AUDITIONS
1. Audition de NASRINE SERAJI, directrice de l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Paris
Eviter le cauchemar des nappes urbaines
par la mise en place d'infrastructures adaptées
La croissance des villes dans le futur est inéluctable . Certes, entre les 2 millions d'habitants de la ville de Paris et les 21 millions d'habitants de Mumbai, la situation n'est pas la même. En terme de vitesse de croissance, les deux villes sont diamétralement opposées, l'une stagne quand l'autre explose ; de même que Mumbai, Téhéran est passé en 30 ans de 4 à 14 millions d'habitants. Paris a une superficie six fois moins grande que Mumbai. Et pourtant leurs densités sont identiques, 21 000 hab/km 2 .
Cette apparition de nappes urbaines n'est pas nécessairement une catastrophe si elle est accompagnée par la création d'infrastructures adaptées qui tiennent compte de la spécificité de chaque territoire. Le plus important pour une autorité municipale est alors de mettre en place le programme qui permettra dans le temps de réaliser les infrastructures de réseaux en commençant par les plus essentielles (assainissement, eau, transports etc.). En rendant accessibles ces territoires, en les reliant aux autres quartiers urbanisés, une telle politique réduit en outre les injustices, l'exclusion et les ghettos.
S'il existe une alternative à l'apparition des nappes urbaines, ce serait celle des réseaux de villes moyennes regroupant des villes d'une centaine de milliers d'habitants et non les mégapoles. Cette forme d'organisation est la plus pertinente pour une meilleure utilisation des différentes richesses contenues dans le réseau.
Pour limiter la progression des nappes urbaines informelles, il faut pouvoir s'attaquer à la pauvreté des zones sub-urbaines et à l'attractivité des villes centres, trouver les moyens de fixer les populations par l'emploi ou le bien-être. Les cantons suisses y parviennent. Les villes du futur ne seront pas seulement des villes métropoles.
La mégapole et les nappes urbaines sont antinomiques avec une politique de préservation de l'environnement , avec le défi du changement climatique ou de la préservation des biotopes si elles sont incontrôlées. Avant de pouvoir mettre en place dans une mégapole un nouveau système de développement, il faut faire une enquête approfondie pour identifier les potentiels des territoires concernés ou leur incompatibilité avec certains types de développement, et leur appliquer un processus de transformation incrémental dans le temps, ce que j'appelle la « méthode écologique ». Certes cette méthode ne produit pas des résultats immédiatement perceptibles, mais elle garantit dans le temps un meilleur équilibre entre la préservation de l'environnement et son occupation par l'homme.
L'urbanité est en général associée à un mélange dense et complexe de fonctions . Mais la composition et l'alchimie de ce mélange dépendent des spécificités de chaque ville ou type de ville. Il faut aussi régler préalablement les problèmes juridiques qui s'opposent à la coexistence par imbrication, par chevauchement ou par superposition de fonctions gérées par différents propriétaires au sein d'une même entité, comme c'est le cas actuellement en France.
Si la reconquête des entrées de villes est possible dans certains cas , elle est parfois difficile à mettre en place dans les grandes villes, comme Lyon ou Bordeaux. En effet, transformer en boulevards urbains les avenues et les rues en diminuant le nombre des voies consacrées à l'automobile peut poser des problèmes d'accès et d'engorgement. C'est le politique qui doit régler le mécanisme temporel de cette reconquête en fixant l'ordre de l'introduction des fonctions diversifiées dans les zones commerciales existantes pour y apporter de la mixité et les densifier en profitant de l'infrastructure qui les dessert.
Les maires savent bien que les programmes qu'ils lancent ne peuvent être réalisés dans le temps de leur mandat qui est trop court . Mais plutôt que de tout planifier au début du mandat, il n'est pas impossible d'organiser ces programmes selon des séquences qui scandent leur déroulement et permettent de revoir à certains moments leurs orientations. L'important est qu'il existe un lien direct entre les aménageurs et les décideurs. Il faut du temps pour se comprendre et pour comprendre les problèmes alors qu'aujourd'hui le temps manque dans une société marquée par l'instant.
Faut-il une ville dirigiste ou une ville libérale ? Cela dépend. Le foncier et l'infrastructure doivent pour la plus grande part relever de la part publique car il faut que le plus grand nombre d'habitants puisse accéder à des espaces publics. A Beyrouth, par exemple, on a voulu reconstruire le centre très vite après la guerre : une grande partie est donc occupée par des programmes de luxe, car seuls des investisseurs privés pouvaient financer ce type de reconstruction. Le type de ville et de vie que l'on veut est donc indissociable du choix de gouvernance qui les rend possibles.