ANNEXES
ANNEXE 1 - EXTRAIT DU COMPTE RENDU DES DÉBATS DE LA SÉANCE DU 16 FÉVRIER 2010 SUR LE PREMIER PROJET DE LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2010
M. le président . Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 27 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 110 est présenté par MM. Ralite, Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le chapitre VII octies du titre II de la première partie du livre Ier du code général des impôts, il est inséré un chapitre VII nonies ainsi rédigé :
« Chapitre VII nonies
« Taxe sur la publicité en ligne
« Article 302 bis KI.- I.- Il est institué une taxe due par tout hébergeur de site de communication au public en ligne établi dans un État membre de la Communauté européenne qui fournit un service en France.
« II. - La taxe est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des sommes versées par :
« 1° les annonceurs établis en France ou dans un autre État membre de la Communauté européenne pour la part diffusée en France de leurs messages publicitaires ;
« 2° les utilisateurs établis en France pour l'achat de prestations publicitaires.
« III. - Le taux de la taxe est de 1 %.
« IV. - Les redevables procèdent à la liquidation de la taxe due au titre de l'année civile précédente lors du dépôt de la déclaration mentionnée au 1 de l'article 287 du mois de mars ou du premier trimestre de l'année civile.
« V. - La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe. »
II. - Le I entre en vigueur à compter du 1 er janvier 2011.
La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° 27.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances . Mes chers collègues, nous abordons un peu tard un point de principe qui est particulièrement important.
Il s'agit ici de créer une taxe sur la publicité en ligne.
Lors de la discussion de l'article 55 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2008, relatif à la lutte contre la fraude via internet, notre commission des finances s'était déjà penchée sur le problème général de l'érosion des assiettes fiscales liée au développement du commerce électronique et à la montée en puissance des flux transfrontaliers de prestations de services dématérialisés.
La commission a donc étudié une proposition formulée dans un rapport intitulé Création et internet, qui a été remis le 6 janvier dernier au Président de la République par MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti.
Aux termes de ce document, il est possible de créer une taxe prenant pour assiette les revenus publicitaires en ligne des sociétés établies dans l'Union européenne et suscités par l'utilisation des services en ligne de ces dernières depuis la France.
Mes chers collègues, la disposition que je vous propose n'est pas très imaginative : elle s'inspire très directement de la proposition formulée par les auteurs du rapport remis au Président de la République.
Après le dépôt de cet amendement, j'ai enregistré de multiples réactions. Monsieur le ministre, des collaborateurs de votre collègue chargée de l'économie m'ont assuré, non sans une certaine commisération, que cette taxe n'atteindrait pas son objectif, que ce n'est pas ainsi qu'il faudrait procéder. Que ne formulent-ils pas des propositions plus opérationnelles, puisque ce travail, en principe, leur est demandé depuis plusieurs mois !
Toutefois, j'ai noté aussi des réactions d'approbation de la part d'un grand nombre de professionnels des milieux concernés.
Le texte qui est ici proposé est sans doute perfectible, mais nous sommes au coeur de notre mission, me semble-t-il, en traitant une telle question dans un collectif budgétaire. Mes chers collègues, je vous demande donc de soutenir cette démarche.
En effet, chemin faisant, nous avons fait bien des découvertes. Nous nous sommes aperçus, premièrement, que la mesure des revenus publicitaires du site Google était fort complexe, car les algorithmes de calcul de la valeur des liens dits « sponsorisés » relèvent encore quasiment du secret industriel. Les annonceurs qui utilisent le moteur de recherche ne connaissent pas eux-mêmes les modalités de détermination du prix qu'ils ont à payer pour publier une annonce ou de la rétribution qu'ils perçoivent au nombre de « clics » sur leur bannière publicitaire. En d'autres termes, la transparence règne ! ( Sourires .)
Deuxièmement, le modèle économique de gratuité des services, rendu possible par les revenus de la publicité, est fondé sur la réactivité du marché en temps réel, sur lequel Google, cette invention géniale, fonctionne comme une régie publicitaire opérant toutes ses transactions en ligne, notamment la souscription du service et le paiement, et cela sans formalisation des termes du contrat.
Le cadre juridique de cette nouvelle économie, j'ai le regret de le souligner, mes chers collègues, demeure particulièrement opaque. On ne peut pas dire que la liberté contractuelle y soit la règle...
Troisièmement, l'implantation des sièges sociaux des grands sites et moteurs de recherche à l'étranger - en Irlande pour Google, au Luxembourg pour Amazon -, fait clairement obstacle à la territorialité de l'impôt.
Si Google possède un établissement stable en France, ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas le cas des autres grands acteurs d'internet, son chiffre d'affaires déclaré de 40 millions d'euros ne concerne que la rétribution versée par Google Irlande pour les services rendus par sa filiale française.
Quid du nombre des annonceurs, institutionnels ou simples particuliers, qui opèrent depuis la France ? À quel montant se chiffre cette captation du marché publicitaire français ? Mes chers collègues, je ne suis pas en état de répondre à ces questions. Je poursuivrai bien sûr mes investigations - j'espère que vous m'y aiderez, monsieur le ministre -, mais je trouve singulier que nous ne parvenions pas à nous documenter sur cette question.
Au total, il faut bien constater que, pour des questions d'ordre technique et juridique, le dispositif issu des travaux de la commission Zelnik, Toubon et Cerutti n'atteindrait probablement pas sa cible : monsieur le ministre, comme me l'ont fait remarquer charitablement les collaborateurs de votre collègue du Gouvernement, cette taxe, telle qu'elle a été conçue, ne concernerait pas les moteurs de recherche.
Il faut donc continuer à creuser le sujet. En effet, une telle hémorragie fiscale et la situation de flou ou d'absence de transparence dans laquelle nous nous trouvons justifient que soit entreprise une véritable action en la matière, afin que toutes les assiettes des revenus publicitaires en ligne puissent être prises en compte, quel que soit le lieu d'implantation des sites internet visibles en France.
Je rappelle que, dès le printemps 2009, la commission des finances a demandé au cabinet Greenwich Consulting de réaliser une étude consacrée à l'impact du développement du commerce électronique sur les finances de l'État.
Monsieur le ministre, nous rendrons publique cette étude au début du mois d'avril prochain, et nous demanderons aux principaux acteurs économiques et administratifs de réagir aux constats qui auront été dressés.
En invitant le Gouvernement « à lancer au plus vite une expertise pour appréhender fiscalement les activités publicitaires des grands portails de moteurs de recherche internationaux présents en France », le Président de la République s'est placé exactement sur la même ligne que nous. Il considère à juste titre que « cette fuite de matière fiscale est particulièrement dommageable ».
Le débat mérite d'être développé devant le Parlement. De ce fait, monsieur le ministre, nous attendons votre pleine coopération et celle de vos services, afin que puissent être explorés les voies et moyens d'une meilleure continuité et équité fiscales, quel que soit le support technique de la publicité.
Pour conclure, mes chers collègues, tout en vous priant de me pardonner d'avoir abusé de votre patience à cette heure avancée, je rappellerai qu'en pareille matière il faut aller vite, car, si l'État mettait plus d'un an à répondre à la question posée par le Président de la République lui-même, il ne serait pas, à mon sens, très efficace.
Nous avons, collectivement, une obligation de résultat, et devons proposer au Parlement un dispositif qui fonctionne, qui soit transparent et qui respecte, tout simplement, les principes de la morale.
M. le président . La parole est à M. Jack Ralite, pour présenter l'amendement n° 110.
M. Jack Ralite . Les jeunes utilisant Google disent : « C'est épatant ! ». Les chercheurs qui y recourent s'exclament : « C'est imparable ! ». Google a donc des vertus.
Pourtant, il y a un hic - ô combien ! -, dont on prend conscience quand on voit ce qu'est Google, sa manière d'agir, ses rapports avec la justice, notamment américaine, son art d'éviter la fiscalité.
Google est hégémonique, use et abuse de positions dominantes. En 2009, le chiffre d'affaires de l'entreprise a été de 23 659 millions de dollars et son bénéfice de 6 524 millions de dollars, en hausse de 27,57 %.
Google, pour développer son plan de numérisation en France, a agi secrètement avec la Bibliothèque de Lyon et avec la Bibliothèque nationale de France. La firme a été prise en défaut par des éditeurs américains et français, pour son non-respect du droit d'auteur.
Google, par ses implantations - le Delaware aux USA, l'Irlande pour l'Europe - choisit des lieux où la fiscalité est extrêmement réduite...
Précisément, notre amendement, de même que celui de la commission des finances, vise, conformément aux recommandations de la mission Zelnik et aux déclarations faites par le Président de la République lors de ses voeux au monde de la culture, le 7 janvier dernier, à fiscaliser de façon normale Google, notamment dans le domaine de la publicité, qui constitue la ressource essentielle et massive de l'entreprise, grâce au marché des « mots-clés », garantissant une publicité très ciblée, l'apanage des grands groupes internationaux.
Le Président de la République a même affirmé que le Gouvernement solliciterait sur cette question un avis de l'Autorité de la concurrence.
Sur cette initiative, je nourris une certaine réserve, car, comme l'a relevé la commission Tessier, une notion, celle de « la facilité essentielle » est souvent utilisée en pareil cas : en raison du coût dit « prohibitif » d'une solution de rechange, par exemple européenne, le service devrait être assuré ici par Google. Serait-ce un moyen d'éviter la taxe que l'on déclare souhaiter ?
La taxation relève d'une volonté politique, non d'un jeu pour la politique en plein vent ! Cette volonté politique doit exiger de Bercy une étude stricte du chiffre d'affaires réalisé par Google en France et des dépenses consenties par les entreprises françaises sur ce moteur de recherche.
Une telle action serait décisive pour faire avancer l'esprit de justice, mais aussi pour commencer à remettre en cause ce que les grands groupes internationaux comme Google ont tissé pour échapper aux fiscalités nationales.
La démarche française ferait jurisprudence et tirerait le fil de la pelote du fonctionnement actuel de la mondialisation, ô combien nocif.
Il faut missionner Bercy pour cette étude, le Sénat pouvant apporter sa contribution, peut-être par une commission représentative de toutes ses commissions. C'est l'un des sens de cet amendement.
Un dernier mot.
D'aucuns prétendent que cette taxe serait symbolique et ne devrait produire que de 10 à 20 millions d'euros.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances . Ce n'est pas mal !
M. Jack Ralite . Si ce n'était que cela, ce serait un ticket d'entrée pour Google sur le marché français, alors que le « petit grand emprunt », fonctionnant selon le partenariat public-privé, lui offrirait au moins 200 millions d'euros sur les 750 millions d'euros dont le débat de ce soir montre le flou de la destination.
Le vote de cet amendement est donc marqueur d'un avenir qui commence à rompre avec les liaisons dangereuses.
Enfin, selon nous, son adoption n'implique pas de traiter nécessairement après avec Google, dont les conceptions en matière de numérisation sont incompatibles avec les nôtres.
Lors du colloque organisé à la Bibliothèque nationale de France le 8 janvier dernier, Robert Darnton, directeur de la bibliothèque de Harvard, a fait un exposé rigoureux, très sévère mais très digne sur Google, et le grand auditorium, archi-plein, a applaudi chaleureusement.
M. le président . Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre . Je remercie tout à la fois M. le rapporteur général de nous permettre d'aborder ce sujet complexe, dont nous ne ferons pas le tour ce soir, et M. Ralite de la clarté de sa présentation.
Les recettes publicitaires en ligne représentent 2,1 milliards d'euros - c'est une somme considérable -, dont la moitié à peu près provient des liens sponsorisés, captés à 80 % environ par Google. On le voit bien, il s'agit d'un acteur absolument majeur et incontournable en ce domaine.
En proposant d'instaurer une taxe, monsieur le rapporteur général, vous êtes en quelque sorte le premier à tirer !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances . Oui, c'est mon caractère impatient ! ( Sourires .)
M. Éric Woerth, ministre . C'est d'ailleurs pour cela que vous avez déjà un texte à soumettre au Gouvernement.
Le rapport Zelnik n'a été remis qu'au mois de janvier dernier au Président de la République. Celui-ci a demandé à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi de formuler des propositions fiscales sur l'organisation de cette taxe. Une expertise a été engagée en collaboration avec les services du ministère de la culture et de la communication. Vous avez d'ailleurs souligné, monsieur le rapporteur général, que ce travail n'était pas très avancé. S'il en est ainsi, c'est bien parce que la demande est plus récente que vous ne le pensez.
Monsieur le rapporteur général, votre amendement n'est pas sans poser problème et vous avez-vous-même mentionné les difficultés qu'il suscitait.
La première difficulté concerne les hébergeurs. En effet, le plus souvent, l'hébergeur n'est qu'un prestataire technique, qui ne perçoit pas de recettes publicitaires.
La deuxième difficulté consiste à définir précisément ce que l'on entend par « activité publicitaire sur internet ». C'est une notion assez vaste et un domaine difficile à cerner. Le e-marketing offre en effet un éventail de prestations nouvelles de publicité et de promotion, comme les achats de mots-clés.
La troisième difficulté concerne les questions de territorialité. Comment taxer des opérateurs qui s'établissent partout en Europe, parfois même en dehors de l'Europe, et qui s'adressent à des clients français avec des publicités portant éventuellement sur des produits étrangers ? Cela pose un véritable problème d'appréhension fiscale.
Nous devons également tenir compte de la faisabilité technique du dispositif qui pourrait être instauré.
Enfin, il nous faut expertiser les conséquences économiques d'une telle taxation.
Comme vous le constatez, monsieur le rapporteur général, cela fait beaucoup de sujets à examiner, auxquels, pour la plupart, vous répondez dans cet amendement d'appel extrêmement important. J'ignore s'il a fait l'objet de commentaires critiques, mais, si ce fut le cas, c'est indéniablement à tort.
Il faut bien l'admettre, sur un sujet aussi complexe, vous essuyez un peu les plâtres. Je ne suis pas sûr que nous trouvions immédiatement la bonne solution, car des problèmes de définition, de territorialité, de cible - quel est l'interlocuteur que l'on taxe ? - se posent.
C'est extrêmement compliqué, mais il faut agir. Je pense que M. Ralite partage ce constat. Sur ce point au moins, les choses sont claires. Les orientations fixées par le Président de la République au Gouvernement le sont aussi, dans le droit fil de la mission confiée à M. Zelnik.
Sous ces réserves, le Gouvernement demande le retrait de ces amendements identiques. Les services de mon ministère pourraient se rapprocher de ceux de la commission des finances, qui ont d'ores et déjà réalisé de très importantes recherches, pour travailler en toute transparence sur ce sujet.
M. le président . La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.
M. Philippe Dominati . Je remercie M. le rapporteur général de la commission des finances d'avoir posé ce problème, qui est vaste et récurrent et qui ne se limite pas à ses seuls aspects budgétaires.
M. Ralite l'a souligné, lors de la présentation de ses voeux aux membres de la culture, le Président de la République a affirmé sa volonté de saisir l'Autorité de la concurrence, à l'instar d'autres pays européens, telles l'Allemagne et l'Italie, qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Pour ma part, je suis en désaccord avec la méthode.
Comme M. Philippe Marini l'écrit dans son rapport, le premier réflexe consiste à faire appel à l'Autorité de la concurrence, parce que la société dont il est question jouit d'un quasi-monopole dans le domaine du moteur de recherche, à hauteur de 91 %, et sera probablement en situation de monopole sur le marché publicitaire dans deux ou trois ans.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances . Taxons d'abord, nous verrons ensuite !
M. Philippe Dominati . Dans ce contexte, un État qui souhaite mettre en oeuvre une politique fiscale pour dégager des recettes nationales doit définir des critères stricts et mesurer les déséquilibres que la taxation entraînera pour un certain nombre de métiers.
Certes, il faut poser le problème, mais il ne faut pas se contenter d'une taxe pour le résoudre immédiatement : la dimension culturelle est importante, et les aspects budgétaires du dossier ne rendent pas compte de l'ensemble de la problématique. Par ailleurs, j'ai le sentiment que nous agissons trop rapidement et par réflexe.
Je suis hostile à tout monopole, mais je pense que l'ouverture du marché mérite d'abord un diagnostic précis.
M. le président . La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis . Le rapporteur général et le président de la commission des finances ne m'en voudront pas d'apporter une nuance au débat.
La question qui est posée est parfaitement légitime, mais je veux m'assurer que la réponse que l'on souhaite y apporter correspond à des objectifs circonscrits et précis et que les modalités envisagées ne sont pas contre-productives.
Trois objectifs bien différents me semblent ressortir de cette discussion.
S'agit-il de régler un problème de position dominante ? Dans ce cas, il faudra que l'Autorité de la concurrence se prononce. S'agit-il de régler un problème d'évasion de matière fiscale ? S'agit-il de régler un problème de financement de la culture en taxant les nouvelles technologies au profit des anciennes ? S'il s'agit d'instaurer un financement, il convient de préciser l'objectif visé.
J'attire l'attention de mes collègues sur le fait que les modalités fiscales retenues peuvent être contre-productives.
Nous pensons tous à cette entreprise établie à Mountain View en Californie qui jouit d'un quasi-monopole et qui « aspire » une grande partie de la substance du marché publicitaire. Néanmoins, gardons-nous d'adresser à ceux qui souhaitent se lancer dans les nouvelles technologies le signal que notre pays serait le seul, ou l'un des seuls, à prévoir une taxation particulière en la matière.
Google est l'arbre qui cache la forêt. Nous ne devons pas oublier que de nombreux opérateurs qui sont apparus en France ont moins de cinq ans et se verraient taxés alors qu'ils peinent à parvenir à l'équilibre. C'est le cas de Dailymotion, concurrent de YouTube, filiale de Google. Prenons garde à ne pas lester de semelles de plomb la nouvelle économie que nous souhaitons par ailleurs promouvoir et développer !
Enfin, il nous faut veiller à ne pas donner une mauvaise image de la publicité sur internet. Celle-ci permet à nombre de petites et moyennes entreprises de faire sauter les barrières aux entrées, contrairement à la publicité traditionnelle, qui présente l'inconvénient d'être extrêmement coûteuse. En outre, de récentes études économiques révèlent que la publicité en ligne offre un très avantageux retour sur investissement. Il s'agit donc d'une opportunité très intéressante pour les nouveaux modèles économiques, notamment pour les PME.
Le grand emprunt apporte de bonnes réponses. Ainsi, destiner 750 millions d'euros à la numérisation d'ouvrages et d'oeuvres du patrimoine est une réponse offensive. En outre, l'informatique en nuages pose la question de la souveraineté nationale, de l'accès à de grandes capacités de calcul pour nos jeunes entreprises et nos PME. Là encore, il s'agit d'une décision positive, puisque cela concerne notamment Google et Amazon, dont il a été question tout à l'heure.
Le rapporteur général de la commission des finances a excellemment posé la problématique ; à nous maintenant de travailler et de laisser mûrir la réflexion.
M. le président . La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq . Nous voterons ces amendements identiques, car, depuis la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », le groupe socialiste ne cesse de demander la taxation d'internet. En vain.
Nous souscrivons à un grand nombre des propos de M. le rapporteur général de la commission des finances. Il me semble important de verser au débat un argument supplémentaire s'agissant des jeunes.
Il se trouve que les jeunes sont habitués au téléchargement illégal et illimité et, partant, sont rétifs à l'offre légale, qu'ils jugent trop chère.
Selon le rapporteur général de la commission des finances, le produit attendu de la taxe atteindrait environ 20 millions d'euros, ce qui se rapproche du montant prévu dans le rapport Zelnik. Cela pourrait aider au financement de la carte Musique en ligne, permettant précisément aux jeunes un téléchargement illimité mais légal.
Ces amendements identiques vont dans le sens de la sauvegarde de l'industrie culturelle, d'un accès amélioré des jeunes aux offres à contenu culturel et d'une plus grande égalité fiscale des supports proposant ce type de contenus.
M. le président . La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché . Je trouve cet amendement excellent : il a le mérite de poser le problème, alors que bien peu a été fait depuis plusieurs mois dans ce domaine. J'ai cru comprendre que M. le rapporteur général de la commission des finances comptait le retirer. Dans ce cas, monsieur le ministre, quand pensez-vous déposer un texte qui permettra de fiscaliser ces activités et de dégager les ressources financières dont le pays a besoin ?
M. le président . La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances . Les deux amendements identiques présentent l'immense avantage de poser les termes d'une problématique qui deviendra, n'en doutons pas, extrêmement prégnante.
Le développement de l'économie numérique est une évidence et il n'est pas question de faire le procès de Google, dont les apports prodigieux sont difficilement contestables.
En revanche, monsieur le ministre, au-delà des problèmes de monopole et de concurrence, la matière fiscale n'est-elle pas en train de se volatiliser ? Les groupes comme Google et toutes les entreprises de l'économie immatérielle ne vont-ils pas inventer une sorte de carte de la fiscalité pour s'établir là où les conditions sont pour eux optimales ?
Le dispositif que nous vous proposons a ses limites : en instituant une taxe de 1 %, nous atteindrons non pas Google, mais bien plutôt ses utilisateurs et ses clients qui, peut-être, auront un prix à payer de 1 % supérieur.
Monsieur le ministre, il faudrait préciser le concept d'entreprise numérique qui opère en France et qui, par conséquent, perçoit en France un niveau de revenu constitutif d'un certain bénéfice. Comment asseoir un impôt sur les bénéfices d'une entreprise telle que Google ?
Une dimension du problème n'a pas encore été évoquée, celle de la TVA. Aujourd'hui, Google a deux types de clients : les particuliers et les entreprises. Je fais l'hypothèse que les particuliers paient une TVA de 21 %, encaissée par l'État irlandais et non par la France, alors que ces clients sont domiciliés en France, tout cela probablement sur le modèle d'un accord conclu pour faire plaisir au Luxembourg qui continue à empocher la TVA sur l'économie immatérielle ! ( M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis, sourit .)
M. Juncker nous rappelle à nos obligations d'équilibre budgétaire, mais il nous fait les poches lorsqu'il s'agit de l'économie numérique ! Amazon, eBay et quelques autres sont implantés au Luxembourg : la TVA à 15 % est payée par les clients français, mais perçue par le Grand-Duché !
Pour Google, le fonctionnement doit être identique : l'Irlande empoche la TVA facturée aux clients français. Il faudrait mener une enquête sur ce point particulier.
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'aimerais savoir ce qu'il en est pour les clients de Google qui sont des entreprises assujetties à la TVA. Si Google facture de la TVA aux entreprises françaises, ces dernières peuvent-elles la récupérer, puisqu'il s'agit d'une charge d'exploitation et que la TVA doit être déductible ?
Nous avons tout un chantier à ouvrir et la commission des finances vient de s'engager dans cette voie. Nous aurons besoin de toute l'aide experte de la direction de la législation fiscale et de vos services, monsieur le ministre, pour avancer.
Monsieur le rapporteur général, peut-être pourrions-nous, à ce stade, retirer cet amendement.
J'apprécierais cependant que le Gouvernement nous confirme son engagement de nous accompagner pour avancer dans cette voie, et sans attendre. D'ailleurs, le sujet dépasse les préoccupations nationales, c'est un vrai dossier européen.
Dans les semaines qui viennent, j'aimerais que nous puissions en débattre sur des bases documentées et en apportant des réponses aux différentes questions posées ce soir.
M. le président . La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances . Notre amendement n'est pas encore suffisamment abouti pour être transformé en loi et atteindre son objectif.
Néanmoins, il est indispensable d'entreprendre cette étude avec la ferme volonté d'aboutir d'ici quelques mois. D'ailleurs, notre initiative a soulevé quelques espoirs. En voici un échantillon.
La société civile des auteurs multimédias, la SCAM, qui rassemble des réalisateurs, des auteurs d'entretiens et de commentaires, des écrivains, des traducteurs, des journalistes, des vidéastes, des photographes et des dessinateurs, m'écrit aujourd'hui : « Votre amendement marque le point de départ d'une vraie réflexion de fond concernant le financement de la création à l'ère du numérique, dans le prolongement de la loi «Création et internet». L'économie du numérique ne peut être fondée sur le déséquilibre actuel entre les revenus florissants de certains opérateurs et ceux, dérisoires, des créateurs, éditeurs, producteurs de contenus, qui donnent à internet sa véritable valeur ajoutée. »
J'ai reçu par ailleurs un message de la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs, l'ARP, dont le bureau est constitué de personnes tout à fait éminentes. Elle se félicite que la commission des finances du Sénat ait adopté un amendement en faveur d'une taxation sur la publicité en ligne et ajoute : « Cette position donne toute leur résonance aux réflexions actuellement menées sur le financement de la création à l'heure du numérique, dans la continuité du rapport de la mission «Création et internet» ».
Il est indispensable de poursuivre le travail avec les professionnels, les collaborateurs des ministres - les vôtres, monsieur le ministre du budget, et ceux de Mme Christine Lagarde - et la direction de la législation fiscale, pour cheminer raisonnablement sur cette voie et aboutir, avant la fin de l'année, à un dispositif opérationnel.
Nous aurons bien entendu à nous préoccuper de l'aspect communautaire de la question. La commission poursuivra son étude pour élaborer un dispositif compatible avec le droit communautaire.
Mes chers collègues, et je me tourne en particulier vers M. Retailleau et M. Dominati, les problèmes de finances publiques qui sont devant nous sont considérables. Dans ce contexte, nous devons non seulement économiser mais aussi créer des assiettes fiscales nouvelles et, à tout le moins, éviter que celles qui existent ne souffrent d'attrition ou de détournement du fait de technologies comme internet. L'enjeu est essentiel pour nos finances publiques.
Lorsque nous publierons notre étude réalisée en collaboration avec Greenwitch Consulting, nous tâcherons d'apprécier l'ordre de grandeur de ce phénomène, qui, à l'échelle des finances publiques, est loin d'être négligeable.
Merci infiniment, monsieur le ministre, de votre réponse très concrète et argumentée, qui nous donne de l'espoir. Il est toujours agréable d'ouvrir un chantier aussi important que celui-ci !
C'est dans cet esprit que nous retirons notre amendement.
M. le président . L'amendement n° 27 est retiré.
Quel est désormais l'avis de la commission sur l'amendement n° 110 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances . Je me tourne vers M. Ralite. Mon cher collègue, il serait souhaitable que nous cheminions d'un même pas. Ne nous dissocions pas et tâchons, sur ce sujet, au moins, dans une large mesure, de réaliser en quelque sorte une union sacrée !
Dans cet esprit, peut-être pourriez-vous accepter de retirer votre amendement. En effet, j'ai la conviction que, sur un plan technique, cet amendement n'est pas plus susceptible que le nôtre d'atteindre son objectif.
M. le président . Monsieur Ralite, l'amendement n° 110 est-il maintenu ?
M. Jack Ralite . J'entends bien tous les arguments développés par plusieurs de nos collègues, par le président de la commission des finances et par le rapporteur général, mais je n'arrive pas à me résoudre à retirer cet amendement.
La raison en est très simple : ce soir, nous avons non pas un débat technique, mais un débat politique. Depuis des années, ce débat est posé. Dans cette enceinte même et au cours de tant de réunions et de colloques auxquels j'ai participé, j'ai toujours entendu dire par la majorité, avec des propos nuancés : « Il va falloir étudier »... Dans le temps, on disait : « On va créer une commission ». Aujourd'hui, on renvoie à une étude. Mais l'étude « sur le sol » est faite, il suffit de parler avec les gens.
J'ai reçu des messages sans doute identiques aux vôtres, monsieur le rapporteur général. Trois m'ont été adressés encore aujourd'hui. J'ai assisté, il y a quelques jours, à un débat organisé par la SACD, la société des auteurs et compositeurs dramatiques : il a porté presque essentiellement sur cette question. M. Toubon, qui participait à ce débat, a d'ailleurs montré une ferme assurance et la volonté d'aller dans ce sens.
Demain, notre commission de la culture reçoit M. Marc Tessier, le rapporteur de la commission sur Google. La question est évoquée dans son rapport, auquel j'ai d'ailleurs emprunté, pour le combattre, l'argument selon lequel, puisqu'il serait prohibitif de vouloir faire comme Google, nous devrions accepter ses conditions.
Bien sûr, ces mesures ont des défauts ; les grandes réformes ne se sont jamais faites au cordeau, mais se sont construites sur une base fondamentale.
Tout est dit dans l'argumentation du président de la commission des finances. Tous ces grands géants ont tissé une sorte de toile - c'est leur mondialisation -, qui court-circuite tous les professionnels, tous les publics et tous les États ! Alors, il faut un acte, même s'il n'est pas d'une pureté extrême - en général, quand on est pur, on ne réussit pas -, qui soit le fruit d'une volonté politique affirmée.
« Il serait dommage que nous nous séparions », me dit M. Marini. Je lui répondrai : « Il serait dommage que vous décidiez cette séparation en vous abstenant aujourd'hui » !
Cette politique de yo-yo, où l'on avance et retire des dispositifs, n'est pas une pratique parlementaire constructive. Aussi, non seulement je maintiens cet amendement, mais notre groupe demandera au Sénat de se prononcer par scrutin public.
Rappelez-vous des difficultés rencontrées lors de la suppression de la publicité à la télévision, mesure appliquée avant que nous en ayons discuté au Parlement. Le Conseil d'État vient de régler la question, même si M. Lefebvre, UMP, fait semblant de ne pas comprendre et prétend que rien n'est changé.
Nous avons saisi le Conseil d'État et nos collègues socialistes ont saisi le Conseil constitutionnel. Les deux nous ont donné raison : ce n'est pas bien que l'exécutif se soit substitué au législatif, ce n'est pas bien que la télévision ait perdu de son indépendance dans un vote obligé.
Le Conseil constitutionnel a avalisé la loi, mais il a ajouté, dans un considérant n° 19, une réserve fondamentale : sans compensation exacte, la télévision perd son indépendance.
Nous n'avons rien fait de merveilleux, nous avons simplement osé ! Sur des questions aussi fondamentales, il faut que la France ose et, quand elle aura créé un exemple, une jurisprudence, même un peu boiteuse, on commencera alors à découdre cette espèce de monopole de faux droit qui tente d'enserrer le monde, alors qu' internet est l'une des plus belles inventions humaines, malheureusement mal appliquée, à cause de la pratique des propriétaires de ces grands groupes. ( M. Thierry Foucaud applaudit .)
M. le président . La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances . Monsieur Ralite, je voudrais vous lancer un ultime appel. Nous avons, sur le fond, une vraie convergence d'analyse et de volonté politique, mais nous ne devons pas nous tromper d'instrument. En votant cet amendement, nous risquons d'afficher une sorte d'impuissance politique, à l'heure où notre démocratie souffre d'un décalage trop fréquent entre la parole politique et l'effectivité de l'action.
Il serait infiniment préférable que vous preniez part aux travaux qu'a engagés la commission des finances sur ce sujet. Vos collègues Thierry Foucaud et Bernard Vera peuvent en témoigner, nous entendons avancer et formuler, dans des délais raisonnables, des propositions précises afin que nous disposions, demain, d'instruments suffisamment efficaces pour atteindre les objectifs que nous partageons.
M. le rapporteur général l'a rappelé, du fait de la montée en puissance de l'économie numérique, nous risquons de voir s'évaporer nos assiettes fiscales. Il serait vraiment dommage que vous nous demandiez de nous prononcer ce soir par un vote dont l'issue donnerait l'apparence d'une fracture entre nous, alors que, sur le fond, nous sommes, je le répète, en profonde convergence.
Je souhaiterais donc vraiment que vous renonciez à ce scrutin public.
M. le président . Monsieur Ralite, qu'en est-il en définitive de l'amendement n° 110 ?
M. Jack Ralite . Monsieur le président, je voudrais bien accéder à la demande du président de la commission des finances, mais je ne le peux pas. À l'entendre, nous risquons, en votant cet amendement, d'afficher notre impuissance politique. Mais, en ne le votant pas, nous nous enfermons dans une impuissance politique démissionnaire !
En tant que parlementaire, cet aspect de la politique me hante. Combien de fois a-t-on entendu l'argument consistant à dire que ce sera mieux demain ? Pour ma part, je souhaiterais que ce soit un peu mieux aujourd'hui !
Si, humainement, il est toujours intéressant de constater une convergence de vue, je suis au regret de vous indiquer que je ne peux pas, en mon âme et conscience, retirer cet amendement, car j'aime trop ce sujet et ce qu'il implique pour notre pays et pour le monde entier.
M. le président . Je mets aux voix l'amendement n° 110 de M. Ralite, tendant à insérer un article additionnel après l'article 9.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG. Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l'avis du Gouvernement. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
( Le scrutin a lieu .)
M. le président . Personne ne demande plus à voter ?... Le scrutin est clos. J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin. ( Il est procédé au dépouillement du scrutin .)
M. le président . Voici le résultat du scrutin n° 153 :
Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 139
Contre 187
Le Sénat n'a pas adopté.