CONTRIBUTION DU SÉNATEUR MARIE-THÉRÈSE HERMANGE
Si l'analyse et les préconisations du groupe de travail sur la fin de vie conduites par Nicolas About sont susceptibles de faire consensus, tel ne saurait être le cas de la question sous-jacente, celle de l'aide à la mort volontaire. Car c'est bien de la « volonté de mourir de la personne » dont il s'agit. La mort volontaire n'est pas la mort digne. Cette assimilation, comme l'a souligné lors de son audition le professeur Axel Kahn, reviendrait à considérer qu'il y a des formes de vie indignes, ce que récusent tant la Déclaration universelle que la Convention européenne des droits de l'homme. La mort volontaire suggère par ailleurs la question du droit à mourir volontaire.
Or pouvons-nous inclure parmi les droits qu'un individu doit pouvoir revendiquer, le droit de mourir, droit de mourir qui impliquerait, au titre de bonnes solutions, au travers d'une législation, la production de normes imposant des règles indifférenciées et systématiques ? Toute existence est pourtant singulière et chacun de nous ne se résume pas à ses rationalités, marqué qu'il est par ses cicatrices, ses blessures, son environnement, son rapport ou non au mystère de la vie, tiraillé qu'il est entre l'envie de s'épanouir et celle de s'autodétruire. A supposer qu'une jurisprudence soit établie à la suite d'une « instruction que le Garde des Sceaux adresserait aux parquets, tendant, après qu'ils se seront assurés que l'euthanasie était uniquement motivée par la volonté de mourir de la personne, au classement sans suite de ces affaires », pour des « personnes en fin de vie ou dans le cas de personnes handicapées qui désirent mourir mais ne peuvent le faire » , une telle jurisprudence aboutirait très rapidement à une légalisation du droit à mourir volontaire.
Dans l'un et l'autre cas, c'est appeler à terme à légiférer sur la mort à la deuxième personne, celle de l'autre - puisque je ne peux légiférer ni sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin de tout ce qui vit et respire, ni sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort. Comme le dit très bien Jankélévitch « pour ce qui est de mourir, cela, chacun le fait pour soi. C'est la chose pour laquelle personne ne peut se faire remplacer. » En d'autres termes, légaliser et/ou faire jurisprudence c'est se trouver confronté à prendre au sérieux la parole d'un « je » et à croire que son consentement suffit à légitimer sa demande alors que celle-ci, vécue dans la souffrance peut ne pas être en cohérence avec son « moi ». « L'homme est fait pour l'entrouverture. Sa vie est fermée par la mort mais elle est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir. C'est cette espérance qui est refusée au condamné à mort ».
En légiférant et/ou en faisant jurisprudence, il serait demandé à la loi (générale par définition) ou au juge qu'un autre vienne fermer cette ouverture, claquer cet entrebâillement, cette capacité à dire « je veux vivre ».
L'idée que la mort désirable est la mort rapide, voire brutale, semble en fait découler surtout du refus de la douleur. A cette exigence, les soins palliatifs apportent la réponse la plus adéquate et, ainsi que l'a annoncé le Président de la République, l'Etat poursuivra les importants investissements qu'il mène en ce domaine car il ne faut « pas simplement proposer un service » mais aussi intégrer « une vraie culture » car « tout le monde est confronté à la fin de vie ». Que les pratiques médicales doivent encore intégrer la dimension palliative des soins est incontestable et il reste à conduire un important travail d'information et de formation. La prise en charge par les équipes de soins palliatifs devrait permettre une fin de vie apaisée qui réponde aux souhaits de l'immense majorité des malades en fin de vie et de leurs familles afin que leurs craintes légitimes sur la souffrance soient allégées.
Dès lors, ce n'est pas d'un débat sur l'organisation de la mort volontaire destiné à satisfaire l'aspiration d'une minorité de personnes dont notre société a aujourd'hui besoin. C'est d'une prise de conscience de notre tendance à exclure les plus faibles et les plus vulnérables. Comme le soulignait le professeur Anne Fagot-Largeau, il est impératif que nous réfléchissions à la place des personnes âgées dans notre société - à qui l'on fait sentir, à partir de la fin de leur activité professionnelle, qu'elles sont inutiles, de trop, et qu'elles deviennent progressivement un « poids » pour leur famille et pour la société. Il en est de même pour tous ceux qui souffrent d'une maladie chronique ou d'un handicap, physique ou mental, et à qui il est si facile de faire désirer la mort en les privant d'accès aux soins parfois lourds et quotidiens dont ils ont besoin. « A nous de décider de la forme du monde où nous vivrons demain : société plus hospitalière, au sens premier du terme, ou au contraire, une société toujours plus dure et normative d'où la vulnérabilité serait écartée ? »
En effet, le devoir de la société est d'offrir à tous ceux qui souffrent et vivent une situation de vulnérabilité intense, une véritable alternative au désir de mort qu'ils peuvent parfois formuler. C'est d'une vie riche de sens dont ces personnes ont besoin, bien plus que d'une aide à mourir. Plus que satisfaire une volonté de mourir, c'est de nous interroger sur les motivations de cette volonté qui est nécessaire. La société ne pourra légitimement se préoccuper de la demande de mort que lorsqu'elle aura répondu au désir de vivre. Lancer un débat sur la « volonté de mourir de la personne » avant d'avoir répondu à cette exigence fondamentale, c'est risquer de signifier à toutes les personnes fragiles, à tous ceux qui sont différents, qu'ils sont de trop.
A supposer que l'on accepte l'idée que l'Etat organise une aide à la mort volontaire, deux questions ne peuvent être éludées : qui sera chargé de donner la mort et qui pourra la demander ?
Qui sera chargé de donner la mort ?
Les partisans de l'aide à la mort volontaire répondent que la France doit s'aligner sur les législations belge et hollandaise, qui imposent que l'injection létale soit faite par un médecin. Comme le montre le débat actuel en Suisse, l'aide au suicide par des volontaires non-médecins pose en effet de trop nombreuses difficultés éthiques pour être envisagée. Mais demander à des médecins de donner la mort est lourd de conséquences pour la médecine elle-même. Cela revient à leur demander de sortir de leur rôle de soignant curatif ou palliatif pour mettre fin délibérément à la vie d'une personne. Ce serait consacrer un changement dans la conception que notre société se fait de la mission de la médecine qui, tournée jusqu'à présent vers la vie, serait dès lors contrainte d'envisager les moyens d'y mettre fin. D'ailleurs, la grande majorité des médecins et des soignants estiment qu'il est de leur devoir de protéger les plus vulnérables. Dans un plaidoyer signé en mars 2007 par 7 000 professionnels de la santé, sept sociétés savantes ont affirmé qu'elles étaient contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux, et ont appelé à une large information et une pédagogie de la loi sur le droit des malades et la fin de vie. Plus récemment, ces mêmes sociétés savantes ont rappelé que « quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève pas de la compétence du médecin et nous n'assumerons pas ce rôle. (...) Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution. Cela ne correspond ni à notre expérience quotidienne ni à ce que nous enseigne la pratique de la médecine ».
Qui pourra demander la mort ?
Ni une loi ni une jurisprudence sur l'aide à la mort volontaire ne pourront jamais prétendre répondre à l'intégralité des demandes individuelles. Ainsi, à la question prétendument délimitée des personnes en fin de vie s'ajoutera presque immédiatement celle des personnes handicapées, sans que soit clairement déterminé de quel type de handicap il est question. Nicolas About dans son rapport estime à titre personnel que « la loi Leonetti ne règle pas un cas particulier : celui des personnes lourdement handicapées qui ne sont pas en fin de vie mais qui ne peuvent elles-mêmes mettre fin à leurs jours, si tel devait être leur souhait face aux difficultés insurmontables de leur existence quotidienne. Certes le rapporteur ajoute: « Je ne plaide pas évidemment pour qu'ils aient recours à l'euthanasie mais je conçois que si la possibilité leur en était offerte, cela les aiderait à mieux vivre, sans jamais peut-être y avoir recours. C'est leur donner une perspective apaisante ». Mais la question qui surgit immédiatement est : « de quel handicap s'agit-il ? » Si le rapporteur exclut « les personnes atteintes de troubles mentaux ou d'un handicap mental dont le consentement semble ne pouvoir être valablement recueilli », les frontières sont bien souvent ténues pour certaines pathologies induisant un trouble du comportement (ex: maladies bipolaires). Aussi, non seulement on ne peut demander à la loi de répondre à chaque situation individuelle, mais on peut s'interroger sur les critères choisis pour établir les demandes tendant à inclure les « cas » de handicap où l'aide à la mort volontaire sera possible et entrera dans l'instruction qui sera adressée aux parquets par le Garde des Sceaux. C'est faire porter et transmettre aux juges une responsabilité dans l'appréciation du motif de « la volonté de mourir de la personne » qui conduit à donner la mort. C'est aussi manifester notre paradoxe vis à vis du handicap d'autant que, comme les citoyens l'ont rappelé lors des Etats généraux de la bioéthique, « ni la maladie ni le handicap n'altèrent notre humanité ». C'est la raison pour laquelle je ne peux acquiescer à la première recommandation du groupe de travail concernant l'instruction, adressée par le Garde des Sceaux aux parquets.
S'agissant de la proposition d'étude relative au besoin de connaissance, menée sur les pratiques liées à la fin de vie dans notre pays, et confiée à un observatoire, celle-ci s'avère d'autant plus utile qu'elle sera susceptible de montrer l'ampleur des euthanasies subies et contres lesquelles il faut lutter, ainsi que du travail à accomplir pour améliorer les pratiques. Nous ne pouvons cependant pas ne pas nous interroger sur les difficultés de la mission.
Enfin, il semble qu'à ce jour nous avons une législation-avec les lois successives, de 1999 sur les soins palliatifs, de 2002 sur les droits des malades et la loi Leonetti de 2005, qui permet de prendre en charge les personnes en fin de vie. Donnons à la médecine les moyens de cette ambition, pour construire cette société de l'hospitalité.