E. LA PERSPECTIVES DE NOUVELLES MESURES AFIN DE REDRESSER LA PERFORMANCE DE LA CNDA
Les résultats médiocres enregistrés en 2009 en termes de délais de jugement et de nombre de décisions prononcées remettent en cause la perspective d'une réduction du délai de jugement à 6 mois assigné à la Cour pour 2011 . C'est pourquoi l'amélioration du délai prévisible moyen de traitement des recours constitue l'objectif essentiel pour la CNDA dans les mois à venir.
Dans cette perspective, la Cour poursuit trois objectifs « intermédiaires » :
- poursuivre la résorption du stock des dossiers les plus anciens pour tendre graduellement vers un traitement des affaires en flux 28 ( * ) ;
- maîtriser le délai moyen de traitement des ordonnances nouvelles ;
- expérimenter une réduction des délais de lecture des jugements à 15 jours.
Cette stratégie passe par des mesures de réorganisation interne, un renforcement considérable des effectifs et l'impulsion d'une nouvelle dynamique au sein de la juridiction.
1. La recherche d'une organisation interne plus efficace
La dégradation préoccupante de la performance de la CNDA appelle incontestablement une réflexion en profondeur sur l'organisation interne de cette juridiction. Face à la difficulté majeure de parvenir à prendre la mesure d'un contentieux fluctuant mais néanmoins toujours lourd en volume au cours de la décennie écoulée, on peut en effet regretter que la CNDA ait été en quelque sorte trop longtemps laissée livrée à elle-même .
Pourtant, les gains de productivité ne peuvent uniquement résulter de la bonne volonté, de l'engagement et de la disponibilité des magistrats et des agents de cette juridiction. Encore faut-il les mettre en situation de pouvoir répondre aux exigences qui leur sont assignées . Il s'agit là du nouvel enjeu organisationnel de la Cour.
D'ores et déjà, un certain nombre d'actions ont été engagées dans un but de rationalisation de l'organisation interne de la juridiction.
Ainsi, la CNDA expérimente, depuis le 1 er mai 2010, une nouvelle organisation de la procédure d'instruction des ordonnances dites « nouvelles » afin de réduire leur délai moyen de traitement.
Par ailleurs, l'outil informatique , souvent décisif dans la réalisation ou pas de nouveaux gains de productivité, fait l'objet d'une attention particulière. L'achèvement des adaptations du logiciel « Skipper » au contentieux particulier de l'asile permettra d'accroître la sécurité des procédures et de réduire les dysfonctionnements de la Cour, à l'origine d'un certain nombre de renvois. En effet, depuis le remplacement en 2009 du logiciel de suivi statistique de l'OFPRA par le logiciel « Skipper » en usage dans les juridictions administratives, la Cour ne dispose pas d'un outil statistique propre et parfaitement adapté à son activité juridictionnelle très spécifique.
De même, vos rapporteurs spéciaux se félicitent de constater que l'OFPRA et la CNDA se sont engagés sur la voie de la dématérialisation des actes , afin d'en accélérer leur transmission et de rendre plus fluide la communication entre les deux instances. Ainsi, la transmission par voie numérique des dossiers administratifs par l'OFPRA à la Cour doit débuter à compter de septembre 2010 et devrait accélérer la mise en état initiale des dossiers.
Enfin, la CNDA a annoncé à vos rapporteurs spéciaux la mise en place d' un audit interne pour réviser les circuits de traitement des dossiers et des productions des avocats avant la clôture de l'instruction. Une telle initiative va naturellement dans le sens d'une organisation interne revisitée en vue d'une justice plus rapide, mais toujours aussi respectueuse des droits de la défense.
2. La valeur ajoutée apportée par la professionnalisation des présidents des formations de jugement
L'année 2009 a vu l'arrivée, au sein de la Cour, de dix magistrats dits « permanents », affectés à plein temps auprès de la CNDA . Ces magistrats sont issus des juridictions administratives ou judiciaires. Ils représentent beaucoup plus qu'un simple renfort en nombre des présidents de formation de jugement.
Leur présence a en effet eu des répercussions très significatives sur l'organisation même de la Cour. Bien qu'ils n'aient rejoint la juridiction qu'au 1 er septembre 2009 , leur arrivée est, selon l'avis du responsable de programme et de la présidente de la CNDA, une « pleine réussite » . Au-delà de la tenue de deux audiences par semaine, ces nouveaux magistrats sont engagés dans tous les chantiers de réforme de la juridiction. Leur présence permanente contribue à donner corps à une vie de juridiction qui faisait défaut à la Cour et permet de réinscrire dans des délais rapides les affaires qui ont fait l'objet d'un renvoi.
Parallèlement, les présidents vacataires des formations de jugement, dont la contribution demeure toujours essentielle, ainsi que les assesseurs seront à l'avenir davantage associés aux évolutions de la Cour. Il s'agit ici de faciliter collectivement l'échange des savoirs pour favoriser une plus grande cohérence de la jurisprudence de la CNDA .
3. La logique de l'augmentation des effectifs depuis 2009
Pour faire face à l'allongement des délais de jugement, la CNDA a connu un accroissement significatif de ses effectifs au cours de la période récente.
Compte tenu du stock d'affaires en instance et de la forte croissance du contentieux (plus de 16 % en 2009), cinq emplois de rapporteurs supplémentaires et trois emplois de secrétaires d'audience ont été, dans un premier temps, créés à la fin 2009 pour l'année 2010 . L'effectif théorique des rapporteurs a ainsi été porté à 80 et celui des secrétaires d'audience à 47.
La confirmation du dynamisme de la reprise du contentieux de l'asile au début de l'année 2010 a toutefois conduit le Conseil d'Etat à adopter, au printemps 2010, un plan de redressement afin de permettre à la Cour d'accroître très substantiellement sa capacité de jugement 29 ( * ) .
Ce plan de redressement consiste à amener le nombre de rapporteurs à 95 avant la fin de l'année 2010 . Il correspond à la mobilisation de tous les moyens transférés sur le programme 165 « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » au titre de la CNDA. Sur les 273 emplois transférés au titre de la CNDA, 11 correspondent aux emplois de la présidente de la Cour et des magistrats permanents, 13 à l'accroissement des missions transversales du Conseil d'Etat et 249 aux agents de la CNDA.
Ce plan devant permettre de stabiliser les délais de jugement en 2010 , vos rapporteurs spéciaux suivront donc avec vigilance les résultats obtenus en la matière, lors de l'examen du rapport annuel de performance pour 2010 .
4. La demande de nouveaux renforts sur la période 2011-2013
Dans un contexte de confirmation de la reprise du contentieux de l'asile, le plan de redressement engagé en 2010 devrait être poursuivi et même amplifié en 2011, 2012 et 2013 , selon les informations communiquées à vos rapporteurs spéciaux par le responsable de programme, Jean-Marc Sauvé.
Dans l'hypothèse d'un maintien des effectifs au niveau de la fin de l'année 2010 et d'une croissance continue à un rythme de 15 % des demandes adressées à la CNDA, la situation de la Cour se dégraderait à nouveau, le délai de jugement étant susceptible d'atteindre un niveau de 18 mois en 2013 .
C'est pourquoi, dans le cadre des discussions budgétaires pour la période 2011-2013, le Conseil d'Etat a présenté, pour la CNDA, une demande importante d'emplois de rapporteurs, de secrétaires d'audience et de magistrats permanents .
Au regard de la situation très dégradée de la CNDA et des diverses conséquences de cette situation, le Gouvernement a largement fait droit à ces demandes lors des conférences budgétaires. Il a finalement été arrêté :
- la création en 2011 de 10 emplois de magistrats permanents et de 10 emplois de rapporteurs ;
- la création en 2012 de 20 emplois de rapporteurs ;
- la création en 2013 de 10 emplois de rapporteurs .
Au total, le nombre des rapporteurs devrait donc quasiment doubler en quatre ans en passant à 135 à l'horizon 2013, contre un niveau constaté de 70 en 2009.
Avec ces moyens supplémentaires, il est prévu que la Cour accroisse très sensiblement sa capacité de jugement : 35.000 décisions rendues en 2011, 40.000 en 2012, 45.000 en 2013 , contre 20.000 à 25.000 sur la période 2007-2010.
La Cour pourrait ainsi, malgré une croissance soutenue du contentieux de l'asile (toujours estimée à 15 %), retrouver un délai prévisible moyen de jugement de 10 mois en 2011 et atteindre enfin, en 2013, l'objectif d'un délai de 6 mois, qui avait été prévu initialement pour 2011 .
Votre commission sera amenée à se prononcer sur ces autorisations de crédits, notamment à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011. Pour autant, vos rapporteurs spéciaux veulent rappeler que la logique d'accroissement des effectifs de la CNDA ne peut en aucun cas constituer la seule réponse à la performance sérieusement dégradée de cette juridiction .
S'il est probablement nécessaire, le renforcement des moyens humains de la Cour ne doit représenter qu'un volet parmi d'autres d'un plan d'ensemble. Et c'est précisément parce qu'il correspond à une composante comprise dans un projet plus large, que ce renforcement doit être justement calibré .
De ce point de vue, vos rapporteurs spéciaux estiment que la projection des moyens humains supplémentaires sur 2011-2013 devra faire l'objet d' une réévaluation en 2012 et 2013 afin de « coller » au mieux à la réalité de la juridiction et de sa charge de travail. En particulier, les hypothèses sur lesquelles est fondée la programmation présentée supra mériteront d'être réexaminées de manière annuelle, dans la mesure où les prévisions dans le domaine de l'asile restent toujours particulièrement aléatoires et fluctuantes en fonction du contexte géopolitique.
Enfin, ces hypothèses et, partant, cette programmation des renforts ne tiennent pas compte de la proposition de vos rapporteurs spéciaux relative à la réforme du dispositif de l'AJ pour les demandeurs d'asile devant la CNDA ( cf. supra ). Si cette réforme entrait en vigueur, elle permettrait de dégager des gains de temps et de productivité qui viendraient d'autant alléger les besoins en rapporteurs sur la période .
5. Une activité juridictionnelle repensée
Au-delà de ces aspects très quantitatifs, une démarche qualitative paraît aussi de plus en plus caractériser la CNDA depuis quelques mois. Cette ambition n'est pas sans lien avec la rationalisation de l'organisation interne de la Cour. L'une et l'autre peuvent même s'enrichir mutuellement pour contribuer à un véritable renouveau de cette juridiction.
Trois pistes de réforme semblent ainsi se dégager :
- donner corps à une véritable vie de juridiction en favorisant la cohérence de la jurisprudence de la CNDA, en poursuivant l'adaptation aux besoins de la Cour des applications informatiques « Skipper » et « Poste Rapporteur » et en développant les outils d'aide à l'instruction avec le versement des décisions de la CNDA dans les bases de données « Ariane Web » et « Ariane Archives » ;
- engager une large concertation sur les méthodes de travail au sein de la Cour concernant l'organisation du greffe central et en division, les services de l'accueil et de l'interprétariat, et le BAJ. Ce travail de concertation vise notamment à améliorer l'efficacité des procédures administratives et contentieuses au stade de l'instruction des affaires et de l'enrôlement ;
- constituer un pôle de référence en matière de jurisprudence et de réflexion géopolitique sur le droit des réfugiés , notamment par la valorisation au sein de la juridiction administrative de l'expertise de la CNDA en matière géopolitique et en assurant une meilleure présence dans les travaux et réflexions conduits aux niveaux européens et internationaux en matière d'asile.
Vos rapporteurs spéciaux considèrent que cette démarche qualitative entre parfaitement en résonnance avec les efforts quantitatifs entrepris pour améliorer les délais de jugement de la CNDA et participe de la modernisation nécessaire de cette juridiction .
* 28 A cet égard, la CNDA a répondu à vos rapporteurs spéciaux que tous les recours enregistrés avant 2007 ont été jugés au plus tard en juin 2010.
* 29 Selon les informations communiquées à vos rapporteurs spéciaux par la présidente de la CNDA, Martine Denis-Linton, chaque rapporteur assurait, en 2009, 31 audiences par an.