B. UN APPEL A L'AIDE EUROPÉENNE INÉVITABLE EN DÉPIT DES RÉSERVES DE L'OPINION PUBLIQUE
1. Un contexte politique délicat
Cet appel à l'aide n'est pas sans poser un véritable problème politique pour le Gouvernement alliant centre droit et écologistes, déjà au plus bas dans les sondages d'opinion et ne disposant plus que d'un soutien relatif au Parlement. La majorité parlementaire ne tient qu'à deux voix, mais les Verts et les députés indépendants qui y participent ont marqué récemment une certaine défiance à l'égard du gouvernement et appelé à la tenue d'élections législatives anticipées.
Le Gouvernement a partiellement répondu à leur demande en annonçant la tenue d'élections législatives à l'issue du vote du budget 2011. La fin du mois de février devrait donc donner un lieu à un nouveau scrutin et à une alternance probable à la tête du gouvernement. Une nouvelle coalition Fine Gael (centre droit) et Labour travailliste devrait, selon toute vraisemblance, arriver aux responsabilités.
Le Premier ministre et son parti, le Fianna Fail, sont contestés à double titre dans l'opinion publique. Brian Cowen, ministre des finances durant les années de croissance du Tigre celtique, est jugé responsable des errements des banques durant cette période au nom du soutien qu'il a pu leur apporter. Son parti, dont l'histoire se confond avec la lutte pour l'indépendance semble trahir son engagement traditionnel en acceptant l'aide conditionnée de l'Union. Son refus de mettre en oeuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers au sein d'un « triangle toxique » selon l'expression d'un parlementaire, l'impunité dont jouissent les banquiers et les promoteurs impliqués dans l'effondrement du système provoquent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections devrait en partie permettre de le dépasser.
Par ailleurs, l'intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont vécues comme une atteinte à l'indépendance nationale. A ce titre, l'annonce d'un nouveau plan de rigueur dans la foulée de l'appel à l'aide européenne est assez mal vécue, la dureté du plan pouvant apparaître comme dictée par les instances internationales.
2. Un plan de rigueur ambitieux, mais contesté
Le gouvernement a en effet annoncé le 24 novembre dernier une nouvelle réduction des dépenses publiques de l'ordre de 15 milliards d'euros d'ici 2014, 6 milliards devant être obtenus au cours du prochain exercice. L'ambition du gouvernement est de revenir à cette date à un déficit public inférieur à 3 % du PIB.
Le volet « recettes » du plan prévoit une augmentation de celles-ci de 5 milliards d'euros sur quatre ans. Le Gouvernement prévoit la suppression de niches fiscales (665 millions d'euros, dont 405 en 2011) et de crédits d'impôts portant notamment sur les retraites (865 millions d'euros récupérés sur la période 2011-2014). La suppression de crédits d'impôts est conjuguée à une baisse du seuil d'imposition par contribuable, de 18 300 à 15 300 €. Le gouvernement entend percevoir par ce biais 1,9 milliard d'euros sur la période, dont 1,245 milliard dès 2011. La taxe sur la valeur ajoutée est portée de 21 à 22 % d'ici 2013, puis à 23 % l'année suivante, soit 570 millions d'euros de recettes supplémentaires. Le gouvernement prévoit par ailleurs la mise en place d'une taxe foncière pour financer les services publics locaux, dont l'eau. Celle-ci sera forfaitaire jusqu'en 2012 (100 euros par immeuble d'habitation) puis assise sur les valeurs immobilières à compter de cette date. Une taxe carbone sera également créée et devrait rapporter 300 millions d'euros à l'Etat.
Concernant les dépenses, l'Etat envisage une réduction de celles-ci de 10 milliards d'euros sur quatre ans. Les principales mesures concernent les dépenses sociales diminuées de 2,8 milliards d'euros sur la période et l'augmentation d'un tiers des droits d'inscription à l'Université qui passent de 1 500 à 2 000 € et une compression de 1,4 milliard d'euros des dépenses de santé.
La réduction des dépenses passe également par des meures visant spécifiquement la Fonction publique dont les salaires et les effectifs ont augmenté durant les années de prospérité du Tigre celtique, suscitant de nombreuses critiques au sein de l'opinion publique. Le gel des recrutements et des promotions devraient ainsi permettre une économie de 1,2 milliard d'euros sur la période. 24 750 emplois publics seront par ailleurs supprimés pour revenir aux effectifs de 2005. La fonction publique irlandaise compte, à l'heure actuelle, 300 000 agents. Le régime des retraites des fonctionnaires est également visé, les pensions étant diminuées de 6 à 12 %. Concernant les salaires des nouveaux fonctionnaires, ils seront réduits de 10 %.
Afin d'améliorer la compétitivité du pays, le salaire minimum horaire est réduit d'un euro pour passer à 7,65 €, le Gouvernement espérant créer de la sorte 90 000 emplois et ramener à 10 % le taux de chômage, contre 14 % aujourd'hui.
Plusieurs réserves entourent néanmoins ce programme ambitieux. Le cadrage macroéconomique ne prend pas en compte le problème des banques, puisqu'il n'intègre pas la dégradation continue de la position irlandaise sur le marché des taux. Les hypothèses de croissance retenues paraissent de surcroît optimistes, le gouvernement maintenant les chiffres de 1,75 % en 2011 et 3,25 % en 2012 et ce malgré l'impact déflationniste du plan d'ajustement.
Concernant les réformes structurelles, il convient de s'interroger sur le maintien de l'accord « Croke Park » avec les syndicats de la fonction publique qui semble limiter l'impact de toute entreprise volontaire de réduction des dépenses en maintenant un niveau de salaire relativement haut pour les fonctionnaires actuellement en poste. Aucune privatisation ne semble par ailleurs clairement envisagée.
Ce plan n'a bien évidemment pas suscité l'adhésion de l'opinion publique, comme en a témoigné l'organisation le 27 novembre d'une manifestation à Dublin contre le plan. 50 000 personnes se sont ainsi réunies alors que le pays est traditionnellement peu enclin à manifester. Le dispositif est clairement perçu comme une mise à contribution des plus pauvres, suscitant un réel sentiment d'injustice.
Une courte majorité devrait être trouvée pour le vote concernant la création de nouvelles taxes, préalable indispensable à l'examen du budget. Le discours politique se heurte en effet à une réalité économique : aux yeux de la Commission et du FMI, le plan d'austérité est considéré comme la condition indispensable pour le déblocage du prêt. Celui-ci devient chaque jour de plus en plus indispensable comme en témoigne les révisions régulières des besoins de financement du secteur bancaire.
Les partis d'opposition, Fine Gael et Labour, ne feront pas obstacle à son adoption, même si le Labour milite pour une réduction des dépenses limitée à 4,5 milliards pour l'exercice 2011. Rappelons par ailleurs que le Fianna Fail et le Fine Gael sont deux partis relativement proches en matière de politique économique et que la coalition Labour - Fine Gael avait été à l'origine de la réduction du taux d'imposition sur les sociétés à la fin des années quatre-vingt dix. Cette proximité idéologique des trois grands partis n'est pas sans susciter la crainte d'une progression de mouvements plus radicaux à l'occasion du prochain scrutin, Sinn Fein en tête.