents scénarios éclairent les choix de court terme en testant les effets sur la dette publique de cinq configurations économiques bien différenciées.

Pour que cet exercice conserve tout son sens, la politique budgétaire dont on évalue les effets est, dans tous les scénarios, la même.

C'est, jusqu'en 2013, celle que décrivait la programmation à moyen terme des finances publiques de la loi de finances pour 2010 et, au-delà, une politique neutre, soit, au total, une politique budgétaire d'ajustement des positions budgétaires.

Ainsi, le jeu de scénarios permet de mesurer la sensibilité des finances publiques aux conditions du court terme - quelle reprise ? - et à des perspectives différentes de croissance potentielle.

Le premier enseignement de cet exercice est que, sauf dans le scénario noir, la politique budgétaire ici évaluée aboutit à une évolution maîtrisée de la dette publique.

En particulier, dans le scénario central, la dette connaît un pic en 2015 puis reflue vers 81 points de PIB en 2030 tandis que dans le scénario de rebond conjoncturel, l'horizon de 60 points de dette se profile en 2030.

Les résultats de ces deux scénarios conduisent à constater l'importance des effets d'une reprise économique rapide et forte. Elle est confirmée par le seul scénario d'explosion de la dette où la reprise économique ne permet pas de rejoindre le potentiel de production dont la crise a éloigné l'économie française.

Quant aux deux derniers scénarios, ils viennent modérer les inquiétudes qu'une croissance potentielle durablement plus faible fait naître quant au devenir des finances publiques.

Sans doute faut-il observer que si une baisse structurelle du rythme de croissance potentielle ne perturbe pas trop les effets longs de la politique budgétaire, c'est largement parce qu'on a posé comme hypothèse que les dépenses publiques évoluent après 2013 en ligne avec la croissance potentielle, les simulations comportant ainsi un effet de cliquet.

Mais, les résultats de ces deux derniers scénarios montrent aussi que moyennant une adaptabilité de la politique budgétaire aux conditions de la croissance potentielle, une surestimation de celle-ci n'a pas d'effets trop importants sur les comptes publics.

On pourrait souhaiter prévenir les effets marginaux que comporterait, malgré tout, une telle surestimation en adoptant une politique économique calée sur des perspectives pessimistes. Mais, une politique trop prudente présenterait des inconvénients beaucoup plus nets qu'une politique reposant sur des perspectives plus optimistes.

En effet, compte tenu du lien qui pourrait exister entre la politique budgétaire du moment et la croissance à long terme, le risque d'une politique budgétaire trop restrictive est d'affaiblir les perspectives de croissance de long terme.

En outre, à plus court terme, il faut se rappeler que plus la reprise sera forte et rapide plus facilement les finances publiques se normaliseront alors que l'adoption d'une politique budgétaire très restrictive d'emblée risque de « casser » la reprise.

Ainsi, la question n'est pas de savoir si les déclarations internationales, du G-20 notamment, préconisant le maintien de politiques économiques accommodantes sont pertinentes mais bien si elles seront mises en oeuvre.

A ce propos, M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a mentionné deux motifs d'inquiétude : celui de voir les politiques économiques se désunir et celui d'une vague spéculative sur les marchés des dettes souveraines.

Sur ce second sujet, il a estimé que l'exemple de la Grèce montrait que les opérateurs de marché commençaient à discriminer les États de la zone euro. Ayant jugé cette situation choquante puisqu'une partie de l'insoutenabilité des positions budgétaires vient des effets d'une crise déclenchée par les déséquilibres résultant des comportements de ces mêmes opérateurs de marché, et s'étant interrogé sur la reproductibilité de l'épisode grec, il a souhaité que les États européens mettent en place des dispositifs préservant les chances d'un retour en bon ordre à une plus solide soutenabilité budgétaire, ce qui suppose de lutter contre des spéculations aujourd'hui sans vrais risques pour ceux qui s'y livrent.

Puis il a regretté que l'Union européenne ne dispose pas d'un programme coordonné de sortie de crise.

Si, à ce jour, la politique monétaire est accommodante, elle gagnerait à ce que les banques centrales stabilisent sur longue période les anticipations des agents en annonçant la poursuite de cette politique.

Surtout, il faudrait qu'un G-27 européen se constitue et entreprenne une coordination des politiques économiques en Europe sans laquelle les antagonismes européens risquent de se déchaîner à nouveau entraînant des effets désastreux face auxquels les Etats se trouveraient particulièrement démunis.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Alain Chatillon s'est demandé quels risques courait la France en termes de notation de sa dette publique et si les scénarios présentés excluaient pour certains le retour à des positions budgétaires compatibles avec nos engagements européens.

Mme Evelyne Didier s'est interrogée sur les problèmes d'employabilité rencontrés en France. Elle s'est préoccupée des tensions que le coût de la dette publique pourrait subir du fait des positions prises par les opérateurs des marchés financiers. Enfin, elle a souhaité qu'une réflexion approfondie intervienne sur les dynamiques salariales et sur les conditions de répartition de la valeur ajoutée.

M. Philippe Leroy a observé qu'une partie importante de l'avenir se jouait autour de la politique de change de l'euro. Il s'est inquiété de la capacité de l'Union européenne à adopter une politique de change favorable à une croissance économique dynamique.

M. Jean-François Mayet , ayant estimé que la dette souveraine française était de bonne qualité, a insisté sur l'importance, tant pour la croissance à venir que pour la perpétuation de cette situation, de régler les déséquilibres des régimes de retraite et d'améliorer la situation de l'emploi, notamment pour les seniors.

M. Jean-Pierre Chevènement a souligné les problèmes posés par la torpeur des Etats de la zone euro dans la gestion du taux de change. Il a estimé que si l'Allemagne avait intérêt à un euro fort, ce n'était pas le cas du reste de la zone et que celle-ci n'avait pas à renoncer aux pouvoirs donnés par les traités au Conseil d'orienter la politique de change de l'euro qui n'est pas l'apanage de la Banque centrale européenne. Citant l'exemple du Royaume-Uni, il a mis en évidence l'existence de pratiques protectionnistes à quoi les dévaluations compétitives réalisées par plusieurs pays peuvent être assimilées.

M. Bernard Angels a alors souligné que la crise amplifiait encore les dangers des politiques budgétaires d'austérité. Il a mis en évidence l'insoutenabilité des régimes de croissance déséquilibrés, aux dépens du travail et des salariés et estimé qu'on pouvait conclure du rapport que l'Europe dans son fonctionnement actuel n'apportait pas les assurances qu'elle devrait pour une croissance forte et durable.

M. Jean-Claude Etienne ayant remarqué qu'un seul des cinq scénarios se révélait préoccupant quant aux évolutions de la dette publique, a souhaité obtenir quelques précisions sur les politiques économiques susceptibles d'y conduire.

En réponse, M. Joël Bourdin, président, rapporteur , a d'abord précisé que la crise menacerait d'autant plus l'employabilité d'une fraction de la main-d'oeuvre que le chômage qu'elle suscite serait fort et durable.

S'agissant de la dette publique, il a mentionné les résultats d'une variante au compte central présenté dans le rapport qui montre sa sensibilité aux conditions de taux d'intérêt pour souligner à quel point la stabilité des marchés de la dette souveraine importait.

Ayant relevé le nombre élevé des interventions relatives à la question du taux de change de l'euro, il a estimé que celle-ci appelait une forte mobilisation des autorités politiques et que le Sénat pourrait utilement contribuer à clarifier les termes d'un débat aussi récurrent qu'important.

S'agissant du partage de la valeur ajoutée, il a rappelé que cette question serait au coeur des réflexions entamées par la délégation au sujet du pacte social dans les entreprises.

Il a enfin estimé que seul le scénario noir d'une faible croissance posait de réels problèmes d'adéquation de la politique budgétaire telle qu'elle est envisagée avec les obligations européennes de la France. Sans en exclure le déroulement, il a insisté sur l'importance de privilégier un choix de politique budgétaire insusceptible de hâter la survenance de ce scénario.

La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur l'économie française et les finances publiques à l'horizon 2030 , de M. Joël Bourdin, président, rapporteur .

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