3. Le tourisme antillais est orienté exclusivement sur le marché métropolitain
La Martinique et la Guadeloupe sont aujourd'hui en situation de mono clientèle : la quasi-totalité des touristes qu'elles accueillent sont des Français.
En 2007, Mme Cécile Felzines notait ainsi que 79,4 % des touristes visitant la Martinique sont métropolitains 33 ( * ) , contre 75,8 % en Guadeloupe 34 ( * ) . Les données plus récentes confirment ce constat : plus de 90 % des touristes sont aujourd'hui Français .
ORIGINE DES TOURISTES EN GUADELOUPE ET EN MARTINIQUE
Guadeloupe |
Martinique |
|
France |
94 % |
93 % |
Reste de l'Union européenne |
4 % |
3 % |
Hors Union européenne |
2 % |
4 % |
Source : « Du diagnostic à la mise en oeuvre : priorités d'actions pour chaque destination », Ibid., p. 40 et 61.
Parmi les touristes français, un grand nombre sont des touristes affinitaires : d'après Atout France, ils représentent 38 % des touristes en Guadeloupe 35 ( * ) et entre 13 et 20 % en Martinique 36 ( * ) .
Cette situation de mono clientèle constitue un handicap important : il convient donc de prendre les mesures nécessaires afin d'ouvrir ces destinations sur les marchés européen et nord-américain.
a) La desserte des Antilles depuis Roissy est indispensable mais pas suffisante pour attirer la clientèle européenne
La problématique de la desserte aérienne depuis Orly constitue un sujet de débat récurrent en Guadeloupe et en Martinique .
L'ensemble des personnalités rencontrées sur place par votre rapporteur , tant les élus que les socioprofessionnels, ont en effet estimé qu'une desserte aérienne depuis Roissy était indispensable afin de relancer l'activité touristique de ces départements.
Du fait de leur desserte depuis Orly, les Antilles restent prisonnières de leur mono clientèle. M. Jean-Paul Octave, président du GIHDOM, a ainsi estimé lors de son audition que les Antilles françaises étaient traitées comme la banlieue parisienne. La desserte depuis Roissy permettrait à ces destinations de s'ouvrir à de nouveaux marchés européens , en profitant du statut de hub de cet aéroport.
Les socioprofessionnels estiment ainsi que les Antilles disposent d'un vrai potentiel dans d'autres pays européens, comme l'Italie, la Belgique ou la Suisse. Air France KLM confirme ce potentiel : la compagnie a lancé en 2010 des actions auprès de plusieurs de ses délégations régionales européennes, qui ont donné des résultats encourageants avec une hausse du trafic européen à destination des Antilles de 10 % 37 ( * ) .
Au terme de ses travaux, votre rapporteur estime que la mise en place d'une desserte aérienne des Antilles depuis Roissy est indispensable .
Elle a d'ailleurs été recommandée dès mai 2006 par un rapport d'enquête sur l'optimisation de la desserte aérienne des départements d'outre-mer : ce rapport soulignait qu'il était important de « créer une offre mieux orientée sur la captation de flux de passagers européens » et que seul l'aéroport de Roissy permettait d'« assurer une correspondance avec les vols internationaux, notamment européens » 38 ( * ) .
Lors du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) de novembre 2009 a été annoncée l'installation du groupe de travail sur la desserte des Antilles en janvier 2010 39 ( * ) . Lors de son déplacement de janvier 2011, le Président de la République a annoncé qu'une liaison hebdomadaire à destination de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France serait assurée par Air France KLM à partir de novembre 2011.
Votre rapporteur salue l'engagement du Président de la République sur cette question essentielle pour le tourisme antillais.
Pour autant, il rappelle que plusieurs expériences de desserte depuis Roissy ont été effectuées par Air France KLM au cours des dernières années :
- entre 1999 et 2001 avec quatre fréquences hebdomadaires sur les deux destinations ;
- entre 2003 et 2005 avec deux vols hebdomadaires.
Air France KLM estime que ces tentatives se sont soldées par des échecs : « le coefficient de remplissage a toujours été inférieur de 8 à 10 points à celui réalisé au départ d'Orly et n'a jamais atteint le coefficient d'équilibre » 40 ( * ) .
Les modalités de l'expérimentation qui aura lieu à partir de novembre 2011 sont donc essentielles pour assurer sa réussite. Comme l'a souligné M. Alain Bièvre, directeur général de l'aéroport Pôle Caraïbes, l'impact de cette expérimentation dépend, entre autres, des horaires choisis.
Pour l'heure, seul un vol par semaine est prévu : cela n'est clairement pas suffisant, notamment parce que cela ne permet pas une véritable souplesse du package pour le touriste.
Votre rapporteur espère donc que le Gouvernement mettra tout en oeuvre afin que cette expérimentation soit un succès.
Pour autant, si la desserte aérienne depuis Roissy est un outil indispensable, votre rapporteur estime que d'autres pistes pourraient être explorées .
Plusieurs personnalités auditionnées par votre rapporteur ont en effet estimé - position que votre rapporteur sait ne pas être unanimement partagée - que le fait que la compagnie Air Austral desservait l'île de La Réunion depuis Roissy n'avait pas permis un afflux de clients européens.
D'autres pistes pourraient être envisagées afin de développer le marché européen, comme l'a souligné M. Serge Tsygalnitzky, directeur général d'Air Caraïbes, lors de son audition :
- il pourrait être ainsi envisagé d'inciter certaines compagnies aériennes européennes à desservir l'aéroport d'Orly, ce qui permettrait d'assurer des connexions vers les Antilles ;
- pourraient également être mis en place des charters à partir de certains pays européens. Un exemple évoqué par plusieurs personnalités rencontrées par votre rapporteur paraît particulièrement intéressant : un tour opérateur suédois, Langley, a acheté l'hôtel Fort-Royal de Deshaies en Guadeloupe. Parallèlement, la compagnie Air Caraïbes assure désormais un vol hebdomadaire depuis Stockholm.
Enfin, si la question de la desserte aérienne est essentielle, elle ne réglera clairement pas l'ensemble des difficultés du tourisme antillais.
Votre rapporteur note, par exemple, que l'augmentation au cours des dernières années du nombre de vols assurés par Air France à destination des Antilles n'a pas conduit à une augmentation du trafic touristique, comme l'a souligné lors de son audition M. Alain Malka, directeur général Caraïbes et Océan Indien d'Air France KLM. Mme Cécile Felzines le notait déjà en 2007 : « les accroissements de capacité n'auraient pas profité à une augmentation d'arrivée de touristes (...) les capacités supplémentaires auraient surtout profité au tourisme affinitaire qui fréquente peu ou pas les hébergements hôteliers ou commerciaux et surtout aux ressortissants de ces départements » 41 ( * ) .
La desserte aérienne depuis Roissy n'aura par ailleurs aucun impact si, parallèlement, une véritable stratégie touristique n'est pas définie par les acteurs locaux . Comme l'a souligné M. Virgile Irep, directeur des affaires culturelles et du patrimoine de la commune de Sainte-Rose en Martinique, lors de son audition, la desserte aérienne ne règle en rien la question de l'offre : les touristes ne viendront dans les Antilles que si le produit touristique est à la hauteur.
La ministre de l'outre-mer le reconnaît elle-même : l'optimisation de la desserte aérienne « ne pourra prendre tout son sens que dans le cadre d'une vision et d'un projet commun de développement touristique entre l'ensemble des acteurs du tourisme antillais dont la mise en place de contrats de destination en sera le résultat concret » 42 ( * ) .
Recommandation n° 3 : mettre tout en oeuvre pour que l'expérience de desserte des Antilles depuis Roissy soit concluante, sans pour autant négliger d'autres pistes. |
b) Les Antilles doivent cesser de tourner le dos à l'Amérique du Nord
L'ouverture des Antilles aux marchés européens occulte trop souvent , aux yeux de votre rapporteur, la question de l'ouverture des deux départements antillais aux marchés nord-américains .
Il est en effet stupéfiant que les touristes nord-américains , tant canadiens qu'américains, soient si peu nombreux en Guadeloupe et en Martinique . Comme l'indique M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État au tourisme, « cette situation est très atypique dans la zone Caraïbe où l'Amérique du Nord est le principal marché (45 % des flux touristiques en République Dominicaine et 62 % à San Marteen) » 43 ( * ) .
Alors qu'au cours de la décennie 1975-1985, la Guadeloupe accueillait plus de touristes américains (35 %) que de métropolitains (30 %), grâce à des vols directs et réguliers effectués par des compagnies aériennes américaines telles Panam ou American Airlines, aucun gros porteur américain n'effectue plus aujourd'hui de liaisons directes vers la Guadeloupe, comme le souligne la ministre de l'outre-mer 44 ( * ) . M. Miguel Laventure notait dès 1997 que le marché nord-américain s'était effondré au cours des dix années précédentes, passant de près de 20 % du marché à 5 à 7 % 45 ( * ) .
Comment expliquer cette fuite ? Plusieurs raisons peuvent être invoquées, au premier rang desquelles l'insécurité sociale .
Comme l'a indiqué M. Serge Tsygalnitzky, directeur général d'Air Caraïbes, lors de son audition par votre rapporteur, les tensions sociales récurrentes dans les deux départements antillais expliquent en partie que ces territoires attirent dix fois moins de touristes américains que Saint-Martin.
Les tensions sociales récurrentes - et parfois brutales - sont également à l'origine du départ des compagnies aériennes américaines , élément qui contribue également au faible nombre de touristes américains en Guadeloupe et en Martinique.
Comme l'a indiqué Mme Stéphanie Bessière, « outre Cuba et les îles n'ayant que des aéroports régionaux comme Saint-Barthélemy, la Martinique et la Guadeloupe sont les deux seules îles de la Caraïbe à ne pas ou ne plus avoir de liaisons directes avec les États-Unis » 46 ( * ) . Les Antilles françaises tournent donc aujourd'hui le dos à l'Amérique du Nord.
Les deux départements disposent pourtant d'atouts réels pour attirer les touristes nord-américains . Mme Jeannie Verger, responsable de l'antenne d'American Airlines en Guadeloupe, l'a confirmé lors de son audition.
Votre rapporteur est d'autant plus conscient de ces atouts que l'île de Saint-Barthélemy attire de nombreux touristes nord-américains en s'appuyant sur certains d'entre eux :
- la proximité : les Antilles françaises sont ainsi situées à 4 heures d'avion de New York ;
- la sécurité, sous tous ses aspects : M. Patrick-Olivier Picourt, président de la Compagnie financière Saint-Thomas, a estimé, lors de son audition par votre rapporteur, que la question sécuritaire serait un atout important pour les Antilles françaises au cours des prochaines années, notamment du fait des difficultés rencontrées en la matière par les destinations concurrentes de la zone caribéenne. Comme l'ont souligné également de nombreux interlocuteurs de votre rapporteur, la Martinique et la Guadeloupe peuvent bénéficier de la qualité de leurs infrastructures sanitaires ;
- la « french touch » : les personnalités rencontrées par votre rapporteur lors de son déplacement à Saint-Barthélemy ont souligné que l'attrait de l'île pour les touristes américains était lié au fait qu'elle constituait « la France à portée de main ».
Pour autant, il convient de rappeler que les touristes nord-américains sont particulièrement exigeants : les deux départements antillais ne pourront donc les attirer - et les fidéliser - qu'en jouant sur la qualité et, donc en mettant à niveau les infrastructures hôtelières, en assurant une vie nocturne sécurisée ou en menant des actions en matière de formation du personnel aux langues étrangères. Notre collègue Daniel Marsin a ainsi estimé, lors de son audition par votre rapporteur, que la Guadeloupe n'était pas, pour l'heure et du fait de la barrière linguistique, prête à accueillir une clientèle américaine.
Afin de développer le marché nord-américain, la question de la desserte est essentielle . Votre rapporteur se réjouit donc qu'Air France KLM réfléchisse aujourd'hui, en lien avec Atout France, au développement de la liaison Antilles-États-Unis, ainsi qu'au développement des liaisons avec le Canada, comme l'a indiqué lors de son audition M. Alain Malka, directeur général Caraïbes et Océan Indien du groupe.
Des initiatives doivent être prises par ailleurs afin d'inciter les compagnies aériennes américaines à desservir de nouveau les Antilles françaises .
Lors de son audition par votre rapporteur, M. Yan Monplaisir, président du groupe Monplaisir, a avancé l'idée qu'une taxe sur les billets d'avion Paris-Antilles vienne financer la mise en place d'une ligne desservant les États-Unis. Cette idée ne convainc guère votre rapporteur.
Votre rapporteur n'est, par contre, pas opposé à l'arrivée sur le sol antillais des compagnies low cost nord-américaines, telles que Jet Blue, qui dispose de son propre terminal à New York, qui lui permet de desservir toute l'Amérique du Nord, ou de Westjet au Canada.
Recommandation n° 4 : prendre des initiatives afin d'attirer les touristes nord-américains, notamment en incitant les compagnies aériennes américaines à desservir les Antilles. |
Au-delà de la nécessité d'ouvrir la Martinique et de la Guadeloupe sur les marchés européens et sur l'Amérique du Nord, votre rapporteur relève que certains marchés sont aujourd'hui particulièrement porteurs, comme l'ont souligné les personnalités rencontrées lors de son déplacement à Saint-Barthélemy : ont ainsi été évoquées l'Amérique latine (et notamment le Brésil) et la Russie. Votre rapporteur souligne que ces nouveaux marchés ne devront pas être négligés .
* 33 Ibid., p. 11.
* 34 Ibid., p. 13.
* 35 Ibid, p. 40.
* 36 Ibid, p. 61.
* 37 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.
* 38 Rapport d'enquête sur l'optimisation de la desserte aérienne des départements d'outre-mer, Inspection générale de l'administration, Inspection générale des finances, Conseil général des Ponts et chaussées, mai 2006, p. 14.
* 39 Cf. proposition n° 23 : « donner au tourisme les moyens de son développement ».
* 40 Réponse d'Air France KLM au questionnaire transmis par votre rapporteur.
* 41 « Le tourisme, perspective d'avenir de l'outre-mer français », Ibid., p. 35.
* 42 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.
* 43 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.
* 44 Cf. contribution écrite transmise à votre rapporteur.
* 45 « Le tourisme, facteur de développement de l'outre-mer français », Ibid., p. 5.
* 46 « Le tourisme des Antilles françaises. Le défi de la concurrence caribéenne », Ibid., p. 163.