4. Le noyau de l'entreprise préservé moyennant une entropie croissante à la périphérie
Au terme d'un calcul économique rigoureux , dont la pratique est de plus en plus systématique, l'entreprise a tendance à externaliser les fonctions étrangères à son « coeur de métier » , pour lequel elle bénéficie des meilleurs avantages comparatifs.
Fournisseurs et sous-traitants, filiales et entreprises alliées sont ainsi sollicités en tant que de besoin au rythme de la production et des projets successifs. Or, nous savons que les conditions de travail sont globalement moins favorables dans les entreprises dépendantes que dans les entreprises donneuses d'ordre, les premières se signalant d'ailleurs par un recours moins fréquent au contrat à durée indéterminée.
Un véritable « déplacement » de la pression au résultat peut alors se faire du centre vers la périphérie de l'entreprise, ses dirigeants pouvant juger plus expédient de demander des efforts supplémentaires à une entité juridique distincte (l'entreprise sous-traitante ou fournisseur) soumise à une concurrence accrue par la mondialisation, qu'à ses propres salariés, souvent plus syndiqués et moins résignés à des concessions concernant leurs conditions de travail.
5. Des conditions de travail sensibles à la taille des établissements
Si, à mesure qu'elle augmente, la taille de l'entreprise semble jouer a priori en faveur des salariés (rémunérations supérieures en moyenne, accords collectifs parfois plus favorables, meilleure surveillance de l'application du droit du travail, instances représentatives du personnel), c'est aussi à partir d'une certaine « taille critique » qu'il devient intéressant d'introduire les nouvelles formes, potentiellement néfastes, d'organisation du travail et de management, car elles nécessitent des investissements importants. On rappelle ici le coût très élevé des progiciels de gestion intégrés ( supra ).
Mais, par delà la taille de l'entreprise, la taille de l'établissement a une incidence notable sur la qualité du « collectif de travail » ( supra ). Au sein d'une entreprise, plus l'établissement au sein duquel on travaille est petit, plus les risques d'isolement et de dégradation des collectif de travail sont grands .
Or, selon l'INSEE, les salariés français travaillent dans des entreprises de plus en plus grandes, mais sur des lieux de travail de plus en plus petits .
Cette tendance paradoxale, amorcée depuis les années soixante-dix, s'observe dans tous les secteurs de l'économie française. Ainsi, en 2006, 33 % des salariés français du privé 148 ( * ) étaient employés dans une entreprise de plus de 1 000 salariés, contre 27 % en 1985. Mais 38 % des actifs salariés appartiennent à un établissement de moins de 20 salariés en 2006, contre 34 % en 1985. Pour sa part, le Conseil économique, social et environnemental 149 ( * ) relève qu'en trente ans 150 ( * ) , la part des salariés travaillant dans des établissements de moins de 50 salariés est devenue majoritaire , passant de 43 % à 53 %.
Cette situation résulte d'une concentration des unités décisionnelles doublée d'un morcellement de la production . Cette tendance se retrouve dans tous les secteurs de l'économie française, et particulièrement dans les services aux entreprises, l'industrie et le commerce de détail.
Elle est de nature à accroître les tensions entre, d'une part, les impératifs de productivité, formulés à partir du centre de décision de l'entreprise et, d'autre part, des difficultés grandissantes pour faire respecter collectivement un seuil d'exigence raisonnable.
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De nombreux salariés seraient fondés à considérer que leurs conditions de travail, de réalisation personnelle et de rémunération ne sont pas à la hauteur de leur investissement professionnel et des risques accrus qu'ils encourent désormais dans l'entreprise et sur le marché du travail.
La question se pose, à leur endroit, d'un rééquilibrage des termes du « contrat tacite » qui lierait ainsi le personnel (abandonnant un volant de liberté) à son entreprise (apportant sécurité et rémunération). Mais peut-il seulement y avoir, dans l'entreprise ou ailleurs, un contrat sans confiance ?
* 148 Hors agriculture.
* 149 Repères statistiques sur les dimensions économique, sociale et environnementale de la société française, 2009 ; source UNEDIC et calculs du Conseil économique, social et environnemental.
* 150 De 1976 à 2008.