B. SUR LE PLAN JURIDIQUE : DEUX NOTIONS AUX DESTINS LIÉS
Dès lors que, comme vous l'ont proposé vos rapporteurs, on envisage les seules mutualisations par voie conventionnelle, force est de constater que, au niveau local, mutualisation et intercommunalité semblent aller de pair aux yeux de la loi, et ce de manière quasiment exclusive : d'un côté, le CGCT consacre clairement la mutualisation entre EPCI et communes membres (mutualisation verticale) ; d'un autre côté, il offre une place fort restreinte aux possibilités de mutualisation directe entre communes (mutualisation horizontale), sans l'intervention d'un EPCI.
1. Intercommunalité et mutualisation : un lien consacré par le législateur par l'organisation de la mutualisation verticale
a) Le principe de la mutualisation ascendante et ses limites
Le législateur, dans l'article L. 5211-4-1 du CGCT, a exigé que tout transfert de compétence des communes vers un EPCI s'accompagne du « transfert du service ou de la partie de service chargé de sa mise en oeuvre » . Les personnels concernés « sont transférés dans l'EPCI. Ils relèvent de cet établissement dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les leurs ». Il s'agit bien d'un transfert de service, qui devient celui de l'EPCI, dont on a vu qu'il s'agissait de la forme la plus achevée de mutualisation.
L'emploi du présent de l'indicatif semble conférer à ce transfert un caractère obligatoire.
Pourtant, le même article L. 5211-4-1 permet de mettre les services d'une commune membre « à disposition d'un EPCI pour l'exercice de ses compétences, lorsque cette mise à disposition présente un intérêt dans le cadre d'une bonne organisation des services » 10 ( * ) . En votant cette disposition, d'ailleurs présentée comme une « dérogation » à l'obligation de transférer les services parallèlement à une compétence , le législateur a pris acte de l'existence (ou, dans une vision plus optimiste, y a consenti) de transferts de compétences ne donnant pas lieu, du moins intégralement, à un transfert des services .
Cette dérogation peut se concevoir pour les services fonctionnels (également appelés services supports : ressources humaines, marchés publics, informatiques, finances, bureaux d'études...). En effet, à la différence de ce que l'on pourrait appeler les services opérationnels, les services fonctionnels ne sont pas affectés à l'exercice exclusif d'une compétence : le service informatique, par exemple, apporte son concours à l'exercice de toutes les compétences locales : transports, assainissement, espaces verts, voirie... On peut donc parfaitement concevoir que le transfert d'une de ces compétences à un EPCI n'entraîne pas automatiquement le transfert à celui-ci des services informatiques des communes.
En revanche, le transfert des services opérationnels devrait systématiquement accompagner le transfert de la compétence : il serait totalement incohérent que des communes qui ont transféré la compétence transports à un EPCI ne lui transfèrent pas leurs chauffeurs de bus, obligeant ainsi l'EPCI à procéder à des recrutements tandis qu'elles conserveraient des personnels pour des compétences qu'elles n'assumeraient plus.
Pourtant, le CGCT présente la mutualisation comme une alternative (pour ne pas dire un palliatif) sans faire de distinction entre les services opérationnels et les services fonctionnels.
Par son caractère général, la dérogation à l'obligation de mutualisation des services reste de fait à l'état de possibilité : ni le transfert pur et simple, ni la mutualisation, ni le choix entre l'une ou l'autre ne sont réellement obligatoires . Au final, la voie reste ouverte à une ultime solution, assez peu rationnelle : le recrutement de personnels par l'EPCI pour accomplir des tâches qui relevaient auparavant d'agents municipaux que les communes, malgré le transfert de compétence, conservent dans leurs effectifs. C'est ce qu'il est convenu d'appeler un doublon.
Pourtant, l'observateur ne peut manquer d'être frappé par le fait que la rédaction retenue par le CGCT pour les mutualisations de services est nettement moins catégorique que celle retenue, pour les mutualisations de biens , par la combinaison des articles L. 5211-5 et L. 1321-1 : « le transfert des compétences (à un EPCI) entraîne de plein droit » la mise à la disposition de l'EPCI « des biens meubles et immeubles utilisés, à la date de ce transfert, pour l'exercice de cette compétence ».
Une autre limite à la mutualisation ascendante tient au fait que le CGCT la lie expressément à l'existence d'un transfert de compétence. Il en résulte que, hors transfert de compétence, aucun dispositif formel ne régit la mutualisation ascendante , ce qui n'est guère sécurisant dans un domaine où, comme l'a rappelé le Président Alain Lambert, les incertitudes juridiques peuvent considérablement paralyser l'initiative locale. Cette situation constitue de fait un obstacle à la mutualisation des services fonctionnels : n'étant généralement pas affectés à une compétence opérationnelle, ils ne sont donc pas a priori compris dans le champ de ceux appelés à être mutualisés en cas de transfert d'une compétence.
* 10 Il y a lieu de noter que cette mutualisation ascendante ne nécessite pas l'implication directe de toutes les communes membres. Elle peut même n'intervenir qu'entre une seule commune et l'EPCI ; dans une telle hypothèse, relativement fréquente, c'est en pratique aux services de la commune centre que recourt l'EPCI (cf. annexe, exemples n° 1, 2, 4, 5 et 7 : Verdun, Chalon-sur-Saône, Mulhouse, Vendôme, Amiens).