CHAPITRE II
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CHRONIQUE DE
LA PANDÉMIE DÉCLARÉE
La pandémie annoncée ne fut pas celle qui arriva, comme l'a parfaitement exprimé la ministre de la santé : « Nous attendions un virus aviaire virulent, venu d'Asie. Nous avons eu un virus porcin, contagieux, venu d'Amérique » 91 ( * ) . En outre ce virus s'est révélé peu virulent.
Mais il y avait une pandémie et sa gravité étant d'entrée de jeu impossible à apprécier, il était cohérent de mettre en oeuvre les mesures préparées, d'autant plus que certaines - la vaccination en particulier - demandaient un certain délai pour être opérationnelles.
Tout le problème était ensuite celui de « l'adaptabilité » de la réponse aux exigences de la situation. Elle devait pouvoir s'appuyer en premier lieu sur l'expertise, indispensable pour rassembler et interpréter les données peu à peu disponibles, et pour proposer les ajustements nécessaires. Votre commission d'enquête a pu apprécier la qualité de l'expertise dont a disposé le Gouvernement. Mais elle estime qu'elle pourrait être mieux structurée et élargie à toutes les compétences - y compris dans des disciplines a priori éloignées de la santé publique et de la médecine, tels la sociologie ou le droit -nécessaires pour optimiser son action dans le court et le moyen termes.
Cela a été en particulier sensible dans le domaine de la stratégie vaccinale, dont la définition, nécessairement précoce, se heurtait à des interrogations lourdes : l'incertitude sur le schéma vaccinal, le délai et le rythme de mise en place de la vaccination ; son organisation ; l'efficacité de la réponse vaccinale ; la sévérité de la pandémie.
Toutes ces interrogations n'ont peut-être pas été suffisamment prises en compte.
S'il ne fait pas de doute, pour autant, que les décisions qui ont été prises en mai et juin étaient justifiées , il aurait fallu davantage être en mesure d'ajuster leur exécution à la résolution progressive de ces inconnues de départ, ce que n'ont pas rendu possible les contrats établis avec les fournisseurs de vaccins.
Il faudra tirer tous les enseignements de cette première expérience « en vraie grandeur » de vaccination antigrippale pandémique.
Mais elle ne doit pas pour autant occulter les aspects positifs du plan « Pandémie grippale », en particulier en matière de mesures barrière et de développement des équipements, qu'il faudra toutefois compléter par un volet recherche.
I. LE SUIVI DE L'ÉVOLUTION DE LA SITUATION PAR L'EXPERTISE FRANÇAISE
A compter du 24 avril 2009, date de l'annonce par l'OMS de l'émergence d'un nouveau virus humain de grippe A (H1N1)v au Mexique et aux Etats-Unis, le système d'expertise français a suivi pas à pas la propagation du virus et étudié les moyens les plus efficaces de lutte. L'activité des experts a été incessante depuis cette date et pendant une période de dix mois jusqu'à ce que, en janvier 2010, la ministre de la santé annonce l'annulation partielle de la commande de doses de vaccin et ferme progressivement les centres de vaccination. Mais l'engagement des experts n'a pas cessé avec la fin de la vague pandémique. Conformément à la mission qui leur est confiée par les pouvoirs publics, ils se consacrent désormais, d'une part à l'évaluation tant de l'impact de la pandémie que de la réponse des autorités sanitaires, et d'autre part, à la préparation de la vague d'attaque grippale attendue pour l'hiver prochain.
S'agissant de l'engagement personnel des experts français, votre rapporteur s'associe donc pleinement au rappel effectué par Mme Françoise Weber, directrice générale de l'Institut de veille sanitaire, dans le cadre de la présentation des premiers éléments de bilan de la grippe A (H1N1)v en France : « Quels que soient les progrès qui restent à faire, quelles que soient les incompréhensions et les tensions inhérentes à toute période de crise, ils ont montré, avec quelques milliers d'autres, que la santé de notre pays est servie par des professionnels qui ont su et sauront donner pendant plusieurs mois le meilleur d'eux-mêmes pour veiller, analyser et lutter contre une menace émergente » 92 ( * ) .
Mais quelle que soit la qualité des personnes, il est incontestable que l'expertise française n'a pas su mesurer l'ampleur d'un phénomène qui s'est avéré bien plus limité que ses évaluations ne le laissaient penser. Ces difficultés résultent de l'organisation de l'expertise sanitaire française qui a renforcé la tendance à une interprétation maximaliste du risque pandémique. Surtout, la polémique autour de la pandémie a remis en cause la crédibilité même de l'expertise publique et montré avec force la nécessité de renforcer la gestion des conflits d'intérêts qui peuvent naître des travaux des experts pour l'industrie pharmaceutique. Organiser une plus grande transparence en ce domaine permettra de protéger les experts, de prévenir les soupçons infondés et d'asseoir la légitimité des décisions publiques prises sur le fondement de l'expertise.
A. L'ORGANISATION COMPLEXE DE L'EXPERTISE SANITAIRE FRANÇAISE
La structure actuelle du système d'expertise sanitaire français résulte essentiellement de deux lois, celle d'initiative sénatoriale, du 1 er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme 93 ( * ) , et celle du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique 94 ( * ) . Ces deux textes reflètent le souci du législateur de doter la France d'institutions scientifiquement crédibles et ayant une appréhension suffisamment large des questions sanitaires pour détecter rapidement les risques émergents et les évaluer avec précision. Cette approche s'oppose à la mise en place d'organisations spécialisées par type de risque sanitaire. En effet, leurs moyens d'action seraient nécessairement plus limités et leur multiplication ne protègerait pas la France contre une menace nouvelle.
Cohérent et entièrement constitué au moment de l'apparition du virus A (H1N1)v, le système sanitaire français a néanmoins été entravé dans son fonctionnement par des difficultés structurelles qui ont pu nuire à la qualité de l'information donnée aux pouvoirs publics.
1. Les instances chargées de l'expertise pendant la pandémie grippale
L'expertise conduite pendant la pandémie était, comme il se doit, multidisciplinaire, associant médecins et non-médecins et, parmi les premiers, des représentants de plusieurs disciplines médicales, au premier rang desquelles l'épidémiologie et la virologie, mais également la pédiatrie, la pneumologie, l'infectiologie, l'immunologie, la médecine d'urgence et la médecine générale. Les experts sollicités étaient regroupés principalement au sein de quatre organismes. Deux sont des agences sanitaires créées par la loi du 1 er juillet 1998 :
- l'Institut de veille sanitaire (InVS) , conçu pour détecter les menaces émergentes et en informer les pouvoirs publics ;
- l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) , chargée notamment de leur autorisation de mise sur le marché et de la pharmacovigilance.
Les deux autres organismes chargés de conseiller le Gouvernement sur les mesures à prendre face au virus émergent sont plus récents, même s'ils prennent la place de structures antérieures parfois anciennes. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) est ainsi issu de la fusion du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et du Haut Comité de la santé publique, siégeant respectivement depuis 1848 et 1991, fusion décidée par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. Il compte parmi ses missions celle de fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires, l'expertise nécessaire à la gestion des crises sanitaires.
L'organisme le plus récent est celui qui a rendu le plus grand nombre d'avis : quarante-trois entre avril 2009 et janvier 2010. Il s'agit du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) , créé par décret en juillet 2008 en remplacement d'une structure informelle réunie depuis 1995. Mis en place suite aux recommandations de l'OMS, qui souhaitait garantir l'adaptation de ses préconisations aux réalités nationales, il agit comme groupe d'experts sur la grippe saisonnière et pandémique.
D'autres agences sanitaires ont pu être appelées, ponctuellement, à formuler un avis sur les mesures à prendre face à la pandémie. La Haute Autorité de santé s'est ainsi prononcée sur la possibilité pour les médecins libéraux de pratiquer la vaccination contre le virus A (H1N1)v en cabinet. Dans l'ensemble, à l'occasion de la crise, aucun manque n'a été ressenti dans le panorama de l'expertise sanitaire française ; les autorités publiques n'ont pas estimé devoir rechercher de compétences supplémentaires ni devoir créer dans l'urgence de nouvelles instances.
Si le système d'expertise progressivement mis en place depuis quinze ans semble donc avoir donné satisfaction à ceux qui les sollicitaient, le fonctionnement individuel et collectif des différents organismes a souffert de difficultés importantes.
* 91 Audition du 30 juin 2010.
* 92 Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 24-25-26, Editorial, 29 juin 2010.
* 93 Loi n°98-535 du 1 juillet 1998.
* 94 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004.