2. La gouvernance entrepreneuriale s'impose, quelle que soit la configuration institutionnelle
La diversité institutionnelle des principaux ports européens atteste qu'il n'y a pas un modèle statutaire unique pour l'autorité portuaire et qu'on perdrait son temps à faire de la question statutaire un préalable. Ce qui a compté, c'est que les pouvoirs publics ont adapté la forme institutionnelle aux exigences nouvelles des métiers portuaires. Et le premier trait commun, c'est qu' en changeant de métier, les autorités portuaires se sont réglées sur la gouvernance entrepreneuriale, avec directoire et conseil de surveillance, noyau décisionnel autour duquel gravitent d'autres cercles généralement consultatifs.
• Rotterdam est exemplaire. En 2004, la Ville de Rotterdam, qui gérait le port en régie, crée une société de droit privé, à qui elle confie la gestion du port . En 2006, l'État y prend 30 % des parts, correspondant aux 100 millions qu'il apporte au projet d'extension Maasvlakte 2. La société portuaire définit la stratégie, développe et entretient les infrastructures, commercialise les surfaces (conventions de terminaux), l'État conserve les questions de sécurité et la Ville exerce la capitainerie. La Ville et l'État approuvent annuellement la stratégie et le budget de la société portuaire, mais c'est bien le conseil de surveillance (5 membres) qui chapeaute l'équipe dirigeante formant le conseil exécutif : le propriétaire est public, mais la gestion s'inspire directement du modèle privé.
• A Hambourg , l'établissement portuaire (HPA) est public, mais il applique tout autant une gestion privée. Comptant 2000 salariés environ, HPA est perçu comme une entreprise classique par les candidats lors des entretiens d'embauche, ce qui valorise l'image du port selon leurs dirigeants.
• A Algesiras , il a fallu attendre une loi de 2010 pour réformer les structures portuaires ; l'autorité portuaire demeure publique, mais ses missions sont recentrées sur l'aménagement portuaire et la régulation ; la gestion s'inspire du privé : les ports fixent leurs tarifs, l'évaluation comptable devient analytique, différents services sont ouverts à la concurrence.
• Tanger Med, réalisé à partir de 2007, a d'emblée adopté une gouvernance d'entreprise, avec conseil de surveillance et conseil exécutif. Cette organisation s'accompagne d'une politique de filialisation, importée directement des business models du privé : la société portuaire, en 2010, devient même une holding , qui a des parts dans les différentes filiales du port, spécialisées par activité.
La gestion entrepreneuriale est indispensable quand l'objectif premier consiste à vendre des services portuaires à des opérateurs rendus plus exigeants par l'offre concurrentielle - et plus puissants par leurs liens avec les armateurs et les logisticiens. La gestion publique était pertinente quand le port exerçait principalement des fonctions d'autorité et gérait, en position de monopole, des outillages indispensables au déchargement sur ses quais, tout en disposant du levier tarifaire (y compris les taxes) ; les investissements étaient publics, les réseaux de transports aussi, l'accès aux bassins de consommation était contraint, faute d'alternative dans un espace encore fractionné. La gestion publique avait alors l'avantage d'accéder mieux aux subventions et aux leviers « souverains » que sont les taxes et l'application dérogatoire des règles d'urbanisme (droit particulier des opérations d'intérêt national, par exemple). Mais quand l'espace devient ouvert, quand les services portuaires sont mis en concurrence par des opérateurs plus puissants, capables de modifier d'autant plus facilement leur route que des alternatives existent, quand les règles imposent le respect de la concurrence et la conciliation entre le développement économique et la protection de la nature, la gouvernance entrepreneuriale est plus avantageuse parce que plus adaptable.