II. LES CONCURRENTS EUROPÉENS DE NOS GRANDS PORTS MARITIMES SE RENFORCENT GRÂCE À DES STRATÉGIES AMBITIEUSES ET COHÉRENTES

En 1995, le Havre traitait environ 1 million d'EVP de conteneurs et Anvers 2 millions ; en 2010, Le Havre est à 2 millions et Anvers à plus de 8 millions : la différence est passée du double au quadruple. Cette année, Rotterdam a dépassé les 11 millions d'EVP ; Tanger Med, créé de toutes pièces en 2007, traite presque autant de conteneurs que notre champion national et table sur un objectif de 8 millions d'EVP en 2016, quand Le Havre espère atteindre 5 millions d'EVP en 2020 et Marseille 2 millions. Pourquoi Anvers, moins accessible que Le Havre depuis la voie maritime transcontinentale, a-t-il été préféré au Havre ? Pourquoi Tanger Med est-il plus ambitieux que nos deux principaux ports maritimes ? Pourquoi notre champion national n'a-t-il guère fait mieux, depuis une décennie, que suivre « au fil de l'eau » la progression du trafic international ?

En se déplaçant dans quatre ports étrangers (Rotterdam, Hambourg, Tanger, Algesiras), le groupe de travail a voulu « prendre le pouls » de la concurrence, en regardant aussi quelles solutions les autorités publiques ont trouvé à ce qui apparaît bien comme des problèmes récurrents pour les ports français.

Depuis les années 2000, l'accélération des échanges mondiaux et le gigantisme des navires jettent les ports maritimes dans une nouvelle compétition : les quelques ports où les plus grands navires font étape deviennent les « hubs » sur des chaînes logistiques qui dépendent de grandes compagnies transnationales, toujours plus puissantes et mobiles ; les grands ports européens se livrent à une compétition aiguë pour devenir « la porte principale de l'Europe », compétition où les critères de fiabilité et de qualité de service viennent au premier plan, avec l'accès à l'hinterland - d'autant que, vus d'Asie, les grands ports européens sont peu ou prou interchangeables.

Pour aider nos grands ports maritimes dans cette compétition, nous examinons successivement les principaux « points forts » des ports que nous avons visités (voir annexe III) :

- une gouvernance entrepreneuriale, qui s'accompagne d'une forte décentralisation du contrôle sur les ports ;

- des investissements à grande échelle et un aménagement du territoire au service d'une économie maritime forte ;

- une offre de service globale et intégrée, assortie de stratégies commerciales conquérantes.

A. UNE GOUVERNANCE ENTREPRENEURIALE, QUI DONNE UN RÔLE CLÉ AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

Première caractéristique commune très forte chez nos concurrents : le passage au modèle du « port propriétaire » s'est partout accompagné d'une gouvernance entrepreneuriale, assortie d'une véritable décentralisation du pouvoir portuaire. Le modèle du « port propriétaire » est devenu le standard des grands ports européens : la gestion des terminaux est confiée au privé, pour en augmenter la productivité et attirer des flottes d'armateurs liées aux opérateurs de terminaux ; l'autorité portuaire, de son côté, se focalise sur ses fonctions d'aménageur et de régulateur. Si ce modèle, on le verra, connaît bien des adaptations locales, deux caractéristiques sont communes à tous les ports visités : l'autorité portuaire elle-même, quel que soit son statut juridique, passe à une gouvernance entrepreneuriale, avec conseil de surveillance et directoire ; cette autorité portuaire est placée sous le contrôle des pouvoirs publics locaux, plutôt que nationaux.

Les autorités portuaires ont changé de métier et elles sont désormais gérées comme des entreprises, avec des objectifs stratégiques, un contrôle a posteriori , une régulation par le résultat - et elles rendent compte principalement à des instances décisionnaires proches. Fait notable : même quand l'État est resté propriétaire du port, le pouvoir décisionnaire a été confié aux acteurs locaux, ce qui n'interdit nullement la présence de l'État dans les instances dirigeantes - mais son rôle est alors celui d'un facilitateur, d'un coordonnateur.

1. Au Nord comme au Sud, cette gouvernance est placée sous le contrôle du pouvoir local plutôt que national

Dans tous les ports visités, les autorités portuaires sont placées sous le contrôle des autorités locales plutôt que nationales.

Les ports d'Europe du nord, historiquement, sont la propriété des villes : les collectivités locales sont donc les instances naturelles du contrôle des ports de Hambourg et de Rotterdam.

• A Rotterdam , ce contrôle est d'abord stratégique : l'assemblée délibérante approuve annuellement le programme, le rapport d'activité et les comptes de l'autorité portuaire ; les priorités sont débattues en amont, au sein de l'assemblée délibérante et avec l'État, actionnaire de la société portuaire. La Ville et l'État s'interdisent de « faire de la politique » avec le port : leur objectif commun est de développer l'activité, la participation à une société portuaire commune scelle l'alliance entre les pouvoirs publics locaux et nationaux. Leur contrôle s'apparente à celui qu'exerce un conseil d'administration dans une entreprise. Du reste, après avoir été présidé par un élu, le conseil de surveillance vole de ses propres ailes et la présidence en a été confiée à une personnalité qualifiée.

• A Hambourg , le conseil d'administration de HPA ( Hamburg Port Authority ), composé de 9 membres, est dirigé par le sénateur en charge de l'économie, qui représente les intérêts de la Ville-État et en réfère au maire. Brême et la Basse-Saxe sont même allés plus loin, en gérant leurs ports sous la forme d'une société à responsabilité limitée, qui joue le rôle de gérant de la commandite.

En Espagne, où les ports sont propriété d'État, la loi de 2010 a placé les collectivités locales au premier plan :

• La loi a confié aux communautés autonomes espagnoles la nomination du président du conseil d'administration : c'est la communauté autonome d'Andalousie qui nomme le président du port d'Algésiras, premier port espagnol. Les 15 membres du conseil d'administration comptent : 4 représentants de l'État, 4 représentants de l'Andalousie, 2 représentants des municipalités, 2 représentants des syndicats et 3 représentants des entreprises.

• La loi a également confié à l'État un pouvoir de coordination de l'ensemble des ports d'intérêt national. Le projet annuel du port est adopté « en accord » avec l'établissement public national Puertos del Estado : en cas de désaccord, le Conseil des ministres doit trancher. L'État a également un droit de regard sur les participations des sociétés portuaires dans les sociétés marchandes.

La réforme de 2010 résulte d'un « accord historique » entre tous les partis politiques représentés au Parlement espagnol, face à une crise sans précédent pour les ports ibériques - qui perdaient des parts de marché, bloqués par des conflits sociaux. Avant la réforme, les ports espagnols étaient peu productifs, peu innovants mais chers. Tout en réformant le statut des ports, le législateur a placé les communautés autonomes en responsabilité, afin qu'elles y investissent et qu'elles rationalisent l'action. Cette décentralisation est présentée comme un levier majeur de la réforme portuaire. De son côté, l'État est recentré sur une fonction de coordination : les ports espagnols sont nombreux et peu complémentaires, la mission de l'établissement public national Puertos del Estado consiste désormais à encourager les spécialisations et à améliorer les dessertes portuaires.

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