2. Compléter les dispositifs existants

La question fondamentale est tout d'abord de savoir si un expert auprès des autorités publiques peut avoir des liens d'intérêt.

Certains, tel M. Wolfgang Wodarg, médecin épidémiologiste, ancien président de la sous-commission de la santé de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, vont jusqu'à suggérer que les Etats emploient à plein temps des experts qui seraient donc totalement indépendants de l'industrie. Cependant, une position aussi radicale présente des difficultés. Le premier problème est naturellement le coût élevé que cela induirait pour l'Etat. Ensuite, l'industrie cherche naturellement à s'attacher le service des meilleurs : cette concurrence aggrave le problème de coût, et le risque que l'Etat n'ait pas les moyens de recruter les meilleurs experts.

Dans l'ensemble, on peut constater que plus de 75 % des experts des agences sanitaires déclarent des liens d'intérêt : cela indique l'existence d'un problème de ressources humaines, spécialement sensible dans certains domaines particulièrement techniques, nouveaux ou de pointe. A l'inverse, on ne peut pas accepter les propos des secrétaires généraux successifs du groupement représentant les entreprises du médicament (LEEM), pour qui, selon le mot de M. Philippe Lamoureux, « un expert sans conflit d'intérêts est sans intérêt », quel que soit le contexte dans lequel cette phrase a été prononcée. Plutôt que d'admettre que les experts ayant des liens d'intérêt sont les plus intéressants parce que leur compétence a été reconnue par l'industrie et qu'ils sont actifs dans la recherche appliquée, il faut désormais considérer qu'un scientifique peut avoir une place légitime au sein de l'expertise publique malgré les liens d'intérêt qu'il peut avoir.

Plusieurs mesures peuvent être prises pour garantir la plus grande transparence, en s'inspirant de ce qui a été fait à l'étranger et de pistes soulevées par des réflexions menées en France.

La signature du Patient Protection and Affordable Care Act le 23 mars 2010 aux Etats-Unis marque une nouvelle étape dans la législation internationale sur la transparence de l'expertise. La nouvelle loi comporte en effet plusieurs articles destinés à mettre en lumière les rémunérations reçues par les médecins de la part de l'industrie pharmaceutique 116 ( * ) . A compter du 23 mars 2013, les entreprises pharmaceutiques seront ainsi tenues de transmettre chaque année aux autorités sanitaires le détail des rémunérations versées, sous quelque forme que ce soit, aux médecins. Le texte dispose également que les informations recueillies seront rendues publiques sur l'Internet.

En France l'article L. 1114-1 du code de la santé publique modifié par la loi du 21 juillet 2009 prévoit déjà un système analogue pour les subventions versées aux associations de patients. La transposition du mécanisme prévu par cet article aux rémunérations accordées aux médecins peut donc être envisagée. De plus les groupes pharmaceutiques internationaux, qui seront soumis à la nouvelle législation américaine, ne devraient pas voir comme une contrainte excessive l'application du même dispositif en France. La réserve formulée par Mme Sophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche-Pharma France, selon laquelle cette obligation serait de nature à entraver la capacité d'innovation et donc la compétitivité des entreprises du médicament, ne semble donc pas pouvoir être retenue 117 ( * ) .

Le rapport de Mme Marie-Dominique Furet préconisait par ailleurs l'élaboration d'un code de déontologie des experts venant en appui des décisions en santé publique. Ce code reprendrait les principes applicables, les définitions des grandes typologies de liens d'intérêts, traiterait de la question de l'intervention des experts dans les colloques et prévoirait des sanctions spécifiques en cas de non-respect des règles de déontologie. Ce dernier point est le plus important. En effet, lors de sa première audition par la commission d'enquête, la ministre de la santé a indiqué que le comité d'animation du système d'agences (CASA) a mis en place, en juin 2009, un groupe de travail conduit par la Haute Autorité de santé (HAS) dont les travaux ont abouti à l'élaboration d'une charte destinée à la prévention des conflits d'intérêts. Ce travail représente incontestablement un premier pas, mais une charte étant par nature dépourvue de sanctions, son efficacité ne peut être que limitée et les garanties qu'elles procurent risquent donc de s'avérer insuffisantes aux yeux de l'opinion publique.

Proposition n° 14 :
Renforcer la collaboration entre le Comité d'animation du système d'agences et la Haute Autorité de santé pour la définition de normes communes
en matière de transparence, que ce soit pour les déclarations d'intérêt,
le recrutement des experts ou le fonctionnement des instances d'expertise.

Il convient cependant de souligner l'importance du travail mené par la HAS et l'AFSSAPS sur la transparence de l'expertise. En plus de l'application des dispositions légales, ces deux organismes ont mené chacun de leur côté mais aussi conjointement une réflexion poussée sur la détermination des conflits d'intérêt et sur les conséquences à leur attribuer. La HAS apparaît comme la plus en pointe des organismes sur cette question. Installée en 2005, elle a en effet adopté en 2007 et actualisé en 2010 un Guide des déclarations d'intérêts et de prévention des conflits . Cette publication a été accompagnée de la mise en place d'un groupe permanent composé de personnalités extérieures, le groupe « Déontologie et indépendance de l'expertise ». Ce groupe a plusieurs missions :

- formuler un avis, au cas par cas, sur toute situation particulière qui lui est soumise par le président du Collège de la HAS ou le directeur ;

- s'assurer de la mise en oeuvre complète et homogène des règles contenues dans le guide ;

- assurer une fonction de veille permanente sur les meilleures pratiques en ce domaine dans des institutions analogues, notamment à l'étranger ;

- formuler toute proposition de nature à améliorer le dispositif.

Enfin, en novembre 2008, la HAS a adopté sa propre charte de déontologie, sur proposition du groupe Déontologie et indépendance de l'expertise.

La qualité du travail conduit a amené le directeur général de la santé à travailler conjointement avec la HAS pour l'élaboration d'une charte de l'expertise commune à l'ensemble des agences sanitaires. Cette collaboration entre la HAS et le Casa devrait être pérennisée afin de regrouper l'ensemble des expériences et des réflexions sur cette question sujette à des évolutions constantes.

Deux points abordés lors de l'audition de la HAS par la commission d'enquête méritent une attention particulière.

Que faire dans le cas où il est difficile de ne pas recourir à un expert qui a un conflit d'intérêts, puisqu'il est un des rares à être compétent dans une spécialité très étroite ? La HAS estime qu'il faut alors être en mesure de justifier son choix de faire appel à cet expert. Le meilleur moyen d'y parvenir est sans doute d'assurer la « traçabilité » des choix exercés et de les documenter, de démontrer que l'on a recours à un expert parce que le bénéfice de s'assurer de son concours l'emporte sur le risque de ne pas faire appel à lui.

La seconde question est celle de la présidence des groupes d'experts chargés de formuler des recommandations. Cette fonction impose-t-elle des contraintes particulières en termes de liens avec l'industrie pharmaceutique ? L'arbitrage entre le plus haut niveau de compétence et l'indépendance manifeste à l'égard de l'industrie pharmaceutique doit être examiné avec attention afin de ne pas nuire à la qualité des recommandations formulées. On peut ainsi concevoir de confier la présidence d'un groupe de travail à une personnalité qui aurait la capacité de le présider sans pour autant faire partie des grands spécialistes du sujet étudié.

Ces mesures de contrôle sont inséparables de mesures incitatives permettant de valoriser l'expertise publique.

Proposition n° 15 :
Confier la présidence de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'AFSSAPS et de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, ainsi que des commissions et conseils visés à l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, à des personnalités indépendantes sans liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.


* 116 Ces mesures sont regroupées sous le nom de Physician Payment Sunshine Provision.

* 117 Audition du 5 avril 2010.

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