b) La dimension interpersonnelle
Sans aller jusqu'à les mettre sur le même plan que le mariage ou les fiançailles, force est de convenir que l'intercommunalité et la mutualisation supposent un minimum d'« atomes crochus » entre responsables appelés à collaborer.
L'incompatibilité des personnalités, la concurrence politique, la vision différente des enjeux locaux ou d'éventuelles inimitiés constituent donc des obstacles évidents.
Pour autant, sur ce point également, le sens de l'intérêt général devrait primer sur les pures questions de personnes. Lorsque tel n'est pas encore le cas, on peut penser le contexte dans lequel se trouve aujourd'hui la mutualisation, sur lequel on reviendra, contribuera à des rapprochements de raison. A défaut, la question a été posée de savoir si la frilosité politique ne devrait pas être compensée par des incitations, voire, pour certains, par des mesures contraignantes.
c) La crainte d'une perte de pouvoir
Parce qu'elle implique, dans une certaine mesure, un exercice en commun de compétences, la mutualisation est parfois considérée par les élus locaux comme une forme de renonciation à leurs pouvoirs. Parce qu'elle implique un partage de moyens, notamment de personnels, elle est parfois vue par les élus locaux comme une sorte de dilution de leur autorité.
Il n'en est pourtant rien : la mutualisation de l'instruction des permis de construire n'entraîne pas ipso jure le transfert des décisions d'attribution ; le partage de ses personnels n'empêche pas la collectivité « prêteuse » de continuer à gérer les carrières, même si (comment pourrait-il en être autrement ?) la responsabilité opérationnelle, et donc le pouvoir de donner des instructions, relève de la collectivité pour qui travaillent les intéressés (mais, inversement, la même collectivité « prêteuse » peut à son tour disposer d'un pouvoir d'instruction sur les agents que les autres collectivités mettent à sa disposition).
La perte de pouvoir redoutée par certain n'a donc rien d'automatique. En revanche, vos rapporteurs ont déjà insisté sur ce point, il est dans la logique de la mutualisation d'évoluer et de rapprocher peu à peu les acteurs locaux du Rubicon du transfert du pouvoir de décision. La problématique de la mutualisation rejoint donc, ici encore, celle de l'intercommunalité, puisqu'elle pose tôt ou tard la question de l'acceptation par les responsables locaux du transfert d'une partie de leurs attributions à un ensemble supracommunal. A cette question, vos rapporteurs apportent les mêmes réponses, qu'il s'agisse de développer la mutualisation ou l'intercommunalité :
- sans capacité d'intervention, le pouvoir de décision reste purement formel : le pouvoir d'octroyer ou de refuser un permis de construire n'a de sens que si l'autorité qui en est investie est en mesure d'apprécier toute la portée de sa décision. Or, mutualisation et intercommunalité ont précisément pour objet principal de maintenir à un niveau collectif une capacité d'intervention disparue ou menacée de disparition, faute de moyens, au niveau des communes prises individuellement . Dès lors, consentir à un transfert de décision au profit d'un EPCI revient, pour l'élu municipal, à renoncer juridiquement à un pouvoir que, de toute manière (et aussi regrettable cela soit-il), il n'a pas la capacité matérielle d'exercer ;
- d'autre part, la mutualisation et le développement de l'intercommunalité, en déchargeant les communes de certaines tâches ou en les conduisant à s'en partager l'accomplissement, leur permettent de concentrer leurs moyens sur des missions dont ils conservent la pleine maîtrise, contribuant ainsi à ce que leur pouvoir de décision en ces matières soit utilisé dans les meilleures conditions.
d) la crainte d'une perte d'identité
L'attachement à un territoire communal, à son identité et à ses particularités (historiques, géographiques, culturelles...), peut parfois conduire à envisager avec une certaine réserve la perspective d'un rassemblement plus ou moins institutionnalisé avec d'autres collectivités.
Cet attachement est parfaitement légitime.
Mais la mutualisation comme l'intercommunalité sont tout à fait conciliables avec lui.
Certes, vos rapporteurs font partie de ceux qui considèrent que les intercommunalités doivent atteindre une certaine « taille critique » pour développer toutes leurs potentialités . Ils rejoignent en cela la commission d'enquête précitée, présidée par M. Bonrepaux, lorsqu'elle conclut, sous la plume de M. Mariton : « Plus une collectivité est peuplée, plus la gamme de services publics qu'elle offre est importante. L'intensité de l'effet d'accroissement global du niveau de service public induit par l'intercommunalité augmente donc avec la taille démographique du groupement. » 13 ( * )
Pour autant, même large, l'intercommunalité reste un cadre privilégié (et même unique) pour une gestion efficace dans le respect du principe de proximité et des spécificités des territoires :
- dès lors que son périmètre (ou celui de la mutualisation) est défini de manière à correspondre à un véritable bassin de vie , l'intercommunalité, loin de porter atteinte à l'identité locale, la renforce par la solidarité qu'elle crée entre les communes concernées et par la mise en place d'actions partagées pour répondre aux attentes propres de leurs habitants ;
- par ailleurs, l'intercommunalité n'est pas soumise à un régime juridique uniforme : même des EPCI relevant d'une catégorie identique peuvent parfaitement se doter de compétences et de statuts forts différents pour, précisément, assurer chacun le meilleur équilibre entre l'identité intercommunale et la prise en compte, en son sein, d'éventuelles spécificités locales. Cet équilibre est l'affaire des élus locaux, qui sont évidemment les mieux à même de l'apprécier. Les pouvoirs nationaux, et a fortiori les pouvoirs supranationaux, loin de les enfermer dans un carcan réglementaire ou législatif, doivent s'efforcer de leur faciliter la tâche par la détermination d'un cadre juridique souple, sécurisant et responsabilisant.
* 13 Sur ce point, l'unification des services au prix d'une réduction du périmètre de l'EPCI, comme cela s'est produit pour la Communauté de communes de Verdun (cf. annexe, exemple 1) pose plusieurs problèmes de principe :
- au regard de la solidarité territoriale, avec le sentiment que certains sont laissés sur le bord de la route),
- au regard de la dialectique mutualisation/intercommunalité, puisque le « sacrifice » de l'EPCI, via la réduction conséquente de son périmètre, laisse penser que la première prime la seconde, alors qu'elle doit en être le complément ;
- au regard de la rationalisation de l'action locale : la réduction du périmètre EPCI prive non seulement les « exclus » des services de celui-ci, mais peut aussi empêcher les « bénéficiaires » de disposer d'un niveau de service auxquels ils auraient pu prétendre avec un périmètre plus large.