B. DES RECOMMANDATIONS POUR FONDER UN VÉRITABLE « TOURISME INTÉGRÉ » DANS LES ANTILLES
1. Le tourisme n'est pas encore la véritable priorité des Antilles en matière de développement économique
Le tourisme est un secteur économique central des deux départements antillais.
En 2007, Mme Cécile Felzines estimait ainsi que les entreprises touristiques produisaient environ 7 % de la valeur ajoutée brute totale en Martinique, soit plus que l'agriculture ou le secteur du bâtiment 22 ( * ) . Elle indiquait qu'en Guadeloupe, le tourisme représentait environ 10 % du produit intérieur brut (PIB) régional et près de 9 000 emplois directs 23 ( * ) .
Des données plus récentes confirment le poids du tourisme dans l'économie antillaise.
POIDS DU TOURISME EN GUADELOUPE ET EN MARTINIQUE (2010)
Guadeloupe |
Martinique |
|
Part directe dans le PIB |
2,1 % |
1,8 % |
Part directe et indirecte dans le PIB |
12 % |
9,2 % |
Part directe des emplois |
2,2 %
|
2,3 %
|
Part directe et indirecte des emplois |
11,1 %
|
9,7 %
|
Source : World Travel and Tourism Council, cité in : « Le tourisme des Antilles françaises. Le défi de la concurrence caribéenne », Ibid., p. 21 et 24.
Au-delà de son poids actuel, votre rapporteur souligne que le tourisme est le secteur économique d'avenir pour les Antilles : c'est le gisement de croissance de ces départements pour les prochaines années, le seul secteur d'activité dont on peut espérer un développement économique durable.
La convention signée entre l'État et Atout France 24 ( * ) en mars 2009 souligne ainsi que « le tourisme constitue un secteur d'activité essentiel pour l'outre-mer, et représente toujours un potentiel d'emplois à créer, à stabiliser ou à pérenniser durablement ».
L'ensemble des personnalités rencontrées par votre rapporteur l'ont confirmé : notre collègue Jacques Gillot, par ailleurs président du conseil général de Guadeloupe, a ainsi indiqué que le tourisme devait s'affirmer comme « l'élément du développement économique » de son département. Notre collègue Serge Larcher a quant à lui souligné que le tourisme devait être un secteur moteur pour le développement économique martiniquais, notamment parce qu'il permet de créer de nombreux emplois induits, dans le secteur agricole par exemple.
Votre rapporteur note que le législateur a d'ailleurs consacré le tourisme comme un des secteurs prioritaires des zones franches d'activité instituées par la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) précitée.
Ce constat peut paraître aller de soi , car, comme l'indiquait le Président de la République lors de son déplacement dans les Antilles en janvier 2011 : le tourisme est « une évidence » pour ces deux îles 25 ( * ) .
Pour autant, la volonté politique de développer le tourisme a été absente pendant de nombreuses années dans ces deux départements.
L'ensemble des personnalités rencontrées par votre rapporteur, notamment les socioprofessionnels, ont jugé que, pendant longtemps, il n'y a eu aucune stratégie touristique dans ces départements .
Les divers rapports publiés sur le tourisme ultramarin n'ont d'ailleurs pas été suivis d'effets et de prise de conscience par les acteurs locaux, notamment politiques. Bon nombre de difficultés actuelles avaient ainsi été détectées sans que les acteurs locaux ne mettent en oeuvre les propositions avancées par ces documents. C'est pourquoi, en 2007, « le Conseil économique et social s'étonne qu'à la suite de tous ces rapports et études aucune mesure spécifique d'envergure n'ait été adoptée en faveur de ce secteur » 26 ( * ) .
Votre rapporteur estime que, même si la responsabilité incombe en matière de tourisme aux acteurs locaux, l'État peut prendre certaines initiatives, afin d'accompagner la mise en oeuvre la stratégie définie par ceux-ci.
Les acteurs locaux doivent donc définir et écrire une stratégie touristique . Cette stratégie doit associer l'ensemble des acteurs, des collectivités territoriales aux hôteliers, en passant par les compagnies aériennes, les services de l'État ou encore les tour-opérateurs. Il est indispensable que l'ensemble des acteurs prennent conscience de l'existence d'une filière touristique, dans une optique de « tourisme intégré ».
Lors de son déplacement dans les deux départements antillais, votre rapporteur a pu apprécier la richesse des initiatives prises en matière de tourisme : ces initiatives ont cependant été prises de façon isolée, sans coordination et sans s'intégrer dans une stratégie globale. Les universitaires martiniquais rencontrés par votre rapporteur ont ainsi estimé que le tourisme demeurait « spontané » dans les Antilles.
Lors de son audition, M. Christian Mantei, directeur général d'Atout France, a regretté lui aussi que les différentes questions (hôtellerie, plaisance, transport...) soient aujourd'hui encore désynchronisées.
Votre rapporteur estime qu'il serait donc utile qu'une Conférence réunisse , dans chaque département, l'ensemble des acteurs (acteurs locaux et État) afin de consacrer le tourisme comme la véritable priorité économique, de déterminer la stratégie touristique et d'orienter les dépenses publiques prioritairement vers ce secteur . Une telle conférence pourrait être organisée après chaque renouvellement des instances de la collectivité régionale. Cette proposition se situe dans la logique du « contrat de destination » évoqué par M. Christian Mantei lors de son audition par votre rapporteur.
L'objectif de cette conférence doit être le suivant : « il s'agit désormais de rationnaliser et de coordonner l'accès, l'hébergement, la politique de promotion et d'aménagement, de manière cohérente, dans le cadre d'un positionnement en phase avec le potentiel et l'identité des territoires de la Guadeloupe et de la Martinique » 27 ( * ) .
Votre rapporteur estime que la priorité donnée au tourisme pourrait aller jusqu'à orienter l'organisation institutionnelle : l'idée d'organiser les intercommunalités dans ces deux départements sur la base d'un projet de développement touristique cohérent lui paraît ainsi très intéressante.
S'agissant des grandes orientations de cette stratégie, s'il revient aux acteurs locaux de la définir, votre rapporteur estime que l'enjeu essentiel est de passer d'un tourisme subi à un tourisme choisi .
A Saint-Barthélemy, la collectivité a ainsi fait le choix d'un tourisme haut de gamme. Ce choix a conduit à des décisions politiques radicales, par exemple en matière de croisière, visant à limiter le développement des capacités d'accueil de l'île. Comme l'indique l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), « dans un souci de préserver l'attrait de l'île pour cette clientèle privilégiée, la collectivité a toujours tenu à contrôler le développement touristique » 28 ( * ) .
Ces choix ne sont bien évidemment pas transposables aux deux départements antillais : chaque destination doit déterminer sa propre stratégie et ses produits touristiques .
Pour autant, au terme de ses travaux, votre rapporteur estime, que le tourisme de masse , choix effectué dans les années 1980, aujourd'hui à bout de souffle, n'est pas adapté aux deux départements antillais .
Comme l'a indiqué lors de son audition M. Patrick-Olivier Picourt, président de la Compagnie financière Saint-Thomas, ce choix conduit à une paupérisation de la clientèle et de la destination. M. Alain Vienney, délégué général de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM) a, quant à lui, estimé que la cible des départements antillais devait être un tourisme moyen-haut de gamme misant sur l'environnement ou le culturel.
Autre élément qui apparaît clair au terme des travaux de votre rapporteur : le tourisme balnéaire n'est plus le seul élément déterminant du choix de la destination. S'il demeure un produit d'appel indispensable, notamment vis-à-vis de la clientèle en provenance des pays émergents, il n'est aujourd'hui clairement plus suffisant et d'autres types de tourisme doivent être donc développés.
Cette nécessité de diversifier le produit touristique antillais avait d'ailleurs été prévue dès 1997 par M. Miguel Laventure qui notait que « actuellement, c'est le plus souvent la plage qui est exploitée, parfois de manière stéréotypée, ce qui, à la longue, risque de rendre monotone l'offre touristique » 29 ( * ) .
Enfin, votre rapporteur souhaite saluer l'évolution récente perceptible en Martinique . La totalité des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur, tant à Paris que lors de son déplacement, ont souligné qu'y existait aujourd'hui une véritable mobilisation des acteurs locaux en faveur du développement touristique. M. Patrick-Olivier Picourt, président de la Compagnie financière Saint-Thomas, a ainsi affirmé lors de son audition par votre rapporteur : « il se passe quelque chose en Martinique », tandis que M. Olivier Huygues-Despointes a évoqué « un vent très favorable au tourisme ».
Deux éléments semblent avoir joué un rôle essentiel dans ce déclic :
- la politique lancée par le nouveau président du conseil régional de la Martinique, visant à faire du tourisme la priorité en matière de développement économique : M. Serge Letchimy a ainsi nommé une professionnelle à la tête du Comité martiniquais du tourisme (CMT), choix qui a été salué par l'ensemble des socioprofessionnels martiniquais rencontrés par votre rapporteur ;
- le déplacement du Président de la République au début du mois de janvier 2011 : une table-ronde a été organisée sur le tourisme à cette occasion. Elle a vu l'ensemble de la classe politique martiniquaise marquer son soutien à la politique de développement touristique.
En Martinique, l'ensemble des acteurs a pris conscience de l'enjeu représenté par le tourisme : une véritable stratégie est donc en train d'être définie dans ce département. Cette évolution est porteuse d'espoir pour l'avenir du tourisme martiniquais et, plus généralement, pour l'avenir de la Martinique.
Recommandation n° 1 : faire du tourisme la priorité des Antilles en matière de développement économique. |
* 22 Cf. « Le tourisme, perspective d'avenir de l'outre-mer français », Ibid., p. 11.
* 23 Ibid., p. 14.
* 24 Alors ODIT France.
* 25 Voeux du Président de la République à la France d'outre-mer, Petit-Bourg, 9 janvier 2011.
* 26 « Le tourisme, perspective d'avenir de l'outre-mer français », Ibid., p. 7.
* 27 Contribution écrite de la ministre de l'outre-mer transmise à votre rapporteur.
* 28 « Saint-Barthélemy : une économie fondée sur le tourisme haut de gamme », Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), Note expresse n° 69, mars 2010, p. 3.
* 29 « Le tourisme, facteur de développement de l'outre-mer français », Conseil économique et social, M. Miguel Laventure, p. 31.