3. Audition de LAURENT THERY, Grand prix de l'Urbanisme de l'année 2010
La ville, un enjeu explicite du développement
Le mouvement de concentration urbaine est inéluctable . Il ne peut pas être arrêté. Mais ce mouvement a aussi correspondu à une phase de progrès pour les hommes. Il n'est pas par nature négatif, même si on ressent plutôt la ville comme étant le lieu du mal et la nature le lieu du bien. Il est probable, à titre d'illustration, que les Chinois qui vont nécessairement être confrontés aux limites de leur modèle urbain, trouveront les solutions pour résoudre les problèmes d'environnement, de mobilité, d'occupation de l'espace.
C'est parce que le phénomène urbain est actuellement dans une phase de transition que la ville est surtout ressentie à travers ses nuisances : bruit, pollution, congestion etc. Mais cette situation n'est pas inéluctable. Elle est le résultat d'un développement qui, jusqu'à présent, a été surtout conçu par grands domaines sectorisés et par fragmentation des espaces. C'est ainsi que le territoire péri-urbain, loin d'être une annexe des villes, est un élément constitutif même du développement des villes.
Les villes ne vont pas non plus nécessairement disparaître du fait de l'apparition de « la ville virtuelle » engendrée par les révolutions technologiques de l'internet, des portables et du GPS. Plus ces outils développent des capacités de relations dématérialisées, plus les individus ressentent le besoin de rencontres avec les autres.
De même, contrairement à l'idée selon laquelle ce sont les emplois qui créent l'habitat, on constate désormais que les entreprises vont là où les gens se sentent bien et où ils veulent vivre , là où sont les talents, là où la ville est attractive. La ville devient ainsi un enjeu explicite de développement.
S'agissant de l'environnement, on a cru d'abord que la ville était le problème. Mais si elle est toujours le lieu des problèmes de pollution et de gestion des déchets, la ville est aussi lieu où seront inventées les solutions aux problèmes de l'environnement . La ville qui était jusqu'alors l'objet de développement peut désormais être le sujet du développement et des solutions à inventer.
Dans le contexte de la mondialisation et des invariants qu'on connaît, chaque ville a néanmoins son sens propre. Chaque ville est particulière malgré le mouvement global d'urbanisation dans le monde . Dès l'instant où on comprend le sens propre d'une ville, alors il devient possible de l'orienter dans une certaine direction. Mais on ne peut changer la ville qu'à partir du moment où on refuse les politiques sectorielles et où on pense global et transversal.
Ces villes qui ont trouvé leur sens sont des villes qui sont fières d'elle-même . C'est le cas à Lille avec l'ensemble tertiaire et commercial d'Euralille. C'est un pôle de rassemblement pour la population. Le traitement des friches industrielles est aussi une opportunité pour donner du sens aux villes. Mais face aux quartiers fragmentés, seule la politique peut apporter une réponse, avec des initiatives en matière de logement, de culture, etc.
L'attractivité d'une ville implique dans le domaine culturel à la fois une politique élitiste attirant des visiteurs lointains et une politique populaire pour tous les habitants . D'ailleurs le grand public est souvent plus accueillant à l'art contemporain que le public averti. Il trouve souvent plus de raisons de s'en amuser et d'y être distrait.
Pour réussir cette orientation, il faut apporter partout du mélange : une fonction dominante doit être mêlée à d'autres fonctions. C'est ce qui a constitué le succès de l'île de Nantes avec un mélange des fonctions urbaines et un habitat lui-même socialement mélangé. Le mélange est un élément de la qualité de la vie qui permet d'éviter ou de lutter contre l'entre-soi.
Néanmoins, la ville étant un lieu de liberté, on ne peut pas tout réguler dans une ville.
Contrairement au pessimisme ambiant sur les capacités des villes européennes à se mobilier et à se renouveler, le potentiel des villes occidentales et françaises en particulier reste très important . Il n'y a pas de bons projets qui ne trouvent leurs financements.
En définitive, on doit savoir que, derrière les invariants urbains, il y a toujours des politiques possibles. Il y a toujours la possibilité de faire autre chose que le laisser-faire. Le rôle du politique reste essentiel pour faire fonctionner l'urbain généralisé .
Mais il faut certainement faire bouger certaines situations ; par exemple c'est une hérésie que de vouloir continuer à piloter les villes à partir des communes alors que les politiques structurantes ne peuvent être décidées qu'au niveau de l'agglomération. Le résultat est que les citoyens sont de fait écartés des grands choix structurants parce que le projet municipal l'emporte sur le projet de la communauté.