Audition de Patrick
GUIOL,
chargé de recherche en sciences du politique
au Centre
national de la recherche scientifique
(mercredi 19 mai 2010)
Enfin, la mission a entendu Patrick Guiol, chargé de recherche en sciences du politique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Patrick Guiol, chargé de recherche en sciences du politique au CNRS , a indiqué s'intéresser depuis longtemps au lien entre gestion des entreprises et santé. Dès 1973, lors du conflit social au sein de l'entreprise Lipp, un médecin avait attiré son attention sur le fait que beaucoup de maladies psychosomatiques dont souffraient les salariés avaient disparu après le déclenchement de la grève. En 2003, l'occasion s'est présentée de lancer un programme de recherche pour prouver, scientifiquement, que la gestion d'une entreprise a un impact sur la santé de ses salariés.
Pour ce faire, il a d'abord été nécessaire de constituer deux groupes-témoins : le premier rassemble des entreprises dont la gestion peut être qualifiée de « participative », le second des entreprises dont la gestion est « autoritaire ». La sélection de ces entreprises a été effectuée en lien avec différents partenaires - inspection du travail, organisations syndicales, chambres de commerce - en combinant des critères objectifs, par exemple le respect de la législation ou l'existence d'instances de concertation, et des données plus subjectives, issues d'enquêtes réalisées auprès des délégués syndicaux ou des salariés.
Un sondage a été effectué auprès des médecins du travail pour connaître leur opinion. S'ils se montrent prudents quand on les interroge sur l'existence d'un lien éventuel entre gestion de l'entreprise et santé des salariés, ils affirment, en revanche, sans hésiter que le climat social a un effet sur la santé des salariés. Interrogés sur les améliorations à apporter, ils mettent en avant le besoin de reconnaissance qu'éprouvent les salariés puis citent la qualité de la relation entre l'employeur et ses salariés et enfin l'organisation du travail.
Les médecins du travail considèrent majoritairement que les entreprises « participatives » sont moins pathogènes et que ce sont les ouvriers et les employés qui en bénéficient le plus. Le manque de reconnaissance est beaucoup moins fortement ressenti dans ces entreprises que dans celles du deuxième groupe.
L'analyse des données objectives collectées auprès des caisses régionales d'assurance maladie (Cram) confirme ce diagnostic. On observe ainsi que le nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles est un peu plus élevé dans les entreprises « autoritaires » que dans les entreprises « participatives ». Les écarts sont plus importants si l'on considère les branches professionnelles où les risques professionnels sont les plus élevés.
Les écarts sont également significatifs si l'on examine la consommation médicale courante des salariés (en psychotropes, antidépresseurs, consultations médicales, etc.). La consommation est en effet inférieure de 13% chez les salariés des entreprises « participatives ». Si la consommation médicale des femmes est plus élevée en moyenne, il apparaît que ce sont les hommes qui sont les plus sensibles au type de pouvoir exercé dans l'entreprise.
Interrogé par Annie David , présidente, sur les raisons qui peuvent expliquer ces différences entre les femmes et les hommes, Patrick Guiol a avancé quelques pistes : les hommes trouvent principalement leur reconnaissance dans la sphère professionnelle, qu'ils ont donc tendance à surinvestir, alors que les femmes peuvent obtenir davantage de reconnaissance dans la sphère familiale ou domestique. La consommation médicale plus élevée des femmes peut trouver son origine dans le stress de la « double journée » de travail qu'elles assument ou résulte peut-être du fait que les hommes seront plus enclins à lutter contre le stress en consommant de l'alcool, ce que les données disponibles ne permettent pas de mesurer.
Si l'on s'intéresse maintenant au nombre d'arrêts de travail, il apparaît que la situation est à nouveau plus favorable dans les entreprises « participatives », a fortiori si l'on considère la durée de ces arrêts.
Patrick Guiol a indiqué avoir travaillé avec un économiste pour évaluer les gains qui pourraient résulter d'une plus grande diffusion du modèle « participatif ». Ils ont abouti à la conclusion que 10 % de management participatif en plus permettrait d'économiser 77 millions d'euros ; si on extrapole ce résultat à l'ensemble de la population active, l'économie atteint près de 1,4 milliard, en raison principalement de la réduction du nombre d'accidents du travail.
Une politique d'actionnariat salarié est également corrélée à une diminution du nombre d'accidents du travail, probablement parce que les entreprises qui s'engagent sur cette voie sont aussi celles qui investissent le plus dans l'hygiène et la sécurité et qui réunissent le plus souvent leur CHSCT.
Au total, il paraît donc bien établi qu'un management « participatif » crée un meilleur climat social dans l'entreprise, ce qui est favorable à la santé des salariés.