CHAPITRE IV - UN SYSTÈME DE DROIT SOCIAL DU TRAVAIL DANS UNE TRANSITION INACHEVÉE

RÉSUMÉ DU CHAPITRE

Le pacte social dans l'entreprise repose sur des règles de droit dont le respect s'impose aux employeurs et aux salariés (droit du travail et de la sécurité sociale et droits fondamentaux de la personne humaine) mais aussi sur un réseau conventionnel qui va de l'accord national interprofessionnel au contrat individuel de travail.

Les normes légales et réglementaires sont principalement destinées à protéger les travailleurs et elles sont hiérarchisées, chacune d'entre-elles se trouvant validée par sa conformité à celle qui lui est supérieure.

Les conventions étaient traditionnellement soumises à cette hiérarchie et en formaient elles-mêmes une, allant du niveau interprofessionnel (accords nationaux) à la branche et à l'entreprise et s'imposant au contrat de travail.

Progressivement, cet ordonnancement a été remis en cause par des évolutions juridiques « justifiées » par les exigences liées aux progrès de l'intégration européenne, de nouvelles attentes de la société (éthiques et environnementales), ainsi que par des changements de l'économie (mondialisation, modifications du fonctionnement et des structures des entreprises...) :

formellement, les sources communautaires (règlements et directives) ont une importance de plus en plus grande dans le droit social français puisque les traités et le droit européen dérivé l'emportent désormais sur une loi nationale même postérieure 182 ( * ) ;

l'irruption, depuis les années soixante, de la « soft law » dans le droit des entreprises (codes de bonnes pratiques environnementales et sociales) et ses implications sur les règles qui régissent le pacte social sont venues, par ailleurs, compliquer encore davantage la situation.

Certes les dispositions en question, qui correspondent à des engagements unilatéraux pris par de grands groupes, n'ont pas le caractère contraignant des lois et des traités. Néanmoins, leur non-respect par des « parties prenantes » de l'entreprise, salariés, filiales, partenaires ou fournisseurs, peut entraîner des ruptures de contrats, donc des actions en justice.

l'ordonnancement juridique a, en outre, été profondément modifié, ces dernières années, par le législateur, dans l'ordre juridique interne , en ce qui concerne le droit négocié (issu des conventions collectives et des accords entre partenaires sociaux).

L'importance de ce droit par rapport à la loi a été promue. Il a ainsi été autorisé que des accords de rang inférieur puissent déroger, sous certaines conditions, à ceux de rang supérieur d'une façon qui ne soit pas nécessairement plus favorable aux travailleurs. Les accords d'entreprise, notamment , sont désormais prioritaires par rapport à ceux conclus au niveau de la branche, en ce qui concerne l' aménagement du temps du travail .

Cependant, même dans ce domaine, les nouvelles possibilités de dérogation paraissent encore peu utilisées, les syndicats ne souhaitant pas, en particulier, que les négociations de branche perdent de leur importance.

Le nombre des accords d'entreprise est cependant élevé et progresse (27 100 accords en 2008, + 10 % par rapport en 2007). Cette tendance correspond à la décentralisation de la gestion des groupes et s'inscrit dans le cadre de la volonté des pouvoirs publics, depuis les lois Auroux de 1982, de renforcer le dialogue social à ce niveau.

Au total, le droit social s'est considérablement complexifié , notamment le droit de la négociation collective - à propos duquel on peut lire dans un document récent du ministère du travail 183 ( * ) - qu'il laisse les parties prenantes, y compris les professionnels et spécialistes de la matière , dans l'incapacité d'en comprendre la logique et d'en saisir les potentialités.

Ce droit apparaît comme moins hiérarchisé, moins pyramidal, articulé, de façon différente, entre ses différents niveaux.

Si ceci est conforme à la réticulation du monde de l'entreprise, ces évolutions ne favorisent pas la pérennité d'un ordre public social, socle protecteur du salariat, non plus que l'homogénéité d'un monde du travail de plus en plus segmenté.

I. HISTORIQUE - LES NORMES DU DROIT SOCIAL DU TRAVAIL, UNE STRUCTURATION PAR LE MIEUX-DISANT SOCIAL...

Le pacte social dans l'entreprise repose sur un ensemble de règles de droit dont le respect s'impose aux employeurs et aux salariés (droit du travail et de la sécurité sociale et droits fondamentaux de la personne humaine). Elles sont principalement destinées à prévenir et à sanctionner d'éventuels abus de pouvoir des premiers à l'encontre des seconds.

Les sources de ce droit sont variées : lois, règlements, accords collectifs des partenaires sociaux, pour l'ordre juridique interne, auxquels s'ajoutent les traités internationaux, le droit communautaire...

Il s'agit de normes hiérarchisées, chacune d'elles se trouvant validée par celle qui lui est supérieure, ce qui correspond à l'approche positiviste du droit qui s'est imposée dans l'ensemble du monde occidental durant le XXème siècle.

A. LA CONSÉCRATION D'UNE APPROCHE POSITIVISTE DU DROIT

1. L'idée de faire du droit une science

La notion de hiérarchie des normes a d'abord été formulée par le juriste et théoricien du droit austro-américain Hans Kelsen (1881-1973). Selon sa théorie pure du droit , à l'origine du positivisme juridique, le droit devait s'apparenter à une science, c'est-à-dire s'affranchir de tout fondement idéologique ou moral. Il fallait pour cela que chaque norme ne soit légitimée que par sa compatibilité avec la norme supérieure, l'ensemble, appelé « pyramide des normes », constituant un ordre hiérarchisé.


* 182 Toutefois, la jurisprudence française accorde actuellement à la constitution une valeur supérieure à celle du droit international, dans l'ordre interne, mais cette suprématie, en ce qui concerne le droit communautaire, fait l'objet d'un débat doctrinal important (la Cour de justice des communautés européennes pose, pour sa part, le principe de la primauté absolue des normes communautaires).

* 183 Document d'études n° 140. Août 2008. Évaluation de la loi du 4 mai 2004. DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques). Ministère du Travail, des relations sociales et de la solidarité.

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