III. L'INDISPENSABLE IMPULSION EUROPÉENNE

La mondialisation des circuits de fabrication et l'unification européenne des marchés et des réglementations ne permet plus d'envisager une politique industrielle efficace au seul niveau national. La mission, qui est allée, dès son premier déplacement, à la rencontre de l'administration communautaire à Bruxelles, est pleinement persuadée de la nécessité d'une politique industrielle résolue à l'échelle de l'Union européenne, sous-tendue par la mise en oeuvre d'une vraie d'une politique monétaire et d'une convergence fiscale. Encore faut-il, avant tout, que la France fasse, mieux qu'elle ne le fait actuellement, porter sa voix auprès des instances européennes.

A. L'IMPÉRATIF D'UNE ACTION PLUS DÉTERMINÉE DES ADMINISTRATIONS ET ORGANISMES NATIONAUX AUPRÈS DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES

S'il est courant de souligner le rôle croissant joué par l'Union européenne dans tous les secteurs de l'économie, la mission tient à souligner que les acteurs nationaux n'en tirent pas toujours toutes les conséquences et demeurent trop éloignés des centres de décision et d'influence bruxellois.

L'Union européenne fixe les règles du jeu, fondées sur le principe de concurrence libre et non faussée inscrit dans les traités 141 ( * ) , mis en oeuvre par les directives et les règlements, contrôlé par la Commission européenne, interprété enfin par la Cour de justice. L'Union fixe également des réglementations environnementales qui contraignent l'activité des entreprises.

Elle participe également au développement des activités économiques par une participation au financement via les fonds structurels ou, plus directement, dans le cadre de la politique agricole commune.

Or on peut se demander si la France a réellement défendu sa position de pays majeur et stratégique au sein de l'Union européenne au cours des dernières décennies. Force est, en effet, de constater la progressive « dilution de la présence française au sein des institutions européennes », pour reprendre la formule de notre collègue député Jacques Floch 142 ( * ) .

1. La représentation insuffisante des professionnels auprès de l'administration européenne

La mission s'accorde sur la nécessité de définir une stratégie industrielle européenne.

On peut toutefois constater avec M. Jacques Floch, s'agissant de la représentation des intérêts français, que « selon des statistiques fournies par le Cabinet de Conseil APCO, la présence française dans les milieux d'affaires bruxellois serait sensiblement moindre que celle de nos concurrents avec :

- 5 cabinets d'avocats français ayant des activités communautaires contre 28 Anglais, 24 Américains et 14 Allemands ;

- 9 associations professionnelles contre 46 allemandes et 15 anglaises ;

- 37 % des grandes entreprises françaises n'auraient pas de bureau ou de représentant permanent à Bruxelles . »

Cette présence insuffisante ne permet pas de représenter les intérêts des différentes branches d'activité françaises à leur juste niveau.

Le terme de « lobbying » a en France une connotation négative : or il faut d'abord voir dans ce terme la nécessaire expression directe auprès des pouvoirs publics des préoccupations des professionnels et des associations (y compris les organisations non gouvernementales).

Les autres pays n'ont pas la même réticence à l'égard du lobbying que la France, comme le fait remarquer M. Jean-Paul Charié, député, dans son rapport de 2008 sur le lobbying 143 ( * ) : « Les pays performants et modernes développent, eux, le lobbying. Les Anglais et les Américains valorisent les lobbies et reconnaissent l'intérêt de leur métier. L'Union européenne consulte tous les acteurs économiques, développe un système de registre et un code de déontologie des lobbyistes. En Allemagne, les lobbyistes sont considérés comme des partenaires des pouvoirs publics... Dans ces pays qui réussissent mieux que la France pour la croissance économique, il n'y a pas d'a priori contre les lobbyistes ».

La réticence de la France à l'égard du lobbying, considéré au niveau de l'Union européenne comme une activité normale et légitime, constitue un véritable handicap pour la défense des intérêts français auprès de Bruxelles, où les représentants des branches professionnelles ne paraissent pas suffisamment audibles .

Cette analyse n'a pas fait consensus au sein de la mission, dont tous ses membres ne considèrent pas un défaut de stratégie de lobbying comme déterminant pour expliquer l'absence de politique industrielle européenne.

2. Les fonctionnaires français et les filières stratégiques au niveau européen

La mission s'interroge également sur la connaissance et l'implication des fonctionnaires français dans les filières industrielles pour lesquelles l'intervention auprès des instances européennes peut être capitale.

C'est notamment le cas de l'industrie agroalimentaire, fortement impactée par la politique agricole européenne qui représente un montant de 330 milliards d'euros, soit un tiers du budget de l'Union européenne sur la période 2007-2013.

Dans un secteur stratégique pour l'indépendance alimentaire de l'Europe, à laquelle contribue de manière majeure la France par sa puissance aussi bien dans le secteur agricole qu'agro-alimentaire, la mission considère qu'un accent plus grand devrait être mis sur l'apport de compétences spécifiques dans l'administration française, afin qu'elle soit mieux à même de poser les termes des enjeux dans les discussions bruxelloises. La mission est ainsi favorable à l'instauration de stages obligatoires des hauts fonctionnaires leur apportant une connaissance directe des contraintes vécues par ces industries et des conditions de leur développement.

3. L'enjeu des aides communautaires et de la politique de cohésion

Les fonds de cohésion ne bénéficient pas seulement aux pays considérés habituellement comme les plus pauvres de l'Europe.

Ainsi, sur la période 2000-2006, les trois pays qui ont le plus bénéficié des ressources du fonds européen de développement régional (FEDER) ont été respectivement l'Espagne (23,7 milliards d'euros), l'Italie (14,7 milliards d'euros) et l'Allemagne (12,8 milliards d'euros), cette dernière recevant près de deux fois de plus de fonds que la France (6,6 milliards d'euros) ou le Royaume-Uni (6,8 milliards d'euros) 144 ( * ) .

En particulier, les projets de transport ont bénéficié du FEDER pour un montant de 3,049 milliards d'euros en Allemagne contre 878 millions d'euros seulement en France, où une densité moins élevée et des distances plus grandes pourraient impliquer des coûts d'infrastructures supérieurs par habitant.

Si l'aide accordée à l'Allemagne est justifiée par le classement de l'ex-Allemagne de l'est dans l'objectif 1 « convergence » du FEDER (alors que cet objectif ne concerne en France que les départements et régions d'outre-mer), il est utile de souligner que le « choc » de la réunification a ainsi été partiellement pris en charge par une aide de l'Europe, tout particulièrement pour les projets d'infrastructures qui sont l'un des critères pris en compte par les industriels dans leurs choix d'implantation.

La mission suggère que les aides communautaires soient elles aussi plus facilement mobilisables pour les PME et TPE.


* 141 Le mot « concurrence » est présent vingt-huit fois dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (traité de Rome dans sa rédaction résultant du traité de Lisbonne).

* 142 Assemblée nationale, Rapport d'information n° 1594 sur la présence et l'influence de la France dans les institutions européennes, présenté par M. Jacques Floch au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, 12 mai 2004.

* 143 Assemblée nationale, Rapport d'information n° 613 sur le lobbying, présenté par M. Jean-Paul Charié au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, 16 janvier 2008.

* 144 Commission européenne, Ex-post evaluation of cohesion policy programmes 2000-2006, work package 5A : Transport.

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