2. Les projets élaborés au Congrès

La Chambre des Représentants, l'équivalent de notre Assemblée nationale, et le Sénat des Etats-Unis ont adopté chacun leur projet de réforme. Ces projets étaient voisins, même si celui de la Chambre était plus ambitieux et coûteux que celui du Sénat. C'est finalement le projet sénatorial qui a prévalu.

a) Le projet de la Chambre des Représentants

Trois commissions permanentes ont participé à son élaboration : le Ways and Means Committee , en charge des impôts et des programmes sociaux, l' Energy and Commerce Committee , en charge, entre autres, de la santé, et l' Education and Labor Committee , pour l'aspect santé au travail.

Deux versions du projet ont été rendues publiques, la première dès le mois de juillet 2009 (proposition de loi HR 3200), la seconde à la fin du mois d'octobre ( Affordable Health Care for America Act , HR 3962).

Ce dernier projet est conforme aux orientations fixées par le Président Obama. Pour réformer le marché de l'assurance, il définit trois orientations essentielles :

- il prévoit d'abord de mieux réglementer l'activité des assureurs privés : ils n'auraient plus le droit de refuser un client en raison de son état de santé ni de fixer une limite au montant de leurs remboursements ; seuls trois critères pourraient être pris en compte pour faire varier le montant des primes d'assurance : l'âge de l'assuré, son lieu d'habitation et la taille de sa famille ;

- il vise ensuite à rendre le marché de l'assurance plus transparent et concurrentiel : un comité consultatif serait d'abord chargé de définir un contrat d'assurance « standard », ouvrant droit à toutes les prestations de base ; puis, à compter de 2013, les assureurs seraient invités à proposer sur un nouveau marché réglementé, dont le fonctionnement serait supervisé par l'administration, des produits d'assurance satisfaisant aux critères retenus pour ce produit standard et qui se distingueraient seulement par le montant du reste à charge pour l'assuré ; il est également prévu d'appliquer le droit de la concurrence aux compagnies d'assurance, ce qui n'est pas le cas actuellement, dans le but de briser les quasi-monopoles ou les oligopoles qui se sont formés dans certains Etats ;

- un régime public d'assurance maladie serait institué : géré par le ministère de la Santé, il aurait l'obligation de s'autofinancer ; ses ressources proviendraient des primes versées par ses clients et il ne pourrait recevoir aucune subvention de l'Etat fédéral, afin de ne pas créer de distorsions de concurrence avec les assureurs privés.

Pour permettre à tous les Américains de s'assurer, un nouveau dispositif associant subventions et pénalités serait mis en place :

- de nouvelles aides publiques seraient versées aux ménages dont le revenu annuel est supérieur au seuil d'éligibilité à Medicaid, mais inférieur à quatre fois le seuil de pauvreté défini au niveau fédéral ; le montant de ces aides serait dégressif avec le revenu des bénéficiaires ; elles devraient permettre à tous les Américains qui ne sont pas assurés par leur employeur de s'offrir une assurance individuelle ; ceux qui feraient le choix de ne pas s'assurer, en dépit de la création de cette aide, devraient s'acquitter d'une pénalité égale à 2,5 % de leur revenu brut ;

- les entreprises qui ne financent pas la couverture maladie de leurs salariés devraient verser une contribution calculée en pourcentage de leur masse salariale ; le taux de cette contribution serait progressif : les plus petites entreprises, celles dont la masse salariale est inférieure ou égale à 500 000 dollars par an, en seraient dispensées ; pour celles qui dépassent ce seuil, le taux serait de 2 % puis augmenterait jusqu'à atteindre 8 % pour une masse salariale supérieure à 750 000 dollars ; un nouveau crédit d'impôt serait mis en place, pendant les deux prochaines années, pour aider les petites entreprises à financer la couverture maladie de leurs salariés.

Enfin, les programmes Medicaid et Medicare seraient réformés :

- le programme Medicaid serait étendu : pourraient en bénéficier les individus et les familles dont le niveau de revenu ne dépasse pas 150 % du seuil de pauvreté fédéral ; compte tenu de la crise budgétaire qui affecte de nombreux Etats, cette extension serait financée, dans un premier temps, exclusivement par l'Etat fédéral ; les Etats fédérés ne seraient mis à contribution qu'à compter de 2015 ; par ailleurs, le montant des remboursements pratiqués par Medicaid, pour les soins de base, serait aligné sur ceux de Medicare, de manière à inciter un plus grand nombre de professionnels de santé à accepter les patients assurés par ce régime public ;

- le programme Medicare serait également renforcé, avec un meilleur remboursement des médicaments et une prise en charge intégrale des dépenses de prévention ; dans le même temps, ses gestionnaires seraient chargés de promouvoir une réorganisation du système de soins et d'expérimenter de nouvelles méthodes de rémunération des médecins et des hôpitaux, dans le but de dégager de substantielles économies.

Ce projet a été voté par la Chambre des Représentants le 7 novembre 2009, par une majorité étroite de 220 voix contre 215 . Un seul élu Républicain s'est prononcé en faveur du texte.

b) Le projet sénatorial

La commission en charge de la santé, de l'éducation, du travail et des retraites, commission Help (Health, Education, Labor and Pensions) , et celle en charge des finances ont d'abord élaboré chacune un projet de réforme. Le leader des sénateurs démocrates, Harry Reid (élu du Nevada), en lien avec les présidents des deux commissions et avec la Maison Blanche, a ensuite supervisé la rédaction d'un texte commun.

Le projet de la commission Help (ou Affordable Health Choices Act ) :

Ce projet, rendu public le 15 juillet 2009, est proche, dans son inspiration, de celui de la Chambre des Représentants. En particulier, il retient l'idée de créer un régime public d'assurance maladie, placé sous la responsabilité du ministre de la santé, et prévoit d'appliquer des pénalités aux particuliers qui choisiraient de ne pas s'assurer, ainsi qu'aux employeurs qui ne contribueraient pas au financement de l'assurance de leurs salariés (750 dollars par an et par salarié). Des subventions seraient versées aux particuliers et aux entreprises qui ont besoin d'une aide financière pour faire face au coût de leur assurance. Dans chaque Etat, une nouvelle structure administrative serait instituée, avec pour missions d'assister les personnes à la recherche d'une assurance maladie et de verser les aides destinées aux titulaires des plus bas revenus.

Le projet de la commission des finances (ou America's Healthy Future Act ) :

Ce projet se distingue des deux précédents sur un point essentiel : il écarte l'option d'une assurance publique et propose plutôt de créer de nouveaux assureurs à statut coopératif et à but non lucratif, dénommés Consumer Owned and Oriented Plans (Co-ops). Pour aider ces nouvelles structures à se mettre en place, et leur permettre de satisfaire aux ratios légaux de solvabilité, l'Etat fédéral leur apporterait 6 milliards de dollars de crédits budgétaires. Les Co-ops seraient en concurrence avec les assureurs privés pour proposer aux particuliers et aux petites entreprises des polices d'assurance à des prix raisonnables.

Politiquement, la question de la création ou non d'une assurance publique constitue un point de clivage important entre Démocrates et Républicains, ces derniers y étant vigoureusement opposés. L'objectif de la commission des finances du Sénat était donc de rallier à la réforme quelques Républicains modérés : un seul sénateur républicain, Olympia Snowe, du Maine, a cependant soutenu le texte en commission.

Le projet voté par le Sénat :

Le 24 décembre 2009, le Sénat a approuvé un texte proche de celui élaboré par sa commission des finances, avec un nouvel intitulé : The Patient Protection and Affordable Care Act . Le vote a été acquis par une majorité de soixante voix contre quarante ; la totalité des élus démocrates ont soutenu le texte et la totalité des Républicains s'y sont opposés.

Cette majorité, qui peut sembler confortable, est en réalité étroite : il existe en effet au Sénat américain une procédure d'obstruction, connue sous le nom de filibuster , qui permet à une minorité de sénateurs de bloquer indéfiniment l'examen d'un texte. Le seul moyen de surmonter cette obstruction est d'obtenir qu'une majorité qualifiée de soixante sénateurs décide la clôture des débats, pour passer au vote.

Certains Démocrates se sont en outre livrés à un véritable chantage avant d'accepter de voter le texte. Le sénateur Ben Nelson, du Nebraska, a notamment exigé que l'Etat fédéral prenne intégralement en charge les dépenses supplémentaires que la réforme pourrait occasionner, dans son Etat, au titre de Medicaid.

Pour permettre au plus grand nombre d'Américains de s'assurer , le projet sénatorial :

- interdit aux compagnies d'assurance d'opérer une discrimination entre leurs clients en fonction de leur état de santé ( pre-existing conditions ) ou de leur sexe ;

- crée, comme le projet de la Chambre des Représentants, une « bourse des polices d'assurance » ( health insurance exchange ), afin de permettre aux particuliers et aux petites entreprises de souscrire une assurance à un prix abordable ; pour faciliter leur comparaison, les différentes polices d'assurance seront standardisées et seront présentées sur un portail internet ouvert dans chaque Etat ;

- instaure un crédit d'impôt, dégressif avec le revenu, au bénéfice des individus et des familles dont le revenu est trop élevé pour qu'ils soient éligibles à Medicaid mais inférieur à 400 % du seuil de pauvreté fédéral ;

- plafonne le montant des dépenses de santé qui peut être laissé à la charge de l'assuré.

Le projet sénatorial prévoit d'appliquer une pénalité aux particuliers qui choisiraient de ne pas s'assurer, alors qu'ils auraient les moyens de le faire compte tenu des nouvelles aides mises en place, de même qu'aux entreprises qui ne proposeraient pas de contrat de groupe à leurs salariés (sauf si elles emploient moins de cinquante salariés). Les petites entreprises qui financent l'assurance de leurs salariés bénéficieraient en revanche d'un crédit d'impôt.

Concernant enfin les régimes d'assurance publics , le projet sénatorial prévoit notamment :

- de faire bénéficier de Medicaid tous les Américains de moins de soixante-cinq ans dont le revenue est inférieur à 133 % du seuil de pauvreté ;

- de garantir le niveau de financement du programme CHIP jusqu'en 2015 ;

- de promouvoir de nouvelles modalités d'organisation des soins et de rémunération des médecins pour ralentir l'évolution des dépenses de santé ;

- de mieux lutter contre la fraude.

c) L'épineuse question du financement

Les projets qui viennent d'être décrits ont un coût considérable, alors que le déficit de l'Etat fédéral est déjà très élevé (plus de dix points de Pib en 2009). Or, le Président Obama a demandé que la réforme n'augmente pas l'endettement du pays. Pour y parvenir, de nouvelles recettes doivent donc être trouvées et des économies réalisées dans le fonctionnement du système de santé.

Un organe du Congrès, neutre sur le plan politique, le Congressional Budget Office (CBO), est chargé d'évaluer l'impact financier des textes élaborés par les parlementaires.


Les évaluations réalisées par le CBO

Le projet de la Chambre des Représentants permettrait de couvrir 96 % de la population résidente de moins de soixante-cinq (vivant en situation régulière sur le sol américain), soit 36 millions de personnes de plus qu'aujourd'hui, et aurait pour effet de réduire le déficit du budget fédéral :

- pour réaliser cette extension, l'Etat fédéral devrait dépenser 1 058 milliards de plus en dix ans : ces dépenses résulteraient principalement des subventions et des crédits d'impôts accordés aux particuliers et aux petites entreprises et de l'augmentation des crédits alloués à Medicaid ; elles seraient partiellement compensées par 168 milliards de recettes retirées des pénalités infligées aux particuliers et aux entreprises qui ne souscriraient pas d'assurance ;

- les recettes de l'Etat fédéral seraient accrues de 574 milliards de dollars grâce à diverses mesures fiscales : l'impôt sur le revenu des ménages les plus aisés (percevant un revenu annuel brut de plus de 500 000 dollars pour un célibataire) serait notamment augmenté de 5,4 points, ce qui rapporterait, en dix ans, 460 milliards ;

- par ailleurs, des mesures d'économies affectant Medicare et Medicaid permettraient de réduire les dépenses de 427 milliards sur dix ans.

Au total, l'ensemble de ces mesures aboutiraient à une baisse du déficit de 109 milliards de dollars .

Le projet sénatorial permettrait de couvrir 94 % de la population résidente de moins de soixante-cinq ans (en situation régulière) et réduirait le déficit de 130 milliards sur les dix prochaines années:

- son coût brut est évalué à 848 milliards de dollars sur dix ans ;

- des mesures d'économie permettraient de réduire les dépenses de 591 milliards sur la même période : en particulier, le rythme de revalorisation des remboursements effectués par Medicare et Medicaid auprès des médecins (sauf les généralistes) serait modéré et les remboursements consentis à certains hôpitaux seraient réduits ;

- les recettes de l'Etat fédéral augmenteraient de 387 milliards de dollars : une nouvelle taxe, qui frapperait les polices d'assurance les plus coûteuses, devrait notamment rapporter 149 milliards en dix ans ; d'autres taxes, qui pèseraient sur les assureurs, les compagnies pharmaceutiques, les fabricants de matériel médical et les laboratoires, rapporteraient 102 milliards ; les particuliers et les entreprises qui ne contractent pas d'assurance s'acquitteraient de pénalités, à hauteur de 36 milliards ; le solde serait composé de diverses mesures budgétaires.

Le CBO souligne cependant que ces estimations comportent encore de nombreux éléments d'incertitude, notamment en ce qui concerne le montant des économies escomptées.

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